7 façons d’intégrer le fact-checking dans un média en ligne

Sept façons d’intégrer le fact-checking dans un média en ligne

Les médias en ligne n'ont pas tous passé le pas du fact-checking de la même façon. Inaglobal.fr a isolé sept façons distinctes d'intégrer du fact-checking dans sa ligne éditoriale (ou non).

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Les élections présidentielles américaines et françaises ont été marquées par une explosion de ce que l’on appelle désormais les « fake news ». Face à ce phénomène, le fact-checking est parfois vu par le journaliste comme la solution. La technique journalistique a été adoptée par plusieurs médias en ligne depuis quelques années, d’autres s’y sont mis sur le tard, certains ont arrêté. Nous offrons ici une tentative de typologie de ce que font les médias en termes de fact-checking et parlons des contenus qui revendiquent le fait de déconstruire des rumeurs, donnent des notes, établissent des baromètres, ou rapportent des discours dans le but de pointer leurs incohérences ou les mécanismes de désinformation qui les sous-tendent.
 

Ne rien faire de spécifique
 

Certains ne produisent pas d’articles de fact-checking.
 

Le Yomiuri Shimbun (Japon) : Au Japon, la pratique du fact-checking, nommée là-bas ????????, (lire « Fakutochekku ») ne semble ne pas avoir réussi à infiltrer le monde médiatique, qui a par ailleurs un fonctionnement sensiblement différent de ce que l’on peut connaître en occident. Le Yomirui Shimbun, quotidien conservateur de centre-droit, n’en fait pas non plus mais a consacré des articles analysant le fact-checking durant la présidentielle américaine.
 

La Repubblica (Italie) : le quotidien de centre-gauche La Repubblica, comme une grande partie de la presse italienne, ne fait pas de fact-checking.

 

Se lancer dans le fact-checking… puis arrêter
 

Il peut arriver que des médias tiennent une rubrique consacrée au fact-checking mais l’abandonnent du jour au lendemain, sans forcément expliquer leur décision.
 

Der Spiegel (Allemagne): le Spiegel a tenu une rubrique, le « Munchhausen Check » (du nom de ce baron qui racontait des histoires toutes plus folles les unes que les autres). Celle-ci était animée par une seule personne, le documentaliste du Spiegel, qui a arrêté, par manque de temps. Dernier article en mai 2015
 

Die Zeit (Allemagne): Quelques articles publiés en 2013, le dernier paru le 19 septembre, pour l’élection fédérale. La rubrique se nommait « Faktomat »
 

Le Nouvel Obs (devenu l’Obs – France): Le Nouvel Obs a tenu entre 2011 et 2012 une rubrique intitulée « Les Pinnochios » et qui s’intéressait principalement aux déclarations des personnalités politiques. C’est un journaliste seul qui s’occupait alors de ces analyses. Une seule personne a priori, mais pas d’infos de la part de la personne qui s’en occupait. Dernier article publié le 26 octobre 2012.
 

The Guardian (Royaume-Uni) : plusieurs journalistes ont alimenté la rubrique « reality check » du Guardian, qui s’intéressait à des thématiques très variées. Le dernier article de la rubrique a paru le 17 novembre 2016.

 

Fact-checker ponctuellement
 

D’autres médias en font de temps à autre, pour des évènements précis.
 

ZDF (Allemagne) : La télévision publique allemande, a alimenté à trois reprises une rubrique s’intitulant  « ZDF Check » : pour l’élection fédérale de 2013, à l’occasion des élections européennes de 2014 et pour les 25 ans de la chute du mur de Berlin. La chaîne publique va lancer une rubrique spécifique d’ici la fin mai dans le cadre des prochaines élections fédérales qui se tiendront en septembre 2017.
 

Le New York Times (États-Unis): Le quotidien américain avait dédié une rubrique spécifique à la vérification des déclarations des candidats durant la présidentielle de 2016. Depuis, quelques articles visant par exemple à vérifier les déclarations de Donald Trump durant son discours de l’union ont été publiés, avec une approche de fact-checking.
 

Le Figaro (France) : le Figaro n’a pas de rubrique dédiée au fact-checking à proprement parler et ne publie pas régulièrement d’article de ce genre. À la suite du débat de l’entre-deux tours de la présidentielle, le quotidien a publié un article intitulé « les quinze intox de Marine Le Pen et Emmanuel Macron durant le débat de l’entre deux-tour » sur son site, s’approchant de ce que l’on peut voir dans d’autres médias.

 

Faire du fact-checking régulièrement, mais sans rubrique dédiée
 

Quelques médias proposent régulièrement des contenus qui se focalisent sur de la vérification de faits sans pour autant avoir rubrique dédiée.
 

France 24 (International): Les Observateurs est une rubrique de France 24 et compte un rédacteur en chef, un chef d’édition, un journaliste francophone, un journaliste anglophone, un journaliste arabophone, un journaliste persanophone et un apprenti. Le décryptage n’est qu’une de leurs activités, à côté entre autre de la récupération et du traitement d’images et de vidéos envoyées par leurs fidèles contributeurs. Aussi ne sont-ils pas mobilisés uniquement pour procéder à du fact-checking. Quand c’est le cas, leur travail porte principalement sur la vérification d’images, de photos ou de vidéos, partagées sur le web.
 

