Le prix du papier journal augmente, les éditeurs de presse s'accrochent

Après une hausse exceptionnelle, les prix du papier n’ont pas retrouvé leurs niveaux d’avant la crise du Covid et les éditeurs de presse tentent de faire face. 

© Illustration : montage La Revue des médias

Prix du papier : pour la presse écrite, une ascension à haut risque

Le prix du papier a atteint des niveaux records en 2022, avec la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Il s’est stabilisé aujourd’hui… Mais les conséquences sont loin d’être effacées pour les journaux. Décryptage.

Temps de lecture : 11 min

Il a commencé son ascension fin 2021. Pour atteindre des sommets inédits en 2022 et rester en haute altitude depuis. Le papier coûte cher et la presse écrite en souffre. L’emballement a commencé avec les problèmes d’approvisionnement pendant la crise du Covid et s’est poursuivi avec la guerre en Ukraine, qui a notamment eu pour conséquence de fermer les alimentations en gaz des usines des pays nordiques. La pâte à papier s’est ainsi raréfiée, ce qui a fait augmenter les prix.

Depuis, les tentatives dans la presse écrite se multiplient pour faire face à cette nouvelle donne, qui s’ajoute à d’autres difficultés. En octobre 2023, le magazine féministe Causette a imprimé son dernier numéro, avant de passer au tout numérique. Le magazine de photojournalisme 6 mois a cessé d’exister en tant que tel pour se fondre dans le mook XXI, lui-même placé en redressement judiciaire en août 2023 et repris par Indigo Publications fin octobre. En mars 2024, l’hebdomadaire Marianne a opté pour une nouvelle formule avec moins de pages et moins chère (de 4,40 € à 3,50 €), alors que la plupart des quotidiens augmentent leurs prix de vente.

Le journal Sud Ouest, lui, a rétréci, depuis le 20 février : 5 cm de hauteur en moins. Les économies réalisées (moins de papier, d’eau et d’encre…), environ 1 million d’euros, devraient être réinvesties dans les rotatives qui ont dû s’adapter à cette modification de la laize, la largeur des rouleaux de papier. Chaque dépense doit être optimisée. « On doit ajuster autant que faire se peut les tirages et les paginations, suivant les prévisionnels de vente et les recettes pubs. Avant, on n’était pas à 1 000 exemplaires près. Aujourd’hui, oui, si nous voulons conserver des produits rentables, constate Florence Girou, responsable du développement des produits print du Groupe Sud Ouest (GSO). Quand je suis entrée à Sud Ouest il y a trente-six ans, on tirait à 450 000 exemplaires. Aujourd’hui on est autour de 180 000, et nos coûts de production ont considérablement augmenté (énergie, papier, transport). » Conséquence pour le Mag, l’hebdomadaire de l’actualité régionale vendu en fin de semaine avec le quotidien : il est désormais imprimé sur papier journal et non plus sur du papier de type magazine, au centre d’impression du Groupe Sud Ouest et non plus en externe, pour tenter de rentabiliser ses machines.

« À toi qui me lis »

Chez les plus petits médias, les appels à l’aide se font plus pressants. Comme pour La Disparition, par exemple. Média épistolaire, et donc lisible uniquement sur abonnement, il s’est lancé en janvier 2022 sur une idée originale : raconter des univers qui menacent de s’éteindre — comme les marais de Mésopotamie, les petits pêcheurs de Guadeloupe ou la psychiatrie publique. Le numéro sur la disparition des arbres au Lagos, par exemple, comprend un long texte sous forme de lettre de trois pages recto-verso, une feuille de mots croisés, une carte postale, une carte de visite... Avec un choix de papier qui n’est pas laissé au hasard, pour chacun de ces objets : pour l’article, « du papier bouffant pour retrouver l’aspect de papier à lettre », et pour le reste, différents papiers épais supportant bien l’encrage et le découpage, explique François de Monès, cofondateur de la revue imaginée à Marseille et imprimée à Toulouse. Ce positionnement répond à une logique : « Plus personne ne s’envoie de correspondance. Avec La Disparition, on a donc une sorte de mise en abîme de notre ligne éditoriale ; ce médium, la lettre, c’est notre force. Elle permet une proximité avec le lecteur, que l’on tutoie (“À toi qui me lis”…). »

La Disparition
La Disparition reprend les codes d'une correspondance postale. Photo M. D.

