Phoenix TV, le quatrième pouvoir chinois ?

Phoenix TV, le quatrième pouvoir chinois ?

Phoenix TV détient une place privilégiée dans le paysage médiatique chinois. S'adressant à un public nombreux et averti, la chaîne adopte une indépendance de ton, tout en se positionnant vis-à-vis des exigences des autorités chinoises.

Temps de lecture : 14 min

Créé le 31 mars 1996 par un ancien colonel de l’Armée populaire de Libération chinoise, le groupe de Phoenix Satellite Television Holdings Co. Ltd. (ci-après Phoenix TV) dispose désormais de cinq chaînes, diffuse ses programmes sur cinq continents et a été la première télévision satellite privée autorisée à diffuser ses programmes en Chine continentale au début des années 2000.

Phoenix TV est une compagnie cotée à la bourse de Hong Kong et 37,5 % de ses actions sont détenues par Today’s Asia Ltd., une société appartenant à Liu Changle, le PDG de Phoenix TV ; China Mobile Hong Kong détient 19,9 % des actions, Xinkong Chuanmei Group (qui appartient au puissant News Corporation de Rupert Murdoch) 17,6 %, China Wise International 8,3 % et le public 16,7 %.
 
Dès sa création, Phoenix TV s’est fixée pour objectif de « connecter le monde à la Chine et de réduire les distances entre les communautés chinoises éparpillées à travers le globe » tout en leur fournissant des programmes télévisés de qualité en mandarin. Ses cinq chaînes – une en mandarin (Phoenix Chinese Channel), une chaîne d’information en continu (Phoenix InfoNews Channel), une chaîne diffusée uniquement sur le continent nord-américain (Phoenix North America Chinese Channel), une chaîne diffusée en Europe (Phoenix Chinese News and Entertainment Channel) et une chaîne de cinéma (Phoenix Movies Channel) – sont transmises par satellite dans plus de 150 pays. Les programmes des différentes chaînes du groupe visent non seulement les communautés chinoises installées à l’étranger (Amérique du nord, Europe) mais également les Chinois de Taiwan, ceux de Macao et de la Chine continentale (République populaire). En République populaire, le groupe vise un public de classes moyennes éduquées désirant des alternatives aux informations et programmes diffusés par la station publique CCTV, fortement empreints de messages de propagande du gouvernement. Le siège du groupe est à Hong Kong, mais il dispose également de correspondants à Shanghai, Pékin et Shenzhen (ville frontalière de Hong Kong) où sont produits la moitié des programmes destinés à la Chine continentale, Taiwan, Hong Kong et Macao.
 
À l’origine de ce projet, Liu Changle, diplômé de l’Université de communication de Chine, ancien présentateur à la Radio centrale du peuple et ancien colonel de l’Armée populaire de Libération, est désormais à la tête du plus gros groupe de diffusion télévisée privé autorisé à diffuser en Chine et, qui plus est, trouvant écho auprès d’une part grandissante du public chinois, voire même auprès des membres du gouvernement.
 
Quelles sont donc les clés de la réussite de ce groupe en Chine continentale ? Phoenix TV serait-il le quatrième pouvoir chinois ?

« Connecter le monde à la Chine »

Phoenix TV, considéré par beaucoup comme le premier média transnational d’origine chinoise, a été fondé en 1996 avec la volonté de diffuser des programmes novateurs en prenant exemple sur ceux de CNN. Cet exemple illustre l’un des seuls cas fructueux d’implantation d’un média étranger en Chine continentale, ainsi que les difficultés auxquelles ces derniers peuvent se heurter. Au départ, Phoenix TV n’est que la chaîne en chinois de la station hongkongaise STAR TV, fondée au début des années 1990 puis rachetée en 1993 par Rupert Murdoch. News Corporation – qui à l’époque disposait de l’accès au principal satellite asiatique, mais dont la chaîne chinoise, STAR TV, connaissait des problèmes en raison de l’interdiction, par Pékin, de l’usage des satellites à domicile – avait donc besoin d’un partenaire local. Le groupe s’est associé avec Liu Changle, déjà mentionné plus haut, pour créer, à partir de STAR TV Chinese Channel, Phoenix Satellite TV. Cette dernière a pour ambition d’être un « réseau global de télévision en chinois » qui couvrirait non seulement Hong Kong, mais aussi la Chine continentale, Taiwan, Macao et les différentes zones habitées par des Chinois d’outre-mer, et devenir ainsi une rivale de CNN. C’est donc en mars 1996, que Star TV est relancée en tant que Phoenix Satellite TV avec pour ambition de fournir un flot continu et libre d’information et de divertissement aux Chinois du monde entier.
 
