Les aides publiques au cinéma français : indispensables mais complexes

Les aides publiques au cinéma français : indispensables mais complexes

Sur la scène européenne, la France occupe une place centrale en matière de production cinématographique. Une position qui doit beaucoup aux aides attribuées par la puissance publique et qui permettent de soutenir les créations originales.

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Avec Valérian, Luc Besson s’apprête à battre le record du long-métrage le plus cher du septième art européen. Toutefois, même après le succès de Lucy, réunir les 160 millions d’euros nécessaires au tournage relève d’une gageure. Ne pouvant se contenter des investissements privés, le réalisateur a souhaité bénéficier du fameux crédit d’impôt octroyé par l’État à certains films remplissant des critères précis. Problème : le film en question ne remplit pas les conditions nécessaires à l’attribution de cette aide au financement. Face aux enjeux, tant économiques que culturels, représentés par le tournage d’un tel film dans l’Hexagone, la ministre de la Culture s’est engagée à « régler » elle-même cette situation. Désormais, la balle semble être dans le camp du gouvernement(1). À travers cette polémique, c’est tout le modèle du financement cinématographique qui est interrogé. Plus précisément, ce sont les aides apportées par la puissance publique qui sont remises en question.
 Ce sont les aides apportées par la puissance publique qui sont remises en question 

S’il est indéniable que beaucoup de pays aident leur cinéma, les mesures mises en place varient très sensiblement d’un pays à l’autre, ce qui en fait une question d’une particulièrement complexité. Cette complexité tient au caractère politique de l’attribution de ces aides dans la plupart des pays – les critères sont souvent fixés par le législateur – mais également à leur technicité. En effet, une compréhension globale de ces mécanismes requiert une profonde connaissance en matière de financement du cinéma ainsi que des structures qui interviennent dans ce financement. Le rôle de la puissance publique est parfois insaisissable tant il est le fruit de controverses et de revirements de la part du législateur. Ces disparités se constatent également d’un point de vue géographique où il existe autant de modèles de financement que de pays. Dans un rapport d’information très complet, le Sénat indique que « la principale originalité du système français est que les interventions directes sur le budget de l'État sont pratiquement inexistantes(2) et les interventions des régions, marginales ». Le rapport évoque, entre autres, les « aides directes financées sur le budget de l’État » au Danemark ou encore les différentes « aides à l’exportation » des États-Unis. Ces mesures peuvent aussi prendre la forme d’avantages fiscaux comme en Allemagne ou en Irlande. Enfin, cela peut se traduire par des facilités de crédit bancaire adossées à un fonds de garantie, ce qui est le cas en Espagne.
 
Que ce soit en France ou à plus large échelle, dans le monde, les aides publiques au financement du cinéma s’avèrent complètes, nombreuses et variées donnant autant de possibilités pour les réalisateurs de tourner des films dans le pays le plus offrant, à condition de respecter des conditions préalablement définies. Ce modèle, qui consiste à établir des critères permettant de déterminer si un film peut bénéficier d’une aide, se trouve illustré à de nombreuses reprises dans le système français.

Le crédit d’impôt cinéma

 

En matière cinématographique, le crédit d’impôt permet à une société de production de déduire de son imposition, sous certaines conditions, 20 % de certaines dépenses inhérentes à la production(3) avec un plafond fixé à 4 millions d’euros par film. Au titre de l’article 220 du Code général des impôts, certains types d'œuvres sont automatiquement exclus du bénéfice de ce dispositif, notamment s’il s’agit d’une œuvre à caractère pornographique, publicitaire ou incitant à la violence. Tous les autres types d’œuvres peuvent donc potentiellement bénéficier de cette aide, à condition de respecter un certain nombre de critères.
 
