Facebook : des bénéfices économiques, un déficit en termes d’image

Facebook : des bénéfices économiques, un déficit en termes d’image

Facebook doit faire face à une profonde mutation, son modèle économique reposant sur la publicité et ses ventes de données aux acteurs économiques. L’entreprise est devenue tentaculaire, ses rachats de sociétés, très nombreux. Son image, dégradée, anticipe-t-elle des difficultés à venir ?

Temps de lecture : 12 min

 

Après la large couverture de presse suscitée par le dossier Cambridge Analytica (utilisation frauduleuse de données personnelles issues de Facebook), Facebook a de nouveau fait les titres de l’actualité avec, fin juillet 2018, une chute impressionnante de sa capitalisation boursière, de près de 125 milliards de dollars. Toutefois, malgré l’ampleur de cette chute il faut se garder de conclusions hâtives pour plusieurs raisons. D’abord, la capitalisation boursière (valeur du cours de l’action multipliée par le nombre d’actions) est un outil très imparfait de mesure des performances économiques d’une entreprise.

 

De fait, la société de Menlo Park a vu son chiffre d’affaires passer de 27,63 milliards de dollars en 2016 à 40.65 milliards en 2017, et les derniers résultats du second trimestre 2018 montraient encore une croissance de 42 % de ce chiffre d’affaires par rapport au second trimestre 2017. Les variations de la capitalisation renvoient plus aux anticipations (positives ou négatives) des investisseurs qu’à la santé économique de l’entreprise. Selon les estimations du président de la Commission de la concurrence australienne(Australian Competition and Consumer Commission), de 65 à 80 % de cette valorisation pourrait être attribuée à la seule espérance de croissance future, contre 40 à 60 % pour Google.
 

Facebook a d’ailleurs connu un épisode semblable après l’ouverture de capital en 2012. Après avoir recueilli 16 milliards de dollars — alors l’une des plus importantes ouvertures de capital dans l’histoire des sociétés de haute technologie et d’Internet —, la société verra son cours de bourse perdre plus de 50 % de sa valeur lors des mois qui suivront. Le tableau 1 indique que la recette nette s’était effondrée en 2012, passant d’un milliard de dollars à 55 millions. Il faudra plus d’un an pour retrouver le cours d’ouverture. Rappelons aussi, qu’en mai 2018, la capitalisation boursière de la société atteignait 538 milliards de dollars.

 

Pour comprendre ces mouvements boursiers erratiques, il convient donc de bien saisir le modèle économique de Facebook, ses inflexions et la stratégie de l’entreprise depuis sa création avant de s’interroger sur son devenir.

Un modèle économique fondé sur la publicité et son contrôle

 

Facebook est un réseau social qui permet à ses utilisateurs de créer un profil afin de se connecter à leur famille et « amis », ainsi qu’à de nouveaux contacts. Les utilisateurs peuvent mettre à jour ce profil, en ajoutant informations et images, envoyer et recevoir des messages des autres utilisateurs. Les utilisateurs ont la possibilité de créer des pages sur des sujets variés (loisirs, sports, finance, culture, hobbies..). Lors de la création de la société en 2004, la mission initiale avait été définie de la façon suivante : « Facebook vise à favoriser le partage entre les gens et à rendre le monde plus ouvert et connecté », à « donner le pouvoir de partager » ajoute la version anglaise de cette mission. 

 

 

 Le chiffre d’affaires a connu une progression fulgurante depuis la création de la société  

Le service offert aux utilisateurs étant gratuit, les recettes proviennent de la vente d’espaces publicitaires à différentes catégories d’annonceurs : marques, sociétés de marketing direct, petites et moyennes entreprises et développeurs. Le chiffre d’affaires a connu une progression fulgurante depuis la création de la société. En 2009, la société récoltait 777 millions de dollars. En 2017, ce chiffre d’affaires dépassait 40 milliards, un chiffre en augmentation de 47 % par rapport à l’année précédente. Le tableau 1 montre l’évolution de ce chiffre d’affaires depuis 2009. Le tableau indique aussi que la société aura été très vite bénéficiaire, à la différence d’autres sociétés Internet, telle Twitter qui peine toujours à atteindre une quelconque rentabilité (la société, créée en 2006, ne fait de bénéfices que depuis 2018). En juin 2018, la société employait plus de 30 000 personnes dans le monde, contre 4 600 en 2012. Facebook est présent dans 39 pays et a créé six centres d’exploitation et de traitement de données dans le monde (Canada, Danemark, États-Unis, Irlande, Suède et Singapour) et s’apprête à en ouvrir deux autres.