En un peu moins de quinze ans, le groupe Phoenix Satellite TV a développé cinq chaînes et est devenu incontournable dans le paysage médiatique chinois. Fer de lance de la société, Phoenix Chinese Channel a été lancée en mars 1996 suivi deux ans après par Phoenix Movie Channel (août 1998), une chaîne cryptée à péage dédiée aux films. Un an après, en août 1999, a été lancée Phoenix Chinese News and Entertainment Channel – branche européenne de la chaîne basée à Londres et diffusant en continu. Phoenix InfoNews Channel – première chaîne d’information en continu dans la « grande région chinoise » (République populaire de Chine, Hong Kong, Macao et Taiwan) – et Phoenix North American Chinese Channel – première chaîne en chinois disponible sur tout le continent nord américain – ont toutes les deux été lancées le 1er janvier 2001. Ces chaînes sont câblées à Hong Kong et diffusées par satellite dans le reste de la région. Elles diffusent une grande variété de programmes allant des informations politiques, économiques, financières à la diffusion de films chinois ou de blockbusters hollywoodiens ainsi que des talk-shows à l’américaine…
 
En 1997, Phoenix Chinese Channel a retransmis pendant une soixantaine d’heures en continu la cérémonie de retour de Hong Kong à la Chine. En 2001, Phoenix TV a couvert les évènements du 11 septembre, en direct et en mandarin ; pendant 36 heures, Phoenix TV a exclusivement dévoué son antenne à la couverture de l’attaque des tours jumelles. Les programmes de Phoenix Chinese Channel étaient alors diffusés, cryptés, en Chine continentale, par l’intermédiaire du satellite chinois(1). CCTV – la principale télévision publique chinoise n’ayant pas couvert les évènements (ne les ayant mêmes pas mentionnés dans son journal d’information), nombreux sont les businessmen chinois ayant loué des chambres d’hôtel afin de suivre les évènements. Cette retransmission a joué un rôle majeur dans l’histoire de la jeune station satellite. En effet, pour la première fois, un évènement international a été couvert en direct et en mandarin et a offert ainsi au public chinois une alternative à la couverture européenne (BBC) ou américaine (CNN) d’évènements internationaux. Depuis, Phoenix TV n’a eu de cesse d’accroitre sa réputation de média fiable analysant les problématiques géopolitiques et diplomatiques, selon une grille de lecture chinoise. Les correspondants et journalistes de Phoenix TV ont couvert, en direct, les conflits en Afghanistan en 2001, en Irak en 2005, divers sujets concernant l’actualité politique à Taiwan (ce que les médias de Chine continentale n’ont pas l’autorisation de faire), mais aussi d’autres sujets sensibles en République populaire de Chine comme la mort de 166 mineurs de charbon suite à une explosion, les violences en Thaïlande, en Birmanie et au Xinjiang en 2009(2).
 
La station a réussi le double pari d’amadouer et obtenir l’aval des autorités chinoises et de garder sa fiabilité sur la scène internationale. En 2003, l’Administration d’État de la radio, des films et de la télévision (SARFT)(3) a autorisé la réception des trois chaînes de Phoenix TV (Phoenix InfoNews Channel, Phoenix Movies Channel, Phoenix Chinese Channel) dans toute la Chine – en respectant tout de même quelques limites. C’est la première fois que de telles prérogatives ont été données à un groupe étranger.
 
Depuis leur création en 1996, les différentes chaînes de Phoenix TV ont travaillé de concert afin d’offrir à leur audience une perspective chinoise des évènements mondiaux et a ainsi honoré son slogan « Diffusons la voix des Chinois ». Grâce à son équipe « multiculturelle » de 1500 employés chinois, hongkongais, macanais, taïwanais et chinois d’outre-mer, Phoenix Satellite a réussi, en moins d’une quinzaine d’années, à s’imposer en tant que média fiable et respecté, offrant une nouvelle perspective au public chinois.

