TV payante en Afrique : piratage en bande organisée

TV payante en Afrique : piratage en bande organisée

Le marché de la TV payante en Afrique francophone représente un vaste potentiel dont une partie est détournée par des acteurs de l’économie informelle. Comment s’organisent-ils ? Quelles sont les voies de secours pour les éditeurs piratés ? Enquête au cœur de cette industrie en voie de mutation.

Temps de lecture : 12 min

Le marché de la TV payante en Afrique

 

Faisons les comptes grossièrement… Sur la seule zone de l’UEMOA on recense un peu moins de quatre-vingt-dix millions d’individus. En y additionnant les populations d’Afrique centrale, entre la grande RDC, le Cameroun, le Gabon, etc. la population totale en Afrique subsaharienne francophone avoisine les deux cent cinquante millions d’habitants. Partant de là, si l’on choisit de s’appuyer sur les dernières études de TNS SOFRES qui estiment que les populations sont équipées, en moyenne, d’un poste TV pour cinq habitants, alors on peut conclure qu’il existerait jusqu’à cinquante millions de postes TV fonctionnels sur la zone. Or, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne francophone, on estime qu’un peu plus de deux postes TV sur trois seraient liés à un abonnement de TV payante , voire davantage comme au Cameroun ou au Sénégal . Cela représente un potentiel de plus de trente millions d’abonnés actifs à la  TV payante. Parmi ces chiffres, il est intéressant de noter que la plupart des offres payantes proposent évidemment l’accès à des chaînes internationales. Les chaînes locales, quant à elles, se targuent d’une part d’audience équivalente à environ 30 % des spectateurs.
 
Ainsi, on pourrait croire, à la lecture de ces données, que l’Afrique représente le nouvel eldorado de la TV payante pour les éditeurs. Cependant, la situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, si l’on se base sur les déclarations des différents opérateurs légaux de bouquets TV, tous confondus, on arrive difficilement à atteindre la barre des trois millions d’abonnés. Ceci, sachant que l’opérateur historique Canal+ Afrique comptabilise, à lui seul, un peu plus de deux millions d’abonnés en réception directe par satellite avec la norme MPEG2. Cela constitue un véritable problème technologique qu’il conviendra de résoudre incessamment car l’Union Internationale des Télécommunication a prescrit le passage au numérique avec la norme MPEG4 pour la période 2015/2020. Le matériel MPEG 4 peut lire le MPEG 2 mais l’inverse n’est pas vrai.
 
Dans ce contexte, la vingtaine d’opérateurs d’Afrique subsaharienne francophone disposant d’une licence de diffusion se partagerait un peu plus d’un million d’abonnés. Mais là encore, les chiffres restent obscurs car certains opérateurs se permettent, jusqu’à aujourd’hui, de déclarer deux mille abonnés aux éditeurs. Bref, où sont passés les vingt-sept millions d’abonnés supputés restant ? À Douala, à Conakry, à Dakar ou à Abidjan, pas besoin de chercher bien loin : une très large majorité des abonnés à la TV payante obtient le signal grâce au câble distribué dans leur quartier. Et ce, bien sûr, à des tarifs défiant toute concurrence. Pour moins de 2 500 francs CFA (3,7 euros) par mois, les abonnés peuvent regarder jusqu’à 300 chaînes TV locales et internationales ! Pour les câblo-opérateurs, il est facile d’offrir de tels tarifs, puisqu’ils ne payent aucun des produits culturels qu’ils commercialisent. Alors évidemment, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. L’assurance de regarder votre chaîne préférée ce soir n’est pas non plus garantie puisque votre câblo-opérateur, communément nommé « opérateur araignée » en Afrique, peut, à tout moment, voir ses équipements confisqués ou sa carte d’accès désactivée par les ayants droit ou représentants de ces derniers. Ceci, même s’il est bien vrai que la guerre anti-piratage ne dispose que de peu d’armes législatives et fonctionnelles et que les saisies d’équipements demeurent rares.

Les « opérateurs araignées », des pirates organisés

 

Face à l’attractivité gigantesque de la TV payante en Afrique, les opérateurs araignées s’organisent. Au Cameroun par exemple, où l’on dénombre jusqu’à dix mille acteurs de ce secteur de l’économie souterraine, on recense au moins une dizaine de syndicats : le SYNATEC (Syndicat National des Télé-distributeurs par Câble du Cameroun), le SYNACASTRAM, le SYNATECAM (Syndicat Interprovincial des Télé-distributeurs du Cameroun) etc. Aucun de ces opérateurs n’a de contrat avec les éditeurs de chaînes TV, mais pourtant ils bénéficient d’une écoute substantielle auprès des autorités et des organisations de défense des droits de consommateurs. Et pour cause : ces milliers d’entrepreneurs de l’économie souterraine fournissent du travail dans les quartiers des villes où ils sont installés. Ils emploieraient, au seul Cameroun, jusqu’à cent mille personnes de façon directe ou indirecte. Alors, pour tout gouvernement, il est très difficile de faire stopper leurs activités.
 
