Propagation de l’information et « classes » d’utilisateurs
De nombreuses études quantitatives menées par extraction automatique des données depuis l’API de Twitter visent à cartographier la circulation de l’information dans le réseau et à qualifier les groupes d’utilisateurs et les groupes de messages. L’agence française Spintank par exemple
a tenté de tracer la propagation de l’information autour de la censure de la loi Création et Internet (Hadopi) annoncée le mercredi 10 juin 2009. L’étude montre tout d’abord que si le bouche à oreille autour d’une actualité, communément désigné comme
buzz, est souvent intense, il est de courte durée : quand on classe les messages suivis du
hashtag #hadopi en trois catégories : information, analyse, satire/ironie, on s’aperçoit en effet qu’à mesure que l'on s’éloigne de l’annonce de la censure de la loi, la proportion des deux dernières catégories s'accroît aux dépens des
tweets purement informatifs. Cependant, dans l’ensemble, ce sont les annonces de l’événement qui sont dominantes (la moitié des
tweets labellisés #hadopi), ce qui tend à montrer que Twitter est avant tout un média de diffusion d’information brute.
Par ailleurs, en comparant l’articulation des prises de parole (
tweets) et la rediffusion (
retweets), la même étude montre que la rediffusion est très forte quand l’information exclusive est donnée par quelques décideurs bien informés (en l’occurrence des journalistes spécialisés dans les nouvelles technologies), et qu’elle diminue au fur et à mesure que l’information se répand dans les médias. On constate d’autre part que l’impact d’un message diffusé sur Twitter dépend moins de l’information qu’il contient que du statut de celui qui l’émet, puisqu’à publication d’information identique, le nombre de
retweets varie radicalement. Pourtant, le
retweet est un outil de diffusion particulièrement puissant : dès qu’un message est « retweeté », il est susceptible de toucher en moyenne 1000 utilisateurs, et ce indépendamment du nombre de
followers de l’émetteur qui en est à l’origine
(Kwak & al., 2010). Ceux qui bénéficient le plus de la rediffusion de leurs messages sont ceux qui disposent d’une « autorité numérique » élevée, en l’occurrence des journalistes web et des technophiles reconnus, mais pas forcément ceux qui sont suivis par un nombre élevé de personnes (
Cha & al., 2010). Cette caractéristique de Twitter n’est pas surprenante, elle s’inscrit dans la lignée des recherches historiques sur les médias qui ont mis en exergue le rôle déterminant des leaders d’opinion dans les processus de réception et de circulation des messages (Katz & Lazarsfeld, 1955).
Sur ce dernier point, les résultats de Spintank rejoignent ceux d’une étude menée en mai 2009 (
Heil & Piskorski, 2009) sur un échantillon de 300 000 comptes Twitter qui a établi que 10 % des utilisateurs produisent 90 % des messages, ce qui suggère une diffusion de l’information relativement centralisée. Ces résultats coïncident également avec ceux
de l’étude du cabinet Sysomos : sur 11,5 millions de comptes Twitter analysés, 5 % des utilisateurs génèrent 75 % de l’activité du réseau. Comme l’a montré Albert-László Barabási dans son ouvrage de référence (Barabási, 2002), une telle concentration de l’activité autour d’un petit nombre de nœuds est une caractéristique commune à de nombreux réseaux de nature différente.
Cette structure inégale est confirmée quand, en analysant les flux d’information qui circulent sur Twitter, on classe les utilisateurs en fonction de leur influence et de leur activité (Krishnamurthy & al., 2008 et Java & al., 2007) : le groupe appelé
information sources ou
broadcasters, correspondant peu ou prou à l’élite de Twitter qui bénéficie simultanément d’un large public et de reprises très nombreuses, est en effet majoritairement constitué d’utilisateurs jouissant d’une notoriété antérieure à leur arrivée sur Twitter : comptes officiels (médias, sociétés), journalistes ou personnalités connues dans leur domaine respectif… Ce déséquilibre de la structure est également souligné par le faible pourcentage de réciprocité de suivi entre utilisateurs ainsi que par le faible taux de communication directe entre eux (Kwak & al., 2010 ;
Huberman & al., 2010).
La catégorie des utilisateurs de Twitter les plus influents constitue une cible importante pour le marketing parce qu’elle est un relais important au niveau de la notoriété des marques et des produits mais également au niveau du trafic redirigé vers des sites Internet. Ce dernier point intéresse particulièrement les sites d’information qui tentent d’exploiter les réseaux sociaux pour augmenter leur audience.