Des programmes diversifiés aux audiences croissantes

Dès 1996, et ce grâce à la diffusion de ses programmes par le biais de satellites locaux (Eurobird en Europe, DirectTV et Echostar en Amérique du Nord), les chaînes de Phoenix TV étaient présentes dans une cinquantaine de pays et comptaient environ 200 millions de téléspectateurs, dont 62 % parlant chinois(4). En 2010, les programmes du groupe sont diffusés dans 150 pays et touchent 300 millions de téléspectateurs, dont 150 millions en Chine. À elle seule, Phoenix North America Chinese Channel couvre 90 pays et 17 millions de téléspectateurs ont souscrit à la chaîne aux États-Unis.
En 1999, le Bureau national des statistiques de Chine a publié les chiffres de l’audimat de la chaîne chinoise de Phoenix qui touchait alors 42 millions de foyers, soit 13 % de la population chinoise. Il n’existe pas de statistiques plus récentes car la popularité des programmes proposés par les chaînes de Phoenix dépasseraient largement les records d’audience des chaînes nationales (hormis CCTV). Au départ, seule une poignée de personnes avait accès aux chaînes de Phoenix TV : hôtels cinq étoiles, universités, certains fonctionnaires… Peu à peu, les récepteurs satellites illégaux se sont développés et les téléspectateurs chinois ont pu capter les programmes du diffuseur hongkongais, puis les opérateurs de chaînes câblées ont fini par offrir Phoenix TV à leurs clients en interceptant le signal du satellite officiel et en le distribuant en violation des régulations.
 
Les téléspectateurs de Phoenix sont jeunes, éduqués, citadins et col-blancs. Cette tranche de la population désire des programmes liés à leur nouveau mode de vie de cadres dynamiques ayant profité de la croissance économique. Ils recherchent des programmes télévisés de qualité leur offrant une fenêtre sur l’actualité internationale, car cette classe moyenne émergente, lassée des informations politiques diffusées par les chaînes de télévision publiques, est en quête d’émissions sur l’actualité internationale, financière ou politique, de talk-shows et de séries diversifiées. Phoenix est la chaîne de la nouvelle élite chinoise et, selon certains, participe plus à la formation des vues politiques que les organes médiatiques du Parti communiste chinois.
 
En 2009, Phoenix Chinese Channel était la troisième chaîne la plus populaire auprès des « business executives » en Chine continentale et InfoNews la dixième. Par ailleurs, la chaîne chinoise de Phoenix TV était la plus populaire auprès des téléspectateurs chinois (environ 75 % de satisfaction), suivi par CCTV-1 puis par Phoenix Infonews (65 %).
Dès 1996, et ce grâce à la diffusion de ses programmes par le biais de satellites locaux (Eurobird en Europe, DirectTV et Echostar en Amérique du Nord), les chaînes de Phoenix TV étaient présentes dans une cinquantaine de pays et comptaient environ 200 millions de téléspectateurs, dont 62 % parlant chinois(5). En 2010, les programmes du groupe sont diffusés dans 150 pays et touchent 300 millions de téléspectateurs, dont 150 millions en Chine. À elle seule, Phoenix North America Chinese Channel couvre 90 pays et 17 millions de téléspectateurs ont souscrit à la chaîne aux États-Unis.
 
En 1999, le Bureau national des statistiques de Chine a publié les chiffres de l’audimat de la chaîne chinoise de Phoenix qui touchait alors 42 millions de foyers, soit 13 % de la population chinoise. Il n’existe pas de statistiques plus récentes car la popularitédes programmes proposés par les chaînes de Phoenix dépasseraient largement les records d’audience des chaînes nationales (hormis CCTV). Au départ, seule une poignée de personnes avait accès aux chaînes de Phoenix TV : hôtels cinq étoiles, universités, certains fonctionnaires… Peu à peu, les récepteurs satellites illégaux se sont développés et les téléspectateurs chinois ont pu capter les programmes du diffuseur hongkongais, puis les opérateurs de chaînes câblées ont fini par offrir Phoenix TV à leurs clients en interceptant le signal du satellite officiel et en le distribuant en violation des régulations.
 
