Aux États-Unis, la TV câblée voit son leadership menacé

Aux États-Unis, la TV câblée voit son leadership menacé

Internet a transformé notre rapport à la télévision. Face aux stars montantes de la vidéo en ligne, les câblo-opérateurs cherchent à réinventer leur offre pour conserver leur position privilégiée au sein des foyers américains.
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Aereo, l’épine plantée dans le pied de tous les acteurs historiques du paysage audiovisuel américain, vient d’inaugurer ce mardi 22 octobre la version Android de son application. La start-up new-yorkaise continue donc de s’ériger en défenseur du porte-monnaie des téléspectateurs face aux câblo-opérateurs et à leurs coûteux abonnements, en permettant pour quelques dollars par mois d’avoir accès à une vingtaine de chaînes sur son smartphone ou sa tablette.

Un leadership qui s'effrite

Si les câblo-opérateurs ne font plus l’unanimité au pays d’HBO, la reine des chaînes payantes avec ses 114 millions d’abonnés à travers le monde, c’est aussi parce que les modes de consommation de la télévision se transforment depuis une décennie : en offrant l’accès à un stock quasi inépuisable de vidéos à la carte, Internet a modifié les habitudes des téléspectateurs qui ne souhaitent désormais plus être dépendant des programmes et des horaires des chaînes.
 
Les chiffres de cette consommation sont d’ailleurs en constante progression. En août 2013, Ipsos déclarait observer aux États-Unis une augmentation sur un an de 50 % du temps passé à regarder des vidéos en ligne. Une accélération du phénomène que l’Institut attribuait notamment à la croissance du mobile : « Les terminaux mobiles […] facilitent l’accès du consommateur à tout type de média, à tout moment, depuis n’importe où ». Parallèlement, une étude de Comscore révélait qu’en juillet, pas moins de 187 millions d’Américains avaient visionné 48 milliards de vidéos en ligne.
 
Bien sûr, la télévision reste de loin le premier support de la vidéo aux États-Unis. Mais son leadership s’effrite sous les coups de boutoir de nouveaux entrants désireux de se faire une place sur ce juteux marché. Netflix, le trublion de la vidéo à la demande, vient d’annoncer lors de la publication de ses chiffres du 3e trimestre 2013, avoir dépassé HBO en nombre d’abonnés sur le territoire américain. Depuis l’été, il ne se passe pas un mois sans qu’Aereo annonce sur son blog la mise à disposition de son service dans une ou plusieurs nouvelles villes des États-Unis. Ces initiatives parmi d’autres ont poussé 3 millions de foyers à résilier leur abonnement à une offre payante de télévision depuis 2007 : ce sont les cord-cutters, ces Américains qui décident de couper le cordon avec la télévision traditionnelle pour voler de leur propres ailes dans l’univers de la vidéo en ligne.
 
 
Les câblo-opérateurs américains sont donc les premières victimes de cet engouement pour les services de VOD, légaux ou non. En position de leader face à une technologie naissante – la diffusion de la vidéo via IP – ils ont préféré, comme beaucoup avant eux, se reposer sur des modèles économiques déjà existants et éprouvés. Sentant le vent tourner, ils doivent aujourd’hui se réinventer pour offrir à leurs abonnés les services que ceux-ci réclament, sous peine de les voir se tourner vers des offres plus innovantes.

Mesures défensives : ralentir l’adversaire

La bataille des câblo-opérateurs face aux acteurs de la vidéo en ligne est donc lancée. Son volet défensif consiste à empêcher la progression de l’adversaire, en le privant des contenus de qualité qui pourraient rendre son offre encore plus attractive. Ni Apple, ni Google, ni Sony n’ont pour l’instant réussi à convaincre l’ensemble des câblo-opérateurs de leur fournir un accès à leurs contenus pour alimenter leurs boîtiers Apple TV ou Google TV, qui peinent ainsi à convaincre les consommateurs de leur intérêt. Aereo, de son côté, a dû faire face dès son lancement à une attaque en règle des grands networks – dont certains sont des filiales de câblo-opérateurs – avec un procès pour violation de copyright dont la start-up est, pour l’instant, sortie vainqueur. Verizon, 4e câblo-opérateur américain à travers son service Verizon FiOs, est accusé par certains de ses abonnés de ralentir l’accès aux services VOD de Netflix. La société, qui commercialise par ailleurs Redbox Instant, un service concurrent de Netflix, se plaint du volume trop important de données que celui-ci fait transiter sur son réseau.
 