L’enjeu économique est de taille : en 2014, le coût global du crédit d’impôt cinéma (dépense fiscale) était estimé à 59 millions d’euros. Pour cette raison, les œuvres éligibles – au nombre de 128 en 2014 – doivent se soumettre à des conditions particulièrement nombreuses. Les films doivent être produits « par des entreprises de production établies en France, satisfaire à certaines conditions quant à leur contenu, coût et mode de financement et enfin faire l’objet d’un agrément par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) » indique le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts (BOFiP-Impôts). Parmi les conditions liées au contenu, se trouve celui de la langue. A travers ce critère, ressurgit la problématique du dernier film de Luc Besson, Valérian ou encore de celui de Jacques Audiard, Dheepan. Un vide juridique ne permettait pas, jusqu’à présent, de trancher la situation suivante en faveur du réalisateur : si un film était tourné sur le sol français (critère de territorialité) mais en langue étrangère, l’œuvre ne pouvait pas bénéficier du crédit d’impôt. Une situation qui avait été dénoncée par de nombreux réalisateurs, qui plaidaient pour un assouplissement des conditions d’obtention du crédit d’impôt. Cela changera en 2016.

Ainsi, si les conditions prévues par le législateur pour bénéficier du crédit d’impôt apparaissent comme assez strictes, il s’avère que la majorité des films français, tournés en France, sont en mesure de les respecter. En pratique, on constate donc que ces critères ne sont que rarement excluants.
 
Toutefois, depuis sa création en 2004, ce mécanisme n’a cessé d’être réadapté, sans parvenir à un modèle parfaitement opérationnel, en raison de la forte concurrence internationale en matière de crédit d’impôt (notamment avec la Belgique, le Canada ou l’Angleterre) mais également en raison du coût du travail, souvent plus attractif dans les pays d’Europe de l’Est. À terme, le critère économique pourrait rapidement prendre le pas sur la création artistique. La logique voudrait que les conditions soient pensées de manière « alternative » (la présence d’un critère peut compenser l’absence d’un autre), plutôt que « cumulative » (l’absence d’un critère empêche le film de bénéficier du crédit d’impôt). Il appartiendra donc au gouvernement, lors de la loi de finance rectificative présentée en septembre et votée en octobre, de combler ce vide « juridique ».

Le CNC : un rôle majeur

 

Le « soutien à l'économie du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia » est l’une des six missions du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) prévue à l’article L. 111-2 du cinéma et de l'image animée.
 
Les soutiens financiers publics sont centralisés et gérés par le CNC. Ce dernier est un établissement public, qui dispose de recettes affectées pour apporter des soutiens aux arts de l’image animée (à travers un « Compte soutien » qui représentait 575,9 millions d’euros en 2010 ). La part « cinéma » du Compte de soutien est financée par la taxe spéciale additionnelle sur le prix des places de cinéma, ce qui représente 11 % du prix du billet, la taxe sur les diffuseurs télévisuels et la taxe sur l'édition vidéo. Comme précisé dans son bilan 2014, « les actions du CNC en faveur de l’industrie cinématographique s’organisent autour de quatre axes principaux : les aides à la création, les aides à la production, les aides à la diffusion des œuvres destination du public le plus large et les actions en faveur de la conservation et de la restauration du patrimoine cinématographique ». Le CNC va avoir un rôle déterminant en matière d’aide à la création de films destinés aux salles de cinéma, notamment à travers le mécanisme de l’ « avance sur recettes ».
 
Créée en 1959, cette aide est un élément incontournable de la politique culturelle française en matière cinématographique. Véritable symbole de l’exception culturelle française, son rôle est d’encourager la création et de soutenir des projets qui n’auraient pu voir le jour sans aide publique (les financements dits « classiques » étant insuffisants). A titre d’exemple, Huit femmes de François Ozon (2001) ou encore Tous les matins du monde d’Alain Corneau (1991) ont pu bénéficier de cette aide. Cette dernière, d’un montant maximal de 450 000 euros par film, est attribuée sur avis d’une commission composée de professionnels du secteur. Les enjeux sont de taille, étant entendu que l’existence de certains projets de filmsest conditionnée par l’attribution de cette aide. Chaque année, le total des aides accordées par l’avance sur recettes est de 25 millions d’euros, financés en partie grâce à une taxe sur les prix des billets d'entrée en salle et sur les chiffres d'affaires des télévisions. L’attribution de cette aide a pu faire grincer des dents certains producteurs qui dénoncent un excès de subjectivité dans le rôle de la Commission, ce dont s’est défendue la directrice du CNC, Véronique Cayla.
 
