« Je n'imaginais pas une seule seconde pouvoir devenir correspondant »

« Je n'imaginais pas une seule seconde pouvoir devenir correspondant »

En quoi consiste le travail d’un correspondant aux États-Unis ? Quelle importance a-t-il au sein de la chaîne pour laquelle il travaille ? Entretien avec Jacques Cardoze, qui a occupé le poste pour France 2 à Washington entre 2013 et 2018

Temps de lecture : 15 min

 

Pourriez-vous revenir en quelques mots sur votre carrière ?


Jacques Cardoze : J'ai débuté à Radio France en 1992, où je suis arrivé au service des sports en plein Jeux olympiques de Barcelone. J’y ai passé trois ans. En radio, et particulièrement dans le sport, je trouve que c'est là qu'on s'exerce le mieux à la pratique du direct, à la capacité de savoir tenir l'antenne. C'est une école formidable. Ces moments ont été très importants pour moi, et m'ont donné confiance. Puis en 1994 je suis parti à France 3 où Le Journal des sports, qui est ensuite devenu Tout le sport, venait d’être créé. Il y a eu ensuite un remplacement à faire pour la rubrique sport du JT de France 2. Durant ma première semaine, j'ai eu deux événements très forts à couvrir : la mort de Juan Manuel Fangio et le décès dans un virage du cycliste Fabio Casartelli, dans les Alpes, pendant le Tour de France. Dans la semaine, j'avais dû me faire un peu remarquer et la patronne de l'époque, Arlette Chabot, m'avait demandé de rejoindre le service enquêtes et reportages. J'ai alors intégré la rédaction de France 2 en 1994, et je ne l’ai jamais quittée depuis. J'ai beaucoup suivi la Corse au début. A l'époque, entre 1994 et 1997 il y avait pas mal de déchirements et de guerres nationalistes.

 Le magazine vous permet d'aller plus loin 

Ensuite, j'ai été correspondant à Marseille pendant deux ans, jusqu’en 1999. Puis j'ai intégré l'équipe d'Envoyé spécial, où j’ai passé quatre ans. J'ai couvert la guerre en Irak, le Pakistan, l'Afghanistan. Cela m’a appris beaucoup de choses sur le métier de journaliste, car le magazine vous permet d'aller plus loin en termes de questionnements et d'exigences sur un sujet. Après Envoyé spécial, j'ai intégré le service étranger en 2003, juste après le début de la guerre en Irak. Je suis devenu grand reporter, reporter de guerre. Je me suis rendu au Liban en 2005 pour couvrir la guerre qui s’y déroulait. Après ces années à l'étranger en tant que correspondant de guerre ou juste sur des terrains difficiles, parce qu'il n'y a pas de guerre tous les jours, je suis devenu chef adjoint du service étranger, avant d’être nommé correspondant à Londres où je suis resté quatre ans, puis correspondant à Washington pendant cinq ans.


Devenir correspondant de France Télévisions aux États-Unis constituait donc la suite logique de votre parcours ?

Jacques Cardoze
 : Absolument. Lorsque j'étais reporter, même à Envoyé spécial, je n'imaginais pas une seule seconde que je pouvais devenir correspondant, mais c'était mon but ultime. Je considère que c'est la dernière marche. Londres, en général, prépare très bien à l’exercice parce que c'est un bureau où le correspondant est très sollicité. À Washington, vous prenez forcément une dimension supplémentaire parce qu'il y a une couverture diplomatique, ainsi que celle de la Maison-Blanche. Une carrière se construit pas à pas, surtout dans le journalisme. C’est un marathon, plutôt qu’un 100 mètres. Il y a des gens qui veulent y arriver très vite, tout de suite. C'était un rêve très lointain qui me semblait impossible. Je l'avais dans un coin de ma tête. Quand c'est arrivé, pour moi, tout ça n'était pas une surprise, mais plutôt un aboutissement. Je l'avais construit en me disant qu’il fallait d’abord que je sois bon sur le terrain, que je réussisse à prouver mes qualités, que je passe par la case correspondant de guerre, par la hiérarchie, Londres, etc. C'est comme les pierres d'une maison. Il y a les fondations d'abord, il y a le premier étage et la toiture après.


