Pourquoi la France s’accroche à la bande FM

Pourquoi la France s’accroche à la bande FM

Face à une radio numérique terrestre qui peine à s'imposer et malgré la concurrence des podcasts et des webradios, la FM résiste encore.

Temps de lecture : 11 min

La France est certainement l’un des pays les plus « radiophoniques » dans le monde : on recense plus de 850 stations réparties sur l’ensemble du territoire avec de puissants groupes nationaux, des radios locales fortes, des radios associatives également présentes et un équilibre entre le public et le privé.

Historiquement, la France a permis le développement d’un secteur privé très tôt en mettant fin au monopole de l’ORTF dès 1975, et en ouvrant la bande FM de façon quasi-pionnière en Europe en 1981. Le résultat est sans appel : plus de 85 % de la population française écoute la radio quotidiennement et son chiffre d’affaire dépasse les 700 millions d’euros.
 
La reconnaissance d’un droit voisin au droit d’auteur pour les artistes-interprètes et les producteurs, conjuguée à la mise en place d’un système de licence légale, a également permis une rémunération pour ces acteurs dès 1985. La mise en place d’un régulateur (CSA) et d’une politique volontariste en faveur de la francophonie ont sans conteste participé à l’émergence d’une scène musicale locale riche et diversifiée, grâce à la force prescriptrice de la radio.
Toutefois, cette image d’Épinal ne doit pas masquer une réalité devenue plus complexe.

Un secteur fragilisé par de multiples facteurs

La radio est confrontée à la pénurie des fréquences FM. La diversité de l’expression radiophonique trouve ses limites dans un paysage hertzien saturé dont le spectre est borné entre 87,5 et 108 MHz. Lorsque qu’une fréquence se libère, nous assistons à un véritable pugilat entre préemption du service public, pression des réseaux nationaux et revendications locales.

De plus, le coût de diffusion, la réglementation sur la puissance des émetteurs et la loi sur les seuils anti-concentration sont d’autres limites pour le secteur.
Quant aux ondes moyennes, Radio France a prévu de stopper leur diffusion le 31 décembre 2015, puis pour les grandes ondes, le 31 décembre 2016 : la technologie est obsolète, les audiences marginales et leur arrêt permettra des économies financières.
 
L’implosion de l’industrie musicale accroît les pressions sur le secteur radiophonique.
 L’implosion de l’industrie musicale accroit les pressions sur le secteur radiophonique  
L’incapacité de cette industrie à faire face à la numérisation des contenus, en se perdant dans des stratégies défensives, a fait perdre plus des 2/3 de sa valeur à ce secteur, en seulement dix ans.  Face à ce gâchis, la radio s’avère être une des rares bouées de sauvetage financier, alors que le numérique ne permet pas encore de compenser des pertes continues : cela se traduit par une demande auprès des pouvoirs publics de renforcement des quotas de chanson d’expression francophone et de révision à la hausse du taux de la rémunération équitable, voire la suppression de la licence légale ! Ces revendications sont un facteur important de tension, compte tenu du risque de déstabilisation qu’elles font porter sur la filière, au moment où audiences et chiffres d’affaires sont en recul dans la radio.
 
La triple fragmentation numérique, au niveau de l’offre, des supports et des usages contribue également à cette fragilisation.
 
Au niveau de l’offre, la radio se trouve désormais plongée dans le grand bain de la mondialisation par le numérique. En effet, non seulement le réseau internet permet d’accéder à l’ensemble des stations hertziennes de la planète, mais également à de nouveaux acteurs comme les webradios et les UGR (User Generated Radio) réalisées par le public, soit en tout plus de 50 000 nouveaux flux. À cette diversité radiophonique viennent s’ajouter les services d’écoute à la demande (plateformes de streaming) et les smartradios, des programmes radio personnalisables.
 
En ce qui concerne les supports d’écoute, les postes FM et les tuners radio subissent une rude concurrence. Ces terminaux à usage unique sont désormais supplantés par les couteaux suisses digitaux que sont les mobiles, les ordinateurs, les tablettes et même la télévision connectée.
Le dernier bastion que représente l’autoradio est également menacé, l’automobile connectée devenant un enjeu considérable pour l’économie numérique. Les constructeurs automobiles se retrouvent d’ailleurs confrontés à de vrais défis stratégiques face à des solutions technologiques et des offres de contenus qui sont en train de leur échapper, dans leurs propres véhicules.
 
Les nouvelles possibilités offertes par la technologie ont conquis le public, notamment les plus jeunes, ce qui a modifié les choix et les comportements d’écoute. En moyenne, les radios en ligne et les plateformes de streaming sont écoutées par un français sur trois.
Pour certaines stations musicales, plus de 40 % de leurs audiences sont en ligne !
Le succès des podcasts est également le signe d’une adoption massive par le public de programmes à la demande, à l’instar du replay en télévision.
 