 

Évolution du chiffre d’affaires (2009-2017), en millions de dollars US

 Source : compilé par l’auteur à partir des rapports annuels

 

  Les recettes publicitaires assurent la quasi-totalité des recettes  

Les recettes publicitaires assurent la quasi-totalité des recettes, soit 39,94 milliards de dollars en 2017, une augmentation de 49 % sur l’année précédente. Elles proviennent des publicités sur les différentes plateformes de la société soit Facebook, Instagram, Messenger, ainsi que des sites de tiers ou des applications mobiles. Les annonceurs paient les publicités pour les produits directement ou par l’intermédiaire d’agences de publicité, sur la base de l’affichage de la publicité auprès de l’usager ou du nombre d’actions (les clics) des utilisateurs.

 

Les autres recettes, dont celles provenant des développeurs (commissions pour l’utilisation de l’infrastructure de paiement) sont marginales. Ainsi, pour les jeux vidéo, Zynga a assuré son premier développement par la vente d’objets virtuels. Zynga sera présente sur Facebook dès 2007. Zynga fournissait d’ailleurs en 2012 l’essentiel de ces recettes marginales, selon le rapport annuel  de cette année. Facebook fournit néanmoins des outils pour les développeurs et des interfaces de programmation applicative (API : Aapplication Programming Interfaces), ne serait-ce que pour accroître l’attractivité de ses services, comme ce fût le cas avec les jeux vidéo exclusifs de Zynga.

  

  Dans ce contexte de dépendance des revenus de la publicité, Facebook a mis progressivement au point des mesures d’analyse très sophistiquées, afin de suivre la croissance des utilisateurs et de commercialiser cette audience auprès des annonceurs  

Dans ce contexte de dépendance des revenus de la publicité, Facebook a mis progressivement au point des mesures d’analyse très sophistiquées, afin de suivre la croissance des utilisateurs et de commercialiser cette audience auprès des annonceurs. Il s’agit avant tout du nombre d’utilisateurs quotidiens actifs (DAU : Daily Active Users) et du nombre d’utilisateurs mensuels actifs (MAU : Monthly Active Users). Ainsi, un utilisateur quotidien actif est un utilisateur qui s’est enregistré pour un jour spécifique sur le site, ou sur un mobile ou encore a utilisé l’application Messenger en tant qu’utilisateur enregistré par Facebook. Facebook définit de la même façon l’utilisateur mensuel actif. La société se sert du ratio DAU/ MAU pour mesurer l’implication de l’utilisateur. À ces indicateurs s’ajoutent leurs déclinaisons mobiles (nombre d’utilisateurs mobiles quotidiens actifs) à partir d’applications mobiles ou de la version mobile du site, et la recette moyenne par utilisateur (ARPU : Average Revenue Per User). On notera, qu’à la différence de la publicité à la télévision ou dans la presse, ces mesures d’audience ne relèvent que de Facebook, qui les calcule à partir de ses données internes sur l’activité des utilisateurs. Elles sont donc fondées sur ce que la société juge une estimation « raisonnable » de la base d’utilisateurs sur une période donnée.

 
 

 À partir de 2012, ce sont les mobiles qui vont porter l’essentiel de la croissance 

Le graphique ci-dessous donne l’évolution de la moyenne de ces utilisateurs quotidiens actifs de 2014 à 2017. Ces données incluent Messenger mais pas Instagram, Oculus ni WhatsApp. Au plan mondial, cet indicateur atteignait 1,40 milliards d’utilisateurs en 2017, une augmentation de 14 % sur 2016. Cet indicateur s’élevait à seulement 360 millions en 2009, avant que la société n’entame son tournant mobile à la suite de l’introduction des smartphones. À partir de 2012, ce sont les mobiles qui vont porter l’essentiel de la croissance. De 101 millions d’utilisateurs quotidiens mobiles actifs en 2009, l’indicateur passera à 680 millions en 2012, soit plus de la moitié des DAU cette même année (1,56 milliards), porté par la croissance mondiale des mobiles, notamment au Brésil, en Inde et aux États-Unis. Désormais, les utilisateurs mobiles sont dominants et la société ne sépare plus le mobile du fixe dans ses comptes.  La moyenne des utilisateurs mensuels actifs connaitra une croissance similaire, de 14 %, en 2017, pour atteindre 2,13 milliards d’utilisateurs.