On entend souvent dire qu’être correspondant à Washington est quelque chose d'assez prestigieux. Avez-vous rencontré beaucoup de concurrence, de personnes qui avaient les mêmes aspirations que vous et qui souhaitaient devenir correspondant aux États-Unis ?

Jacques Cardoze
 : Oui, j'en connais. À chaque fois qu'un poste s'ouvre à Washington, il y a toujours beaucoup de candidats. On voit bien que dans les demandes, ce ne sont pas uniquement des reporters qui sont candidats, il s’agit parfois des gens qui ont fait des carrières dans l'encadrement. Cela montre bien que Washington est le poste le plus prestigieux de tous. Tout le monde aimerait pouvoir y aller un jour.


Pouvez-vous nous expliquer à quoi ressemble votre journée type ? Avec le décalage horaire  et l'actualité qui ne fonctionne pas forcément sur les mêmes rythmes, cela doit impliquer des temporalités assez différentes.

Jacques Cardoze
 : Vous touchez du doigt la principale particularité de ce bureau. Lorsque j'étais à Londres, je n’en bougeais pas 95 % du temps, parce que tout se passe là-bas, que ce soit au niveau diplomatique ou à propos de l'actualité royale, politique et économique. C'est le poumon économique du pays. En termes de reportage, cela induit forcément qu'une bonne partie des reportages soient faits à Londres. On se balade toujours dans un pays, mais en l’occurrence c'est un pays qui est petit, pour tourner un ou deux jours dans le Nord, en Ecosse ou au Pays de Galles, un aller-retour ne prend pas beaucoup de temps. Aux États-Unis, cela n'a rien à voir, vous avez une zone de couverture qui est immense. J'ai fait des reportages aussi bien en Argentine qu'au Canada. Vous imaginez ce que ça représente : Los Angeles se trouve à cinq heures d'avion de Washington, par exemple. Il faut parfois plus de temps pour se rendre dans un endroit reculé des États-Unis, ou en Amérique centrale ou du Sud, que pour aller à Paris. Il y a deux temporalités. C'est pour ça qu'il y a deux correspondants sur place. L’un a un œil sur la Maison-Blanche et doit rester à Washington ou au pire à New York, mais dans tous les cas qui n'est pas très loin de la capitale. L'autre est dans une temporalité « magazine » et va tourner des sujets. Chaque semaine, l’un des deux est, au moins sur une partie de la semaine, en reportage, et l'autre reste pour suivre l’actualité de la Maison-Blanche et de Donald Trump.

 Quand on est à Washington, non seulement on assure l'actualité, mais en plus, il y a toute l'organisation derrière 

