Maroc Telecom : une base africaine pour Vivendi

Maroc Telecom : une base africaine pour Vivendi

Avec Maroc Telecom, le groupe Vivendi détient un double atout : le premier opérateur global du marché marocain des télécommunications, et une porte d’entrée royale sur l’Afrique noire et le monde arabe.
Temps de lecture : 7 min

« Allo c’est le Maroc ? – Non c’est Vivendi ! ». Cette boutade qui circule au Maroc illustre la position dominante qu’occupe l’opérateur français de télécoms dans le paysage marocain via sa filiale Maroc Telecom ou IAM (Itissalat AI-Maghrib). Avec une marge bénéficiaire de 46 % en 2009, l’opérateur marocain, acquis par Vivendi lors de sa privatisation début 2001, est deux fois plus rentable que SFR, la principale société du groupe français. Il fournit plus de 20 % de son bénéfice alors qu’il ne représente que 10 % de son chiffre d’affaires global. Traditionnellement, la totalité des bénéfices de Maroc Telecom sont distribués aux actionnaires qui sont, à côté de Vivendi (53 %), l’État marocain (30 %) et le public (17 %). Cette performance hors du commun n’échappe pas à la Bourse de Paris où le cours de l’action de la société marocaine a grimpé de plus de 12 % entre janvier et décembre 2010 alors que le CAC 40 plongeait de 7,6 %.

UN GROUPE EN SITUATION DE QUASI MONOPOLE

Qu’est ce qui fait la prospérité de Maroc Telecom ? Essentiellement sa position dominante sur le marché marocain et la forte rentabilité de ses filiales africaines. Le groupe occupe une position largement dominante sur le marché marocain des télécoms, toujours en forte croissance. Autrefois opérateur unique contrôlé par l’État, Maroc Telecom, ex-Office des postes et télécommunications, a défendu depuis sa privatisation sa position face à une concurrence restée timide jusqu’à récemment. De loin le premier opérateur global des télécommunications dans le Royaume, sa part de marché se situe aujourd’hui à 55 % pour le mobile et à quasiment 100 % pour le fixe et l’ADSL. «Il est assez inédit pour un opérateur historique de conserver une telle part de marché», reconnaît avec satisfaction l’ex-ministre marocain des Télécommunications, Abdeslam Ahizoune, aujourd’hui aux commandes de Maroc Telecom.

 
Longtemps en situation de quasi monopole, la filiale de Vivendi a pu maintenir des tarifs particulièrement élevés. Aujourd’hui encore, le prix moyen de la minute de communication avec des cartes prépayées (96 % des communications mobiles dans le pays) est à peine plus bas qu’en France, alors que les charges salariales sont beaucoup plus basses et le pouvoir d’achat des Marocains quatre fois plus faible que celui des Français. Selon une étude publiée en avril 2010 par l’Arab Advisors Group, une société de consulting basée à Amman, le Maroc est le pays de la zone Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA) où les services de téléphonie mobile sont les plus chers. Cela n’a pourtant pas empêché la téléphonie mobile d’atteindre un taux de pénétration proche de 100 % avec 30,5 millions d’abonnés fin septembre 2010, pour une population de 31,4 millions d’habitants. Pour assurer une bonne couverture géographique du territoire, une loi oblige chaque opérateur à investir, en proportion de son chiffre d’affaires, dans la couverture des zones rurales isolées.

Le parc de la téléphonie mobile au Maroc
Téléphonie mobile (en milliers d'euros) Sept 2009 Juin 2010 Sept 2010 Parc global   25077 27879 30503 Croissance nette trimestrielle 1543 833 2624 Croissance en % 6,46 % 3,08% 9,41% Taux de pénétration 80,44% 88,47% 96,79%

UNE CONCURRENCE CROISSANTE SUR LE MARCHé MAROCAIN DES TéLéCOMS

La conjoncture s’avère moins favorable que par le passé. Dès 2009 en effet, Maroc Telecom affichait un résultat opérationnel en baisse de 3,5 % par rapport à 2008, « une baisse liée notamment aux efforts commerciaux entrepris pour stimuler le marché et maintenir le leadership » commente le groupe. Durant l’année 2010, le paysage marocain des télécommunications a connu d’importants changements, non sans conséquences pour Maroc Télécom. Le nouvel opérateur Inwi, lancé en février 2010 par le groupe Wana Telecom, a réussi une rapide percée en captant 57 % des nouveaux abonnés au téléphone mobile durant les neuf premiers mois de 2010 grâce à une campagne de promotion très agressive, essentiellement tournée vers les jeunes. Sa montée en puissance lui a permis de quasiment doubler sa part de marché (de 5,7 % à 10,1 %) au cours du deuxième trimestre 2010, faisant reculer celle de Maroc Telecom de 2 points (voir tableau ci-dessus). Maroc Telecom n’a pas tardé à réagir en lançant, en décembre 2010, une offre ciblée 100 % jeunesse incluant un accès illimité à des clips d’Universal Music (filiale de Vivendi) et quatre chaînes musicales de télévision MTV, le tout inclus pour 99 DH (8,90 €) par mois avec une heure de communication et 300 SMS.