 

Évolution de la moyenne des utilisateurs quotidiens actifs de 2014 à 2017 (Daily Active Users)
 

Source : rapport annuel 2017.

 

La recette moyenne par utilisateur (ARPU) est également en augmentation (de 26 % entre 2016 et 2017) atteignant 20,21 $. La plus forte croissance ayant eu lieu en Europe (41 %) — le périmètre géographique n’est pas précisé, il inclut sans doute la Russie —, suivie par l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada avec 36 %), 33 % pour le reste du monde et, enfin, 22 % pour la zone Asie-Pacifique. Ces deux dernières zones géographiques génèrent des recettes moyennes inférieures à celles des zones les plus développées (celles de l’Amérique du Nord sont plus de neuf fois plus importantes que celles de l’Asie-Pacifique), mais en même temps elles constituent des zones de croissance. Brésil, Inde, Indonésie et Vietnam ont connu de très fortes zones de croissance en 2017. En effet, si le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens est plus important en Asie-Pacifique et dans le reste du monde, avec respectivement 36 % et 31 % (en décembre 2017) de ceux-ci (il en va de même pour les actifs mensuels), la répartition géographique des recettes est dominée par l’Amérique du Nord (près de 48 %) et l’Europe (plus de 20 %) soit près de 70 % du total pour les seuls marchés développés.

 

Du PC aux mobiles : la galaxie Facebook et son évolution

 

Les débuts de Facebook et les relations tumultueuses entre Mark Zuckerberg (CEO), et les autres co-fondateurs (Eduardo Saverin, Andrew McCollum, Dustin Moskovitz, et Chris Hughes) ont inspiré des œuvres diverses (par exemple, cf. le film Le réseau social en 2010, ou l’ouvrage dont il a été tiré. Désormais, Mark Zuckerberg détient la majorité des droits de vote, comme le soulignent les rapports annuels. Il détient la haute main sur sa société ; il est donc raisonnable de lui imputer la stratégie de l’entreprise dans sa continuité. Avant de présenter l’état actuel de la « galaxie » Facebook, il est pertinent de rendre compte de son premier virage stratégique : le tournant mobile de 2009 lors de l’introduction de la version mobile de son site. En effet, nombre d’acquisitions ultérieures résultent de cette option stratégique.

 

 

 La société de Menlo Park comprendra assez vite que l’iPhone, introduit en 2007, allait jouer un rôle majeur dans la migration vers de nouveaux usages  

La société de Menlo Park comprendra assez vite que l’iPhone, introduit en 2007, allait jouer un rôle majeur pour l’accès à de nouvelles clientèles et la migration vers de nouveaux usages. La société prendra ainsi le pari de l’Internet mobile, estimant que les smartphones et les réseaux qui les soutenaient offriraient une approche plus attractive de l’Internet fixe pour lequel la société avait développé initialement son service. Non seulement la croissance des données dans les marchés les plus développés s’est accélérée depuis, mais le mobile deviendra de plus en plus le mode de communication par défaut le plus répandu dans le monde(1). Ainsi, pour de nombreux utilisateurs, en particulier dans les économies en développement, Facebook va devenir synonyme d’Internet dans sa version mobile.

 

En 2008, Facebook lancera sa première « app » pour mobile (Facebook Chat) quelques mois avant d’introduire sa version pour iPhone. D’ailleurs, dans l’écosystème en voie de constitution des smartphones, Apple sera l’un des premiers annonceurs sur Facebook. Par la suite, à partir de 2010, les apps de conversation (« chat ») tels que Messenger de Facebook, WhatsApp ou WeChat de Tencent dépasseront les réseaux sociaux plus conventionnels à consulter sur PC. Facebook va donc accompagner sa base de clientèle utilisant des ordinateurs de bureau au mobile, et gagner les nouveaux usagers du mobile. En 2012, elle introduira la publicité sur mobile à partir du News Feed pour ne pas perturber l’expérience de l’utilisateur. Dès l’année suivante, les recettes mobiles représenteront plus de 40 % du total des recettes.