Pour l'organisation d'une journée, il s’agit d’horaires de bureau classiques, malgré le décalage horaire. C'est de 9 heures 30 à 18 heures, puisque la journée commence par la couverture du 20 heures avec le décalage horaire. Elle peut aussi commencer par la couverture de la chaîne d'info, puisque franceinfo nous sollicite très souvent, en moyenne tous les deux ou trois jours, parfois plusieurs fois par jour. Il n’y a pas longtemps, j'ai fait quatre directs pour eux. En gros, lorsque l’on n’est pas en reportage, donc à Washington, on commence par franceinfo, ensuite nous avons le 20 heures, éventuellement une nouvelle intervention sur franceinfo et enfin, parfois, il faut préparer un petit papier pour Télématin. Je collabore très régulièrement au Soir 3, journal ouvert sur l’Europe et le monde et j'ai également pu m'investir dans la spéciale de France 3 depuis les USA à l’occasion de l’élection présidentielle. Quand on est à Washington, non seulement on assure l'actualité, mais en plus, il y a toute l'organisation derrière. Il y a deux équipes ici, à peu près 10 personnes, et moi je suis chef du bureau. J'ai des caméramans, des producteurs, une blogueuse, une comptable, une deuxième correspondante (Agnès Vahramian). On organise l’emploi du temps, les reportages, le contact avec Paris à propos des sujets que l'on va faire dans un, deux ou trois mois. Nous sommes en train de préparer des sujets qui vont passer au fil de l'eau durant l'été, consacrés à de grands parcs nationaux, des campagnes, des plages, pour agrémenter les parties magazine de fin des JT de 13 et 20 heures. Le bureau va commencer à préparer des sujets un peu plus tendus sur l’économie et la politique pour la rentrée. Nous sommes tout le temps en train d'imaginer. Il y a le menu du jour, ce que l'on fait dans la semaine et dans les quinze jours, des sujets que nous avons planifié sur notre tableau. Nous avons un carnet de commandes : les éditions du 13 heures, du 20 heures et du week-end nous demandent des sujets. On les note sur une liste et nous essayons de les caler quand c'est opportun de les faire, quand les coûts et le contexte le permettent, car il y a aussi la gestion du budget qui entre en compte. Décider de tout faire au dernier moment coûte de l'argent. Il faut planifier pour faire en sorte que ça rentre dans notre budget.

Il y a une grosse demande de sujets économiques. C'est un pays qui est quasiment en plein-emploi en ce moment, avec moins de 4 % de chômage, il est précurseur en matière de tech ; l’énergie et le climat sont aussi des enjeux. Évidemment, il y a la couverture politique avec tous les quatre ans, l'élection présidentielle.


Tout ce que vous décrivez montre une certaine planification sur le temps long, parfois plusieurs mois à l’avance, voire plus. Est-ce particulier à votre bureau ?

Jacques Cardoze
 : Oui, mais ça ne veut pas dire que c'est le seul qui fonctionne comme ça. Je pense que les bureaux en Afrique et en Chine sont obligés de fonctionner de la même manière. Il y a des sujets qui n’arrivent qu’à des moments donnés. Par exemple pour les chasseurs de tornades, il y a des dates imposées.


Quelles différences voyez-vous entre les manières de travailler en France et aux USA ?

Jacques Cardoze
 : Déjà, il y a une notion dont on ne se rend absolument pas compte en Europe et, par certains côtés, dans le milieu des journalistes, c'est que tant qu'on n'a pas vécu ici, on ne se rend pas compte que c'est un pays épuisant en matière de transports. C'est immense. Un sujet ne se fait pas en un ni en deux jours. Évidemment, on peut toujours faire un saut de puce et aller à New-York, mais avec l'exigence de travail que l'on a aujourd'hui, pour un sujet, il nous faut au moins trois séquences lorsque l’on tourne pour les magazines, mais c’est parfois plus. C'est très difficile de le faire en une journée, une journée et demie, et une fois revenu, il faut encore monter le sujet.

 On peut facilement me demander 20 à 25 sujets différents en un mois 

D’une part, il y a l'épuisement des voyages, et d’autre part, l'addition du nombre de sujets. Notre bureau cumule à peu près 500 « entrées » par an, ce qui englobe le direct et les reportages. Et c’est sans compter la fatigue intellectuelle : Passer de Miss America à Donald Trump, la Corée du Nord, la Syrie… intellectuellement, c'est fatigant, éprouvant parce que c’est autant de sujets sur lesquels il faut se renseigner. On peut facilement me demander 20 à 25 sujets différents en un mois. Je m'agace beaucoup quand j'ai très peu de temps pour préparer quelque chose, parce que je ne veux pas aller à l'antenne si ce n'est pas préparé. C'est épuisant  parce que ça veut dire que même quand vous êtes dans l'avion, il faut que vous lisiez. Sans ces moments de lecture, je trouve qu'un journaliste ne peut pas évoluer.

