L’époque des concentrations
La seconde moitié du XXe siècle est marquée par une croissance du secteur de l’édition, ainsi que par un mouvement de concentration, qui s’est accéléré au cours des années 1990, aboutissant à une structure d’« oligopole à frange », où quelques grands groupes captent l’essentiel des revenus, tandis qu’une multitude d’éditeurs de taille réduite se partagent le reste du marché.
Au lendemain de la guerre, après avoir renforcé sa position dans la distribution de la presse, Hachette investit dans ses Messageries du livre, lance avec succès le « Livre de poche », reprend des journaux et des magazines (France-soir, Elle, Le Journal du dimanche, Télé 7 jours, etc.), ainsi que des maisons d’édition comme Grasset (1954), Fayard (1958), Fasquelle (1959) et Stock (1961). Perdant son ancrage familial en 1980 lorsque l’industriel Jean-Luc Lagardère, dont les activités se déploient dans le domaine militaire et aéronautique, devient l’actionnaire de référence, le groupe fait l’acquisition en 1993 d’Hatier et de ses filiales Didier et Foucher, avant de racheter son principal concurrent, Vivendi Universal Publishing (VUP). À l’époque, des éditeurs s’alarment du risque de monopole que fait peser cette opération et demandent à la Commission européenne d’intervenir, si bien qu’Hachette ne gardera finalement que 40 % de VUP, ce qui permettra au groupe de conserver notamment Larousse, Dunod, Dalloz, Armand Colin et Nathan. Aujourd’hui, Hachette apparait comme le premier groupe éditorial français, très loin devant la concurrence, avec un chiffre d’affaires s’élevant à 2 milliards d’euros. L’entreprise est également présente à l’international, en particulier au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Australie, où elle occupe une place de leader.
Derrière Hachette se trouve d’abord le groupe Editis, dont la trajectoire mouvementée est significative des évolutions économiques qui traversent la filière pendant la période contemporaine. Grâce au succès des romans de Georges Simenon dont il a la charge, l’éditeur Sven Nielsen constitue autour des Presses de la Cité un groupe éditorial qui s’enrichit durant les années 1960 des éditions Juillard, Plon, Perrin, Solar et Fleuve noir, puis de France Loisirs en 1970 en partenariat avec l’allemand Bertelsmann. Quelques années après la mort de leur fondateur, les Presses de la Cité sont rachetées par l’homme d’affaires James Goldsmith, qui les revend l’année suivante à la Compagnie générale d’électricité (CGE), qui se désengage à son tour en 1995 au profit du groupe de communication Havas. Peu de temps après, Havas devient une filiale entièrement détenue par Vivendi, l’ancienne Compagnie générale des eaux qui tend à se recentrer sur l’industrie des médias. L’échec cuisant de la stratégie menée par son P-dg Jean-Marie Messier conduit à la cession au groupe Hachette de 40 % des activités liées à l’édition. Les 60 % qui restent sont repris par le fonds Wendel Investissement et prend le nom d’Editis en 2004. Jean-Yves Mollier souligne à quel point l’édition se trouve alors confrontée à la montée en puissance des financiers : « entrée dans une logique industrielle lorsque les maisons familiales ont cédé la place à des conglomérats, elle vient de basculer dans une logique financière où seule compte la rentabilité du capital investi, et même, de plus en plus, la valorisation du cours de l’action ». En 2008, Editis est revendu au groupe éditorial Planeta, leader dans le monde hispanophone, avec une plus-value de 350 millions d’euros.
Au-delà d’Hachette et d’Editis, d’autres structures connaissent une trajectoire ascendante durant cette période. À la troisième place de l’édition française en termes de chiffre d’affaires se trouve aujourd’hui Gallimard, avec les acquisitions successives de Denoël, La Table Ronde, Le Mercure de France, Futuropolis, P.O.L, mais surtout du groupe Flammarion en 2012 et de ses différentes maisons (Casterman, Arthaud, Delagrave, J’ai lu, etc.). Interviennent ensuite les éditions Lefebvre-Sarrut, positionnées dans les domaines juridique et professionnel, et le groupe Media Participations, crée en 1985 par Rémy Montagne et rassemblant des marques phares en bande dessinée (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Blake et Mortimer, etc.). D’autres pôles éditoriaux de taille moyenne se sont constitués au fil du temps, tels que Le Seuil/La Martinière, Albin Michel, Bayard, Actes Sud, etc. Comme l’explique Jean-Yves Mollier, en une vingtaine d’années la plupart des maisons d’édition familiales historiques ont été absorbées par de grands groupes, alors que les nouveaux éditeurs qui apparaissent font souvent l’objet de rachats dès qu’ils se confrontent à la problématique du succès. En dehors de ces cas de figure, « les difficultés à faire connaître son catalogue, à obtenir des librairies un peu de visibilité pour ses livres sur leurs tables ou dans leurs vitrines sont telles que beaucoup renoncent ou végètent. »