Parmi les aides à la création, le CNC propose également d’autres aides, très variées. Il faut ici retenir l’aide à la création de musiques originales, une aide pour les coproductions internationales, une aide pour les tournages dans les départements d’outre-mer et enfin une aide aux cinémas du monde.
Toutefois, parmi les missions de financement du CNC, il faut distinguer la création cinématographique et la production cinématographique.
Trois grands types d’aides coexistent au sein des aides à la diffusion: l’aide aux films inédits, l’aide aux films de répertoire et l’aide aux films « jeune public ».
 
Le Centre national du cinéma et de l'image animée participe également au financement des films de long métrage à travers le mécanisme du « soutien automatique »(4). Il s’agit, cette fois encore, d’une aide à la production. Les films français génèrent un véritable soutien financier du fait de leur exploitation commerciale en salle ou de leur diffusion télévisuelle. En effet, le CNC va récolter une partie de ces sommes, , afin de les réinvestir dans « la préparation de la réalisation des films de long métrage ou la production de films de court métrage ». La condition à ce réinvestissement est le remboursement préalable de tous les créanciers privilégiés des films antérieurs, déterminés par le Code de l’industrie cinématographique. Ce mécanisme de soutien automatique représente 54,1 millions d’euros pour l’année 2014.
 
Enfin, dans son bilan 2014, le CNC rappelle son rôle – quelque peu subtil – de soutient à l’égard des entreprises indépendantes dont l’activité favorise « la diversité de l’offre cinématographique en salles ».

Les SOFICA et l’IFCIC : une puissante logique de financement à l’échelle nationale

 

Les sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA) ont été créées par la loi du 11 juillet 1985. Il s’agit de véritables instruments de financements, dont l’objectif est de collecter des fonds privés consacrés au financement de la production cinématographique et audiovisuelle. L’initiative de création d’une SOFICA peut être prise par un professionnel du cinéma et de l’audiovisuel ou par un opérateur du secteur bancaire et financier. La contrepartie des investissements de ces sociétés est un droit à recettes suite à l’exploitation des œuvres dans lesquelles elles ont investi. Toutefois, elles ne jouent pas un rôle de coproducteur (ne détenant pas l’actif du film) mais plutôt d’investisseur (négociant des droits à recettes).
 
Bien qu’indépendantes, ces sociétés ont donc des liens étroits avec la puissance publique. Le CNC oriente et contrôle les investissements – particulièrement variés – des SOFICA vers la production indépendante. Ces sociétés sont pilotées par une charte et répondent donc à des objectifs de politique publique, ce qui fait leur particularité et leur intérêt. En effet, elles sont agréées chaque année (on parle de « SOFICA » 1, « SOFICA » 2, …) par la puissance publique. Le contrôle s’effectue donc a posteriori, au moment de l’agrégation de la part du législateur, pour l’année suivante, en fonction des objectifs remplis par la société. A titre d’exemple, 14 SOFICA ont été agréées en 2014, suite à une demande formulée auprès de la Direction générale des finances publiques avec information parallèle du CNC. Les montants des investissements – et donc des aides attribuées – ne sont pas négligeables puisqu’ils représentaient 65 millions d’euros en 2014.
 
On pourrait rapprocher ce mécanisme – très encadré par la puissance publique – des avances sur recettes, telles qu’elles sont pratiquées par le CNC dans le cadre de son aide à la création  En effet, grâce à la charte dont elles dépendent, les SOFICA participent au financement du cinéma dit « indépendant » ou de films plus fragiles(5). Toutefois, la particularité serait ici l’origine des financements, qui sont nécessairement privés et qui se matérialisent à travers une incitation fiscale. En effet, les particuliers qui vont investir dans ces sociétés se verront attribuer une réduction sur l’impôt sur le revenu de 36 %. Cela permet donc de lever, pour 1 € de dépense fiscale, 2 € de fonds privés . Il s’agit donc d’un moyen détourné pour l’État de remplir son objectif de financement du cinéma français mais, cette fois, par le biais d’investisseurs privés.
 
