Du Minitel à l'internet

Du Minitel à l'Internet

Pendant deux décennies, le Minitel fut un emblème du high-tech français, avant d'être emporté par l'internet.

Temps de lecture : 28 min

Le Minitel est une invention française qui s’est déployée dans les foyers et les entreprises au cours des décennies 1980 à 2000. Composé d’un écran et d’un clavier, ce terminal donnait accès à une multitude de services pratiques et informatifs, par le biais du réseau téléphonique. Après 30 ans d’activité, la mort du Minitel est imminente. Celle-ci été déjà annoncée puis repoussée, mais un sursis lui est accordé jusqu’au 30 juin 2012. Cela nous donne l’occasion de retracer l’histoire de cet objet qui a marqué l’industrie des télécommunications et la société française dans sa sensibilisation au numérique, jusqu’à ce que le Minitel soit supplanté par l’Internet.

Équipement utilisé à l'ouverture de l'expérimentation Annuaire Électronique à Saint Malo en juillet 1980.

Le Minitel, fleuron technologique français

Le Minitel est le terminal né de la mise en œuvre du programme Télétel dès la fin des années 1970, suite au plan de rattrapage dans le domaine des télécommunications. Le Minitel constitue l’archétype de la télématique (néologisme issu de la conjonction des mots télécommunications et informatique) qui se situe dans la lignée des projets ambitieux d’inspiration gaullienne. Elle a donc été choisie comme axe de développement d’une politique industrielle française de grande envergure.

Commandé par Valéry Giscard d’Estaing, le rapport Nora-Minc de 1978 a popularisé la notion de télématique(1) . Ce rapport administratif demeure une référence dans l’informatisation de la société grâce à la couverture médiatique et à l’écho international dont il a fait l’objet, à tel point que l’historienne Andrée Walliser le qualifie de « best seller ». Pour Johanne Bergeron, « l'intérêt majeur du rapport Nora-Minc est d'aborder les aspects techniques et économiques de l'informatisation, en les liant à une interrogation sur le sens de l'évolution sociale ». La télématique était alors appréhendée comme une véritable révolution pour l’économie et la société françaises.
 
Le mot télématique révèle bien le poids et l’emprise de la DGT (Direction générale des télécommunications) de l’époque sur le projet, comme le souligne Andrée Walliser : « pour preuve de la grande habileté de Simon Nora et d’Alain Minc dans le maniement du langage, l’invention et le succès du mot télématique pour traduire le terme américain de compunication, qui met l’accent sur l’aspect computer (ordinateur). Le mot télématique privilégie, au contraire, l’aspect télécommunication, exprimant ainsi la spécificité de la technique française ». De plus, le fait que les grands acteurs de l’informatique étaient alors étrangers (comme l’américain IBM) permet de comprendre les craintes face à ceux-ci.
 
La télématique, joyau de l’industrie française des télécommunications, s’est développée grâce à un fort volontarisme administratif. Le programme Télétel a été soutenu en 1978 par Gérard Théry, alors à la tête de la DGT. Ce choix est allé de pair avec l’abandon du projet Cyclades, équivalent français de l’américain ARPANET dans le domaine informatique (considéré comme l’Internet de l’époque). Plusieurs facteurs ont déterminé ce choix. L’objectif était de concentrer les financements sur un seul projet, afin d’éviter la mise en concurrence de ces deux programmes dont les conceptions du réseau étaient diamétralement opposées (réseau centralisé pour Télétel et décentralisé pour Cyclades). De plus, le faible taux de pénétration des ordinateurs en France (moins de 5 % des foyers équipés au début des années 1980) n’amenait pas à prévoir l’émergence d’une alternative plus proche de l’Internet que du Minitel. Enfin, le développement du réseau téléphonique, afin de combler le retard pris par rapport aux autres pays développés, représente à l’époque un autre grand projet français. Ainsi, au cours des années 1970, le nombre de lignes de téléphone est passé de 4 à 20 millions. L'inconvénient d'une telle croissance a été une très forte réduction du revenu moyen par ligne. Aussi, pour espérer un retour sur investissement, il était nécessaire de trouver des solutions pour accroître le trafic et le revenu résidentiels.
 