Les téléspectateurs de Phoenix sont jeunes, éduqués, citadins et col-blancs. Cette tranche de la population désire des programmes liés à leur nouveau mode de vie de cadres dynamiques ayant profité de la croissance économique. Ils recherchent des programmes télévisés de qualité leur offrant une fenêtre sur l’actualité internationale, car cette classe moyenne émergente, lassée des informations politiques diffusées par les chaînes de télévision publiques, est en quête d’émissions sur l’actualité internationale, financière ou politique, de talk-shows et de séries diversifiées. Phoenix est la chaîne de la nouvelle élite chinoise et, selon certains, participe plus à la formation des vues politiques que les organes médiatiques du Parti communiste chinois.
 
En 2009, Phoenix Chinese Channel était la troisième chaîne la plus populaire auprès des « business executives » en Chine continentale et InfoNews la dixième. Par ailleurs, la chaîne chinoise de Phoenix TV était la plus populaire auprès des téléspectateurs chinois (environ 75 % de satisfaction), suivi par CCTV-1 puis par Phoenix Infonews (65 %).
 
 
Les programmes proposés par les différentes chaînes de Phoenix TV sont diversifiés et permettent au groupe de toucher une audience variée. La chaîne cryptée de cinéma offre à ses téléspectateurs la possibilité de voir les productions hollywoodiennes en langue originale sous-titrée (ces productions représentent 20 % des films diffusés sur la chaîne) ainsi qu’une large sélection de films asiatiques (chinois, hongkongais, taïwanais, japonais…. soit 80 % des films diffusés). Environ 300 titres sont diffusés mensuellement. La chaîne nord-américaine de Phoenix rediffuse quant à elle un certain nombre de programmes, émissions et séries diffusés sur ses propres chaînes (InfoNews, Chinese Channel et Movie Channel) ou sur des chaînes de télévision régionales chinoises (Sichuan, Zhejiang TV…). Par ailleurs, un journal quotidien, « Nouvelles nord-américaines » produit localement est diffusé sur les ondes de la Phoenix North America Chinese TV. Ces programmes permettent aux Chinois d’outre-mer de rester en contact avec leur pays. La programmation de la chaîne européenne de Phoenix TV (Phoenix Chinese News and Entertainment Channel – Phoenix CNE) suit la même logique. En plus des rediffusions de programmes de Phoenix, les téléspectateurs chinois d’Europe et les téléspectateurs européens bénéficient de plusieurs programmes produits localement créés pour établir un pont entre l’est et l’ouest et promouvoir la culture chinoise. L’un, « Aujourd’hui l’Europe », est un journal d’information quotidien diffusé depuis les bureaux de Phoenix CNE à Londres. L’autre, « Images d’Europe », d’une durée d’une demi-heure, est diffusé toutes les semaines, aux heures de grande écoute. L’émission, diffusée en mandarin avec des sous-titres anglais, traite de sujets strictement européens (histoire, politique, mode, culture, gastronomie…).
 
L'une des émissions phares de la chaîne chinoise de Phoenix, « Rendez-vous avec Luyu », illustre d’une part l’ouverture de la chaîne et son positionnement en tant que CNN chinois, et d’autre part, les changements qui s’opèrent dans le paysage médiatique chinois. Malgré plusieurs décennies d’ouverture politique, qui se sont accompagnées d’un certain nombre de changements sociaux, la Chine reste une société conservatrice où l’on n’évoque peu en public certains problèmes et faits de société. Chen Luyu, auto-proclamée la Oprah Winfrey chinoise(6), a invité sur son plateau une personne atteinte du virus du sida, un couple de lesbiennes tout comme un certain nombre de personnalités publiques chinoises et étrangères (la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton en mai 2010 par exemple). Chaque semaine, trois cent spectateurs sont présents sur le plateau d’enregistrement, tandis que l’émission est regardée par plusieurs millions de téléspectateurs. Chen Luyu n’a jamais été censurée par la SARFT et elle a reçu le prix de « Most Valuable Presenters in China 2006 » par le World Brand Laboratory.
 

Financements et revenus

Phoenix Satellite TV est une entreprise profitable. La chaîne chinoise de Phoenix a rapporté 10 millions d’euros en revenus publicitaires à la station hongkongaise dès sa première année, et 60 millions cinq ans plus tard. Aujourd’hui, la station perçoit un revenu publicitaire plus ou moins équivalent à 90 millions d’euros par an. La Chine continentale représente la plus grosse part de marché du groupe avec 75 à 80 % des revenus totaux de Phoenix TV en 2004, ce qui place la station satellite hongkongaise en quatrième position en termes de génération de revenus publicitaires derrière CCTV, Beijing TV et Shanghai TV. En 2004, sur les 90 millions d’euros de bénéfices publicitaires réalisés par Phoenix TV, une grande partie de ses revenus provenaient du placement de produit par un petit nombre de publicitaires de Chine continentale proposant leurs produits à l’étranger par le biais de la chaîne chinoise de Phoenix TV. Phoenix TV attire également un grand nombre de publicistes internationaux considérant le réseau Phoenix comme un bon moyen d’appréhender le marché chinois.
 