Washington, c'est le bureau qui doit permettre, à mon avis, de passer un cap journalistique, d’essayer d'avoir un regard un peu diplomatique sur le monde. C'est le seul où, en tant que correspondant, on attend de vous que vous ayez une part diplomatique. On me demande souvent de donner mon avis, parce que ce sont des sujets difficiles à décrypter, ce qui n’arrive pas forcément dans d’autres bureaux. Souvent, c'est la Maison-Blanche qui donne le la au niveau mondial. Si Donald Trump décide de changer son fusil d'épaule concernant la Corée du Nord, ça change la face du monde. S'il décide de transformer sa position sur l'Iran, de se retirer d'Irak ou d'Afghanistan, ce sont des évènements majeurs. Ça n'arrive pas dans d'autres pays parce qu’ils ne sont pas la première puissance mondiale, tout simplement. Même si la Chine est économiquement très puissante, ce n'est pas elle qui décide, c'est encore la Maison Blanche et le président américain, que ce soit pour les décisions qui ont trait à l’énergie, aux banques, au climat. Je pense qu'on ne peut s’en sortir qu'à la condition de lire beaucoup, en particulier la presse américaine, parce que sinon, on n'arrive pas à évoluer et à prendre un peu d'étoffe.


Quels sont les réflexes à avoir, les choses à savoir, les pratiques à adopter, quand on arrive comme correspondant aux États-Unis ?

Jacques Cardoze
 : Je pense qu'il faut avoir toutes les données économiques en tête en permanence, avoir une idée de comment ça fonctionne. Par exemple : si demain on me demande de faire un sujet sur les décisions de Donald Trump portant sur la taxation de l'acier et l'aluminium, il faut avoir des repères. Les États-Unis sont-ils capables d'être autosuffisants en termes d'acier et de fabrication d'acier et d'aluminium ? Non, ça fait longtemps qu'ils sont désindustrialisés et qu'ils sont des producteurs moins importants que la Chine. Il faut avoir les éléments. Lire beaucoup la partie économique, avoir en tête les grandes données. Si on a bien la carte électorale en tête, on comprend beaucoup de choses, à mon avis. C'est une clé importante : quels sont les États-clés dans les élections, lesquels sont démocrates ou républicains. Ce sont des repères qu’il faut avoir.


Les manières des Américains de vous accueillir, de vous parler ou même de vous permettre de travailler ont-elles changées avec les années ?
Jacques Cardoze : D'une façon générale, les Français sont très bien reçus. Je trouve les Américains très gentils pour commencer. Et puis ils ont une immense qualité, c'est qu'ils sont très télévisuels au sens où ils baignent dans la fiction, dans la télé. Vous n'avez pas de problème pour faire parler les Américains. À ces deux éléments s’y ajoute un troisième, c’est que les Américains sont, dans leur immense majorité, accueillants. Après, il y a une question commerciale qu'il faut toujours avoir en tête. Il est évident que lorsque vous demandez à pouvoir tourner dans une société américaine, si pour des raisons commerciales et financières elle n'en voit pas l’intérêt, elle ne le fera pas. Il ne faut pas être naïf. En ce qui concerne les qualités de travail, il est plus simple, à mon avis, de travailler et de tourner aux États-Unis que dans beaucoup d’endroits, que ce soit la Grande-Bretagne, l’Asie ou même l’Afrique. La logistique y est plus simple à mettre en place, il n’y a pas de barrière de la langue et la télé reste extrêmement populaire. Tout cela additionné fait que pour un reporter de télé qui a envie de tourner, qui a envie de montrer les choses, de donner à voir, c'est un paradis de reportage. On s'éclate ici.


En tant que journaliste, depuis l'accession de Donald Trump à la Maison Blanche, avez-vous vu ou perçu de votre côté des difficultés particulières pour travailler ou est-ce «  business as usual », comme avant ?