 Les auditeurs semblent désormais prêts à participer en ligne à l’élaboration des programmes 
Les auditeurs, organisés grâce aux réseaux sociaux, semblent désormais prêts à participer en ligne à l’élaboration des programmes et à leur promotion, voire à leur financement. Ces nouveaux usages ouvrent de nombreuses perspectives pour renforcer leur engagement, à condition de rester à leur écoute et de leur proposer des actions collaboratives, dans une relation plus complice. Le rôle des animateurs radio est crucial sur ce point.
 
La concurrence publicitaire d’internet constitue un autre obstacle. La pression la plus forte vient surtout du choix des annonceurs dans leurs investissements publicitaires, ce qui fragilise aujourd’hui la presse et les médias traditionnels. Internet devrait devenir le 1er support publicitaire dans le monde d’ici fin 2017, détrônant la toute puissante TV, avec des revenus supérieurs à 200 milliards de dollars ! Des audiences en ligne fortes et un ciblage optimisé des internautes, sont autant d’atouts que le numérique offre à des annonceurs soucieux de leur retour sur investissement.
L’achat automatisé par le programmatique va également redéfinir le contour de l’économie des médias, y compris offline.
 
Malgré ces changements profonds, certains responsables du secteur de la radio s’accrochent à la bande FM : les audiences y sont encore largement majoritaires, l’impact du numérique reste relatif en régions, là où la radio demeure le média de proximité, et il n’y a pas d’alerte majeure au niveau du chiffre d’affaire global. Conscients toutefois de l’intérêt du digital, certains acteurs défendent l’idée d’une diffusion en numérique terrestre, la RNT.

Le modèle de la TNT

La TNT a indubitablement constitué une avancée dans la démocratisation du média TV, en offrant une plus grande richesse de programmes, de façon gratuite. La technologie de numérisation du signal a permis d’optimiser les réseaux de fréquences hertziennes, dégageant de la place pour permettre à de nouveaux acteurs ou à de nouvelles chaînes d’exister. Malgré tout, le principal écueil de cette technologie de diffusion est son absence de voie de retour, ce qui interdit toute interactivité.

À l’heure d’Internet, cette technologie est condamnée, à moins d’être hybridée avec un système de communication bidirectionnelle offrant une voie de retour pour permettre une interactivité, comme l’IP. C’est ce que proposent aujourd’hui les offres de TV des opérateurs en couplant le satellite à l’IP, pour des zones géographiques à faible débit.
 
Toutefois, le second écueil réside dans la saturation prochaine du spectre de ces nouvelles fréquences, dont l’offre proposée n’est plus à même de répondre à la demande des utilisateurs, lesquels désormais se tournent vers de nouveaux canaux sur Internet. De plus, la réattribution des fréquences aux opérateurs mobiles (« dividende numérique »), initialement réservées à la TNT, confirme les choix stratégiques des pouvoirs publics envers le numérique.
Par ailleurs, le téléviseur du salon est devenu un enjeu majeur pour les acteurs du net, qui déploient de multiples stratégies pour amener leurs programmes en ligne sur l’écran « roi » : clés USB connectées (Chromecast), terminaux connectés, set top box connectées… Toutes ces propositions en OTT (over-the-top) reçoivent l’adhésion d’un public friand pour ces nouveaux programmes à la demande ou linéaire, à des coûts souvent très inférieurs aux abonnements TV des opérateurs télécoms, câbles et satellites.
Pour l’ensemble des médias aujourd’hui, une offre riche et originale, avec des fonctionnalités avancées, est devenue la clé du succès.
 
Ces mêmes recettes s’appliquent-elles à la radio ?

La RNT : un projet « rétro-futuriste » ?

Le lancement en 2005 de la TNT avait apporté plus de 20 canaux gratuits, face aux 7 grandes chaînes existantes d’alors : cette offre couplée à une aide substantielle de l’État avait permis de populariser une nouvelle forme de réception de la TV, par démodulateur, rendant obsolète les râteaux disgracieux perchés sur les toitures. La nouveauté était là, à une époque où le streaming sur Internet était encore balbutiant.