 

Cette évolution permet de comprendre l’acquisition d’abord d’Instagram, en 2012 pour 1 milliard de dollars. Celle de WhatsApp suivra en 2014. Auparavant, dans la même logique d’extension mobile, Facebook tentera sans succès d’acquérir Snapchat en 2013 pour 3 milliards de dollars. Compte tenu de l’enjeu stratégique représenté par WhatsApp, Facebook déboursera finalement 19 milliards de dollars, pour renforcer son approche mobile grâce à cette « app » conversationnelle au développement fulgurant, ayant atteint plus de 400 millions d’utilisateurs en seulement quatre ans, soit une croissance encore plus rapide que celle de Facebook. L’acquisition d’Oculus VR, en 2014, pour deux milliards complétera son portefeuille d’activités.

 

La galaxie Facebook comprend donc Facebook en tant que tel, News Feed étant le principal outil d’implication des usagers sur Facebook, fournissant des séries d’histoires et de publicités à partir d’un algorithme. Messenger est l’application de messagerie accessible sur une variété de plateformes et de terminaux. WhatsApp est l’application conversationnelle pour smartphone. Instagram est un réseau social, créé en 2010 pour les mobiles, une communauté d’échanges visuels à base de photos, vidéos et messages directs. Oculus est une plateforme de réalité virtuelle et de contenus qui permet une interaction immersive, par exemple pour des jeux ou d’autres contenus. La société a acquis, en tout, environ 76 sociétés outre ces dernières. Elle recense 26 filiales dans ses rapports annuels, dont les filiales irlandaises qui servent avant tout à de l’optimalisation fiscale !

Une stratégie payante

 

La chute de sa valeur boursière n’empêche pas la société de suivre l’itinéraire stratégique qu’elle a auparavant affiché. Elle avait, d’ailleurs, anticipé et annoncé une telle chute dans son dernier rapport annuel, dans la partie soulignant les risques encourus(2), notant que le déclin probable de son taux de croissance, notamment en raison d’une pénétration accrue, aurait des effets négatifs sur la perception des investisseurs pouvant se traduire par une chute du cours. La publication des derniers résultats trimestriels (2018) a confirmé cette tendance à la décélération, mais aussi la croissance continue des couts réduisant la marge  qui reste fort confortable néanmoins comme l’indique le tableau 1.

 

Cette feuille de route s’articule autour des axes suivants pour les investissements : dans les écosystèmes les plus développés autour des app Facebook, de sa plateforme et des app vidéo ; poursuite de la croissance et du développement de leurs autres écosystèmes notamment autour d’Instagram, Messenger et WhatsApp qui ont déjà des bases de clientèle massives (1 milliard d’utilisateurs pour Instagram, 1,3 milliard pour Messenger, et 1,5 milliard pour WhatsApp en juillet 2018, ces deux dernières détenant les deux premiers rangs mondiaux devant WeChat, 1,040 milliard) ; et enfin lancer des initiatives pour le long terme dans les domaines de la connectivité, de l’intelligence artificielle et des réalités virtuelles et augmentées.

 

Les décisions récentes sont venues concrétiser cette stratégie. Ainsi, Instagram s’est vu successivement enrichi par l’introduction de z, Direct et en juin dernier IGTV, concurrent potentiel de YouTube. Pour Mark Zuckerberg il s’agit de revoir la vidéo mobile, partant du fait que la consommation de télévision diminue mais que celle de la vidéo augmente. Or, selon Facebook, la plupart des vidéos ne sont pas optimisées pour les mobiles, d’où l’introduction d’un outil approprié : IGTV permet de publier des vidéos d’une heure contre seulement une minute auparavant sur Instagram. Plus tôt en 2017 la société avait lancé un service dédié sur Facebook, Watch.

 

La société va continuer à s’appuyer sur les zones de fortes croissances des pays en développement. Elle vient d’obtenir l’autorisation d’accéder au premier marché mondial pour les réseaux sociaux, la Chine, dont elle était bannie depuis près d’une décennie. Elle doit y ouvrir « un hub d’innovation » et donc se concentrer, dans un premier temps, sur son savoir-faire en la matière Elle doit aussi tirer mieux parti de la demande croissante des entreprises chinoises pour la publicité en dehors de la Chine. Jusqu’à présent, Facebook tirait l’essentiel de ses revenus publicitaires en Chine des jeux vidéo et des « apps ». Elle va donc s’efforcer de couvrir les exportations chinoises et le commerce international.En effet, Facebook peut s'estimer idéalement placée pour profiter des offensives à venir des entreprises chinoises sur les marchés des pays développés, de consommation comme d'équipements, vu son contrôle des données personnelles sur ces marchés. Toutefois, peu de temps après avoir accordé cette autorisation, les autorités chinoises sont revenues sur leur décision.

