Un outil de mobilisation et de présentation de soi en ligne
Tout comme le sentiment d’identité nationale partagé par des individus qui ne sont pas tous en contact est lié à la constitution d’un imaginaire social, c’est souvent en se revendiquant d’une forme métaphorisée de territoire ou de peuple que les fans décrivent le collectif. Il s’agit du second grand type de nom après le fait de jouer sur le titre de la fiction elle-même. Le premier type est le plus répandu, on le retrouve par exemple pour les fans de la série
Glee (
Gleeks), de
Sherlock Homes (
Sherlokians), du jeu vidéo
Minecraft (
Minecrafters). Mais lorsque le titre ne se prête pas à un jeu de mots ou à une extension à la sonorité agréable, c’est le second qui entre en scène. Dans l’exemple introductif, le terme
Tributes désigne les fans mais aussi une catégorie de population au sein de
la diégèse fictionnelle.
Cette évolution est d’autant plus visible sur internet, où ces communautés imaginées deviennent des communautés virtuelles qui naissent des interactions entre les fans dans des environnements numériques. Le signe de ralliement et l’acte de naissance d’une communauté de fan est donc le fait de laisser des traces numériques de son existence, à commencer par la manière dont on la désigne. C’est ce qui s’est passé pour les fans de Hunger Games, mais aussi pour ceux de My Little Pony. C’est en ligne que tout ou presque s’est joué car il s’agit d’un espace où tout ne tient que par l’engagement des individus à maintenir un lien choisi.
En particulier, la réunion des individus sous une même bannière autour de sites, de forums, et via les réseaux sociaux avec l’outil transversal du nom, permet d’avoir une voix. C’est la raison pour laquelle le moment de l’émergence du nom est souvent corrélé à un moment où la nécessité d’une mobilisation se fait sentir.
C’est le cas pour les Browncoats, fans de l’éphémère série Firefly (2002) de l’auteur culte Joss Whedon. Là aussi, le nom renvoie à une population au sein de la diégèse puisque Browncoats désigne le camp des perdants dans une guerre civile interplanétaire. Le parallèle entre le traumatisme de la défaite chez les personnages et la volonté des fans de lutter contre les producteurs pour que la série revienne est clairement revendiqué. C’est autour de la lutte et du nom Browncoat qu’a émergé le sentiment de faire partie d’une communauté. Une fois le groupe nommé et le but clairement défini, il était possible de créer des sites collectifs, de proposer une pétition, de se donner des rendez-vous, de montrer de manière générale que cette communauté est vivante et de médiatiser le combat. Être fan de Firefly c’est être Browncoat, mais comme le dit ce fan « un fan peut être passif, un Browncoat ne l’est jamais ». Là encore, le nom incarne la communauté mais aussi sa manière d’être, et un destin commun.
Et dans le cas de Firefly, comme dans d’autres, cette mobilisation a payé. En effet, après les ventes impressionnantes et rapides des DVD de sa seule et courte saison, les droits de la série ont été rachetés par la major Universal pour lancer la production d’un film, nommé Serenity (2005), concluant les aventures des héros. De plus, l’univers continue à ce jour à être développé sous la forme de divers comics. Une victoire pour des fans très actifs.
Les identités de fans, réflexives et revendiquées s’incarnent donc en ligne par leurs formes expressives et participatives. Il s’agit de se faire entendre dans des moments de crises, et ensuite de pouvoir s'affirmer dans un espace où la présentation de soi que l’on a décidé d’adopter est un repère pour les autres. Que ce soit sur Facebook, Twitter, les blogs ou autres forums, il s’agit toujours de se présenter via un profil, un espace qui permet de nous identifier en fonction des traces que l’on a souhaité laisser.
