Médias et réchauffement climatique : histoire d’une prise de conscience

Médias et réchauffement climatique : histoire d’une prise de conscience

Quelle place occupent l'environnement et les experts du climat dans les médias ? Entretien avec le climatologue Jean Jouzel.

Temps de lecture : 14 min

Directeur de Recherches au CEA, Jean Jouzel a fait dans cet organisme l'essentiel de sa carrière scientifique largement consacrée à la reconstitution des climats du passé à partir de l'étude des glaces de l'Antarctique et du Groenland. De 2001 à 2008, il a été directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) qui regroupe six laboratoires de la région parisienne impliqués dans les recherches sur l’environnement global. Il a participé au titre d’auteur principal aux deuxième et troisième rapports du Giec (co-lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2007), dont il a été membre du bureau et vice-président du groupe de travail scientifique de 2002 à 2015.

Il est  membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Conseil stratégique de la recherche (CSR). Il s’est impliqué dans le Grenelle de l’Environnement et plus récemment dans le Comité de Pilotage de la COP21. Il est auteur de plus de plus de 400 publications dont environ 300 dans des revues internationales à comité de lecture. Ses travaux ont été récompensés par des prix et distinctions, dont les médailles Milankovitch et Revelle, décernées respectivement par la Société éuropéenne et américaine de géophysique. Conjointement avec Claude Lorius, il a en 2002, reçu la Médaille d’or du CNRS. En 2012, il a reçu le Prix de la Fondation Albert II de Monaco et le Prix Vetlesen, considéré comme le « Nobel des Sciences de la Terre et de l’Univers ».

 
Quelle place les médias accordent-ils, selon vous, à l'environnement ?
Jean Jouzel : Les sollicitations des médias se multiplient en ce moment ; il existe effectivement un intérêt pour les questions liées au climat. Le fait que se prépare la réunion sur le climat à Paris, la COP 21 qui aura lieu de fin novembre à mi-décembre 2015, n'est pas étranger à cet intérêt croissant de la part des médias. Je viens d’être sollicité par France 2 et France 3 pour intervenir au journal télévisé, j'étais ce matin à BFM, LCI m’a également téléphoné et je suis allé à iTélé hier(1) . Hier, on m’a interrogé sur la fonte des glaciers, et sur l'annonce de Barack Obama qui s'est engagé à ce que les États-Unis réduisent leurs émissions de CO2. C'est quand même une année particulière, on verra bien l'an prochain. On peut d'ailleurs craindre qu'on parle du climat cette année, et lorsque Paris Climat 2015 sera terminé, qu'on n'en parle plus. Alors que Paris Climat 2015 n'est qu'un point de départ...
 
Quand j'interviens dans les médias, je pars de ce qui fait mon expertise. Je travaille depuis quarante ans sur l'évolution du climat, depuis vingt ans je fais partie du Giec (Groupe d'experts inter-gouvernemental sur l'évolution du climat), j'ai dirigé l'Institut Pierre Simon Laplace, j'ai donc une bonne connaissance de l'évolution du climat … Mes propres travaux  ont surtout porté sur la reconstitution des climats passés à partir des glaces polaires, mais je me suis intéressé à l'évolution future du climat, à la fois à travers le Giec et du fait de mon rôle à l'institut Pierre Simon Laplace.
 
Si je ne travaillais pas sur le climat, je ne me rendrais pas compte de l'importance de ce problème. C’est pourquoi je conçois mes interventions pour le grand public comme une communication pédagogique des conclusions de travaux scientifiques.
 Je conçois mes interventions pour le grand public comme une communication pédagogique des conclusions de travaux scientifiques 
 
 
Comment, pour vous les scientifiques, faire passer des messages sur l'ampleur de l'enjeu, à la fois auprès des politiques et du grand public ?
Jean Jouzel : La Glace et le Ciel, le film de Luc Jacquet sur la vie et l'œuvre du glaciologue français, Claude Lorius,a clôturé le festival de Cannes 2015 ; c'est l'histoire du forage sur le site soviétique de Vostok dans l’Antarctique, forage qui a permis une exploration de 150 000 ans d’archives du climat dans les années 1980 ; j'étais impliqué dans cette équipe de glaciologues avec Claude Lorius. Le lien qui a alors été fait entre concentration de gaz à effet de serre et climat, lien que nous avons mis en évidence dans ces glaces de Vostok, a posé d'emblée la question du climat du futur. Et au début des années 1990, l’analyse des glaces du Groenland a soulevé la question des variations climatiques rapides. À partir de cette époque, les médias ont commencé à parler davantage du climat.
 