 Tout le monde nous l’a envié, personne ne nous l’a acheté .
Le projet Télétel a donc fait l’objet d’investissements publics massifs. Grâce à un tel soutien, les recherches pour concevoir un terminal capable de transmettre le premier annuaire électronique national ont été amorcées selon un modèle descendant (top-down). Confié à Jean-Paul Maury, le projet s’est appuyé sur deux centres de recherches : le CNET (Centre national d’études des télécommunications), qui travaillait déjà à la modernisation du téléphone, et le CCETT (Centre commun d’études de télévision et télécommunications). Fort de cette volonté politique, le projet Télétel amorcé en 1978 a été mis en œuvre en 4 ans seulement. Le décollage aura été rapide, puisqu’il atteindra 10 ans après son apogée. En dépit de la prouesse technologique qu’il constitue pour l’époque, l’histoire du Minitel révèle qu’il demeure une innovation franco-française, en témoigne la formule fréquemment évoquée : « tout le monde nous l’a envié, personne ne nous l’a acheté » .
 
Avant de nous intéresser aux caractéristiques de cette innovation, quelques précisions terminologiques s’imposent. En effet, le Minitel est à la longue devenu un terme ambigu, incluant à la fois le terminal, le réseau et les services. En réalité, le Minitel ne désignait initialement que le terminal mis à disposition des usagers pour accéder à des services télématiques. Son fonctionnement reposait sur le vidéotex, une technique de transmission des informations par un réseau de télécommunications. Le terminal Minitel a donc été développé pour permettre au programme Télétel, « dénomination commerciale du vidéotex français » de devenir une réalité(2) . En résumé, le Minitel était un terminal qui se raccordait à un point d’accès vidéotex par le biais du réseau téléphonique : le réseau Transpac permettait alors de se connecter aux serveurs hébergeant les services télématiques.

Une expérience utilisateur innovante

Les concepteurs du Minitel ont réalisé des prouesses technologiques tant pour la structuration du réseau Transpac que pour la mise en ligne de bases de données volumineuses. Il en a été de même pour les dimensions hardware (terminal Minitel) et software (logiciel, indexation, moteur de recherche phonétique en temps réel). Ils n’ont pas oublié la problématique du design, appréhendée du point de vue de l’ergonomie de l’interface.
 
 Il faut garder à l’esprit que le seul écran qui était alors en phase de diffusion dans les foyers était la télévision. 
L’ergonomie de l’information à la française a été conçue avec le souci de placer l’utilisateur au centre de l’interface. Il faut garder à l’esprit que le seul écran qui était alors en phase de diffusion dans les foyers était la télévision. L’interface et les fonctionnalités de ce terminal sans précédent étaient à imaginer. Tout a donc été pensé pour faciliter les usages et l’appropriation du Minitel. L’architecture des services a été construite à travers une interface unique. L’agencement des informations a été composé dans un mode page, hérité du modèle classique de l’écrit. La matrice textuelle (constituée de 40 colonnes et de 24 lignes) a été adaptée au petit écran. Enfin, le clavier d’abord alphabétique a rapidement été transformé en AZERTY. Cet agencement des lettres, plus ergonomique, présentait des atouts pour la familiarisation au clavier et pour faire émerger les usages, d’autant plus que les machines à écrire et les ordinateurs professionnels étaient conçus sur ce modèle.
 
Dès 1979, les concepteurs du Minitel ont mené des expérimentations afin d’évaluer l’acceptabilité technique (en terme de réseaux) et sociale (en terme d’usages) de cette innovation. La faisabilité technique du projet ne pouvait évidemment pas être dissociée de l’étude de l’adhésion potentielle des futurs utilisateurs. À Vélizy, le prototype du Minitel fourni aux testeurs était un terminal surnommé « chauffe-plat », raccordé à la télévision pour accéder à quelques services. Mais ce modèle a disparu au profit d’un terminal autonome, tout-en-un, équipé d’un écran, d’un clavier rabattable et d’un câble de branchement à la ligne téléphonique.
 
Terminal de Vidéotex Thomson utilisé lors de l'expérience Télétel de Vélizy
 
L’expérience Gretel, menée par les Dernières nouvelles d’Alsace en partenariat avec la DGT à Strasbourg, a radicalement transformé le Minitel. Le projet visait simplement à réaliser des expérimentations sur les usages d’une base d’informations par des testeurs. Mais pour répondre à de potentielles difficultés d’utilisation, un système de messages directs d’aide aux usagers dans leur navigation avait été développé au préalable. L’un des testeurs a alors piraté cette fonction pour échanger avec d’autres utilisateurs. L’introduction de fonctionnalités de communication n’avait pas été prévue par les concepteurs du Minitel. Leur naissance dans les usages est révélatrice de l’appropriation réussie du terminal : une innovation encouragée par l’administration a été détournée par impulsion des utilisateurs (modèle bottom-up). L’expérience Gretel est symbolique en ce qu’elle a créé les premiers services d’interactions, via les messageries.
 
