Genèse et caractéristiques de la chaîne berbère Tamazight
Il fallait tout inventer, c’est une chaîne que nous avons créée ex-nihilo
Le projet d’une chaîne berbère, totalement inédit au Maroc, était ambitieux. D’un point de vue pratique, le défi était de taille : « il fallait tout inventer, c’est une chaîne que nous avons créée
ex-nihilo » confirmera Mohammed Mamad. Le projet exigeait aussi un délicat équilibrage : au niveau du contenu, il s’agissait de conjuguer amazighité et programme généraliste capable de fédérer un public assez large. Le risque était aussi que la chaîne soit perçue comme étant un projet un peu improvisé, un alibi pour afficher la représentativité de la télévision marocaine à faible coût financier et humain - et qui, en dernier ressort, ne répondrait ni aux attentes des Berbères, ni aux ambitions de leurs promoteurs à la SNRT.
Il fallait, résume son directeur, « satisfaire un public qui n’avait jamais eu accès à une telle chaîne et ne pas les enfermer dans un ghetto ou un folklore, en dehors de ce que l’on considère comme la modernité ». Pour répondre à l’exigence d’accès de la chaîne à tous, les programmes sont, le plus souvent, sous-titrés en arabe.
Mais, concrètement, comment est née cette chaîne ? Avant sa conception, une délégation s’était rendue dans plusieurs pays en Europe en 2006 afin d’y examiner la façon dont on pouvait appréhender la diversité culturelle dans les médias. « Nous sommes allés en Hollande rencontrer des responsables de médias qui ciblaient les minorités, en Belgique, à la RTBF, en Espagne, notamment auprès de médias catalans, et en Suisse qui compte plusieurs langues nationales ». Ce voyage aura été instructif puisque l’équipe d’experts marocains en conclut… que le Maroc est spécifique et qu’il fallait inventer un projet ad hoc. « Il fallait imaginer un concept qui puisse correspondre à la réalité démographique et linguistique marocaine. D’où le projet de lancer une chaîne de télévision nationale, d’expression berbère, aux programmes sous titrés en arabe et qui devrait s’adresser à tous les Marocains sans exception ». Après le lancement et le succès de la chaîne, son directeur le confirme : la chaîne berbère marocaine est gérée d’une façon singulière.
Cependant, sur un plan logistique et sur celui de sa programmation, la chaîne n’a pas été conçue longtemps en amont. Son identité s’est précisée au fil des mois qui ont suivi sa création et se consolide encore aujourd’hui confirmant l’idée qu’il est parfois plus facile de ne partir de rien. Il s’agit d’une chaîne généraliste qui diffuse 6 heures de programmes chaque jour, 10 heures les week-ends.
La chaîne Tamazight est financée à hauteur de 500 millions de dirhams, soit près de 45 millions d’euros, sur 4 ans. À titre de comparaison, le
budget annuel moyen d’une chaîne française locale est de 2 à 3 millions d’euros en 2005 pour 2 heures de programmes inédits par jour. Pourtant, à en croire son directeur, cette chaîne est un succès commercial, l’un des indices de ce succès étant la fidélité des annonceurs. Les recettes publicitaires – dont le montant n’est pas public – ne sont pas versées à la chaîne mais au secteur financier de la SNRT. Pour autant, la chaîne bénéficie de la mutualisation de techniciens et des moyens matériels de la SNRT même si elle jouit, selon le directeur de la chaîne, d’une relative autonomie, « à plus de 80% ». Une équipe de jeunes professionnels,
formée à l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), est directement affectée à la chaîne Tamazight.