Toutefois, face à ce modèle si particulier que représentent les SOFICA, un autre acteur entre régulièrement sur la scène du financement des films français. En effet, c’est la production cinématographique et audiovisuelle qui a été à l’origine de la création de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (l’IFCIC) en 1983. Les mécanismes prévus par cet institut ont su imposer l’IFCIC comme un élément incontournable du financement cinématographique français. Il s’agit ici de permettre aux producteurs indépendants, à travers un établissement de crédit agréé, qui a reçu mission du ministère de la Culture et du ministère de l’Économie et des Finances, d’emprunter(6) pour assurer la trésorerie nécessaire à la production de leurs œuvres. Ce système de crédit et de garanties bancaires est organisé autour de l’IFCIC et permet aux producteurs d’obtenir, dans des conditions favorables, des avances de trésorerie sur des contrats passés ou les aides attendues.
 
L’IFCIC joue alors un profond rôle d’analyse du financement d’un film afin d’apporter des garanties de crédits. L’institut peut garantir, avec l’aide du CNC, du ministre de la Culture et de la Banque de France, un montant total annuel de crédits de l’ordre de 720 millions d’euros.

Adapter les aides aux mutations du secteur

 

Le financement public du cinéma français ne s’arrête pas à l’échelle nationale. Les collectivités territoriales participent, elles aussi, aux aides à la création et à la production cinématographique. La région Île-de-France, à titre d’exemple, dispose d’un « Fonds de soutien cinéma et audiovisuel ». Il s’agit d’une aide à la production « sélective et remboursable visant à soutenir la diversité de la création et à créer un effet structurant sur le secteur cinématographique et audiovisuel en Île-de-France ». Cette aide est, elle aussi, soumise à des conditions préalablement définies par la puissance publique. Le CNC rappelle également, dans son bilan annuel, sa « politique conventionnelle territoriale » visant à favoriser la coopération entre les collectivités territoriales (régions, départements, communes) et l’État. Cette convention couvre les domaines de l’aide à la création, à la production et à l’accueil des tournages. Il s’agit ici, pour les collectivités territoriales, de délivrer des crédits accordés de manière sélective après avis de commissions spécialisés.
 
 Le paysage cinématographique est en pleine mutation 
Face à ce maillage complexe d’aides publiques au financement du cinéma, la première difficulté est donc d’avoir une lecture globale de leur fonctionnement pour le profane. Le chemin à parcourir vers un modèle de financement souple, adapté aux mutations et facilement compréhensible est encore long. La première étape sera probablement de prendre conscience que le paysage cinématographique est en pleine mutation. Dans son rapport, René Bonnell rappelle l’impérieuse nécessité d’adapter et de moderniser le modèle de financement de notre industrie cinématographique. Les questions qui commencent déjà à se poser et qui ne cesseront de prendre de l’ampleur concernent notamment le financement du cinéma à l’ère du numérique, les œuvres à dimension internationales, l’animation et l’exportation de la production. Toutefois, dans sa globalité, le système semble, pour l’heure, fonctionner efficacement. La production de films français est hausse, les créations de plus en plus variées et ne paraissent pas connaître de véritables difficultés d’exportation.

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Crédits photos :
Tournage toujours. Gongashan / Flickr
Making of. Pascal Stinflin / Flickr
Salle de cinéma. Pittou2 / Flickr


 
(1)

La ministre de la Culture Fleur Pellerin a annoncé le 30 septembre 2015 un élargissement du crédit d’impôt cinéma , ce qui permettra à Valérian d’en bénéficier

(2)

Bien que les crédits d’impôts constituent un manque à gagner pour le budget de l’État 

(3)

25 % pour le cinéma d’animation, 30 % pour les films de moins de 4 M€ (et 30 % pour les moins de 7M€ dès 2016. 

(4)

Il s’agit du mécanisme de soutien le plus important, qui relève plus d’une logique industrielle (aider les producteurs pour maintenir un certain niveau de production annuel) alors que l’avance sur recette, qui est une aide sélective, a une ambition artistique (financer les films fragiles et ambitieux) 

(5)

Les films de moins de 8 M€, les 1er ou 2e films etc.

(6)

Auprès de banques grâce aux garanties apportées par l’IFCIC. 

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