Au Sénégal, le plus grand syndicat de câblo-opérateurs, la SORETEC(1) annonce avoir plus de trois cent cinquante adhérents - partenaires. Avec l’arrivée de la TNT leur défi est bien entendu d’ordre législatif et technologique, mais pas seulement. Ces entrepreneurs de l’économie populaire souhaitent se mettre en règle avec les autorités de la communication, mais aussi avec les éditeurs. Rappelons-nous également à ce propos qu’en 2010, l’éditeur français AB Sat a sans aucun doute contribué à faire avancer plus vite la législation en matière de télédiffusion au Sénégal. En octobre de la même année, il signait une convention de distribution officielle avec des câblo-opérateurs. L’évènement fut placé par la partie sénégalaise sous le haut patronage de Karim Wade, alors Ministre des affaires étrangères. Si le contrat fut rompu quelques mois plus tard, du côté sénégalais, les opérateurs araignées tirèrent tout de même largement parti de l’opération : en quelques mois, un cahier des charges(2) encadrant les activités des télé-distributeurs était enfin adopté. Cependant, presque six ans plus tard, la situation n’a pas vraiment évolué du côté des ayants droit qui demeurent les perpétuels oubliés de ces activités, pas plus que du côté des câblo-opérateurs dont l’activité n’est toujours pas régie par une loi .
 
 50 à 70 % des foyers sont câblés sans autorisation 
En Côte d’Ivoire, et plus particulièrement à Abidjan, on n’entend pas encore parler de syndicats officiels. Mais dans les quartiers de Treichville ou de Youpougon, une chose est certaine : 50 à 70 % des foyers sont câblés sans autorisation. Dans ces maisons souvent très modestes, un bruit court : le marché serait encadré par de véritables bandes organisées. Certains abonnés osent même parler de mafia. Ahmed, un habitué du quartier de Treichville, explique que lorsqu’un nouvel opérateur araignée essaie d’émerger sans l’autorisation de « là-haut », il prend le risque de se faire bastonner. « Là-haut, c’est qui ? » peut-on se demander naïvement. La question reste en suspens car, d’après Ahmed, « on touche certainement à des intérêts économiques, voire politiques, importants ».
Pour revenir au Cameroun, on constate depuis 2012-2013 que certains syndicats tentent de se rapprocher des éditeurs afin d’obtenir des autorisations de diffusion.
Oui mais soyons clairs : rien n’avance. Les exigences technologiques de la plupart des chaînes TV internationales sont loin d’être satisfaites. La première des conditions à remplir est l’encodage du signal. En effet, on ne peut pas continuer à diffuser du signal en clair par câble, c’est la porte ouverte à tous types de piratages. Et pour s’équiper d’un système de cryptage et de diffusion professionnels, il faut beaucoup d’argent. Un câblo-opérateur prospère, que nous nommerons Moussa(3), l’a bien compris. Il a démarré ses activités dans l’économie souterraine dès le début des années 2000. Face au potentiel gigantesque de la TV par câble au Cameroun, il s’est organisé. Petit à petit, il a professionnalisé son approche. Aujourd’hui il dispose, au troisième étage d’un immeuble en construction à Douala, d’une plateforme de diffusion qui n’a rien à envier aux plateformes professionnelles des opérateurs légaux. Moussa aurait plus de trente mille abonnés à ce jour, mais il n’est pas seul dans la danse : il fournit son signal à plusieurs dizaines de ses confrères, qui revendent le signal à leur tour. En 2014, lorsque l’État a menacé de sévir contre ses activités souterraines, Moussa s’est rapproché des éditeurs pour, enfin, leur promettre de leur reverser une partie des droits d’auteurs sur les contenus piratés. Puis l’État s’est calmé, et les éditeurs n’ont plus eu de nouvelles.
 
Les modalités d’exploitation des distributeurs d’images par câble constituent une autre particularité camerounaise. Le décret n°2000/158 du 03 avril 2000, un document d’une quinzaine de pages fixant les conditions et modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle, n’accorde qu’un vague paragraphe au bénéfice des ayants droit. 

