Les horoscopes entrent-ils dans le champs des croyances ?

« L’horoscope, c’est bidon. Et à 30 € la pige, je n’allais pas mesurer les méridiens ! »

© Illustration : Lucile Farroni

Bonne résolution pour 2023 : savoir comment sont faits les horoscopes

Avis aux Verseau, « une transaction immobilière ou un déménagement » est à prévoir pour 2023. Pour les Cancer, c’est le grand écart astral : « Saturne vous permet de garder les pieds sur terre, et Jupiter la tête dans les étoiles. » Comme chaque année, entre décembre et janvier, les horoscopes clignotent en kiosques et trustent les ventes des magazines. Qui les écrit et comment sont-ils conçus ?

Temps de lecture : 6 min

« Astro 2023 » en couverture de Cosmopolitan, « Horoscope 2023 : la chance vous sourit » chez Avantages, « Astro 2023 : les dates où il faut oser » pour Biba, « Numérologie 2023 » pour Maxi… La nouvelle année est l’autre temps fort de l’horoscope annuel, avec l’été. Entre décembre et janvier, les prédictions s’invitent en Une des magazines féminins. Reste que la presse dite féminine n’a pas le monopole de l’astrologie.

Dans les médias français, certaines signatures sont devenues familières, tout particulièrement à la radio. Catherine Viguié tient la chronique astro quotidienne de France Bleu. Formée notamment auprès de l’astrologue Joëlle de Gravelaine, elle revendique une méthodologie rigoureuse : « Comment je travaille ? J’ai mes éphémérides, avec les positions des planètes du jour. Je calcule ensuite les aspects, c’est-à-dire les dialogues entre les planètes, les conséquences entre les planètes, puis j’analyse et j’interprète. C’est un travail artisanal. Mais c’est différent de la voyance : c’est du concret. » Avant de préciser : « Je suis un signe de terre, je déteste qu’on me baratine ! » Payée au cachet, sa chronique est relue avant d’être enregistrée. Christine Haas officie chez RTL. Écrire un horoscope lui prend en moyenne une demi-journée. « Chaque mot est choisi, aucun n’est laissé au hasard. On ne peut pas se passer d’une formation en psychologie si l’on veut faire du bon boulot. Bien sûr, l’horoscope est assez superficiel, généraliste. Pour autant, j’essaie de m’adresser aux différents décans, de mettre des sous-textes dans mes chroniques ». Si le média radio ne peut se dispenser d’une incarnation familière, d’une voix, c’est moins le cas de la presse papier.

Clé en main

Tous les horoscopes n’y sont d’ailleurs pas écrits par des astrologues. Cette rubrique est parfois sous-traitée à des entreprises qui éditent des horoscopes clé en main. Quitte à les retoucher en interne pour coller à la ligne éditoriale. C’est ce que découvre, en 2013, Alice Coffin. Alors journaliste à 20 minutes, celle-ci révèle qu’Alexandra Marty, qui signe l’horoscope quotidien dans Le Parisien, n’existe pas. Derrière le pseudo, une entreprise, TéléProgrammes. Son rôle : fournir des contenus de divertissements (jeux, recettes, programmes télé, horoscope…) à la presse. Aujourd’hui, « Alexandra Marty » signe toujours l’horoscope du Parisien, un horoscope aux phrases toutes faites, semble t-il tirées au sort par un logiciel — même si l’entreprise s’en défendait en 2017 auprès d’Arrêt sur images. Quoi qu’il en soit, rien ne se perd, comme le montre une rapide recherche sur Google : une prédiction pour mi-décembre pour les Verseau du Parisien se retrouve dans l’horoscope chinois de 20 minutes en septembre 2020 ou pour les Bélier pour janvier 2023 sur Yahoo.fr. Peu de chance, donc, que le climat astral rende les Verseau « très sensuels pour une rencontre euphorisante ». Difficile d’en savoir davantage sur les dessous de cet horoscope. Chez TéléProgrammes, la politique de la maison est de ne pas répondre aux sollicitations des journalistes. « En tant qu’intermédiaire, ce n’est pas notre rôle de répondre à ces questions », nous dit-on au téléphone, avant de raccrocher sèchement, comme agacé par notre empressement.

L’autre grand acteur du marché de l’horoscope clé en main était jusqu’à aujourd’hui AsiaFlash. Derrière la vitrine numérique, Nguyen Ngoc-Rao, auteur de nombreux ouvrages sur l’astrologie, un homme âgé et injoignable « pour des raisons de santé », nous précise son éditeur. Selon nos informations, le site devrait cesser complètement son activité début 2023. Jusqu’à l’été 2021, les médias voulant reprendre ses prédictions en marque blanche déboursaient entre 1 000 € et 2 400 € par an, selon la formule choisie (tarifs 2020 accessibles ici). Ceux qui voulaient reprendre gratuitement les flux RSS (« plus de 1 000 sites Web dans le monde ») devaient clairement mentionner l’origine du contenu. C’est le cas des rubriques astro des sites du Figaro Madame, de Cosmopolitan ou encore de Marie-Claire, qui réfléchissent désormais à d’autres options puisqu'AsiaFlash disparaît...

Pas trop de détails

C’est justement Marie-Claire qui, le premier, publie dès 1937 l’horoscope sous forme de rubrique. La parution est d’abord aléatoire avant de devenir hebdomadaire. L’astrologue de l’époque, Marie-Louise Sondaz, tâtonne : trop généraliste, l’horoscope devient ensuite trop détaillé : « Si vous êtes brune aux yeux bleus et née au début de mai entre six heures du matin et midi, la semaine sera brillante »,  lit-on dans l’un des numéros d’avril 1939. Depuis, l’horoscope s’est standardisé et se résume à un état des lieux, par signe, de la sainte trinité amour-santé-travail.