On peut choisir de ne pas y divulguer certaines informations et de mettre en avant celles que l’on juge pertinentes. Cela implique que,
comme le note Jean-François Marcotte, « dans cet exercice l’individu est appelé à une confrontation avec sa propre identité, il est obligé de se percevoir en extériorité à elle-même ». Et il est plus direct de résumer ses goûts en écrivant « je suis
Whovian », plutôt que « je suis fan de
Dr Who ». Cela est un enjeu important à l’heure des
hashtags Twitter, c'est-à-dire de l’identité transformée en série de mots clés (
tags) aisément identifiables et trouvables à l’aide d’un moteur de recherche. Nombre de profils Twitter, qui se doivent de respecter une limite stricte de caractères, fonctionnent sur ce principe d’égrenage de noms. Citer des noms plutôt que des œuvres permet de mettre en avant le fait qu’il s’agit d’un individu dont il est question et que l’objet n’est qu’un support à l’expression de sa singularité. Les fans ont parfaitement embrassé la mise en information de soi dans leur présentation en ligne : «
Je suis une Bro (Pewdiepie) depuis 3 ans, Une Echelon depuis 5 ans, Une Potterhead depuis la sortie du premier livre, Une Whovian depuis deux ans. ». Il suffit de se rendre sur n’importe quel forum de fans pour trouver des listes de ce type, représentatives d’un usage du nom comme manière de se situer par des goûts et des appartenances, favorisée par la culture du profil.
Cela nous montre que le nom comme catégorie de perception de soi et du groupe est un élément central du travail réflexif et participatif des
fandoms contemporains. De plus, il représente une évolution des manières de se construire à l’heure des identités choisies et des outils numériques qui bouleversent le rapport de chacun avec ses pairs mais aussi avec les industries.
--
Crédits photos :
-
Spock you rules, Mariana Montes de Oca,
Flickr,
crédit
-
BronyCon_20140801_216, BronyCon,
Flickr,
crédit
Normal
0
21
false
false
false
FR
X-NONE
X-NONE
Tout comme le sentiment d’identité nationale partagé par des individus qui ne sont pas tous en contact est lié à la constitution d’un imaginaire social, c’est souvent en se revendiquant d’une forme métaphorisée de territoire ou de peuple que les fans décrivent le collectif. Il s’agit du second grand type de nom après le fait de jouer sur le titre de la fiction elle-même. Le premier type est le plus répandu, on le retrouve par exemple pour les fans de la série
Glee (
Gleeks), de
Sherlock Homes (
Sherlokians), du jeu vidéo
Minecraft (
Minecrafters). Mais lorsque le titre ne se prête pas à un jeu de mots ou à une extension à la sonorité agréable, c’est le second qui entre en scène. Dans l’exemple introductif, le terme
Tributes désigne les fans mais aussi une catégorie de population au sein de
la diégèse fictionnelle.
La comparaison avec une véritable nation trouve cependant rapidement ses limites car il s’agit d’une identité collective qui est choisie, adoptée et non pas assignée. En ce sens, les fans incarnent une évolution des sociétés contemporaines, une nouvelle forme de l’individualité dans laquelle « l’identité personnelle devient le résultat d’un projet réflexif ». Les cultures fans constituent ainsi l’un des exemples typiques du « passage dans nos sociétés des identités prescrites aux identités choisies ».
Cette évolution est d’autant plus visible sur internet, où ces communautés imaginées deviennent des communautés virtuelles qui naissent des interactions entre les fans dans des environnements numériques. Le signe de ralliement et l’acte de naissance d’une communauté de fan est donc le fait de laisser des traces numériques de son existence, à commencer par la manière dont on la désigne. C’est ce qui s’est passé pour les fans de Hunger Games, mais aussi pour ceux de My Little Pony. C’est en ligne que tout ou presque s’est joué car il s’agit d’un espace où tout ne tient que par l’engagement des individus à maintenir un lien choisi.
En particulier, la réunion des individus sous une même bannière autour de sites, de forums, et via les réseaux sociaux avec l’outil transversal du nom, permet d’avoir une voix. C’est la raison pour laquelle le moment de l’émergence du nom est souvent corrélé à un moment où la nécessité d’une mobilisation se fait sentir.