Tous victimes du piratage

 

 Chacun s’arroge le droit de commercialiser des produits culturels qu’il n’achète pas  
Dans cet étrange contexte économique où chacun s’arroge le droit de commercialiser des produits culturels qu’il n’achète pas, les laissés-pour-compte sont nombreux. D’abord, les premières victimes du piratage sont sans aucun doute les opérateurs locaux africains qui disposent d’une licence. Chaque année, ils reversent à l’État des centaines de millions de francs CFA en taxes diverses et variées. Pour le seul Mali par exemple, on estime que les deux opérateurs Malivision et Multicanal ont reversé à l’État malien plus d’un milliard de francs CFA en droits d’exploitation depuis le début de leur activité. Quant à l’enveloppe dédiée aux impôts et taxes (notamment sur l’importation de décodeurs), elle avoisinerait les cinq milliards de francs CFA depuis leur ouverture. Ceci bien sûr, sans compter l’enveloppe financière dédiée aux éditeurs. Car même s’il est reconnu que plusieurs opérateurs africains sous-déclarent encore leur nombre d’abonnés, l’achat de contenus n’en demeure pas moins un poste important pour leur structure. Et la liste ne s’arrête pas là puisqu’il convient d’ajouter aux factures des éditeurs les frais bancaires de virement international, lesquels peuvent atteindre jusqu’à 30 % du montant de la facture comme au Cameroun. Face aux opérateurs araignées qui ne paient pas ce genre de charges, comment peuvent-ils rester compétitifs ? Et puis, il faut également tenir compte du fait que la mauvaise réputation de l’Afrique en matière de respect des droits d’auteur les précède dans les bureaux des éditeurs. Plusieurs groupes internationaux, refusent régulièrement de les recevoir ne serait-ce que pour discuter. D’autres groupes réfléchissent à ne travailler en Afrique que par l’intermédiaire de l’opérateur mastodonte Canal+, à l’instar, du groupe Lagardère qui a confié la distribution de sa chaîne Gulli Africa à son seul confrère français, en exclusivité.

Les secondes victimes du piratage sont certainement les États eux-mêmes, qui restent sourds aux réclamations des ayants droit. Évidemment, toutes ces économies souterraines ne remplissent pas, par définition, les caisses officielles de l’État. Dans ce contexte de poches vides, le travail de surveillance et d’encadrement des hautes autorités de régulation se révèle plus que compliqué. C’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue… D’après un article de Jeune Afrique, l’enjeu est de taille. À l’occasion d’un séminaire sur la réforme de la Brigade nationale de lutte contre la piraterie et la contrefaçon le 13 octobre 2015, Sébastien Punturello, directeur de Canal + Sénégal estimait que « convertir 20 % de l’offre illégale en activité légale générerait pour l’État 4 milliards de francs CFA par an.»
 
  Les chaînes locales reprennent du terrain face aux chaînes internationales  
Par ailleurs, les spectateurs aussi pourraient se retrouver bientôt victimes de cette économie pirate. Car aujourd’hui le paysage audiovisuel a changé. De plus en plus d’éditeurs africains émergent avec des projets de bouquets africains payants. C’est le cas du malien Ismaïla Sidibé (TNTSAT Africa) ou du camerounais Emmanuel Chatué (Canal2 International) par exemple. Ils ont bien raison car les chaînes locales reprennent petit à petit du terrain face aux chaînes internationales. On remarque en effet que plus le contenu d’un média africain est de qualité, plus les Africains le regardent, et c’est bien normal. Oui mais voilà : puisqu’ils se risquent à commercialiser leur offre, ils doivent, à leur tour, faire face aux opérateurs araignées. Pour un abonné payant, c’est peut-être plus d’une centaine de postes raccordés par le câble des pirates. Comment, dans ce contexte, générer des bénéfices financiers rapidement et ainsi produire de nouveaux contenus ? Seuls les grands groupes internationaux ont ces moyens-là aujourd’hui. La production africaine dépend aussi de la capacité de ses acteurs à générer des revenus suffisants pour l’alimenter, ce qui demeure problématique dans un contexte de piratage intempestif.
Enfin, il ne faut pas oublier les principales victimes du piratage : les éditeurs et, par extension, toute la chaîne des ayants droit. Chaque maillon de la chaîne de production et de distribution se trouve lésé. Le principal danger du piratage réside dans la rémunération insuffisante de la distribution et de la création, ce qui peut s'avérer très néfaste pour l'industrie de l’audiovisuel.