Buzzfeed (États-Unis et France): Lancé aux USA en 2014 et porté par Craig Silverman et Jane Lytvynenko, basés tous les deux au Canada, les articles de Buzzfeed analysent des déclarations d’hommes politiques mais, surtout, décryptent et déconstruisent des rumeurs apparues sur internet et les réseaux sociaux. La version américaine du site propose ainsi depuis 2014 des articles de « debunking » (démystification) sans qu’ils soient rattachés à une partie spéciale du site. Une logique éditoriale reprise sur la version française du site qui produit elle aussi des articles de fact-checking. Buzzfeed News France participe par ailleurs à l’initiative CrossCheck
 

Asahi Shimbun (Japon) : Si la pratique du fact-checking est peu répandue au Japon, le Asahi Shimbun fait exception dans le paysage médiatique nippon. Le quotidien de centre-gauche publie plus ou moins régulièrement, depuis quelques mois, des articles de vérification des faits (????????, « Fakutochekku »), concentrant particulièrement ses efforts sur les déclarations du Premier Ministre en place et des membres de son gouvernement.
 

Il Post (Italie) : Il Post, un pure player lancé en 2010, publie régulièrement des papiers de décryptage et de démystification d'infos approximatives circulantes dans les médias mainstream, mais ne dispose pas d'une rubrique dédiée.

 

Consacrer une rubrique au fact-checking… et parfois plus
 

Des médias mettent parfois en place des rubriques qui ont pour seul but de produire des contenus de fact-checking. 
 

Le Monde (France) : lancée en 2009, la rubrique des « Décodeurs » emploie 3 à 4 personnes, (« c'est en réalité très variable, selon l'actualité et nos travaux » nous a expliqué Samuel Laurent) – présente plusieurs rubriques sur sa page d’accueil, comme « Datavisualisation », «  Vérification », « Nanographix », «  Contexte », « Evasion fiscale », « Le blog du Décodex » et « Vrai/Faux ». Le spectre du fact-checking est ici assez large et on peut aussi bien y lire de la vérification de déclarations de personnalités politiques ainsi que du « debunking » de rumeurs en ligne. Les Décodeurs ont sorti de plus sorti en janvier dernier le Décodex, une extension que l’on peut ajouter à son navigateur web et qui indique le degré de sérieux de la publication que l’on consulte. Deux journalistes des décodeurs participent en plus de cela à l’élaboration de sept vidéos pédagogiques intitulées « tous fact-checkeurs », produites avec la collaboration de Rue 89 et France Télévisions. Le Monde participe à CrossCheck à travers les « Décodeurs » ainsi qu’à l’initiative de Facebook lancée en France en février dernier.
 

Libération (France) : la rubrique « Désintox », lancée en 2008, comprend deux à trois journalistes et s’emploie principalement à vérifier des déclarations de personnalités politiques et démystifie parfois des « hoax » (canulars) lisibles sur le web. La rubrique a lancé checknews.fr, présenté comme un « nouveau type de moteur de recherche géré par les journalistes de « Désintox ». Les internautes posent leur question dans le champ de recherche et ce sont les journalistes du service qui y répondent. Désintox intervient aussi dans une courte séquence animée, présentée chaque jour dans l’émission 28 minutes diffusée sur Arte. Libération participe aussi à l’initiative CrossCheck et collabore avec Facebook.
 

Le Washington Post (États-Unis) : lancée en 2007, juste avant le lancement de l’élection présidentielle de 2008, la rubrique « fact-Checker » s’intéresse principalement aux déclarations des personnalités publiques américaines et leur donne une note, allant de 5 Pinocchio pour les plus grosses intoxs à zéro Pinocchio pour les affirmations qui collent aux faits. Mais le site du quotidien américain abritait auparavant une autre rubrique dédiée au debunking de contenus viraux vu sur le Web, « What was fake this week » . Celle-ci a vu le jour en mai 2014 avant d’être arrêtée en décembre 2015. Le Washington Post a de plus sorti un add-on qui permet de lui de vérifier quasiment en direct les tweets de Donald Trump.

 

Ne faire que du fact-checking
 

De temps à autre, des médias se créent avec pour seul objectif de procéder à du fact-checking.
 

Fullfact (Royaume-Uni) : le site a été lancé  en 2010 et se concentre sur sept thématiques : l’économie, l’Europe, la santé, la criminalité, l’éducation, l’immigration et la justice. Cinq personnes sont employées à temps plein pour produire du contenu sur le site. Fullfact est financé comme une œuvre de charité et fonctionne grâce à des dons.
 

Politifact (États-Unis) : lancé en 2007 et financé par le Tampa Bay Times, Politifact comprend de nombreuses rubriques, sur des sujets très divers, mais tout part de son truth-o-meter, que l’on pourrait traduire par « véritomètre », qui note le degré de véracité de déclaration de personnalités publiques. L’équipe comprend dix journalistes.

 

Collaborer avec d’autres médias… et des sociétés



Les médias procédant à du fact-checking peuvent aussi joindre leurs efforts
 

CrossCheck (International) : Lancé par Google News lab et First Draft pour l’élection présidentielle française en février 2017, CrossCheck est une initiative internationale, à laquelle collaborent notamment en France Buzzfeed News, le Monde et les Observateurs de France 24 mais aussi Facebook. Elle recense les plus gros hoax qui sont lisibles sur le net et met en avant les différents articles de ses partenaires sur le sujet. CrossCheck est au final plutôt orienté vers tout ce qui touche à la politique.
 

Facebook (International) : le 6 février 2017, le réseau social a mis en place un outil, différent de CrossCheck, qui permet aux utilisateurs de faire remonter les publications qui leur paraît fausse ou inexacte. L’information remonte alors au niveau des médias partenaires, au nombre de huit en France (Le Monde, Libération, l’AFP, BFM-TV, France Télévisions, France Médias Monde, L’Express, et 20 Minutes). Si deux de ces médias parviennent à montrer que l’information mise en cause est fausse, un signe apparaîtra sur la publication indiquant son caractère douteux.


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Crédit photo :
Flickr/Esther Vargas, Licence CC BY-SA 2.0

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