Flo Laval, portrait par Francis Meunier.

© Crédits photo : Francis Meunier.

« Une rédaction à Paris ne peut pas être en lien fort avec la France entière »

Depuis deux ans, la revue Far Ouest raconte le Sud-Ouest à travers un média en ligne, local et indépendant. Rencontre avec son co-fondateur et responsable de publication, Flo Laval.

Temps de lecture : 9 min
Cet entretien a été réalisé à Couthures, lors du festival international de journalisme.

Comment présenteriez-vous Far Ouest ?

Flo Laval : Au début, je disais que c’était un média local, et de plus en plus je préfère dire « de proximité ». La différence peut sembler un peu bête, mais je la trouve importante. Un média local parle de ce qu’il se passe autour de chez lui, un média de proximité parle avec les gens autour de chez lui. Je n’ai pas vocation forcément à toujours raconter ce qui se passe à côté, mais j'ai vocation à parler avec les gens à côté de moi. Une rédaction à Paris ne peut pas être en lien fort avec la France entière, ce n’est pas possible, même avec des journalistes ouverts d'esprit : ils ne peuvent pas être physiquement partout en même temps.

Comment vous est venu ce projet?

Flo Laval : Au moment des Printemps arabes, j’ai eu l’idée d’un documentaire sur les hackers activistes. Le projet me tenait à cœur, mais je n’ai pas trouvé de diffuseur et nous avons donc du tourner avec des bouts de ficelle. Cela n’a pas empêché le film de rencontrer une audience raisonnable, mais j'étais très frustré à l'époque de me dire qu’il était possible de faire quelque chose sans beaucoup de moyens, et au final d’avoir un public.

« Toute histoire, à un moment, est locale. »

De là est venue l'idée de créer notre propre média, de ne dépendre que de nous-même et de la communauté qui nous accompagne. De là vient notre énergie pour Far Ouest. C'est le moment où je suis entré chez moi, dans le Sud-Ouest, et j'ai eu envie de parler de chez moi. Toute histoire, à un moment, est locale, que ce soit dans la presse nationale ou internationale. Dans le Sud-Ouest, il y a toutes les histoires qu'il faut pour raconter le monde.

Notre feuilleton documentaire sur les prisons, « Longues Peines », se passe à Camarsac, à une demi-heure de Bordeaux, et raconte la loi du talion, l'universalité, l'absurdité de la prison. Sans aller très loin, il y a matière à aborder un sujet essentiel aujourd’hui et d'une grande profondeur. Le projet est capable de souder une communauté, parce que l'on raconte des histoires qui viennent de chez nous, ce qui touche encore plus.

Pensez-vous faire mieux certaines choses que les grands médias ? Far Ouest comble-t-il un manque ?

Flo Laval : Nous avons réalisé un documentaire sur les médias avec Anne-Sophie Novel, et la grande leçon que j'en tire, est qu'il faut être humble dans le métier que l'on fait. Je ne vais donc pas commencer à donner des leçons sur ce que ne font pas les autres et sur ce que nous faisons mieux qu'eux, car je vois de bons journalistes, intelligents et généreux dans toutes les rédactions. Tout un chacun a ses défauts, ses faiblesses, etc. Nous avons une presse avec aussi de la qualité tout de même en France, il n'y a pas que BFM !

Malheureusement, économiquement c'est compliqué. On ne peut pas demander à un journaliste d'une rédaction nationale, qui n'a pas les moyens d'avoir des antennes dans toute la France, de connaître aussi bien le terrain, Bordeaux dans notre cas. C'est sans prétention, chacun sa spécialité.

Comment vous êtes vous lancés, notamment au niveau financier ?

Flo Laval : Il n'y a aucune rationalité dans ce projet. C’est drôle, car c’est ici, à Couthures(1) , que tout a commencé. Avec un ami, Frédéric Diot, nous avons eu l’idée il y a quatre ans, lors de la première édition du festival. Je dis souvent que nous ne sommes pas Xavier Niel, nous ne sommes pas Raymond Depardon, nous n’avons pas d’argent, nous ne sommes pas connus, et c'est impossible de lancer un média dans ces conditions-là. Nous avions un seul paramètre : le temps. Pendant un an et demi, nous avons donc sillonné le Sud-Ouest pour présenter notre projet aux gens. Nous avons mis en place une petite caravane, un partenariat avec La fédération des Libraires de Nouvelle Aquitaine et je crois que nous avons animé une vingtaine ou une trentaine de soirées ainsi, de Biarritz à Sarlat, en passant par La Rochelle. Notre idée était que les libraires ont un public cohérent avec le nôtre, nous n’allons pas être en concurrence. En parallèle, nous avons lancé une campagne de financement participatif, ce qui nous a permis de réunir 400 pré-abonnés.