Mais ce choix a un coût : « Entre janvier 2022 et janvier 2024, on a subi 79 % d’augmentation pour le prix du papier », calcule le journaliste. « La plus grosse augmentation a eu lieu entre janvier 2022 et janvier 2023 : 63 %. » À cela s’ajoute la problématique des tarifs de la Poste. Le média épistolaire ne bénéficie pas des tarifs presse plus avantageux, en raison de son format particulier. Pour les frais de port, « en janvier 2022, on était à 77 centimes la lettre et on est passés à 89 centimes, ce qui fait 15,5 % d’augmentation en deux ans. »

Une campagne d’abonnement arrêtée au 15 avril 2024 a permis de remplir l’objectif de 300 abonnés supplémentaires, pour dépasser le seuil des 1 000 abonnés. « Le but, c’est de stabiliser La Disparition autour de ce palier pour qu’elle continue à exister. » Et peut-être, pour les fondateurs, en retirer un salaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « On veut se battre pour faire vivre cette belle idée, d’autant qu’on a trouvé une maturité éditoriale assez réjouissante. »

« C’est comme si on imprimait un numéro en plus par an »

Si certains médias choisissent de ne pas communiquer sur leurs difficultés par crainte de renvoyer une image de faiblesse à leurs lecteurs, d’autres préfèrent jouer cartes sur table, comme La Disparition, donc, ou La Revue dessinée. Pour ses dix ans, dans son numéro de l’automne 2023, le mook consacré à l’information en BD expliquait au lecteur, sur deux pages, à quel point il était ébranlé par la hausse du prix du papier.

Octobre 2023. Sur le toit-terrasse du dernier port d’attache de la rédaction, dans le 19e arrondissement de Paris, deux des chevilles ouvrières de la revue font le point : Sylvain Ricard, cofondateur et directeur de la publication, et Jean-Philippe Salmon, secrétaire général. « C’est comme si on imprimait un numéro en plus par an. » Voilà ce que représente la hausse du prix du papier pour La Revue dessinée comme pour sa petite sœur, la version pour ados Topo. Or, le papier, justement, c’est ce sur quoi elles misent. Trimestrielle pour l’une, bimestrielle pour l’autre, vendues à 19 et 14,90 €, elles ont vocation à rester dans les bibliothèques plutôt que de rejoindre la poubelle de tri après lecture. D’autant que les sujets traités restent d’actualité bien après parution.

« Au lancement de La Revue dessinée il y a dix ans, on est un peu partis la fleur au fusil. On avait juste notre force de travail et de quoi financer le numéro un et une partie du numéro deux », retrace Sylvain Ricard. Le prix du papier entrait dans l’équation et ne suscitait pas d’inquiétude. « Au début, on imprimait à 17 000 ou 20 000 exemplaires, ça nous coûtait 20 000 ou 22 000 euros et ça passait. On ne s'est jamais posé la question de savoir ce qui se passerait si jamais le papier doublait. » Puis le Covid est passé par là, avec ses fermetures de commerces dits non-essentiels — les librairies en ont fait partie, dans un premier temps. D’autant plus perturbant pour la revue que c’est l’un de ses canaux de diffusion. « On a complètement perdu un numéro en librairie, qu'on a quand même fait pour les abonnés. Puis, effectivement, le prix du papier a commencé à augmenter de façon incroyable. »

 Le chemin de fer du numéro 42 de La Revue dessinée, sur l’un des murs de la rédaction
Le chemin de fer du numéro 42 de La Revue dessinée, sur l’un des murs de la rédaction. Photo M. D.

Jean-Philippe Salmon, le secrétaire général de La Revue dessinée, détaille : « Pendant des années, notre coût d’impression oscillait entre 1,25 et 1,28 € l'exemplaire. On est monté jusqu'à 1,85 € et c'est en train de se stabiliser autour de 1,70 €. Au total, les quatre numéros en 2022 nous ont coûté quasiment 37 000 euros de plus, uniquement sur la fabrication. Aujourd’hui, les prix n’augmentent plus, mais ils se sont stabilisés quasiment sur les plus hauts niveaux. » Les deux revues n’ont par ailleurs pas bénéficié de l’aide exceptionnelle de 30 millions d’euros annoncée en décembre 2022 par le gouvernement pour tenter de compenser cet effet papier.