Jacques Cardoze
 : J'émettais beaucoup de réserves sur les gens qui disaient que l’on assistait à l’émergence d’un pouvoir autoritaire. Tout ça, c'est de la foutaise et je le dis depuis le début pour plusieurs raisons. Il y a dans ce pays ce que l'on appelle le check and balance. C'est un principe américain très fort qui fait que le président est surveillé en permanence par le parlement. Le parlement est démocrate et républicain, à peu près moitié-moitié. Il est absolument impossible que cela tourne mal. Donald Trump a beau s'énerver dans son bureau, il a beau avoir des relents peut-être parfois autoritaires, il peut avoir toutes les sautes d'humeur que vous voulez, le pays fonctionne sans lui. C'est aussi la force de ce pays incroyable. C'est une force économique qui n'a pas besoin du Président pour être le moteur, la machine est lancée, sur pilote automatique. Évidemment, il faut surveiller. Mais ce pays est capable d'évoluer presque tout seul. Les limites d'un Trump autoritaire qui aurait bloqué un certain nombre de choses dans le pays, je n'y crois pas. Et puis il y a la vie quotidienne de la Maison-Blanche, c'est autre chose, le fait qu'il ait une influence sur sa communication. Il y a l'enquête en cours. Ce qui se passe à l'intérieur de la Maison-Blanche, c'est un monde à part.


L'élection de Donald Trump en novembre 2016 a provoqué une certaine stupeur parmi les journalistes. Vous avez reconnu peu après avoir été  « intoxiqué » par les sondages et le discours ambiant qui donnaient Hillary Clinton gagnante . Pourriez-vous revenir là-dessus ? Estimez-vous que votre background, votre point de vue français, vous a permis de prendre plus de recul ?

Jacques Cardoze
 :

 Vous ne pouvez pas, en tant que journaliste, prendre la responsabilité de dire le contraire de ce que tous les sondeurs vous disent 

Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est que j'ai très vite observé qu'il se passait quelque chose de particulier avec Donald Trump, et ça m'a frappé. Je l'ai dit et raconté dans plein de sujets. Le discours ambiant des médias américains qui consistait à dire qu'Hillary Clinton ne pouvait pas perdre, c'était ce qu'il fallait entendre et redire. Mais je voyais la dynamique forte, des salles hystérisées, électriques. Il se passait réellement quelque chose d'incroyable dès que Donald Trump se déplaçait. Les audiences lors des interviews et des débats étaient extrêmement fortes. Il a profondément modifié le paysage politique. J'ai toujours dit à ma rédaction, du début jusqu'à la fin, qu’il fallait faire attention. Mais là où j'ai effectivement dit que je m'étais fait intoxiquer par les sondages, c'est que lorsque vous êtes à 24 ou 48 heures d'une élection et que tout le monde vous dit qu’Hillary Clinton va gagner, malgré le fait qu'il y a une incroyable dynamique du côté de Donald Trump, vous ne pouvez pas, en tant que journaliste, prendre la responsabilité de dire le contraire de ce que tous les sondeurs vous disent. Je n'ai pas la science infuse, je ne peux pas savoir mieux que les sondeurs. Mon travail consiste à rapporter ce qu'on dit. Une grande partie des sondages expliquait que c’était serré mais qu’elle devait l'emporter. D'ailleurs, la preuve, elle a fini avec deux millions de voix d'avance. Sauf qu'on ne le dira jamais assez concernant les élections américaines, la quantité de voix et la photo finish n’ont aucun intérêt puisque ça se fait État par État, grand électeur par grand électeur. Si vous ne gagnez pas les trois ou quatre États-clés, ça ne changera rien. C'est ça qu'il faut regarder et pas le reste.