 
Côté actionnariat, Wana aligne un très solide tour de table en s’appuyant sur l’ONA (Omnium nord africain), la toute puissante holding marocaine. À ses cotés, on trouve le groupe koweitien de télécommunications Zain. En pleine restructuration pour cause de graves difficultés financières, Zain, qui a cédé début 2010 ses filiales dans 15 pays d’Afrique noire à l’Indien Bharti Airtel, devrait prochainement céder sa place à un actionnaire beaucoup plus actif : l’Emirati Etilisat, qui avait déjà tenté, sans succès, de pénétrer le marché marocain par le biais d’une prise de participation dans Meditel. Son arrivée devrait dynamiser encore un peu plus l’activité d’Inwi. La transaction devrait être conclue d’ici la fin du premier trimestre 2011 pour un montant de 12 milliards de dollars.

Dans son édition du 5 novembre 2010, l’hebdomadaire marocain L’Économiste affirme qu’Etilisat voudrait faire du Maroc une plateforme pour son réseau de fibre optique sous-marin pour relier l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient avant de faire remarquer que « lorsque l’opérateur émirati a intégré le marché égyptien en 2007, les prix des appels ont fondu jusqu’à 50 % ». C’est précisément en Égypte, selon l‘Arab Advisors que les tarifs des communications sont les moins chers du monde arabe. Une guerre des prix pourrait faire mal aux profits futurs de Maroc Telecom. Le porte-parole de Maroc Telecom, Najib El Amrani, reste pourtant serein en estimant que « le marché s’est autorégulé entre les trois opérateurs » dans une sorte de paix des braves. En effet, chacun occupe un créneau : Maroc Telecom celui du grand public, Meditel celui des entreprises, et Inwi celui des jeunes. Cela n’a pas empêché des incursions en territoire ennemi comme l’atteste la récente initiative de Maroc Telecom en direction des jeunes pour contrer l’offensive d’Inwi.

Le deuxième changement important apparu dernièrement dans le paysage marocain des télécoms est l’arrivée de France Telecom, rival direct de Vivendi en France, dans le capital du deuxième opérateur marocain, Meditel. En septembre 2010, le groupe français a pris 40 % du capital de Meditel, aux côtés de la Caisse de dépôt et de gestion (État Marocain) et de FinanceCom (groupe Banque marocaine du commerce extérieur – BMCE). Cet investissement de 640 millions d’euros concrétise la nouvelle politique du directeur général de France Telecom, Stéphane Richard, qui souhaite « doubler notre chiffre d’affaires dans la zone Afrique et Moyen-Orient à l’horizon de cinq ans ».

Avec l’arrivée de deux gros actionnaires chez ses principaux concurrents, France Telecom chez Meditel et Etisalat chez Inwi, la donne change donc profondément pour Maroc Telecom. Le marché, bien que proche de la saturation avec 85 % de la population utilisatrice d’une mobile, restera encore en croissance pendant quelques années, mais la concurrence y sera désormais bien réelle. C’est avant tout avec de nouveaux services que Maroc Telecom pourra continuer à se développer, comme par exemple le service international de transfert d’argent par téléphone mobile Mobicash, lancé au premier semestre 2010.

CAP AU SUD


  Image d'une cabine téléphonique de Maroc Telecom : mhobl / Flickr

Maroc Telecom détient un autre atout majeur : ses filiales africaines, qui constituent l’un de ses grands axes stratégiques de développement. Fort de sa tradition d’opérateur historique au Maroc, le groupe a choisi d’en faire de même dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne où les opportunités de croissance de la téléphonie mobile sont encore très importantes.
 
C’est ainsi qu’à l’occasion de la vague de privatisation des Offices publics en charge des  télécommunications africains, Maroc Telecom a acquis majoritairement Mauritel en Mauritanie en 2001, l’Onatel au Burkina Faso en 2006, Gabon Telecom en février 2007 et la Sotelma malienne en juillet 2009, « permettant d’établir une continuité géographique entre le Maroc et le Burkina Faso ». Ces quatre filiales fournissent un apport supplémentaire aux bons résultats de Maroc Telecom en corrélation avec la croissance de leurs activités, qui a de quoi faire pâlir d’envie les opérateurs qui se battent à couteaux tirés sur des marchés occidentaux quasi-saturés.