Mes relations avec les personnalités politiques passent aussi par des rencontres. Il y eut une conférence à La Haye, au début des années 2000 ; Dominique Voynet était négociatrice  pour la France. Elle est venue en parler aux informations télévisées, on m'avait également invité, je l'ai rencontrée à cette occasion pour la première fois et je lui ai parlé de notre communauté scientifique... À partir de 2001, les différents responsables politiques ont compris que c'était quand même bien d'inviter quelques experts scientifiques dans la délégation française, aux Conférences des Parties sur le climat (COP)... Cette prise de conscience date vraiment de cette période.
 
Et depuis, j'ai participé à toutes les Conférences des Parties sur le climat (COP), ça m'a beaucoup intéressé. Nous sommes là pour répondre aux questions des négociateurs. Le rôle des experts c'est d'être là, d'écouter, de répondre aux questions que les négociateurs ou les politiques nous posent.
 Le rôle des experts c'est de répondre aux questions que les négociateurs ou les politiques se posent 

On m’a confié la co-responsabilité du thème énergie - climat pour le Grenelle de l'environnement qui s’est tenu de 2007 à 2010, et proposé de siéger au Conseil économique et social qui s'enrichissait du terme et du domaine environnemental (Cese). Dès 2001, j'ai donc assisté aux COP (Conférence des Parties) et dans la foulée, au Grenelle de l'environnement, puis en 2010 à la mise sur pied du Plan national d’adaptation, initié par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, ce qui montre qu'il existe heureusement en la matière une certaine continuité de l'État. Sous le mandat de François Hollande, j'ai été en 2013 contacté pour être membre du comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique, et depuis l’an dernier, je suis avec Hervé Le Treut(2) membre du Comité de Pilotage de la COP 21.
 
Il y a donc, à partir de ces années, une montée en puissance de la prise en considération des scientifiques ?
Jean Jouzel : Exactement. Mais il y a deux événements majeurs pour moi : l'été 2003, caniculaire, qui a malheureusement concrétisé la perception du changement climatique à travers toutes ces morts(3) . Cet été-là a vraiment marqué les gens et je n'arrêtais pas d'être sollicité par les médias à chaque fois que j'étais à Paris.
 
Dans un autre ordre d’idée, plus confidentiel, le rapport Stern(4) a eu une grande importance. Ce rapport disait clairement que ne rien faire pour le climat coûterait plus cher aux entreprises que d’agir. Alors là, tout d'un coup, les responsables de grandes entreprises ont commencé à se dire « s'il a raison... il faut agir ».  D’autres signaux d’alarme, après, ont fait prendre conscience de la réalité de cette menace ; les pouvoirs publics ont prêté plus d’attention à ce que nous disions. Et l'on a assisté à un changement de position profond dans le monde des entreprises, certaines étaient quand même assez climato-sceptiques auparavant ou écoutaient davantage les climato-sceptiques que ce que disait notre communauté scientifique. Il existe, donc, un tournant, celui des années 2000, et le rapport Stern y est pour quelque chose.
 
À partir de quand les questions sur le réchauffement climatique ont-elles été médiatisées ?
Jean Jouzel : Nous avons commencé à en parler dans les années 1980. L’un des grands reporters du New York Times, Walter Sullivan, est venu nous voir en 1987. Les Américains nous ont donc contactés avant les médias français, ce qui a contribué à la prise de conscience sur les questions climatiques. À cette époque, Al Gore a sorti son premier livre — Earth in Balance: Ecology and Human Spirit (Sauver la planète Terre : l'Écologie et l'Esprit humain), publié en 1992— dont les journaux ont beaucoup parlé ; les politiques se sont ensuite emparés de ces questions. Avant, dans les années 1970, les médias nous contactaient peu, alors que les premiers résultats des modélisations sur le climat datent des années 1970. Le premier vrai rapport sur le climat a été fait aux États-Unis en 1979.
 La prise de conscience relative au climat date des années 1980
Après, ça s'est enchaîné : il y a eu le premier rapport de l'Organisation météorologique mondiale, en 1979, puis toute une série de rapports, de conférences qui ont conduit à la fois à la création du Giec en 1988, puis – et le premier rapport du Giec y est  pour quelque chose -à la Convention Climat de 1992... Au sommet de la terre de Rio, trois conventions ont d’ailleurs été mises en place, dont la Convention Climat. Mais, pour moi, la prise de conscience relative au climat, ce sont vraiment les années 1980.
 