Parallèlement à ces réflexions autour de l’ergonomie du terminal, la conception du réseau sous-jacent a conduit à l’adoption de standards. Ainsi, le Minitel fonctionnait grâce au réseau Transpac, homogène et centralisé. Ce modèle a consacré un réseau fermé et passif, où tout le potentiel, à savoir le contrôle même du réseau physique, se situait au cœur. Les usagers (la demande) ne pouvaient utiliser que le Minitel pour avoir accès au réseau. Ce terminal étant dédié aux services, aucun autre usage (traitement logiciel ou stockage de données par exemple) n’était possible. Les services (l’offre) se trouvaient dans une situation très proche. Ils étaient construits sur un modèle similaire en termes d’interface (mode page), d’architecture (chemins possibles) et d’identifiants (numéro du service), autant de règles définies par l’opérateur. Les services ne pouvaient exister sans l’obtention d’un identifiant de la part de l’opérateur, de même pour l’indexation des pages proposées et des chemins possibles. L’opérateur réalisait la rencontre entre l’offre et la demande, au sein de laquelle il définissait les règles strictes et supervisait le réseau centralisé. La connaissance et la maîtrise a priori du débit lors de tout appel à une page était gage de fiabilité. La codification de ces standards a permis de structurer l’écosystème du Minitel, préalable nécessaire à sa mise en œuvre et à la création d’un cercle vertueux.

Des services de plus en plus variés

Lancé en 1982, le Minitel a particulièrement prospéré entre 1992 et 1997 avec la mise à disposition initialement gratuite du terminal et l’accès à des services qui ont marqué les esprits de plus d’une génération. À l’origine, le programme avait été imaginé à travers le prisme de l’annuaire national électronique 3611, indispensable au vu de la forte croissance du nombre de lignes téléphoniques et de la difficile mise à jour des annuaires papier en résultant. Pourtant, une profusion de services payants a été créée, oscillant entre des vocations ludiques, pratiques, informationnelles, communicationnelles et professionnelles.

 
 L’absence de coûts d’acquisition de l’objet était compensée par la monétisation de l’usage des services, basée sur la durée de consultation. 
Compte tenu de son caractère novateur, la diffusion du Minitel a bénéficié des spécificités de son modèle économique. La maîtrise des coûts de production du terminal, réduits aux alentours de 150 € (montant de l’ordre de 1 000 Francs), était déterminante pour la question de sa diffusion. En effet, la DGT avait fait le pari que la fourniture gratuite du terminal contribuerait à un équipement massif des foyers. L’absence de coûts d’acquisition de l’objet était compensée par la monétisation de l’usage des services, basée sur la durée de consultation. La simplicité du système résidait dans un paiement centralisé via la facture de téléphone. La redistribution des rémunérations dues à chaque fournisseur de service était ensuite effectuée par la DGT / France Telecom, après prélèvement d’une commission initiale de 45 % par l’opérateur. La facturation globale et en différé, associée à l’anonymat des usages auprès des fournisseurs de services, ont probablement contribué à briser les barrières psychologiques pesant sur les utilisateurs (avec parfois quelques surprises à réception de la facture).
 
Afin d’éveiller les usages télématiques, un système incitatif a été mis en place pour le service pionnier que constituait l’annuaire électronique (les trois premières minutes de consultation étant gratuites). L’écosystème du Minitel était tellement sécurisant et attractif qu’il a séduit de nombreux fournisseurs de services, désireux de s’intégrer dans ce cercle vertueux caractérisé par des barrières à l’entrée limitées, oscillant entre 600 et 3 000 € (soit entre 4 000 et 20 000 Francs). Des services à vocation pratique, ludique ou professionnelle ont été développés : horaires de transports, formalités administratives, jeux, ventes par correspondance, transactions bancaires ou données professionnelles, météo, etc. D’autres services informatifs ont vu le jour, aux côtés de l’annuaire, avec la presse ou les petites annonces. Enfin, la dimension communicationnelle, héritée de l’expérience Gretel, a également connu un véritable essor avec le boom des messageries conviviales.
 
