Illustration représentant un éditeur recevant un flot de contenu et faisant le tri avec une lampe Facebook

© Crédits photo : La Revue des médias. Illustration : Émilie Seto.

Facebook, YouTube, Twitter : hébergeurs ou éditeurs ?

Quand les grandes plateformes retirent ou mettent en forme des contenus, elles ne sont plus de simples « tuyaux »

Temps de lecture : 3 min

De nombreuses plateformes numériques remplissent une fonction à mi-chemin entre un rôle purement technique comparable à celui d’un tuyau par lequel transiteraient des contenus sans possibilité de discrimination ou de modification, et un rôle d’éditeur, qui choisirait et traiterait l’information qu’il communique.

 
 Quand on observe les plateformes de partage de contenu ou bien les réseaux sociaux ou encore les moteurs de recherche, il semble en effet qu’il y ait bel et bien un travail effectué sur l’information 
Quand on observe en particulier les plateformes de partage de contenu comme YouTube et Instagram ou bien les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, ou encore les moteurs de recherche comme Google et Bing, il semble en effet qu’il y ait bel et bien un travail effectué sur l’information. Les contenus sont placés sous la bannière de la plateforme, organisés et présentés selon une disposition et des normes voulues par son concepteur et hiérarchisés par des algorithmes propres à la plateforme.
 
Ainsi, même si le contenu provient des éditeurs eux-mêmes, il n’en demeure pas moins que ces plateformes procèdent à une éditorialisation, ou méta-éditorialisation comme disent Ghislaine Chartron et Franck Rebillard, et qu’elles ne sont pas de purs « tuyaux » sans pour autant être des « éditeurs ». Leur rôle méta-éditorial est d’autant plus prégnant quand leurs propriétaires ont le pouvoir de censurer un contenu sous prétexte qu’il contrevient au droit d’auteur ou qu’il enfreint la loi (les images pédopornographiques par exemple) ou les règles propres à la plateforme – Facebook a ainsi récemment supprimé en Norvège, pour non respect de ses standards, la célèbre photographie de Kim Phuc, provoquant une importante polémique qui l’a conduit à reculer. Dès lors que l’on peut censurer le contenu, on ne peut pas prétendre en effet être seulement un tuyau sans aucune responsabilité éditoriale.
 
Si un contenu illégal se trouve sur une plateforme, celle-ci, dans le cas d’un procès, se réfugiera en général derrière le statut d’hébergeur, arguant que seul l’émetteur dudit contenu est responsable. En France, la Loi pour la Confiance en l’Économie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004 définit la notion d’hébergeur comme une « personne, physique ou morale, qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (article 6-1-2). À ce titre, l’acteur considéré comme hébergeur bénéficie d’un régime de responsabilité diminué. Notamment, « l’article 6-1-1 de la LCEN prévoit le principe de l’irresponsabilité civile et pénale de l’hébergeur quant au contenu des sites hébergés. Cependant, sa responsabilité pourra être mise en œuvre s’il est averti du contenu illicite d’un site, et qu’il n’en suspend pas promptement la diffusion ».
 
Un mécanisme de présomption par notification existe donc. N’importe quel usager peut s’en prévaloir afin d’avertir l’hébergeur de la présence d’un contenu illicite. Une fois l’alerte donnée, la responsabilité de l’hébergeur sera engagée si et seulement si le contenu est effectivement illicite et qu’il n’a pas été désindexé. La LCEN a été précisée par trois arrêts rendus par la Cour de Cassation en 2011 – arrêts DailyMotion, Fuzz et Amen – lesquels ont notamment permis de clarifier le statut d’hébergeur : « l’intermédiaire informatique qui effectue des prestations purement techniques en vue de faciliter l’usage du site internet par le public ». Ainsi, s’il n’effectue que des opérations purement techniques (ré-encodage, classification par mots-clefs, formatage) et ce à des fins commerciales ou non (ce facteur n’est pas déterminant), l’hébergeur ne pourra pas être tenu pour responsable en cas d’illégalité des contenus.
 
Malgré cela, la jurisprudence n’est toujours pas claire concernant des acteurs comme Google, qui sont parfois tenus pour responsables et parfois non. Spécialiste de la question, le juriste Lionel Thoumyre explique : « L'hébergeur et l'éditeur partagent une identité génétique commune : ils sont tous deux acteurs de la publication. Pour autant, leurs rôles diffèrent vis-à-vis de l'action qu'ils sont amenés à exercer tant sur la publication des contenus que sur la qualité de ceux-ci. Un rôle actif pour l'éditeur : réunir des contenus, les évaluer, voire les modifier, et procéder volontairement à leur publication (mise en ligne). Un rôle passif pour l'hébergeur : fournir un service, essentiellement technique, permettant à des tiers de mettre des contenus en ligne. L'un a pour objet de procéder à la publication, l'autre de fournir le service permettant cette publication. »
 
 Il semble indispensable de créer un statut intermédiaire qui serait plus contraignant que celui d’hébergeur, sans pour autant relever du même régime de responsabilité que celui d’éditeur  
Finalement, il semble indispensable de créer un statut intermédiaire qui serait plus contraignant que celui d’hébergeur, sans pour autant relever du même régime de responsabilité que celui du statut d’éditeur. C’est ce que préconisaient les sénateurs Laurent Béteille (UMP) et Richard Yung (PS) en février 2011. Ils pointaient du doigt le flou juridique nimbant le statut d’hébergeur tel que défini par la LCEN de 2004, qui laissait selon eux « les juridictions perplexes et divisées face à l’interprétation des textes » (p. 44). Ils préconisaient par conséquent la création d’une troisième catégorie d’acteurs, en plus de celles d’éditeur et d’hébergeur, qui serait celle « d’éditeur de service », afin d’être en mesure de « lui appliquer un régime de responsabilité intermédiaire, plus clément que celui de l’éditeur mais plus sévère que celui de l’hébergeur » (p. 46). Ils demandaient à ce que les acteurs de cette catégorie aient, en plus de ce qui existe actuellement, « une obligation de mettre en place tous moyens propres à assurer une surveillance des contenus qu’ils hébergent, d’autant que les outils de recherche syntaxique et sémantique ou de reconnaissance d'images ou de sons sont aujourd’hui très efficaces. ».
 
Cinq ans après, qu’est devenue cette proposition ? Est-ce un rapport de plus, un autre coup d’épée dans l’eau ? En pleine période électorale, n’est-ce pas le moment, comme on dit, de « ressortir les vieux dossiers » ?

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