Phoenix Chinese Channel est le fer de lance du groupe Phoenix. En effet, à elle seule, cette dernière finance InfoNews et la chaîne de cinéma. La majeure partie des profits publicitaires du groupe proviennent des abonnements à ses programmes cryptés (Phoenix Movie Channel) et de la diffusion. Le revenu total du groupe était de 140 millions d’euros en 2009, soit une augmentation d’environ 10 % par rapport à 2008, avec un profit de 30 millions d’euros en augmentation d’environ 15 %.
 
 
 
La concurrence de Phoenix TV est relativement limitée. La station a peu de concurrents à Hong Kong où elle connaît un succès limité en raison de la diffusion de ses programmes par câble et satellite et en mandarin dans une ville où la majorité des habitants parle cantonais et ne souscrit ni au câble ni au satellite car elle dispose d’un très bon réseau de chaînes gratuites. En Chine continentale, peu de chaînes peuvent concurrencer Phoenix TV. En effet, CCTV diffuse toujours plusieurs programmes axés sur la politique intérieure de la Chine. Pour l’instant, Phoenix TV s’adresse à une audience de « niche » : la population éduquée des villes côtières, qui ne va qu’augmenter au cours des prochaines années.

Liu Changle et le lien privilégié de Phoenix TV à la Chine continentale

Comment les autorités chinoises ont-elles pu accepter sur leur territoire la diffusion de programmes filmés en direct par un groupe de télévision satellite privé qui plus est étranger/transnational ? Si la chaîne adopte un ton libre lorsqu’elle couvre des évènements en dehors de la région chinoise (Hong Kong, Taiwan, Macao, RPC), la plupart des journalistes pratique l’autocensure et évite de parler des nombreux sujets qui risqueraient de fâcher le gouvernement, comme l’évocation de l’incident de Tiananmen en 1989, le mouvement Falungong, le Dalaï Lama, les droits de l’homme, les déclarations du Parti Démocratique de Hong Kong ou encore Taiwan. Phoenix TV adopte un ton neutre lorsqu’elle couvre des évènements chinois. D’ailleurs, l’une des clés du succès de la chaîne en Chine vient du fait que son président, Liu Changle, ancien colonel de l’Armée populaire de Libération chinoise et ancien correspondant des affaires militaires à la radio nationale de Chine, connaît bien la situation chinoise : les désirs du public, les problèmes liés au marché et l’importance des guanxi ("relations", "connections").
 
Phoenix TV doit donc son positionnement privilégié dans le paysage médiatique chinois à la figure emblématique de Liu Changle. Ce dernier a conservé d’excellents contacts avec un grand nombre de dignitaires du Parti communiste chinois et de membres du gouvernement. Les émissions et journaux télévisés de Phoenix TV sont d’ailleurs suivis par ces dirigeants qui considèrent la chaîne comme une source d’information de première importance. Liu Changle est également entouré de bureaucrates haut-placés qui facilitent la tâche de la chaîne hongkongaise. Si Phoenix TV est en principe une chaîne privée étrangère, elle n’en reste pas moins très connectée à l’appareil du Parti, ainsi qu’au gouvernement central de Pékin.
 
Phoenix est donc un media semi-indépendant. Semi car il est dans une position délicate. Il ne peut se plier entièrement aux volontés du gouvernement de Pékin de peur de perdre un public qui apprécie cette indépendance de ton et sa crédibilité sur la scène internationale. Si Phoenix se pliait entièrement aux exigences du gouvernement, le groupe subirait les reproches du public, et s’il se pliait entièrement au public, Phoenix perdrait les bons auspices du gouvernement. C’est donc à un difficile jeu d’équilibriste que la station est obligée de jouer. Mais c’est le prix à payer si Phoenix TV veut diffuser ses programmes en Chine et obtenir une couverture de la vie politique et sociale du pays comme aucun autre média étranger n’a pu en avoir jusqu’à présent. Ce statut quasi équivalent à un média chinois permet à Phoenix TV de couvrir toutes les réunions politiques chinoises.