Mais je ne regrette absolument pas ce que j'ai pu dire à l'antenne parce que j'ai globalement toujours expliqué qu'il y avait une incroyable dynamique pour Donald Trump, que ça allait se jouer à peu de chose. D’ailleurs il faut savoir que le soir de l'élection, c'est la stupeur totale dans le camp Trump. Eux-mêmes n'y croyaient pas et n'étaient pas partis pour gagner. À partir de 18 heures et je crois jusqu'à 20 heures, ils sont persuadés qu'ils vont perdre. Quand commencent à arriver les premiers résultats, le doute s'installe. C'est aussi ça qu'il faut avoir en tête.


Vous avez évoqué le fait que l'on vous demandait de faire de plus en plus de sujets « tech ». Est-ce important, voire vital, d'être aux États-Unis pour traiter ces sujets, notamment lorsque l’on voit l’actualité de sociétés comme Facebook ?

Jacques Cardoze
 : Vital, peut-être pas. France 2 a deux correspondants. Il vaut mieux qu'il y en ait un des deux qui soit intéressé par tout ce qui est nouvelles technologies. Ça me semble plutôt bien parce que c'est le futur du monde, on le sait bien.  Ça m'a toujours intéressé. Ce n'est pas vital, mais c'est important.


Plus globalement, une chaîne gagne-t-elle à avoir un correspondant permanent aux États-Unis ? Cela lui permet-elle d'avoir un avantage dans le traitement de l'info, d’apporter quelque chose de plus ?

Jacques Cardoze
 : Si nous ne sommes pas sur place, on ne peut pas faire de reportages. Si vous partez de Paris, vous avez beaucoup plus de mal à en monter. C’est un élément qui fait la valeur ajoutée de notre chaîne. Nous avons cette formidable force de frappe et on le doit aux téléspectateurs. Ramené au budget de la redevance, c'est très, très peu, ce sont quelques centimes. Faire du reportage toute l'année pour mieux comprendre comment ça se passe aux États-Unis, partout dans le monde, en Asie, en Afrique, c'est essentiel. S’il n’y a pas une petite équipe qui vit sur place, vous n'avez pas ça. Vous n'avez jamais le même regard lorsque vous êtes en France et lorsque vous vivez dans un pays. Tout simplement, parce que vous vous acculturez en y étant. Vous rencontrez des gens qui eux-mêmes ont une expérience dans le pays, que ce soit des Américains, mais aussi des Européens ou des Français qui vivent là depuis longtemps. Cette double culture et cette comparaison, vous l'avez en permanence sur tous les sujets, dans votre vie quotidienne. C'est tout cela qui fait la richesse et qui, finalement, permet d'enrichir les journaux, ce qui est quand même essentiel.


Le poste de correspondant à l’étranger a-t-il un avenir ?

Jacques Cardoze
 : Je pense que si leur existence est remise en question, c'est tout simplement la fin du 20 heures. Je vous le dis comme je le pense. Les politiques et les décideurs doivent savoir que c'est infinitésimal dans le budget total de l'info. Nous connaissons notre coût de reportage et nous essayons de faire en sorte qu'il soit le plus bas possible. Il ne faut pas croire que nous sommes un vieux média de service public qui ne sait pas se moderniser et être performant. Il ne faut pas croire que nous avons un vieux service public qui ne sait pas se moderniser. Nous connaissons notre coût de reportage et nous essayons de faire en sorte qu'il soit le plus bas possible.

 Le journal de 20 heures reste un référent que l’on peut avoir dans l'océan de l'information 

