Résistances face à la 3D : coûts élevés, scepticisme et conversion 2D/3D
Les studios multiplient les appels aux exploitants les pressant de s’équiper pour le passage à la 3D.
Pour les propriétaires de salles de cinéma, cela implique un investissement de taille. En Amérique du Nord, le coût de conversion des écrans est estimé à environ 3 milliards de dollars. Un simple projecteur digital par exemple peut parfois revenir à 150 000 dollars. Il faut rajouter à cela le coût d’un écran, d’un nouveau matériel son, et d’envisager éventuellement la rénovation des salles (fauteuils supplémentaires). La transition peut donc représenter des millions de dollars. Selon certains experts de l’industrie, s’équiper d’un projecteur numérique et changer l’écran couterait en moyenne entre 75 000 et 100 000 dollars à l’exploitant.
Certains ont cependant pris les devants. Les chaînes Regal, Cinemark et AMC Entertainment aux États-Unis et au Canada se sont mobilisées pour le passage au numérique (et donc à la 3D) en créant le réseau Digital Cinema Implementation Partner (DCIP) en 2007, qui représente 14 000 cinémas en Amérique du Nord. DCIP a réussi à lever 660 millions de dollars notamment auprès des studios. L’investissement pour les membres de ce réseau est minime : entre 4 000 et 8 000 dollars pour la location d’un projecteur numérique, le reste étant pris en charge par le DCIP. Fin mai 2010, 4 384 écrans de cinéma adaptés à la 3D étaient recensés aux États-Unis par la NATO. Pour les exploitants, cet investissement permet d’augmenter leur marge de 10 %, la 3D représentant une marge de 30 % des recettes.
Alors que Martin Scorsese et Kenneth Branagh ont créé la surprise en se convertissant à la 3D (l’un avec Invention of Hugo Cabret, l’autre avec Thor prévus pour 2011), d’autres personnalités influentes du cinéma, telles que les critiques Anthony Lane - New Yorker - et Roger Ebert- Chicago Sun-Times - et les réalisateurs Christopher Nolan et John Favreau dénoncent les inconvénients du format. Dans un article publié en mai 2010 par le magazine Newsweek, Roger Ebert, critique américain émérite, détaillait ses arguments en défaveur de la 3D. Il dénonçait la prédominance de l’aspect financier de cette technologie qui bénéficie aux fabricants de projecteurs 3D, aux exploitants et bien entendu aux studios, lesquels ont trouvé avec ce format un nouvel outil marketing pour ramener le public au cinéma. Enfin, il évoquait les divers maux qu’elle est susceptible d’engendrer , l’obscurité propre aux films en 3D et le fait qu’elle ne s’adapte pas à tous les types de films.
Tout comme Roger Ebert, certains réalisateurs et talents à Hollywood ne sont pas encore convaincus. C’est le cas de Christopher Nolan, réalisateur d’Inception,qui, pour justifier le choix de la 2D, expliquait au public du L.A Times Hero Complex Film Festival que la qualité de la technologie 3D n’était pas encore là et qu’il trouvait « la faiblesse des images très repoussante ». Pourtant le réalisateur a annoncé que s’il devait tourner en 3D, il serait en faveur de la conversion en postproduction. Jon Favreau, réalisateur d’Iron Man, lui aussi préfère la 2D. Lors d’une avant-première de son dernier film, il annonçait : « "Cowboys and Aliens" est prévu pour l’année prochaine en 2D, prenez l’argent que vous économisez pour aller le voir une deuxième fois ».
Même son de cloche chez certains talents. En mars dernier, à l’occasion du Showest (Convention de l’industrie cinématographique à Las Vegas), l’actrice de Sex and the City Sarah Jessica Parker annonçait à propos de la 3D : « c’était déjà assez dur d’accepter les écrans en HD […]. Peut-être que je suis démodée mais je suis une fille 2D. Je ne veux pas avoir l’air de sortir de l’écran et de ramper vers le public ».
Enfin, le public - élément clé - ne semble pas complètement convaincu si l’on en juge par les récents chiffres des films 3D au box office.
Les défendeurs de la 3D attribuent ce sentiment à la piètre qualité de films comme Le Choc des Titans ou Le dernier maître de l’air sortis dans la mouvance d’Avatar mais rapidement convertis en 3D en postproduction (ce qui n’est pas le cas du film de James Cameron). Le Choc des Titans en est l’exemple le plus flagrant. Malgré un bon score de 491,9 millions de dollars au box office mondial, le film a été abattu par la critique, choquée par une conversion faite à la va vite, en dix semaines, et bâclée. Qualifiée de « maladroite et ratée », elle a pourtant coûté 4,5 millions de dollars à Warner Bros.
Or, de plus en plus de studios et de producteurs font appel à ce procédé de conversion 2D/3D pour pouvoir utiliser la 3D comme argument marketing et donc bénéficier des retombées financières liées au format. Les sociétés spécialisées dans la conversion 2D/3D sont très peu nombreuses et débordées par la subite charge de travail. Il en résulte une forte demande de sous-traitance auprès de sociétés qui manquent d’expertise, d’où « un travail bâclé » qui gâche l’effet de la 3D tout en semant la confusion sur l’apport du format au sein du public. Pour Vince Pace, l’un des principaux fournisseurs d’équipement pour caméras 3D, bien que la plupart des films convertis actuellement soient de mauvaise qualité, on va commencer à voir des films en 3D qui auront pris le temps nécessaire à une conversion bien faite.
Les défendeurs de la conversion en postproduction expliquent que ce système apporte plus de flexibilité créative au niveau de la cinématographie (pendant le tournage). C’est ce qui a convaincu Tim Burton et son chef opérateur Dariusz Wolski quand ils ont décidé de tourner Alice au Pays des Merveilles en 2D, pour ensuite le convertir.
D’autres professionnels affirment que c’est toute la chaîne de fabrication du film, de la production à la postproduction, à la distribution et à la diffusion, qui doit être impliquée. Un expert évalue le marché de la conversion des films et des séries télévisées en 3D à 35 milliards de dollars pour les cinq prochaines années.
Les principaux acteurs de ce nouveau marché s’appellent : In-Three Inc, Legend 3D, Sony Corp's, et Imageworks. Au niveau des coûts de conversion, la fourchette est large. Au sommet, In-Three ou Prime Focus facturent entre 50 000 et 100 000 dollars la minute selon la complexité et le temps passé à prendre des décisions créatives avec le réalisateur. À la base on trouve un système mis en place par JVC : une boite qui convertit automatiquement la 2D en 3D. Elle est disponible pour 30 000 dollars.