Les évolutions possibles
L’ouverture de la publicité télévisée aux films exploités en salles de cinéma ne fait pas l’unanimité. Les positions sont connues et ne manqueront pas d’être présentées lors des auditions organisées par le CSA. Les chaînes de télévision privées, les exploitants et les gros distributeurs sont favorables à une ouverture car ils ont tout à y gagner.
Les chaînes de télévision privées, les exploitants et les gros distributeurs sont favorables à une ouverture car ils ont tout à y gagner.
Les chaînes de télévision pourraient augmenter leurs recettes en matière de publicité (un marché de 10 millions d’euros est évoqué) ; les exploitants verraient les films qu’ils diffusent mis en valeur à la télévision afin de motiver encore davantage les spectateurs français à fréquenter leurs salles
À l’inverse, plusieurs acteurs sont contre cette ouverture. Les distributeurs plus modestes ont
a priori peu à gagner de cette ouverture. Lors des discussions de 2003, les distributeurs indépendants, qui distribuent souvent des films au budget modeste, s’étaient prononcés contre une ouverture comme le rappelle le
rapport sénatorial du sénateur Philippe Leroy (p. 108). Ces distributeurs redoutaient à l’époque une augmentation des coûts marketing voire une impossibilité pour eux d’avoir accès (en raison des coûts élevés)à la publicité télévisée. Nous verrons par la suite que les évolutions du paysage audiovisuel français pourraient amener ces distributeurs à adopter une position différente. Au-delà du monde cinématographique et télévisuel, les différents médias actuellement concernés par la publicité pour les films exploités en salles de cinéma devraient, comme en 2003, être défavorables à une ouverture. Les afficheurs, la presse écrite, la radio et les sites Internet sont les principaux médias concernés par la publicité pour le cinéma. L’influence de la télévision est telle qu’une ouverture de la publicité pour le cinéma sur le petit écran risquerait de concurrencer fortement les autres médias. Le risque serait de voir la part du budget consacrée par les distributeurs à la publicité d’un film sur ces médias réduite en raison de nouveaux investissements dans la publicité télévisée. Le bonheur des uns (chaînes de télévision) ferait ainsi le malheur des autres (afficheurs, radios, presse écrite, Internet). Le maintien du budget publicité consacré à ces derniers médias signifierait que les distributeurs seraient capables d’augmenter les investissements publicitaires consacrés à un film. Philippe Leroy notait dans son rapport de 2005 que, lors des discussions de 2003, même les filiales des majors n’étaient pas prêtes à réaliser une augmentation du budget marketing d’un film tant les bénéfices à en tirer (en terme d’entrées) n’étaient pas évidents (p. 109). Vu l’évolution de la conjoncture économique depuis 2003, il n’est pas certain que ces distributeurs aient changé d’avis. Il y a donc fort à craindre qu’une ouverture de la publicité à la télévision se traduirait mécaniquement par une baisse des recettes publicitaires dans ce secteur pour les autres médias. La presse écrite, la radio et les afficheurs ne devraient pas s’accommoder d’une telle nouvelle dans une conjoncture qui ne leur est déjà pas favorable. La question se pose alors de savoir si des évolutions sont possibles. Trois scénarios peuvent être envisagés.
Première solution : le statu quo est la solution qui a été privilégiée lors des dernières discussions (2003) consacrées à la problématique de la publicité pour les films exploités en salles de cinéma. Comme le précise le sénateur Philippe Leroy dans son rapport de 2005 (p. 109) : « l’industrie du cinéma fonctionne au consensus. Les organisations interprofessionnelles ont donc soutenu le statu quo » faute d’accord global sur la question. Il est certain qu’aujourd’hui encore les différents acteurs de la filière cinématographique ne s’accorderont pas en matière de publicité pour le cinéma. Pour autant, il n’est pas évident que le statu quo soit la solution retenue par les pouvoirs publics tant les paysages cinématographique et audiovisuel ont évolué depuis les dernières consultations de 2003.
Deuxième solution : l’ouverture inconditionnée de la publicité à la télévision pour les films exploités en salles de cinéma est une solution envisageable. Néanmoins, elle semble avoir peu de chance d’être retenue dans la mesure où cette solution pénaliserait bon nombre d’acteurs. Les petits distributeurs et donc
les petites et moyennes productions ne seraient clairement pas avantagés par une telle solution. Les chaînes de télévision les plus regardées et donc les plus onéreuses en terme d’achat d’espaces publicitaires ne seraient financièrement accessibles qu’aux grosses productions et donc majoritairement au cinéma américain. Cette solution risquerait d’accroître un peu plus encore la part de marché du cinéma américain dans notre pays en orientant par la publicité télévisée les spectateurs vers des films à gros budget. Rappelons de plus que la presse écrite, la radio, les afficheurs et les sites Internet verraient mécaniquement baisser leurs recettes en termes de publicité pour les films exploités en salles. Face à de telles oppositions, il paraît peu vraisemblable et souhaitable que les pouvoirs publics ouvrent sans conditions les espaces de publicité télévisée aux films exploités en salles. Une solution médiane parait préférable.