 

En une quinzaine d’années, Phoenix Satellite TV, réseau de télévision satellite privé et étranger, a réussi le double pari de s’imposer comme un média incontournable dans le paysage médiatique chinois continental ainsi que de se faire respecter dans le monde du journalisme international.
 
Cette double reconnaissance a été rendue possible grâce Liu Changle, président et fondateur du groupe Phoenix. Sa compréhension du marché, de l’audience et de l’importance des connections politiques en Chine a été fondamentale dans le processus d’implantation de la chaîne. Liu Changle a aussi très vite compris qu’il était nécessaire pour Phoenix de s’imposer comme un média transnational de langue chinoise et de produire des programmes de qualité répondant aux normes internationales des journalistes. Phoenix TV, comme Al Jazeera dans le monde arabe, s’est imposé comme un média proposant une alternative aux discours dominants de l’Occident, tout en se positionnant comme un potentiel quatrième pouvoir en Chine. Cette combinaison ainsi que le désir d’une classe moyenne chinoise grandissante d’avoir accès à un journalisme neutre de qualité, en dehors de la propagande d’État, ont permis à Phoenix de s’imposer comme un média de qualité répondant aux attentes de son public. La stratégie de Phoenix de toucher le plus grand nombre de Chinois possible a été couronnée de succès puisque grand nombre de téléspectateurs d’une des cinq chaînes habitent en Europe ou en Amérique du Nord.
 
Cependant, le succès de la chaîne dépend peut-être trop de son PDG Liu Changle, si bien connecté dans les hautes sphères du pouvoir chinois, et assumant la légitimité de la chaîne. Par ailleurs, encore trop peu de personnes ont accès à Phoenix TV en Chine continentale. Le citoyen lambda continue de regarder CCTV et les autres chaînes relayant la propagande du parti. Phoenix TV se présente comme une opportunité extraordinaire pour la Chine en termes de démocratisation progressive des médias, dans un premier temps, puis du système dans un second temps, tout ceci de façon contrôlée et graduelle. Le groupe a changé la conception du professionnalisme journalistique en Chine.

Données principales

  • Président : Liu Changle
  • Budget de fonctionnement : € 117 211 518,90 
  • Employés : 2 000
  • Date de création : 1998
  • Nombre de chaînes : 5 (Phoenix Chinese Channel, Phoenix InfoNews Channel, Phoenix Movies Channel, Phoenix North America Chinese Channel, Phoenix Chinese News and Entertainment Channel)

Références

Anthony H. FUNG, Global Capital, Local Culture – Transnational Media Corporations in China, New York, Peter Long, 2008.
 
Ying ZHU et Chris BERRY (dir.), TV China, Indiana University Press, 2009.
 
Philipp PAN, « Making Waves, Carefully, on the Air in China - Head of Private TV Network Curries Party's Favor While Testing Limits », Washington Post, 19 septembre 2005.
 
James BORTON, « Phoenix TV spreads its wings in China », Asia Times Online, 9 décembre 2004.


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Crédit photo : Peiyu Liu / Flickr
(1)

Dans les années 1990, il n’était pas courant de posséder une antenne satellite chez soi en Chine continentale, seuls les hôtels d’un certain standing en possédaient. 

(2)

Province de l’ouest de la Chine où vivent les Ouigours, considérés comme une minorité ethnique chinoise, à majorité musulmane. 

(3)

La SARFT est un département du Conseil d’État qui supervise et censure, entres autres, l’industrie télévisuelle à travers toute la Chine. La SARFT est soumise au Département central de la propagande du CCP et est également chargée des stations provinciales et municipales. 

(4)

Source : Anthony H. Fung, Global Capital, Local Culture – Transnational Media Corporations in China, p.121. 

(5)

Source : Anthony H. Fung, Global Capital, Local Culture – Transnational Media Corporations in China, p.121. 

(6)

Oprah Winfrey est la productrice et présentatrice du talk show américain à succès éponyme, au cours duquel Oprah Winfrey invite sur le plateau aussi bien des personnalités que des personnes inconnues du grand public pour parler de problèmes de société, politique, présenter leur livre, film…. 

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