Aussi un modèle économique qui accepterait le piratage doit absolument assurer une juste rémunération des parties production et édition nécessaires à la pérennité des chaînes TV. Dans le cas contraire, les chaînes TV qui s’intéressent nouvellement à ce marché de la TV payante en Afrique pourraient rapidement faire demi-tour pour choisir de s’appuyer sur un distributeur exclusif leur garantissant un revenu minimum. Les opérateurs se retrouveraient alors face à une situation de quasi-monopole en fourniture de chaînes TV, situation qu’ils on eut à combattre de nombreuses années.
 

La lutte anti-piratage s’organise

Afin de comprendre et d’évaluer l’impact du piratage sur l’industrie audiovisuelle africaine, il est nécessaire d’en étudier la chaîne de valeur. En d’autres termes, il faut déterminer l’enchaînement d’activités permettant d’aboutir à la diffusion d’une chaîne TV chez un abonné. L’industrie de la TV payante se caractérise par plusieurs canaux de distribution : par voie terrestre telles que la TNT ou le mode MMDS, par satellite, par câble et, plus récemment, via la télé sur mobile. Dans tous les cas, la chaîne est simple: en amont, se trouvent les créatifs et producteurs, puis viennent les éditeurs. Le tout est financé via la signature d'un contrat avec le diffuseur, c'est le triangle d'or de l'industrie de la TV payante.

 
L’éditeur finance tous les frais d’achat de contenu, de doublage, sous-titrage, de fabrication du média ainsi que son transport jusqu’à l’Afrique. Quant au diffuseur, il finance tous les frais marketings et structurels afin de conquérir un maximum de parts de marché : succursales dans les quartiers, campagnes de communication, têtes de réseau etc. Bref, brisez un seul de ces maillons et le créatif ou producteur s’en trouvera le premier lésé… Avec lui, c’est la chaîne entière qui se brise.
 
Face à ce phénomène, les éditeurs et diffuseurs légaux disposent de peu de moyens pour en contrecarrer l’expansion. Il est d’ailleurs à noter que Canal+ Afrique est sans aucun doute l’opérateur qui combat le plus ouvertement ces pratiques. Dès le milieu des années 2000, l’opérateur, alors nommé Canal+Horizon, parvenait « à convaincre les autorités sénégalaises de créer une unité de police spéciale baptisée « Brigade Canal ». Sa mission consistait à démanteler les branchements clandestins. De surcroît, Canal+Horizon envoyait régulièrement des équipes d’experts anti-piratage afin de tenter d’enrayer leur prolifération ». Aujourd’hui, dans certains pays comme le Cameroun ou le Sénégal, ce mastodonte de l’audiovisuel procède régulièrement à des attaques en justice qui se soldent généralement par la confiscation des équipements de diffusion des câblo-opérateurs. Dans certains cas, la justice peut même décider de placer ces pirates reconnus sous les verrous. Oui mais les procédures sont lourdes et les frais de recherche pèsent certainement sur les budgets de l’opérateur. Une autre voie de combat contre la piraterie consiste à intégrer la technologie « Finger Print » dans le signal des chaînes TV. Cette technologie permet d’identifier la carte source de décodage utilisée chez le câblo-opérateur et donc de démasquer les pirates. Quelles sont les autres voies de recours pour les éditeurs ?
 
 Le piratage est le fait d’une offre inadaptée au marché 
D’après Ismaïla Sidibé, Président de l’Association des Opérateurs Privés des Télévisions d’Afrique (OPTA), le piratage est aussi le fait d’une offre inadaptée au marché. Par exemple, l’homme d’affaires estime que Canal+ Afrique a mis sur le marché plus de sept millions de décodeurs MPEG-2, à comparer aux deux millions d’abonnés actifs. Selon lui, la prolifération de ces décodeurs a pour effet pervers de bloquer la transition numérique en Afrique pour laquelle la norme retenue est le MPEG-4. Il enchaîne en expliquant que les réabonnements ont du mal à s’effectuer car « les offres actuelles sont des offres pour les élites ». D’après lui, tout le monde a droit à la télé : les spectateurs africains sont prêts à payer un peu plus cher un décodeur ou un raccordement pirate puisqu’ensuite, les abonnements aux câblo-opérateurs pirates sont compétitifs.
 