 
À contrario, la radio numérique terrestre (RNT) ne peut surfer sur ce « plus » de contenus accessibles : le net est passé par là depuis, ouvrant en grand l’offre sur des stations du monde entier grâce à l'IP. De plus, cette technologie a permis l’invention du podcast, plébiscité par un large public. Les milliers de webradios aussi bien créées par des groupes médias, des indépendants ou encore des utilisateurs ne seront pas accessibles sur la RNT, tout comme les radios étrangères, ou encore les podcasts. Le gain principal de la radio numérique terrestre serait l’accès aux radios locales sur la même fréquence partout en France.
 Les milliers de webradios ne seront pas accessibles sur la RNT, tout comme les radios étrangères, ou encore les podcasts 
Les défenseurs de la RNT (SIRTI, WorldDMB, SNRL…) mettent en avant 5 arguments principaux en faveur de son développement, qui sont pourtant sujets à controverse :
- la qualité sonore : ce sujet fait débat… Compte tenu des contraintes son / image / data dans les canaux regroupés en multiplex, le débit moyen pour le son est de 128 Kbps, ce qui est loin des débits proposés par les plateformes de streaming, même en gratuit (256 à 320 Kbps). Cela représente peu ou prou les débits utilisés actuellement par les radios en ligne, ce qui est très loin de la HD. De plus, le signal est très sensible à la zone de couverture et aux parasites, ce qui le rend fragile en déplacement.
 
- l’enrichissement du signal sonore : les formats numériques retenus (T-DMB et DAB+) prévoient l’intégration d’images et de métadonnées. Cette radio augmentée est certainement la principale avancée de ce format, sous réserve qu’il soit bien utilisé par les stations. Cela suppose d’enrichir les contenus par des éléments qui ne sont actuellement pas prévus dans les systèmes d’informations et de programmation en production dans les stations de radio. Cette innovation est toutefois déjà existante dans la radio en ligne.
En revanche, l’absence de toute interactivité de la RNT (signal broadcast), contrairement au réseau Internet, la disqualifie aux yeux de beaucoup d’acteurs. Il existerait néanmoins une forme hybride, utilisant le réseau numérique terrestre en émission et l’IP synchronisé en voie de retour.
 
- l’anonymat : s’il est indéniable que le signal broadcast de la RNT ne permet pas d’identifier les récepteurs, cet argument ne semble pas intéresser les 1,35 milliards utilisateurs de Facebook qui offrent leurs données personnelles en toute extimité… De plus, les technologies de cryptage permettent à ceux qui le souhaitent de masquer leur identité, voire leur localisation sur le net. Par ailleurs, les évolutions du marché publicitaire poussent au contraire les stations de radio à avoir une meilleure connaissance de leur public, comme pour l’ensemble des médias en ligne.
 
- le coût : un des principaux arguments pro-RNT tient au coût que l’IP impose aux utilisateurs : si ce coût est neutre par les box, car inclus dans les forfaits illimités des FAI, il peut s’avérer onéreux pour le web mobile en cas de dépassement du forfait 3G. Par contre, le coût d’équipement avec un terminal compatible avec la RNT peut s’avérer un véritable frein, sauf s’il est déjà inclus, comme par exemple dans le prix d’achat d’une voiture équipée d’un autoradio.
 
- la couverture territoriale : même si le niveau de couverture du territoire en 3G reste très insuffisant malgré les obligations légales imposées aux opérateurs, le coût de déploiement des émetteurs numériques terrestres pour la RNT reste à financer. Seuls quelques bassins de populations où des expérimentations ont lieu sont déjà couverts par des émetteurs numériques.
On peut aussi espérer une amélioration du réseau mobile car la pression sur les opérateurs télécoms est très forte, vu l’engouement du public pour les contenus sur le web mobile, notamment vidéo, très consommateurs de bande passante. Cette amélioration rendrait l’argument de la couverture territoriale par la RNT caduc.
 
La RNT doit aussi faire face à d’autres obstacles :
- la maîtrise de la distribution : cette question est centrale pour la radio qui a toujours su maîtriser son réseau de diffusion. Sur le net, elle doit aujourd’hui s’accommoder avec des acteurs comme les opérateurs télécoms, les magasins d’applications, les environnements logiciels, les constructeurs de matériels et les agrégateurs de contenus. À contrario, ces acteurs sont des relais importants dans une stratégie d’hyper distribution, face à la concurrence d’offres de contenus et de services en ligne pléthoriques (vidéo, jeux, musique…).
La RNT impose aussi de s’entendre avec ses concurrents car la diffusion est basée sur des multiplex où doivent cohabiter une vingtaine de radios.
 
- une régulation très administrative : ce mode de diffusion est très encadré : choix de la norme, calendrier de déploiement, appels d’offres, attribution des fréquences etc. Tout cela concourt à une certaine inertie depuis le lancement officiel de la RNT en 2008, freiné par de nombreux rapports remettant en cause sa rentabilité, voire sa pertinence.
 