Dans le même temps, les câblo-opérateurs se rapprochent des producteurs de contenus. À l’image de Time Warner Group, 2e opérateur du pays via TW Cable et propriétaire de longue date des chaînes HBO, Comcast s’est emparé en mars 2013 des 49 % des parts du network NBC qui lui manquait. Pour Comcast, cette prise de contrôle vise à la fois à s’assurer de la propriété d’un contenu premium, mais également à pouvoir peser dans les négociations que les acteurs du Web – fournisseurs d’accès, services de vidéo en ligne, e-commerçants – cherchent à mener directement avec les chaînes.

Mesures offensives : de nouveaux services à valeur ajoutée

Heureusement pour les téléspectateurs américains, ces mesures défensives s’accompagnent d’initiatives plus offensives, destinées à augmenter la valeur ajoutée des services fournis par les câblo-opérateurs et à convaincre leurs clients de l’intérêt de leur abonnement.
 
Premier pilier de cette stratégie visant à retenir leurs clients, les offres quadruple play conçues par les câblo-opérateurs se sont multipliées ces dernières années. Il s’agit d’offrir aux consommateurs un service complet et plus économique, regroupant bouquet télévisé, Internet, téléphone fixe et téléphone mobile.
 Il s’agit d’offrir aux consommateurs un service complet et plus économique, regroupant bouquet télévisé, Internet, téléphone fixe et téléphone mobile. 
Dès 2006, une joint venture rassemble d’un côté les trois plus gros acteurs du câble aux États-Unis, Comcast, Time Warner Cable, Cox Communications et de l’autre l’opérateur mobile et fournisseur d’accès Sprint.  L’initiative ne fait pas long feu pour cause d’intérêts divergents mais une nouvelle alliance stratégique lui succède fin 2011 entre les mêmes câblo-opérateurs et Verizon Wireless. Mêmes causes et mêmes effets, cette coentreprise prend fin dès octobre 2013, mais un accord commercial permet tout de même aux anciens alliés de continuer d’afficher aujourd’hui une offre quadruple play à leur catalogue.
 
À défaut de s’imposer comme des acteurs de la téléphonie mobile, les câblo-opérateurs voient leurs efforts couronnés de succès dans la mise en place d’un réseau de WiFi public. Pour répondre à la demande croissante d’Internet en situation de mobilité, 4 d’entre eux ont lancé Cable Wifi, un service qui permet d’accéder au Web grâce à 150 000 hotspots disséminés à travers le pays. Pour se connecter et surfer gratuitement, il suffit de remplir une simple condition : être abonné à une offre de l’un d’entre eux.
 
Mais offrir un accès à Internet en mobilité n’a pas d’intérêt pour le vidéonaute s’il ne peut pas y retrouver son contenu préféré. Aussi, tous les câblo-opérateurs américains s’efforcent aujourd’hui de rendre disponible en ligne les contenus qu’ils diffusent normalement sur les écrans de télévision. Cox-Communications propose par exemple Cox TV Connect, une application qui permet à ses clients de regarder leurs chaînes favorites et déclinée pour les terminaux d’Apple, les terminaux sous Android, les tablettes d’Amazon et pour les ordinateurs.
 
Dans le prolongement de cette logique de diffusion multi-écran, Comcast vient même de signer un partenariat original avec Twitter pour rendre ses contenus accessibles depuis le réseau social. Il suffira d’un clic sur un tweet d’une chaîne partenaire pour visionner le contenu concerné – à condition bien sûr d’être abonné au service de Comcast.

La délinéarisation : la prochaine révolution culturelle pour les câblo-opérateurs

Un contenu accessible de partout et sur tous les écrans : les câblo-opérateurs semblent en passe de réaliser le rêve des téléspectateurs américains. À une exception près, mais de taille : leur offre reste aujourd’hui structurée autour de contenus éditorialisés et pourrait bientôt ne plus correspondre à la consommation délinéarisée de contenus qui devient la norme pour toujours plus d’Américains. Une inquiétude pour les câblo-opérateurs qui pousseraient certains d’entre eux à rechercher la solution … auprès de ceux qui pourtant leur font de l’ombre : Comcast et Suddenlink seraient en discussion avec Netflix pour équiper leurs boîtiers avec le service de vidéo sur demande, et Time Warner Cable et Cox envisageraient d’équiper les leurs avec une application YouTube.

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Crédits photos :
-Illustration principale : l'application iPad de Time Warner (Steve_Rider / Flickr)
-Netflix sur Apple TV (Thomas Hawk / Flickr)

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