D’autres rédactions font appel à des pigistes, avec ou sans formation astrologique. Laura est rédactrice, entre autres, pour la presse people et n’y connaît rien en thème astral. Cela ne l’a pas empêché d’écrire, pendant des années, des horoscopes pour différents magazines. Et sans aucun scrupule : « L’horoscope, c’est bidon. Et à 30 € la pige, je n’allais pas mesurer les méridiens ! » Sa méthode : reprendre le plus souvent l’horoscope du mois précédent, et distribuer les phrases bateau ou bienveillantes à chaque signe comme « attention à vos finances » ou « vous n’êtes pas à l'abri d’une bonne surprise ». Pour varier les plaisirs, elle s’est parfois amusée à glisser des messages. « En période d’élection, ça m’est arrivé d’écrire "Vos finances vont mal, c’est normal vous votez à droite !J’essayais aussi de mettre des tournures féministes, des phrases un peu misandres, de ne pas être trop hétéro-normée. Pendant le confinement, je distillais des messages en faveur du port du masque, du vaccin ou pour encourager les gens à se détendre sur leur prise de poids. »

Comment, à la lecture, distinguer la plume de l’astrologue, celle du logiciel, ou celle du pigiste qui a besoin de boucler ses fins de mois ? Les astrologues défendent leur légitimité professionnelle. Catherine Viguié plaide en faveur du temps et de la patience, garants de son professionnalisme : « Si vous m’écoutez tous les jours, pendant un mois, vous verrez la perspicacité. Il faut la durée pour juger de ma crédibilité. » Christine Haas estime pour sa part « qu’il n’y a pas grand chose à faire, c’est une corporation non reconnue par l’État. Peut-être par le bouche à oreille ou les médias. Les astrologues plus connus sont les meilleurs… ou en tout cas, ceux qui savent mieux se vendre » plaisante t-elle.

Les lecteurs, eux, ne semblent pas faire la différence. Serge Bret-Morel non plus. Cet ancien astrologue, auteur d’Astrologie, la fin des mystères (Mensa France, 2016) s’est spécialisé dans la critique méthodique de l'astrologie. « L’horoscope tel qu’on le lit dans la presse ne tient compte que du soleil. Or l’astrologie intègre d’autres positions astrales en fonction de la date, de l’heure et du lieu de naissance. L’horoscope de presse c’est donc, au mieux, de l’à peu près. Mais plus généralement, l’astrologie est à ranger du côté de la croyance : rien ne prouve l’influence des astres. » Ainsi, estime-t-il, un encart de prévention ne serait pas de trop pour spécifier le caractère non scientifique de cette rubrique, qui que soit son auteur.

Art d’interprétation

Pour Christine Haas, l’horoscope a bel et bien sa place dans la presse : « Je ne vois pas pourquoi cela disparaitraît, au même titre que la météo ou tout ce qui est prévisionnel. L’horoscope, c’est du côté de l’espoir, de la poésie, de la possibilité de rêver un peu. Ce n’est pas une question d’y croire ou non, ce n’est pas une religion, c’est un art d’interprétation, un outil de connaissance de soi. »

Après plusieurs années à travailler sur cette thématique chez Femme Actuelle, Cyrine Ben Romdhane est journaliste et cheffe de rubrique astro sur le site du Elle. Elle y relit systématiquement les horoscopes (hebdomadaires et annuels) de l’astrologue Jean-Yves Espié. Et ponctuellement ceux d'une seconde astrologue pour les prédictions chinoises annuelles. Une collaboration que la journaliste souhaiterait pérenniser à l’avenir, car le site du magazine publiait également les horoscopes chinois fournis par AsiaFlash et qu'il va falloir désormais s'en passer. Cyrine Ben Romdhane rédige par ailleurs des décryptages : « Mon rôle en tant que journaliste, nous explique-t-elle, c’est de décoder le langage astrologique et de donner les clés à nos lectrices pour qu’elles aient une grille de lecture. L’astrologie est un art interprété, c’est un support pour mieux se connaître, ce n’est pas une science. Je le rappelle régulièrement dans mes articles, sous couvert d’humour. Par exemple, si la compatibilité amoureuse ne coïncide pas avec la personne aimée, je rappelle à toute fin utile qu’il ne faut pas la quitter ! »

C’est en réaction aux horoscopes de presse (« mal écrits et ennuyeux ») que Rob Brezsny, astrologue-poète-musicien américain, a commencé à rédiger les siens dans les années 1980. « [Les horoscopes] encourageaient les gens à être superstitieux et laissaient entendre, à tort, que l'astrologie prêche la prédétermination et annule le libre arbitre », explique-t-il sur son site. Sa stratégie pour écrire sa rubrique sans se dévoyer ? « Devenir un poète déguisé. » Dans une interview publiée sur Courrier international, il détaille sa méthodologie : « Je commence chacune de mes journées par la lecture de la presse, du New York Times aux pires tabloïds. Ensuite, j’étudie et je fais des recherches dans de nombreux domaines : sciences, histoire, anthropologie, etc. Je m’inspire de tout cela, puis je l’adapte à ma lecture des astres. » Connu pour ponctuer sa rubrique de citations d’Emily Dickinson, de Patti Smith ou de théologien inconnu, sa chronique poétique et littéraire est publiée et traduite dans une centaine de journaux américains (Austin Chronicle, Orlondo Weekly, Baltimore Sun…) et internationaux (Internazionale en Italie ou Courrier international en France), faisant de son horoscope l’un des plus consultés au monde.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris