Entre finances et organisation interne
Le budget d’Al-Hurra a évolué à travers les années. Bénéficiant d’une somme de 62 millions de dollars pour l’année 2004, la chaîne tourne aujourd’hui avec un budget de 90 millions de dollars. Cette somme reste en deçà des souhaits des responsables d’Al-Hurra, qui avaient notamment demandé 112 millions de dollars pour l’année 2009. Mais elle n’en est pas moins importante pour qui la compare aux moyens attribués à d’autres médias défendant l’image des Etats-Unis. Alors que la Radio Free Europe tourne avec un budget annuel de 40 millions de dollars, l’hispanophone TV Marti se voit attribuer 30 millions de dollars, et la section persanophone de la Voice of Europe 20 millions de dollars.
Néanmoins, ces seuls aspects financiers ne suffisent en rien à expliquer pourquoi Al-Hurra a pu être l’objet de beaucoup de critiques depuis son lancement. Ce sont en effet les particularités de la grille de programmes de cette chaîne, combinées à l’handicap généré par sa fonction initiale de défense des orientations de l’Administration Bush, qui rejailliront directement sur sa crédibilité, et donc, sur son audience.
Le budget de fonctionnement d’Al-Hurra peut en effet paraître réduit à première vue, notamment pour qui le compare à celui d’Al-Jazeera (quelque 500 millions de dollars annuels). Cela étant dit, l’exemple de la chaîne France 24, qui fait tourner ses trois réseaux de diffusion (français, anglais et arabe) avec un budget annuel total de 80 millions d’euros, suppose que Al-Hurra pourrait assez largement se satisfaire de la somme qui lui est allouée annuellement. Car dans les faits, outre la méfiance qu’elle a pu générer au Moyen-Orient dès son lancement du fait de sa fonction de défenseur de l’administration Bush, cette chaîne a aussi commis des erreurs de programmation. Al-Hurra diffuse en effet, à certains moments de la journée, tous genres de documentaires (scientifiques, techniques, animaliers…) en version originale anglaise sous-titrée, alors que le public a plutôt tendance à attendre d’une chaîne d’information qu’elle lui serve de l’actualité dans sa langue originale d’élocution (l’arabe) à une fréquence régulière. Ce qui a très certainement joué dans les difficultés de cette chaîne à avoir une force d’impact.
En parallèle, il convient de ne pas oublier que les orientations idéologiques de la chaîne ont aussi joué à rebours de ses intérêts. La ligne éditoriale de la chaîne, axée sur des arguments conformes à la rhétorique gouvernementale américaine, a évidemment beaucoup contribué à ce fait. Mais il y a lieu d’ajouter à cette explication un autre élément, qui rejoint plus spécifiquement la sociologie de la région. Le recours large – quoique non exclusif – de la chaîne Al-Hurra à des journalistes à l’accent libanais et aux prénoms à consonance chrétienne n’a en effet pas été pour convaincre les Arabes que les Etats-Unis approchaient le Moyen-Orient de manière neutre. Dans l’histoire de la région, les chrétiens libanais sont généralement – et parfois abusivement - considérés comme proches des Forces libanaises, formation politique libanaise aux relents parfois racistes et xénophobes qui considère que le Liban n’est ni un pays arabe, ni même musulman. Dès lors, un réflexe assez généralisé a pu pousser nombre de téléspectateurs du Moyen-Orient à en déduire que le projet d’Al-Hurra consistait à promouvoir une lecture communautaire des évolutions régionales, conformément à une vision défendue notamment par Israël.
A ces éléments s’ajoutent les failles dans la hiérarchie organisationnelle de la chaîne Al-Hurra, déterminée par le gouvernement américain. L’exemple de Brian Conniff, président à la fois de la chaîne et de Radio Sawa, en donne une bonne illustration. Outre qu’il n’a pas d’expérience prouvée dans le secteur des médias et de la communication, celui-ci ne parle pas l’arabe, ce qui est une contrainte considérable pour le président d’une chaîne qui n’en maîtrise absolument pas le contenu, si ce n’est au travers des éléments de traduction qui lui parviennent. Une critique assez similaire peut prévaloir dans le cas du directeur de l’information de la chaîne, Daniel Nassif. Non seulement celui-ci n’a pas non plus d’expérience dans le domaine des médias, mais il a eu de surcroît pour activité précédente la mise en place d’une politique de lobbying à Washington au profit d’un ancien général des Forces libanaises. Cette particularité de type politico-confessionnel est d’ailleurs l’un traits marquants dans la composition du personnel d’Al-Hurra.