Mais une telle profusion de services résulte aussi de la création du système du kiosque en 1984, né pour rassurer l’ensemble des éditeurs de presse, d’abord réticents à la révolution télématique. Leurs craintes étaient principalement d’ordre économique, avec le transfert des petites annonces vers le Minitel, d’où l’instauration de l’obligation de détenir un numéro de commission paritaire (conférant le statut d’organe de presse) pour fournir un service télématique du type 3615. Les médias sont alors devenus pourvoyeurs de services d’information et de communication et le fameux 3615 s’est révélé lucratif. La presse est par ailleurs devenue un acteur de premier plan des messageries : Dernières nouvelles d’Alsace, Le Parisien libéré, Libération ou Le Nouvel observateur, etc. Des publications de presse fantômes ont aussi vu le jour par effet d’aubaine, comme le titre Informations rigolottes étranges.
 
L'apparition du kiosque a clairement fait exploser le nombre de services disponibles sur le Minitel : de 145 en 1984 à 2 074 en 1985. Les années 1984-1988 voient les services ludiques et conviviaux se développer fortement, permettant d'attirer les usagers, le « Minitel rose » inclus. Les années 1988-1992 marquent un tournant avec l'émergence de services aux entreprises. Le nombre de services disponibles atteint plus de 25 000 au cours des années 1995-1997, face à seulement 5 000 noms de domaine .fr pour les entreprises sur l'internet (mais déjà quelques 200 000 noms de domaine au niveau international). Par la suite, le nombre de services ne cessera de diminuer avec la décroissance des terminaux et des usages du Minitel. Dès 2000, il y a quelques 100 000 noms de domaine en .fr, toujours pour les entreprises (et dès 2001, l'internet dépasse les 100 millions de noms de domaine à l’international). En 2007, les trois premières minutes gratuites de l'annuaire électronique redeviennent payantes, mesure suivie immédiatement d'une chute des deux tiers du trafic de ce dernier(3) . L’offre télématique se concentre alors de plus en plus sur les services de type financiers et aux entreprises, il en reste encore 1 880 en 2010.
 
 
Dès la fin des années 1980, le Minitel a fait l’objet de vives critiques, fondées sur les dérives et l’immoralité de certaines messageries conviviales. Le journaliste Denis Périer s’est érigé comme l’un des porte-paroles dénonçant la « dépravation du système » dans son ouvrage intitulé Le dossier noir du Minitel Rose. Sous-titré « L’étrange cohabitation des marchands de sexe, de l’administration et des patrons de presse », son livre se fait l’écho du vide législatif et de l’absence de contrôle des services télématiques. Sujet polémique, la question de la moralisation des messageries conviviales est finalement tranchée par l’interdiction ou la surtaxe de certains services.
 
Malgré ces préoccupations déontologiques, les petites annonces de rencontres et les messageries roses ont représenté un véritable produit d’appel, leur succès reposant avant tout sur la garantie d’anonymat pour leurs utilisateurs. France Telecom n’a jamais fourni de statistiques détaillées en la matière, préférant globaliser les données dans de grandes catégories. Pourtant, la moyenne des estimations tend à suggérer que le rose aurait généré au moins la moitié du trafic et des revenus, sans compter son rôle clef dans la « captation de l’attention » des clients dans les années 1980. Cette composante n’est pas si surprenante, même si elle est souvent considérée comme anecdotique. Il convient toutefois de rappeler la relation forte entre le rose et la technologie pour le payant, le magnétoscope, le téléphone, les chaînes payantes et l’Internet(4) .
 
Les animateurs de 3615 Ulla ou 3615 Aline possédaient bien sûr la carte de presse. Parmi les fortunes issues des messageries roses, « 3615 Millionnaires », on retrouve Claude Perdriel (Le Nouvel Observateur) et Xavier Niel (Free, Le Monde), tous deux détenteurs de médias aujourd’hui encore. De même, Marc Simoncini (Meetic) a utilisé comme tremplin ses activités liées au Minitel.
 « Info ? Intox ? La carte de presse pour les employés du Minitel Rose ? » – Double Jeu, Antenne 2, 25/01/1992.

1993-1997 : l’âge d’or du Minitel

Au début des années 1980, le Minitel constitue une innovation sans précédent, qui va déferler sur l'économie et la société françaises. L'étude de la diffusion du Minitel sous toutes les coutures révèle une courbe classique dans la littérature de cycle de vie d'un produit, dont l'âge d'or se situe autour des années 1993-1997. La gratuité, la simplicité d'utilisation, le système de facturation et l'attractivité des services représentent des facteurs déterminants dans l'adoption et l'utilisation du Minitel.