 
Le Giec avait-il, à sa création, une stratégie de communication et des moyens dédiés à cette communication ?
Jean Jouzel : Pas vraiment et cela a fait partie des réformes engagées après le quatrième rapport en 2007, qui est l'année de l'attribution du prix Nobel de la Paix(5)
 
En 2009, a eu lieu une attaque en règle contre le Giec, au prétexte, disons, de deux ou trois erreurs vraiment anodines. (6) À partir de là, le Giec s'est posé des questions, un audit externe a eu lieu qui a clairement démontré qu'il n'y avait aucune volonté de déformer la réalité de la part du Giec ; mais qu'il y avait eu des erreurs qu’il a reconnues. Cet audit a, dans ce contexte, fait des recommandations sur la gouvernance.
 
Il faut bien comprendre que, quand le Giec s'est mis en place en 1988, de façon assez souple, on ne savait pas à l'époque combien de temps il allait durer. Au fil des années, le Giec a gagné en visibilité et, dans les années 2000, le besoin de changer de dimension s'est fait sentir.
Nous n'avions pas de vraie cellule de communication, elle a donc été mise en place et confiée à des professionnels. Certains reprochent au Giec de ne pas communiquer assez ou de ne pas prendre position sur ce qu'il faudrait faire mais il a une mission très claire : faire un état des lieux, un diagnostic, surtout pas des recommandations, c'est très clairement en dehors de ses missions, et c'est très bien ainsi… En gros, l'objectif est de fournir aux décideurs politiques, au sens large, aux négociateurs, les éléments pour qu'ils puissent prendre des mesures, conduire des négociations, prendre de décisions : c'est ça le rôle du Giec.
 
Sans revendiquer aucun rôle politique…
Jean Jouzel : Surtout pas. On est très prudents. Mais il suffit de lire les rapports du Giec pour comprendre que ses messages sont clairs. Quand on dit qu'on n'a plus que neuf cent milliards de tonnes de CO2 à émettre si on veut rester en dessous de deux degrés (d'élévation des températures), il n'y a pas de message plus clair que celui-là...
 
Si on ne prend pas les bonnes décisions, on ira au-delà de deux degrés… Après, les mesures à prendre relèvent d’une décision politique, au sens noble. Moi, je reste très attaché à cette mission de diagnostic, d’état des lieux.
 
Certains reprocheront au Giec de ne pas être assez visible, ou de ne pas prendre position sur les grands problèmes de ce monde, mais nous pensons que ce n'est pas notre rôle. 
 
 
Les médias audiovisuels jouent-ils suffisamment leur rôle d'alerte en matière d'écologie ? Percevez-vous une différence entre des types de médias ?
Jean Jouzel : Il  y a des médias qui ont très clairement une approche pédagogique et, dans les différents médias, il existe des journalistes plus sensibles que d’autres à ces questions. En ce qui concerne la presse écrite nationale, au Monde, Stéphane Foucart - journaliste chargé de la couverture des sciences au Monde -  Sylvestre Huet - journaliste chargé des sujets scientifiques, auteur du blog Sciences de Libération, ou Marielle Courtau Figaro -  sont conscients des problèmes depuis très longtemps. Ce fut le cas aussi, il y  bien des années, de Yvonne Rebeyrol, journaliste scientifique au Monde, qui était une figure. Voilà des journalistes qui se sont beaucoup impliqués sur les problèmes de l'environnement.
 