Ainsi, au Burkina Faso, où le taux de pénétration du mobile n’est que de 26 %, l’Onatel a annoncé, fin septembre 2010, une progression de 51 % de son parc d’abonnés au téléphone mobile. Au Gabon, la progression est de respectivement 9 % et 43 %. Quant au Mali, dernière conquête en date de Maroc Telecom, le marché est jugé « prometteur » avec un taux de pénétration de seulement 32 % à la mi-2010. Fin juin 2010, la clientèle africaine hors Maroc de Maroc Telecom atteignait 5,6 millions de personnes, soit une progression de 76 % en un an.
 
La stratégie de déploiement au sud du Sahara de Maroc Telecom n’est pas pour déplaire à sa maison-mère qui, de son côté, a concentré ces derniers temps son attention sur ses actifs français avec le rachat pour près de 8 milliards d’euros, en avril 2011, des 44 % que le britannique Vodafone détenait dans SFR. Déjà en 2001, le PDG de Vivendi d’alors, Jean-Marie Messier, expliquait qu’il était déterminé à faire de Maroc Telecom « une plate forme de développement sur l’ensemble de la zone Maghreb, des pays arabes et de l’Afrique ».

Depuis, le rapprochement entre Rabat et la plupart des capitales d’Afrique noire a augmenté l’intérêt pour Vivendi de faire de Maroc Telecom sa base de développement en Afrique. Ce rapprochement de type diplomatico-commercial s’est concrétisé ces dernières années par une forte augmentation de la présence de grandes entreprises marocaines sur le continent africain, comme Royal Air Maroc et des banques telles que la BMCE et Attijariwafa. Le Maroc fait partie de ces pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil qui ont compris qu’il y avait une place à prendre sur le continent noir, à l’heure où les pays occidentaux, à commencer par la France, affichent d’autres priorités diplomatiques et commerciales. Et les télécoms sont, avec le pétrole, le secteur le plus dynamique des économies africaines, offrant de nombreuses opportunités d’affaires.

UN CâBLE EUROPE-AFRIQUE

Pour mieux asseoir son développement au sud du Sahara, Maroc Telecom a commencé à installer un câble à fibre optique qui doit relier la Maroc et la Mauritanie, l’objectif étant, selon Maroc Telecom, de « raccorder le Maroc aux pays où l’opérateur est implanté en Afrique de l’Ouest ».


L’acquisition de la Sotelma au Mali semble avoir été décisive pour lancer cet investissement. Dès 2011, le câble devrait atteindre le Burkina Faso et le Mali ainsi que le Gabon. Un tel investissement a trois finalités essentielles : permettre aux filiales de Maroc Telecom d’offrir des offres comparables à celles existantes au Maroc, développer le roaming entre les pays où est implanté Maroc Telecom, et louer le câble à d’autres opérateurs, dans la mesure où celui-ci créera une nouvelle liaison Europe- Afrique, actuellement très demandée. « L’opération devrait s’avérer rapidement très rentable », affirme Najib El Amrani.
 
Maroc Telecom n’entend pas en rester là dans son développement international vers les pays africains et arabes. « Toute nouvelle opportunité de prendre une participation majoritaire dans un opérateur historique d’un pays, proche culturellement et géographiquement du Maroc, stable économiquement et disposant d’un bon potentiel de croissance, sera étudiée de très près », résume Najib El Amrani.

Dans ce contexte, Vivendi a tout intérêt à continuer à utiliser sa filiale marocaine comme relais vers le continent africain, puisque celle-ci lui fait remonter les dividendes de ses activités. « Maroc Telecom nous sert de tête de pont vers l’Afrique noire », confirme-t-on aujourd’hui chez Vivendi. Si Maroc Telecom verse chaque année 30 % de ses dividendes à l’État marocain au prorata de sa participation au capital, Vivendi bénéficie, avec cette alliance, d’une précieuse porte d’entrée sur les marchés africains et arabes.

Données clés

Président de Maroc Telecom : Abdeslam Ahizoune.

Actionnaires : Vivendi 53 %, État marocain 30 %, Public 17 %.
Chiffre d’affaires : 30,34 milliards DH (2,69 milliards d’euros) en 2009, dont Maroc : 25,76 milliards DH.
Résultat net : 9,42 milliards DH.
Clients fixe  : 1,528 million dont Maroc 1,23 million.
Clients mobile : 19,6 millions dont Maroc 15,27 millions.
Clients Internet : 0,7 million.
Effectifs : 14 142 en 2009.

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Crédits photos :
  • Illustration de l'article : ollografik / Flickr.
  • Image d'une cabine téléphonique de Maroc Telecom : mhobl / Flickr.

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