« Je doute désormais du modèle économique 100 % abonnement. »

Est-ce suffisant pour être pérenne ?

Flo Laval : Je doute désormais du modèle économique 100 % abonnement, car je me rends compte que si les gens sont effectivement prêts à payer des abonnements à des services culturels en ligne, la question suivante est : «  Oui, mais pour combien ? » Un, deux, trois, pas plus. Parce qu'une fois que vous êtes abonné à Netflix, Spotify, ainsi que Mediapart ou Le Monde, vous n’avez pas forcément envie d'en avoir un quatrième ou même un cinquième. Et ce n’est pas juste une question d'argent, c'est la question d'avoir un cinquième mot de passe, un sixième compte, c’est tout sauf pratique. De manière générale c'est très compliqué d'avoir plus de trois quatre abonnements numériques. Et comme nous n’allons pas passer devant Netflix, nous arrivons en quatrième ou cinquième position.

La grande leçon que je tire après presque deux ans d'existence, c'est que l'on ne peut pas vivre que de l'abonnement. C'est là que l'on réoriente le modèle, que l'on va de plus en plus vers cette dimension de proximité dont je parlais, en faisant de l'éducation aux médias, des ateliers de formation, des choses qui allient  journalisme et expert en journalisme auprès d'un public scolaire ou grand public, autour d'expériences qu'il faut imaginer, d'événementiel. Peut-être qu’un jour nous irons vers le papier, il faut trouver d'autres moyens de vendre notre boutique, car l'abonnement numérique ne suffira pas.

« Nous devons autant être médias que médiateurs maintenant, et c'est là que se situe notre plus-value. »

Faire de l'information n'est donc plus suffisant pour survivre ? Cela ne vous déprime-t-il pas un peu ? 

Flo Laval : Ce n’est pas que « faire de l'information ». Notre métier n’est surtout plus le même, il ne s’agit plus de se dire « je suis en haut, je jette des informations, achetez les et c'est cool », ça ne marche plus. Même si certaines personnes se trouvaient encore dans cette optique, la valeur ajoutée est récupérée par Google via la publicité. Le modèle économique de base ne marche plus, et la mentalité des gens a changé, on n'attend plus des journalistes d'avoir la bonne parole. Vous tapez une requête dans YouTube et 25 youtubeurs vous apporteront la même information que la mienne. Notre rôle se situe avant tout dans la médiation : nous devons autant être médias que médiateurs maintenant, c'est là que se situe notre plus-value. 

Les médias sont-ils désormais là pour permettre un dialogue entre les publics, l'information, et les gens qui font l'information ?

Flo Laval : Il faut que je sois modeste : j'ai bientôt 35 ans, je n’ai même pas dix ans de métier, je vais avoir du mal à raconter ce qu'il s'est passé il y a 20 ou 30 ans. Mais je pense que le rôle d’un média a toujours été cela, et il me semble que nous l’avions un peu perdu… Cependant on le retrouve un peu depuis trois ou quatre ans, dans le documentaire que nous avons fait avec Anne-Sophie [Novel], on retrouve cette notion de médiateur. Cette valeur ajoutée fait profondément le journalisme, sinon, vous êtes un youtubeur lambda ou un chroniqueur que personne n'écoute. Cette notion est vraiment en train de revenir au cœur de toutes les rédactions et de tous les médias qui se posent des questions.

Vous faites principalement du contenu long, que ce soit de la vidéo ou de l'écrit. C'est une volonté, une nécessité ?

Flo Laval : Nous avons beaucoup évolué là-dessus.  Au départ, il n’y avait sur le site que des contenus longs, qu’il s’agisse d’articles ou de vidéos, mais l'audience n'était pas suffisante. Nous avons appris en marchant, et avons adapté un petit peu notre proposition éditoriale. Maintenant, la moitié de nos contenus sont des longs formats et le reste est plus aguicheur, même si nous ne renions rien de ce qui est raconté, mais nous y allons un peu à la mode Brut ou Konbini, avec des vidéos plus courtes, plus punchy, qui sont en lien ou non avec le site, , et apportent une autre dimension sur les réseaux sociaux, permettant d’augmenter l'audience.