À la radio, on manque d'émissions vraiment scientifiques ; à la télévision, il y a les émissions de débats... J'accepte d’y aller. Certaines sont de bonne tenue mais parfois c’est pénible, c’est vrai… ou même pitoyable.
 
Vous pensez aux émissions spectacles à la télévision... ?
Jean Jouzel : Oui, certaines sont conçues sur ce mode-là. Mes collègues et moi nous sommes posé souvent la question : doit-on aller dans ce type d’émission ? Tout dépend alors de l'émission et des animateurs : moi j'ai pensé que, sauf émission caricaturale, c'était mieux d'y aller, d'autres collègues ont refusé. En 2015, année de la COP 21, je constate que notre message est de plus en plus écouté. Les animateurs ne vont plus chercher une contre-écoute systématique en invitant des climato-sceptiques, alors que c’était le cas avant. Mais je dis souvent que le scepticisme est quelque chose de tout à fait noble et légitime. Ceci posé, une fois que les gens  ont accepté que le réchauffement climatique existe, ils acceptent presque automatiquement qu'il faut faire quelque chose. Et faire quelque chose signifie changer de mode de développement.
 Si on ne va pas dans les médias, on ne convaincra jamais 
 
 
À partir de là, il est normal qu'on nous dise : « Est-ce que vous êtes bien sûrs de ce que vous dites ? Car vous nous demandez de changer profondément le monde, êtes-vous bien sûrs de cette nécessité ? ». C’est donc aussi à nous de convaincre, et si on ne va pas dans les médias, on ne convaincra jamais.
 
Avez-vous le sentiment que, à la radio, on vous laisse davantage le temps de parler ?
Jean Jouzel : Il existe des émissions formidables où on vous laisse le temps, chez Mathieu Vidard, par exemple(7) . J'aime bien les émissions où l’on dispose d’une heure pour développer ses arguments mais elles sont rares… J’ai participé à des émissions sur France Info, France Inter, France Culture, et même si l’audience est moindre qu’en télévision, s’y exprimer sur les problèmes climatiques est vraiment important.
 
Faire passer en quelques secondes ce que nous avons à dire, c'est la règle du jeu
Sur France 2 ou France 3, c'est souvent une minute mais je trouve ça important aussi car c’est l’occasion pour les gens d’entendre parler des problèmes du climat. Je ne refuse pas forcément une intervention dont je sais qu'on ne prendra que quelques secondes, quelques phrases : pour faire passer ce que nous avons à dire, je me plie à cette  règle du jeu. 
Si plusieurs médias vous sollicitent, est-ce qu'il y a un type de média ou un type d'émission que vous allez privilégier parce que vous vous dites : « c'est là que j'aurai le plus d'impact » ?
 
Jean Jouzel : Oui, mais je tiens mes engagements : hier soir j'avais promis à iTélé de donner une interview et France 3 m’a appelé, après, pour le Soir 3 ; je leur ai dit « Non, j'ai promis à iTélé », mais si j'avais eu le choix, j'aurais choisi France 3, dont les journalistes sont d’ailleurs revenus m’interviewer ce midi. iTélé et BFM TV sont quand-même des chaînes qui ont une audience, qu’il ne faut  pas négliger.
 
 
Et personne au niveau des programmes ne vous a sollicité pour composer ou aider à composer des programmes pédagogiques ou un peu ludiques ?
Jean Jouzel : Celle qui s'implique beaucoup en ce domaine, c'est Valérie Masson-Delmotte (8) , on a beaucoup travaillé ensemble et je pense qu’elle a été sollicitée en ce sens, pour des émissions en direction des jeunes aussi.
 
Mais il n'y a plus de belle émission scientifique grand public, que ce soit à la radio ou sur les télévisions généralistes... C’est ça qui manque. Dans un autre contexte, j'ai été président du Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST), un organisme composé d’une vingtaine de membres : nous avons eu effectivement une réflexion à ce sujet et avions demandé qu'il y ait de nouveau une grande une émission scientifique à la télévision de service public… qui ne s’est pas faite. 
 