Ainsi, les hautes autorités de régulation manquent de moyens humains et financiers pour faire face à la piraterie. Béatrice Damiba, ancienne Présidente du Conseil Supérieur de la Communication du Burkina Faso, l’a bien compris. Cette dame au parcours qui force le respect préside, depuis fin décembre 2015, l’association Convergence dont l’enjeu est la protection des industries culturelles. Les Français Canal+ et Diffa (Lagardère) ou encore l’opérateur MTN ont doté l’association d’un budget annuel de plus de trois cent cinquante mille euros. Béatrice Damiba explique : "La protection des industries culturelles, des créateurs et des artistes est une condition indispensable pour favoriser l’émergence de contenus audiovisuels de qualité. Nous devons donc lutter contre le piratage pour attirer les investisseurs internationaux et promouvoir les productions africaines ». Le secteur créatif (musique, cinéma, télévision…) représente déjà entre 3 % et 5 % du PIB en Afrique, selon différentes études(4).
 
La lutte s’organise donc du côté des opérateurs privés. Mais dans ce contexte bien spécifique à l’Afrique, comment résoudre le problème des câblo-opérateurs pirates ? Nous l’avons déjà dit, les autorités semblent rechigner à les priver de leur économie, fusse-t-elle souterraine. Quelle est la voie de sortie donc pour ces acteurs de l’audiovisuel et pour les éditeurs qu’ils piratent ? Les États n’auraient-ils pas intérêt à régulariser les plus sérieux, comme cela a été tenté au Sénégal ? Rappelons-nous qu’avant les années 1980 de nombreuses radios pirates sévissaient en France. Face à l’ampleur de la désorganisation qui, à plusieurs points de vue, rappelle l’actuelle désorganisation de la TV payante en Afrique, l’État n’eut d’autre recours que de libéraliser le paysage et de légaliser la plupart des radios pirates. À condition bien évidemment, que chacune s’acquitte justement des droits d’auteur (SACEM en France ou éditeurs TV pour l’Afrique) et que les conditions technologiques de diffusion soient conformes aux cahiers des charges. La libéralisation encadrée constitue-t-elle une piste de solution ? C’est en tous cas ce que pourrait penser Canal+ Cameroun qui, semble lui aussi réfléchir à un accord avec les câblo-opérateurs. Bien entendu, ce modèle ne saurait être viable sans un préalable conséquent : la protection des éditeurs incluses dans les conventions gouvernementales d’exploitation de chaînes TV payantes.
 
Une autre voie consisterait peut-être à favoriser la mise en place d’accords de reprise entre opérateurs légaux et câblo-opérateurs, à condition bien entendu que les opérateurs légaux reversent aux éditeurs les droits leur revenant. En effet, il est reconnu que plusieurs câblo-opérateurs, qui n’ont pas les moyens techniques de récupérer le signal de chaînes par satellite, utilisent le signal d’opérateurs légaux. Puisqu’en Afrique subsaharienne francophone les entrepreneurs de l’économie souterraine représentent de fait jusqu’à 70 % de l’économie, ce serait utopique que d’imaginer pouvoir assainir le paysage sans y intégrer ces acteurs. Et puis, il va sans dire que les opérateurs africains sont certainement les mieux placés pour identifier les protagonistes de cette économie populaire. Il reste à savoir si les opérateurs légaux et les éditeurs accepteraient  ce type de transaction ?
 
Ainsi, comme l’explique le site Abidjan.net, alors que la place de l’Afrique sur la scène culturelle internationale devient indiscutable, et que le rayonnement des artistes africains dépasse régulièrement les frontières du continent, cette question du droit d’auteur et de la protection intellectuelle devient cruciale. Il n’est qu’à voir l’exemple du Nigéria, qui en s’appuyant sur une lutte sans merci contre le piratage dispose désormais d’une industrie cinématographique qui pèse plus de 3 % du PIB national et qui produit plus de 2000 films par an.

Référence

 

Jean-Michel LEDJOU, Hanitra RANDRIANASOLO – RAKOTOBE, Des réseaux et des hommes: les Sud à l'heure des technologies de l'information et de la communication, KARTHALA Editions, 2012.

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Crédits photos :
Locals watching TV. Robbie Veldwijk / Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.0
Infographie. Séverine Laurent
 
(1)

Anciennement ARCS -Association des réseaux câblés du Sénégal. 

(2)

Convention de Distribution de Services de Communication Audiovisuelle – Ministère de la Communication, des Télécommunication et des TIC – République du Sénégal – 3 novembre 2011. 

(3)

Le nom a été changé pour des raisons de confidentialité.

(4)

Africa by numbers, Conférence sur l’économie créative en Afrique, 2013.

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