Il faut être assez pragmatique. Que le projet évolue au fur et à mesure n’est pas un soucis, parce que nous avons toujours fait cela avec beaucoup d'humilité, et n’avons jamais dit que nous savions mieux faire que les autres. Le modèle abonnement va s'hybrider un petit peu, tout comme le format. Nous ne pourrons pas trouver la formule magique comme ça, avant tout le monde, en lançant un média, alors que nous ne l’avions jamais fait avant.

Envisagez-vous de faire de l'audio ?

Flo Laval : Nous lançons un podcast à la rentrée sur les artistes qui produisent des narrations hybrides, du transmedia, dans le Sud-Ouest. À chaque épisode, nous allons à la rencontre d’un auteur qui a un univers un peu fou dans différents supports médiatiques.

« Nous allons passer d'un modèle purement sur abonnement à un modèle un peu hybride. »

Ce podcast sera sur le site en gratuit, car l'idée est de le partager sur toutes les plateformes de podcast, nous ne gagnerons pas d'argent avec. J’annoncerai à la communauté, et elle l'entendra tout à fait, que ce podcast est sponsorisé : il a été financé par le CATS, une association spécialisée dans le transmedia, il y a donc un peu de publicité. Je n’ai aucun soucis à ce que les podcasts soient sponsorisés, donc apportés gratuitement aux publics. C'est une façon d'évoluer un petit peu, nous allons passer d'un modèle purement sur abonnement à un modèle un peu hybride.

Est-il obligatoire, selon vous, de faire du podcast aujourd'hui pour exister en tant que média ?

Flo Laval : Obligatoire, non. Mais dans un projet aussi fragile que le nôtre, la souplesse est l’une de nos forces, donc je crois qu’il faut en profiter pour lancer plein de choses et les tester. Dans un grand média, le moindre projet doit passer devant 35 personnes. Là nous sommes entre nous, nous sommes souples, profitons-en pour tenter des choses.

Les deux dernières années ont été dévastatrices pour les quelques médias qui avaient tenté de se lancer... Est-ce le bon moment pour créer un média ?

Flo Laval : Peu importe comment l’on regarde les choses, sur le terrain économique, nous avons perdu, et Google et Facebook ont gagné. Ce sont ces sociétés qui prennent la valeur ajoutée sur la publicité, la valeur ajoutée sur l'information, donc nous avons perdu. Pour autant le rôle des médias et des journalistes n'a jamais été aussi indispensable alors que nous sommes dans une période où nos valeurs démocratiques vacillent de plus en plus. Ce sera toujours le bon moment. La période pour les médias est forcément sombre, mais il y a des bonnes pratiques qui donnent de l’espoir, que l’on aime voir. Lorsque l’on regarde des nouveaux médias qui se lancent avec des valeurs qui nous plaisent, nous sommes heureux.

« Lorsque l’on regarde des nouveaux médias qui se lancent avec des valeurs qui nous plaisent, nous sommes heureux. »

Il n’a jamais été aussi difficile d'être journaliste ou de créer un média, et ça le sera encore plus.

Comment voyez-vous votre avenir ?

Flo Laval : Far Ouest est un combat, et si nous avons tenu plus longtemps que d’autres, c'est parce que nous sommes une petite équipe soudée qui ne regarde pas si elle gagne de l'argent ou non, pour l'instant en tout cas. Il y a une salariée, deux associés, Frédéric [Diot] et moi-même, qui sont à fond. Nous ne nous rémunérons pas pour Far Ouest, et travaillons à côté sur d'autres projets vidéo. En plus de ça, il y a des pigistes plus ou moins réguliers. En tout, une quinzaine de personnes collaborent autour du projet. Mais c'est une équipe commando qui se rémunère comme elle peut et ne regarde pas la rationalité économique du projet. Nous sommes résilients, mais cette optique de combat tient quelques années, pas plus. Nous nous sommes battus pendant deux ans, nous avons encore un an devant nous pour nous battre, et il faut que l'on trouve la réponse à l'équation économique d'ici là. Je ne sais pas comment l’on sera mais la fatigue, ou l’usure, gagneront à un moment… ou peut-être pas, nous verrons bien... Force est de constater que depuis de notre lancement, je ne sais jamais où l’on sera l’année d’après.

    (1)

    Cette interview a été réalisée en juillet lors du festival de international journalisme de Couthures

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