Il paraît peu vraisemblable et souhaitable que les pouvoirs publics ouvrent sans conditions les espaces de publicité télévisée aux films exploités en salles.
Troisième solution : la pluralité des intérêts en matière de publicité pour le cinéma pourrait conduire les pouvoirs publics à décider d’une ouverture conditionnée de la publicité pour le cinéma sur les chaînes de télévision. Comme nous l’avons déjà précisé, les principaux inconvénients posés par l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision résident dans la pénalisation des distributeurs modestes et des petites productions cinématographiques d’une part, et, d’autre part, par une baisse des revenus des médias qui véhiculent traditionnellement la publicité pour les films exploités en salles. La première de ces problématiques n’est pas aussi tranchée qu’il n’y paraît ; quant à la seconde, elle n’est pas certaine.
Les distributeurs modestes et les petites productions auraient certes à perdre de l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision mais ils pourraient aussi y gagner. Comme nous l’avons précisé plus haut, le paysage télévisuel a profondément évolué depuis les dernières discussions de 2003. L’apparition de la TNT et la multiplication des foyers bénéficiant d’une offre de chaînes par satellite, câble ou ADSL a considérablement augmenté le nombre de chaînes regardées par les Français. On dénombre aujourd’hui de grosses chaînes historiques qui sont toujours un peu moins regardées par les téléspectateurs (TF1, France 2, M6…), des chaînes moyennes (TMC, D8, RTL9…), de petites chaînes (elles sont légion), des chaînes thématiques (13e rue, Comédie +, Cuisine +, chaînes jeunesse…) et des chaînes à l’identité affirmée (chaînes communautaires, chaînes locales…). La multiplication de ces chaînes peut rendre attractive la possibilité de faire de la publicité télévisée pour un film, y compris pour un film ayant un budget de distribution modeste. D’une part, la multiplication des chaînes contribue à la baisse du coût des espaces publicitaires y compris sur les chaînes historiques et, d’autre part, les chaînes plus modestes sont financièrement accessibles même pour les petites productions et les budgets de distribution modestes. Le distributeur du film
Des hommes et des dieux a expliqué que le succès de son film en salles était en partie dû à sa stratégie de distribution qui résidait sur une
communication forte avec les écoles et la communauté catholiques. Dans cette situation, quelques publicités pour son film sur la chaîne catholique KTO auraient peut être tenté ce distributeur. Dans le même sens, un film ayant une identité régionale forte ou une identité communautaire marquée pourrait également se satisfaire de publicités sur des chaînes de télévision qui reflètent cette identité. Il nous paraîtrait en conséquence excessif de continuer à interdire de façon stricte la publicité à la télévision pour les films exploités en salles.
La seconde problématique qui découlerait d’une ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision n’est quant à elle pas certaine. Il n’est en effet pas évident que l’ouverture d’un média (la télévision) à la publicité conduise à une baisse des recettes sur les autres médias (presse écrite, affichage, radio, Internet) notamment si l’ouverture à la publicité télévisée est limitée. Il est entendu que les budgets de distribution des films ne sont pas extensibles à loisir. Pour autant, bon nombre de distributeurs verront la publicité télévisée comme un nouveau territoire à investir sans pour autant négliger les autres médias essentiels à la promotion d’un film. Pour toutes ces raisons, une ouverture conditionnée de la publicité pour les films exploités en salles semble souhaitable. L’encadrement de cette ouverture reste à définir.
Un plafond savamment posé permettrait d’encadrer les gros distributeurs tout en laissant libres les distributeurs plus modestes.
En vue d’établir une équité entre les différents distributeurs et entre les différents films, il peut être imaginable de limiter le budget consacré à la publicité télévisée à une certaine somme d’argent quel que soit le film concerné. Chaque distributeur aurait ainsi un plafond (commun à tous les distributeurs) à ne pas dépasser sur l’année pour l’ensemble de ses films. Les petits distributeurs pourraient ainsi consacrer une part de leur budget marketing à la publicité télévisée sans être écrasés par les gros distributeurs qui seraient contraint de faire des choix en termes de publicité télévisée. La présence d’un plafond savamment posé permettrait d’encadrer les gros distributeurs tout en laissant libres les distributeurs plus modestes. Un distributeur qui dépasserait le plafond fixé se verrait taxé de façon dissuasive, un peu à la manière d’un « pollueur payeur ». Les sommes récoltées pourraient alimenter les caisses du CNC et donc contribuer à la filière cinématographique. Le CSA pourrait même aller jusqu’à préconiser des limites plus importantes : interdiction de la publicité pour le cinéma à certains horaires ou certains jours, limite du nombre d’écrans publicitaires pour un seul film, interdiction sur les chaînes jeunesses… Ce système aurait pour avantage de privilégier la publicité qualitative aux dépens de la publicité quantitative. En cas de modification de l’
article 8 du décret du 27 mars 1992, le pouvoir réglementaire (c’est-à-dire le Premier ministre compétent pour la rédaction de ce décret) devra veiller à respecter le droit de la concurrence et la liberté d’entreprendre des distributeurs afin de ne pas subir une annulation devant le Conseil d’État