Cependant le climat intéresse les gens ; je suis très heureux qu’Étienne Klein, physicien français, philosophe des sciences, ait eu sa photo en Une du Point, il existe donc quelques scientifiques qui, dans d'autres domaines, peut-être plus difficiles, parviennent à intéresser un public vaste. J'admire Etienne Klein d'avoir réussi à faire le pont entre la physique et la philosophie …
 
 
Quels sont les messages qui vous semblent les plus importants à faire passer ?
Jean Jouzel : Le message : il faut faire quelque chose pour lutter contre le réchauffement, même si cela n’est pas simple. J'essaye de mettre en valeur de la manière la plus simple possible cette conclusion du dernier rapport du Giec selon laquelle nous n’avons plus que 20 ou 25 années d'utilisation de combustibles fossiles au rythme actuel : donc le message est très clair, il faut changer de mode de développement, globalement, si on veut réussir à rester en dessous de deux degrés. Et je ne suis pas sûr qu'on y arrive. Ce message, qui découle du dernier rapport du Giec, donc d'un ensemble de simulations, de résultats, est un chiffre vraiment simple, je le redis dans mes livres : il faut laisser 80 % des énergies fossiles que nous avons sous nos pieds, là où elles sont… Il y a eu la campagne du Gardian « Keep it in the ground », Naomie Klein (9) a pris le relais ; tout ça se met en mouvement et ce qui est écrit dans le dernier rapport du Giec ne peut pas être plus simple…
 
Finalement, vous essayez d'extraire de ce rapport un chiffre qui puisse parler à tout le monde…
Jean Jouzel : En effet. En filigrane, cela veut dire que changer notre mode de développement n'est pas si simple. Mais je crois aussi à l'importance des petits gestes, de tout ce qui peut aller dans le sens d’une amélioration, il faut que tout le monde s'y mette. Le rôle des États, c'est de parvenir à des accords ambitieux, les collectivités doivent également se mobiliser. Je dis souvent que le monde agricole doit être concerné. Je vais souvent faire des conférences grand public. Les questions grand public très souvent tournent autour de problèmes locaux ; je vois bien la réaction des gens, maintenant ils demandent « Comment  faire pour changer ? », c'est ce qui  les intéresse ; et c’est positif.
 
Début juillet 2015, une grande conférence a été organisée à l'Unesco,  « Our Common Futur under Climate Change », qui a été un grand succès ; je m’y suis impliqué et la question des solutions a été mise en exergue… Il y a beaucoup à faire, mais ça bouge énormément. Quand on voit Hillary Clinton proposer 500 millions de mètres carrés de solaire pendant son mandat, c’est énorme. Je pense que les modes de développement ont changé, je pense qu'avec la voiture électrique hybride, on aura des villes différentes dans dix ou quinze ans. Et le discours sur le climat au sens large y est pour quelque chose. C'est clair.
 
 
Y a-t-il des pays dans lesquels les médias sont plus en pointe sur ces questions ?
Jean Jouzel : Les pays scandinaves et l'Angleterre sont en pointe. Mais les médias français se comportent de façon très honorable, parfois même, j’en suis plutôt fier… sauf qu'on manque de grandes émissions scientifiques et ça c'est un problème, comme je l’ai dit… 
 On manque de grandes émissions scientifiques ; et ça, c'est un problème
La BBC est probablement plus en pointe dans ce domaine que les chaînes françaises. En Angleterre, le Guardian a pris la tête du mouvement « Keep it in the ground » (10) , ce n'est pas neutre. Certains médias français ont dit que c'était très bien, mais on n’en voit pas un seul qui se soit complétement engouffré dans cette campagne. En tout cas, ce n'est pas un média français qui est devenu le fer de lance de ce combat…
 
À votre connaissance, existe-t-il sur le web une plate-forme dédiée aux questions climatiques ?
Jean Jouzel : J’apprécie particulièrement Real Climate, une plate-forme américaine mise en place par Gavin Schmidt (11) . Elle est très documentée et animée par une communauté scientifique, ce qui représente beaucoup de travail. En France, Valérie Masson a essayé aussi, mais on n'a pas la même audience. Je suis président de Météo et Climat - association informative et fédérative qui contribue à la réflexion sur l’évolution du climat -  on aimerait bien avoir une plate-forme, mais c'est un travail énorme. Gavin Schmidt sait à quel point c’est  difficile, parce qu’il est en même temps directeur du Gisss. Moi, j'ai plutôt choisi d’écrire des livres…
 