À cette problématique, s’est ajoutée pour La Revue dessinée une baisse de la trésorerie due à une nouvelle formule d’abonnement, à durée libre : les abonnés ne payent pas en une seule fois pour les quatre numéros de l’année, mais numéro par numéro. Ces deux effets cumulés ont été sources d’inquiétude, « surtout quand on ne bénéficie pas des tarifs des gros groupes qui peuvent acheter des tonnes et des tonnes de papier en amont ».

Mais les choses devraient changer de ce côté pour les deux revues-BD. En mars 2024, quelques mois après ce premier entretien, La Revue dessinée et Topo sont rachetées par la maison d’édition Casterman, spécialisée en BD et jeunesse. « Il devenait difficile de continuer en totale autarcie financière », avance Sylvain Ricard. Dans cette décision, « la question du coût du papier a été, sinon déterminante, a minima importante. »

Jusqu’à 1 000 euros la tonne

C’est justement pour tenter de mieux faire face aux fluctuations du marché du papier que 250 éditeurs de presse ont fait le choix d’adhérer à une coopérative, Gramméo. C’est le cas pour Sud Ouest et plus de 60 % de la presse quotidienne en consommation de papier journal (Le Monde, La Montagne, Ouest France, La Provence, Le Télégramme…) et environ 20 % en presse magazine (L’Express, Télérama, Point de vue…). « On est le bras armé des éditeurs pour l’achat de papier », expose le directeur général, Olivier Derville, dans les locaux de la coopérative, sise dans le cossu 8e arrondissement de Paris. « Nous optimisons les achats de papier pour le compte de nos clients et développons des services sur les stocks et la logistique : nous pouvons acheter des volumes plus importants et plus réguliers aux fournisseurs, ce qui les intéresse. » En France, la consommation de papier journal est d’environ 200 000 tonnes par an, et les éditeurs achètent une bonne partie de leur papier en Europe, chez plusieurs fournisseurs, pour se sécuriser.

« La crise que nous avons subie depuis 2020, année du Covid, a été exceptionnelle », confirme-t-il. Petit rappel des faits : avec le Covid, l’économie se grippe, les kiosques ferment, la consommation de papier chute. « À la fin de l’année 2020, les producteurs de papier se sont retrouvés avec des usines chargées avec 20 % de moins. » Cela s’est traduit par un effondrement des prix, jusqu’en juin 2021. En réaction, certaines machines sont arrêtées. Puis des tensions sur le prix des matières premières ont commencé à apparaître et le prix de l’énergie a explosé. Les producteurs se sont donc retrouvés avec peu de demande, des prix très bas et des coûts de fabrication importants. « Leur réaction : baisser la production et augmenter les prix, jusqu’à un point culminant entre septembre et décembre 2022. Ils ont quasiment doublé entre les prix très bas du premier semestre 2021 (400-450 euros la tonne pour le papier journal) et les prix très hauts en deuxième semestre 2022 (900-1 000 euros). »

Aujourd’hui, ils se sont stabilisés (autour de 615 euros la tonne). Mais cela ne veut pas dire que les éditeurs peuvent dorénavant jeter du papier par les fenêtres, car chacun a pris le pli d’optimiser sa consommation. Dit en termes économiques : « Sur un secteur en baisse structurelle, quand on a une crise conjoncturelle, le marché ne regagne jamais ce qui a été perdu. Un éditeur de presse qui a connu des prix extrêmes a déjà fait attention à l’optimisation de son grammage de papier, son format, sa pagination. Entretemps, la pub a un peu baissé, ses ventes aussi. Alors même si le papier rebaisse, il ne va pas consommer beaucoup plus. »

« Ce n’est pas en facturant quelques euros de plus sur le papier qu’on peut s’en sortir »

Comment se reflète cette situation en haut de la chaîne, chez les fabricants de papier ? Aux papeteries de Condat, en Dordogne, la ligne dédiée au papier couché, servant aux journaux et magazines, a fermé fin 2023 (174 emplois supprimés). Aujourd’hui, l’usine papetière Norske Skog à Golbey, près d’Épinal, dans les Vosges, est la dernière à fabriquer du papier journal en France. Elle a été fortement touchée par l’explosion du prix des produits chimiques utilisés pour fabriquer du papier et de l’énergie, qui reste encore très élevé. « On pense qu’il n’y a plus de problème aujourd’hui, puisque l’énergie a baissé. Excusez-moi, mais on était à des niveaux de prix complètement débiles, s’exclame Christian Ribeyrolle, président de Copacel, l’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses. Alors ça a baissé, oui, mais on est encore deux fois plus cher qu’avant. »

usine Norske Skog à Golbey
L’usine Norske Skog à Golbey, dans les Vosges, est la dernière à fabriquer du papier journal en France. Capacité : 330 000 tonnes par an. Photo FREDERICK FLORIN / AFP