 

Enfin, en ce qui concerne les investissements dans les technologies du futur, Facebook investit dans les technologies visant une meilleure maîtrise des questions de sécurité. La société est aussi particulièrement en pointe dans le domaine de l’intelligence artificielle. Elle a ainsi ouvert un laboratoire à Paris en 2013 et crée Facebook AI Research, FAIR, en 2014. Comme le souligne Antoine Bordes, qui dirige le centre français du laboratoire de recherche en IA de Facebook : « Sur Facebook, il y a tant de contenus qu’on ne peut pas se passer d’intelligence artificielle ».

 

En ce qui concerne la connectivité, également un point clé pour le développement dans les nouveaux marchés où Facebook représente l’Internet, la société soutient l’initiative d’internet.org, afin de d’amener l’Internet aux deux tiers de la planète qui n’en disposent pas.

Les limites de l’ultra-personnalisation de l’entreprise

 

L’introduction de ces nouveaux services contribue à l’augmentation des coûts que nous avons soulignée. Il est prématuré de s’interroger sur le devenir des nouveaux services de contenus vidéo, même si Watch pour l’instant ne semble pas encore arriver à attirer les utilisateurs de Netflix ou YouTube. Comme les autres nouveaux services (tels que Stories), le mode de monétisation est encore incertain, la mise en place risque de prendre du temps. La société reconnait d’ailleurs le fait pour Messenger, mais juge utile de prendre le temps de renforcer l’expérience du consommateur. Toutefois, comme l’a montré l’exemple des jeux vidéo, les recettes provenant de l’ensemble des contenus sont marginales, il est probable qu’elles le demeureront. Le cœur du modèle d’affaires reste la publicité et une croissance de l’audience peut se traduire par une croissance de ce chiffre d’affaires.

 

Malgré la perte (en réalité virtuelle) de plus de 100 milliards de capitalisation boursière, le modèle économique est sain, les comptes de la société sont fort robustes et devraient permettre de continuer à financer une poursuite de la croissance, même plus modérée. Les investisseurs peuvent renâcler devant des marges qui se réduisent, mais elles restent très confortables, voire enviables pour bon nombre d’entreprises. De plus, l’exemple d’Amazon montrent qu’ils peuvent accepter des marges plus que réduites et l’absence de distribution de bénéfices.

 

 Le principal problème peut venir de la poursuite de la dégradation de l’image de la société 

Le principal problème peut venir de la poursuite de la dégradation de l’image de la société. Les questions de protection de données personnelles deviennent de plus en plus sensibles, et pas seulement en Europe suite à l’adoption du règlement général sur la protection des données (RGPD). La presse indiquait que la démission du fondateur de WhatsApp aurait été liée à un conflit autour de l’utilisation des données personnelles. Il semblerait que depuis la création de la société, Mark Zuckerberg n’ait pas considéré qu’il s’agisse d’une priorité (cf. le point de vue, tranché, de Jean-Louis Gassée dans MondayNote à propos de Cambridge Analytica : « Mark Zuckerberg Thinks We’re Idiots »). Il a eu du mal à convaincre lors des enquêtes parlementaires aux États-Unis ou en Europe. Or, si Facebook est le stéréotype « de la startup ayant réussi », il en est incontestablement la vedette, avec donc les risques que peut comporter l’ultra-personnalisation de l’entreprise.

 

Ainsi, une défiance accrue, pourrait entraîner une suspicion sur la réalité des audiences, de la part des annonceurs vis-à-vis des données que seule Facebook leur fournit, voire favoriser un concurrent qui offrirait des données garanties  par un tiers de confiance tels qu’il en existe dans les médias, en tout cas atteindre le cœur du modèle économique. Les doutes qui sont apparus sur la valorisation de Facebook ne sont pas des doutes sur sa solidité. Ce sont en réalité tous les modèles de tous les acteurs installés depuis longtemps sur ce marché publicitaire sur Internet qui paraissent désormais très fragiles et nécessitent des adaptations rapides, voire des recompositions.
 

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Crédit :
Ina. Illustration : Alice Durand

 

(1)

Jean Paul SIMON, “How Europe missed the mobile wave”. Info, Volume: 18 Issue: 3,2016, pp. 12-32.

 

(2)

Rapport annuel 2017, p.15 : « We expect our rates of growth to decline in the future »

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