La raison pour laquelle je dis que ce serait tout simplement la fin du 20 heures, c'est parce que je pense que plus il y a d'infos dans le monde, plus il y a de réseaux sociaux, plus il y a de gens qui disent absolument tout et n'importe quoi, donc, par effet inverse, plus il y a d'infos, plus il est important d'avoir des repères. Le journal de 20 heures reste un référent que l’on peut avoir dans l'océan de l'information. Ça fait quinze ans que je tiens ce discours. On me disait il y a dix ans que c’était bientôt la fin du vingt heures. J'ai gagné mon pari parce que non seulement le 20 heures est toujours là, mais aujourd'hui, les scores sont encore très bons. Et je pense que ça continuera à être le cas. S'il y a besoin de repères, vous vous tournez vers les journaux de référence comme Le Monde, Le Figaro et des journaux télévisés comme les 20 heures de France 2 et de TF1. Par effet d'extension, l'existence des bureaux ne peut pas être remise en cause. Après, il est toujours possible de se questionner sur la structure elle-même, sur le regroupement, sur des fusions avec l'AFP, France 24, bien sûr, tout cela est tout à fait possible. On peut aller dans le sens de la volonté politique et de la tutelle qui serait de dire, pourquoi ne pas avoir des convergences à l'étranger ? On peut imaginer des bureaux dans lesquels il y aurait à la fois des gens de l'AFP, de France 24 et de France Télévisions, oui. Mais on ne peut pas remettre en cause le fait qu'il y ait un correspondant de France Télévisions qui ait un regard sur l'actualité, et surtout qui fabrique plus de 200 reportages par an. Ce n'est pas possible autrement.


L’utilisation des réseaux sociaux a explosé parallèlement à votre arrivée aux États-Unis. Ont-ils changé votre manière de traiter l'info, de l'appréhender, de choisir vos sujets et même dans votre façon de penser votre métier ?

Jacques Cardoze
 : Oui, je les utilise beaucoup. Aujourd'hui, Twitter est clairement pour moi un fil AFP. Je suis désolé pour l'AFP ! Mais j'ai aussi besoin des professionnelsde l’AFP parce que je sais qu'ils ont des codes journalistiques très précis et que je peux leur faire confiance. Mais je n'oublie jamais de regarder les réseaux sociaux pour deux raisons. La première, c'est que ça me permet de voir ce qui se dit sur un sujet, d'avoir un peu la vox populi. C'est important. Si je vais dans la rue et que je demande à 50 personnes ce qu'ils pensent, il n'y a pas de raison que je ne retrouve pas ces 50 opinions sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux, pour moi, c'est d'abord cet apport-là. C'est une façon de voir ce que disent les gens. Je les prends comme une source d'infos supplémentaire. Il y a certaines sources d’information que vous ne pouvez voir que sur Twitter, par effet ricochet. Je prends un exemple : quand vous avez une fusillade, tout le monde dit tout et n'importe quoi. Les informations peuvent être parfois très contradictoires. Vous êtes à Washington, il se passe quelque chose au fin fond du Texas et vous tombez sur un fil Twitter d'un journaliste NBC spécialisé police/justice qui donne des infos très solides :vous vous dites « je vais plutôt le suivre qu'un autre ». C'est un maillage tellement important que ce n'est pas à négliger. Donc oui, ça a changé ma façon de voir les choses. C'est un élément supplémentaire.


Pour finir, qu'est-ce qu'implique concrètement, d’un point de vue personnel, de travailler aux États-Unis ?

Jacques Cardoze
 : Ça implique beaucoup de choses. Ma femme a dû s'arrêter de travailler pendant six ans pour me suivre, sur mes neuf années d’expatriation. Elle a repris le travail en 2016. C'est un sacrifice parce que c'est une perte de salaire et une perte de retraite. C'est aussi un sacrifice parce que vous êtes loin de la famille, qu'il y a beaucoup d'événements auxquels vous ne participez pas. Je ne fais un aller-retour qu'une fois par an, l'été. Il y a beaucoup de choses que j'ai ratées. Mais d'un autre côté, j'ai donné, grâce à ça, une éducation pour mes enfants qui est formidable puisqu’ils ont eu la chance d'avoir une éducation à l'étranger dans de très bons établissements. Il y a à la fois des sacrifices et un bénéfice. L'expatriation est une chance, mais ce ne sont pas que des bénéfices évidemment.

 

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Crédit photo : Ftv/Jacques Cardoze

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