- un désintérêt du public : malgré des politiques souvent volontaristes dans plusieurs pays, l’intérêt du public rencontre une faible adhésion, dès lors qu’il doit acquérir un récepteur ad-hoc. Seulement 14 % des Anglais sont intéressés par l’achat d’un poste radio en RNT selon une étude de l’OFCOM de novembre 2015, alors que 95 % du territoire est déjà couvert, et qu’une politique volontariste en faveur de la radio numérique terrestre y est menée depuis 20 ans. Il y a deux raisons principales à ce rejet : 63 % des personnes n’en ont pas besoin et 45 % sont satisfaits par les services existants. En France, 75 % des gens ne savent pas ce qu’est la RNT.
 
- un modèle économique très incertain : le déploiement ultraconfidentiel en France (2 % de part d’audience estimée) ne permet aucun espoir de génération de revenus supplémentaires pour les radios, à l’heure où les investissements des annonceurs sont orientés vers le numérique. Désormais, la question pour les stations est plutôt d’accroitre des audiences ultra-qualifiées, ce que ne permet pas cette technologie.
 
Après le tout analogique, le numérique terrestre constitue une étape logique dans l’évolution des réseaux de communication, avant le tout numérique. Il y a fort à parier que l’ensemble de ces modes de diffusion coexistera longtemps, tant que l’extinction du signal analogique ne sera pas décidée, à l’instar de la télévision analogique en 2011, voire de la radio FM dans certains pays (2017 partiellement en Norvège, 2024 en Suisse). Cette décision implique toutefois une certaine prudence, compte tenu de l’importance que revêt la radio, notamment dans l’accès à l’information, en s’assurant de la couverture complète du territoire en diffusion et du taux d’équipement des ménages chez eux, mais également à leur travail, en déplacement, etc.

Le web mobile et la vidéo, de nouvelles perspectives pour la radio

Le CSA a lancé un calendrier de lancement de nouvelles expérimentations, étalé sur 10 ans. À cette vitesse, il n’est pas sûr que les acteurs motivés le restent. Cette diffusion dont les coûts s’ajoutent à leur diffusion analogique et IP, ne trouve pas de modèles économiques : il y a très peu de terminaux disponibles, pas de communication auprès du grand public, pas d’intérêt des auditeurs et encore moins de la part des annonceurs… L’atteinte du seuil des 20 % de couverture nationale obligerait légalement les constructeurs à rendre compatibles l’ensemble des récepteurs radios proposés à la vente avec les normes T-DMB et DAB+, en particulier les autoradios. Cette mesure ne touche cependant pas les appareils numériques qui n’intègrent pas de récepteur radio analogique.

 
Mais l’absence de préemption des fréquences de RNT de la part de Radio France, le désintérêt des groupes médias nationaux et l’hostilité des radios associatives ne permettent pas un déploiement massif de ce mode de diffusion. Jugé obsolète, onéreux et peu attractif vis-à-vis du public, les principaux acteurs ont opté pour une autre voie dans le numérique, en surfant sur deux vagues : le mobile et la vidéo.
Avec plus 40 % d’auditeurs connectés sur mobile, les acteurs de la radio ont développé des applications soignées, aux fonctionnalités toujours plus sophistiquées. Celle des IndésRadios a même reçu une distinction auprès du concours d’applications Apps Awards 2013, notamment pour son « mur du son ».
 
D’autre part, la radio vision est désormais la norme chez les principales stations de talk : France Info, Europe1, RTL, RMC, France Inter et même RFI. Les audiences semblent au rendez-vous, supérieures au streaming audio, avec de beaux scores en replay, notamment chez les jeunes. Il est vrai que cette forme de contenu connaît un succès rapide, avec un modèle économique publicitaire en forte croissance.
 
Le succès de la radio est également conditionné par sa capacité d’engagement de son public, face à une pression accrue sur la part d’attention de chacun, tant des réseaux sociaux, de la vidéo, des jeux en ligne que des autres médias. De cette attractivité dépend sa valorisation, financière ou non. Pour cela, les outils de mesures d’audience et de médiaplanning doivent rapidement se mettre en place pour exploiter ces opportunités de communication pour les marques, en renfort de couverture du marché de la FM. Les perspectives semblent particulièrement intéressantes : aux États-Unis, le marché publicitaire de la radio en ligne dépasse le milliard de dollars…

--
Crédits photos :
Silvertone wire player and am-fm ham radio. Photobyflick / Flickr
Car audio. Freestocks.org / Flickr
DAB. Sue / Flickr
Capture d'écran du Mur du son des Indés Radios. Les Indés Radios.
 

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris

Autres épisodes de la série