Illustration à Golbey : « Une usine comme la nôtre consomme un térawattheure, c’est-à-dire un million de mégawattheures par an, explique Yves Bailly, PDG de l’usine. Chaque variation d’un euro sur le prix du mégawattheure engendre une variation d’un million d’euros sur votre compte de résultat. Et dans une crise de l’énergie comme celle de 2022-2023, pour nous, c’est un coût de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce n’est pas en facturant quelques euros de plus sur le papier qu’on peut s’en sortir. » Les éditeurs de presse n’aiment pas renvoyer le message d’une offre éditoriale dégradée, mais il le sait : « En bout de chaîne, ils ont dû s’adapter, réduire leur pagination… Indirectement, ce genre de phénomène accélère la baisse de la consommation. »

Le vrai problème est là, pour Yves Bailly. La crise du Covid et de l’énergie sont « des épiphénomènes » qui ne doivent pas faire oublier la tendance lourde de la baisse de consommation de papier journal depuis le début des années 2000. En Europe, la consommation de papier graphique (destiné à être imprimé) est ainsi passée d’environ 27 millions de tonnes en 1991 à un peu moins de 15 millions en 2023, estime la Confédération des industries européennes du papier. Le pic le plus haut a été atteint en 2007, avant de chuter progressivement.

Cette baisse de la consommation est mise en avant chez les papetiers pour expliquer une adaptation à d’autres marchés plus prometteurs : « Mécaniquement, dans la mesure où nos concitoyens lisent moins les journaux et les magazines papier, on a forcément des fermetures de capacités [d’usines, de machines] en France et à l’échelle européenne. Ce qui nous chagrine, en tant que syndicat professionnel », réagit Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel.

Le commerce en ligne cartonne

À l’usine de Golbey, l’une des deux machines est ainsi en cours de reconversion. « Au deuxième semestre 2024 », elle produira dorénavant du carton d’emballage – la tendance est au commerce en ligne. « Cette décision a été prise avant la crise de l’énergie, au regard de la baisse inéluctable de la consommation de papier journal. Cela nous a demandé un investissement de 300 millions d’euros net, avec, en amont un investissement de presque 200 millions d’euros pour une grosse chaudière biomasse. » Une décision réfléchie, donc. « Même s’il est un peu chahuté actuellement, le marché du packaging est en progression, de l’ordre de deux points par an. »

Pour Olivier Derville, le directeur général de Gramméo, ces reconversions de machine à papier vers le carton ondulé ne sont pas mauvaises en soi. Elles permettent de « garder nos outils industriels et sécuriser ces producteurs. Car s’ils perdent de l’argent, ils ferment complètement. »

Il n’en reste pas moins que, malgré toutes ces difficultés, le papier reste la locomotive financière de la presse. « Il représente aujourd’hui l’essentiel des revenus, abonde Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig). Chaque jour 4 ou 5 millions d’exemplaires papier sont distribués. Les abonnements numériques se développent beaucoup, mais engendrent des revenus par abonné très inférieurs. » Les ventes et abonnements papier représentent ainsi 52 % du chiffre d’affaires pour la presse quotidienne nationale, et 66 % pour la presse régionale, détaille l’Apig dans sa contribution aux États généraux de l’information. Côté pub, le papier reste aussi plus intéressant pour les annonceurs, « la publicité en ligne donnant lieu à une captation de valeur massive par les intermédiaires détenus par les grandes plateformes numériques », Google et Meta.

Le papier continue, malgré tout, à faire rêver. En janvier dernier, un petit nouveau arrivait sur le créneau des médias épistolaires : La Lettre Zola. Le principe : une lettre de romancier dans sa boîte aux lettres, tous les mois. « On a choisi un beau grammage de papier, on ne voulait pas faire de concession sur la qualité, raconte Louis Vendel, cofondateur, lors d’une soirée de présentation. L’intérêt du projet réside dans l’aspect papier. Toute sa force est là. »

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