C’est le cas pour les Browncoats, fans de l’éphémère série Firefly (2002) de l’auteur culte Joss Whedon. Là aussi, le nom renvoie à une population au sein de la diégèse puisque Browncoats désigne le camp des perdants dans une guerre civile interplanétaire. Le parallèle entre le traumatisme de la défaite chez les personnages et la volonté des fans de lutter contre les producteurs pour que la série revienne est clairement revendiqué. C’est autour de la lutte et du nom Browncoat qu’a émergé le sentiment de faire partie d’une communauté. Une fois le groupe nommé et le but clairement défini, il était possible de créer des sites collectifs, de proposer une pétition, de se donner des rendez-vous, de montrer de manière générale que cette communauté est vivante et de médiatiser le combat. Être fan de Firefly c’est être Browncoat, mais comme le dit ce fan « un fan peut être passif, un Browncoat ne l’est jamais » @Tanya R. COCHRAN, « Browncoats are coming! Firefly Serenity and fan activism », in Rhonda V. WILCOX et Tanya R. COCHRAN (dir.), Investigating Firefly and Serenity: Science Fiction on the Frontier, Londres, I.B. Tauris, 2008, p. 239-250.@. Là encore, le nom incarne la communauté mais aussi sa manière d’être, et un destin commun.
Et dans le cas de Firefly, comme dans d’autres, cette mobilisation a payé. En effet, après les ventes impressionnantes et rapides des DVD de sa seule et courte saison, les droits de la série ont été rachetés par la major Universal pour lancer la production d’un film, nommé Serenity (2005), concluant les aventures des héros. De plus, l’univers continue à ce jour à être développé sous la forme de divers comics. Une victoire pour des fans très actifs.
Les identités de fans, réflexives et revendiquées s’incarnent donc en ligne par leurs formes expressives et participatives. Il s’agit de se faire entendre dans des moments de crises, et ensuite de pouvoir s'affirmer dans un espace où la présentation de soi que l’on a décidé d’adopter est un repère pour les autres. Que ce soit sur Facebook, Twitter, les blogs ou autres forums, il s’agit toujours de se présenter via un profil, un espace qui permet de nous identifier en fonction des traces que l’on a souhaité laisser.
On peut choisir de ne pas y divulguer certaines informations et de mettre en avant celles que l’on juge pertinentes. Cela implique que, comme le note Jean-François Marcotte, « dans cet exercice l’individu est appelé à une confrontation avec sa propre identité, il est obligé de se percevoir en extériorité à elle-même ». Et il est plus direct de résumer ses goûts en écrivant « je suis Whovian », plutôt que « je suis fan de Dr Who ». Cela est un enjeu important à l’heure des hashtags Twitter, c'est-à-dire de l’identité transformée en série de mots clés (tags) aisément identifiables et trouvables à l’aide d’un moteur de recherche. Nombre de profils Twitter, qui se doivent de respecter une limite stricte de caractères, fonctionnent sur ce principe d’égrenage de noms. Citer des noms plutôt que des œuvres permet de mettre en avant le fait qu’il s’agit d’un individu dont il est question et que l’objet n’est qu’un support à l’expression de sa singularité. Les fans ont parfaitement embrassé la mise en information de soi dans leur présentation en ligne : « Je suis une Bro (Pewdiepie) depuis 3 ans, Une Echelon depuis 5 ans, Une Potterhead depuis la sortie du premier livre, Une Whovian depuis deux ans. ». Il suffit de se rendre sur n’importe quel forum de fans pour trouver des listes de ce type, représentatives d’un usage du nom comme manière de se situer par des goûts et des appartenances, favorisée par la culture du profil.
Cela nous montre que le nom comme catégorie de perception de soi et du groupe est un élément central du travail réflexif et participatif des fandoms contemporains. De plus, il représente une évolution des manières de se construire à l’heure des identités choisies et des outils numériques qui bouleversent le rapport de chacun avec ses pairs mais aussi avec les industries.
/* Style Definitions */
table.MsoNormalTable
{mso-style-name:"Tableau Normal";
mso-tstyle-rowband-size:0;
mso-tstyle-colband-size:0;
mso-style-noshow:yes;
mso-style-priority:99;
mso-style-parent:"";
mso-padding-alt:0cm 5.4pt 0cm 5.4pt;
mso-para-margin-top:0cm;
mso-para-margin-right:0cm;
mso-para-margin-bottom:10.0pt;
mso-para-margin-left:0cm;
line-height:115%;
mso-pagination:widow-orphan;
font-size:11.0pt;
font-family:"Calibri","sans-serif";
mso-ascii-font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:minor-latin;
mso-hansi-font-family:Calibri;
mso-hansi-theme-font:minor-latin;
mso-fareast-language:EN-US;}
-->