Justement, avez-vous l'impression que les livres ont un impact ?
Jean Jouzel : Il vaut mieux être présent sur le web mais les livres ont un certain écho. Je viens d'en terminer un hier. Avec la COP21, j'ai écrit au moins cinq préfaces pour la rentrée donc… il va y avoir quelques parutions !
 Un livre a peu de lecteurs, mais il permet d'avoir accès à d'autres médias
Je préfère écrire des articles scientifiques, mais  j'ai accepté de le faire, tout en sachant qu’en ce domaine, il n’y aura pas de grand succès de librairie. Ceci dit, le livre permet d’avoir accès à d’autres médias. C’est loin d’être inutile, même si le lectorat est assez limité.
 
Quelle efficacité voyez- vous à la COP21 ou à ce genre d'événement ?
Jean Jouzel : Il y a eu des avancées importantes et de vraies décisions comme à Kyoto, en 1997, sur des engagements de réduction des gaz à effet de serre. En France, la loi sur la transition énergétique a été enfin votée. Elle est ambitieuse ; certes je ne sais pas si on arrivera à diviser par quatre nos émissions en 2050 mais c’est une avancée importante. C’est donc pourquoi la COP21 à Paris est importante, car il s’agit d’une date butoir pour prendre des engagements conséquents d’ici 2020… et après 2020 ? Aucun pays, en tout cas pas de façon explicite, ne peut plus se cacher la réalité et faire preuve d'indécision. Les gens  ont compris qu'il faut  agir, et que cette action est à portée de main. En effet, le solaire peut exister, l'éolien peut exister, techniquement c'est possible, c’est prouvé et cela crée également des emplois. Une des conséquences du Grenelle de l’environnement, c’est qu’on ne construit plus aujourd’hui comme il y a quinze ans
 
Les décisions qui sont et seront prises ont des conséquences sur la vie de tous les jours, l’habitat, les transports en commun. J’espère, par exemple, que la voiture électrique va émerger. Il y a quand-même un certain nombre de choses qui se font, même de façon trop lente. Et ces transformations positives, quand elles ont lieu, ont quelque chose à voir avec le discours des climatologues, me semble-t-il...
    (1)

    Cet entretien avec Jean Jouzel a été réalisé le 4 août 2015 par François Quinton et Philippe Raynaud.

    (2)

    Climatologue, membre de l’Académie des sciences, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace des sciences de l’environnement.

    (3)

    La canicule européenne aurait fait, en France environ 15 000 décès durant les deux premières décades d'août 2003.

    (4)

    Le rapport rédigé par l’économiste Nicholas Stern à la demande du gouvernement britannique, The Stern Review on the Economics of Climate Change, qui concerne les l'effet du changement climatique sur la planète et sur l’ économie publié le 30 octobre 2006.

    (5)

    L'ancien vice-président démocrate américain Al Gore et le Giec ont obtenu le prix Nobel de la paix 2007 "pour avoir éveillé les consciences sur les risques que représentent les changements climatiques".

    (6)

    Une violente campagne internationale est déclenchée par des groupes « climato-sceptiques » puissants qui ne lésinent pas sur les moyens : campagne de dénigrements par voie de presse, de livres, piratages de sites et de mails pour tenter de prouver que les scientifiques du Giec trichent et manipulent les données qu’ils présentent. En France, cette offensive anti-Giec est menée par Claude Allègre, en 2009 particulièrement.

    (7)

    Journaliste qui présente l'émission scientifique La Tête au carré sur France inter depuis 2006, ndlr.

    (8)

    Paléoclimatologue française, membre du Giec, prix Irène Joliot-Curie 2013.

    (9)

    Journaliste canadienne, auteure notamment de Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015.

    (10)

    The Guardian s’est engagé, aux côtés d’associations environnementales, dans une campagne baptisée « Keep it in the Ground » / « Laissez-le sous terre », visant à ne plus avoir recours aux énergies fossiles.

    (11)

    Climatologue britannique, directeur du Nasa Goddard Institute for Space Studies (Giss), New York.

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