Graphique représentant l'adoption du Minitel au cours des trente dernières années

Le Minitel commence doucement en 1983 avec 120 000 terminaux mais passe rapidement la barre du million au cours de l’année 1985. Le nombre maximum de terminaux atteindra 6,5 millions au cours de l’année 1993. Ce chiffre est certes loin des 30 millions initialement prévus, mais cela représente 14,5 millions d’utilisateurs tous lieux confondus, avec 20 % des foyers équipés. Par la suite, le Minitel commence une phase de décroissance : il demeure encore quelques 5,5 millions de Minitel en 1999, 3,6 millions en 2005 et toujours 410 000 en 2011. Au cours des années 1980, l’ordinateur a certes fait son entrée dans l’entreprise, mais tout juste 5 % des foyers en sont équipés.
 
L’adoption de l’ordinateur est relativement lente au cours des années 1980. Elle prend son envol au cours des années 1990, favorisée par la baisse des coûts, le développement de logiciels et l’adoption professionnelle. En 1991, 12 % des foyers sont équipés, trois fois plus en 2001, mais dès 1996, une personne sur deux utilise l'informatique au travail. L’ordinateur, terminal non passif, devient alors rapidement un concurrent du Minitel pour accéder au réseau et aux services : entre 1993 et 1997, le nombre d’émulateurs passe ainsi de 390 000 à 4,3 millions (chiffre record). L’ordinateur fera jeu égal avec le Minitel pour accéder au réseau au cours de la dernière décennie. D’ailleurs, France Telecom proposera rapidement lui-même des émulateurs sur Internet. De sorte que l’apogée du Minitel en termes de nombre d’utilisateurs et de foyers équipés se présentera en 2003 avec plus de 9 millions de terminaux et d’ordinateurs, plus du tiers de la population française ayant alors accès au Minitel, le quart des foyers étant équipé.

Mais déjà, cette diffusion de masse est dépassée par celle de l’Internet. En effet, si l’Internet prend difficilement au cours des années 1990 (tout juste 2 % de la population connectée en 1993), le début du millénaire marque une pénétration de l’Internet dans la population française en forte croissance et supérieure à celle du Minitel, lequel entre en phase de décroissance (au niveau de l’adoption, celle-ci étant déjà en cours au niveau de l’utilisation). Et en 2011, lors de l’annonce de la fin du Minitel, plus des trois quarts de la population ont un ordinateur et un accès à Internet !
Illustration représentant l'utilisation du Minitel au cours des 30 dernières années
 
Au-delà de l'adoption, l'utilisation du Minitel peut être étudiée à partir de l'évolution (similaire) du nombre et de la durée des appels, ainsi que par la répartition entre les différentes catégories de services. Encore une fois, l'apparition du kiosque en 1984 permet une explosion des services et donc des usages. Les services les plus attractifs sont ludiques et conviviaux, orientés vers le grand public ; le Minitel rose constitue une force non négligeable en plus de l'annuaire électronique. Le nombre et la durée de connexions connaissent une phase de très forte croissance pour dépasser en 1990 la barre du milliard de connexions et des 80 millions d'heures d'utilisations pour les services hors annuaire électronique, soit de l'ordre de 1,5 milliards d'appels et 100 millions d'heures d'appels tout compris.
 
Par la suite, les services se développent fortement vers les entreprises, qui représentent quasiment le tiers du trafic au milieu des années 1990, et les usages résidentiels deviennent beaucoup plus pratiques, les composantes ludiques et conviviales semblant perdre petit à petit l'attention des usagers. Les années 1990 marquent une certaine stabilité et maturité de l'utilisation du Minitel, elle culmine alors autour de 1,2 milliards de connexions en 1997 et 90 millions d'heures de connexions en 1993 pour les services télématiques hors annuaire électronique, soit 1,6 milliards d'appels et 110 millions d'heures de connexions tout compris. Par la suite, l'utilisation n'aura de cesse de décroître à mesure que l'ordinateur portable, le smartphone et la tablette tactile seront présents partout et tout le temps, utilisés quotidiennement pour accéder à tous les services Internet, particulièrement les services ludiques et conviviaux, des réseaux sociaux à la musique et au cinéma, etc.
 
Le croisement de l'adoption et de l'utilisation du Minitel nous fournit quelques informations supplémentaires. L'année 1993 a marqué l'âge d'or du nombre de Minitels et l'année 2003 l'apogée du nombre total de terminaux ayant accès au Minitel. Il en ressort clairement que le nombre d'émulateurs n'a fait que ralentir la chute de l'utilisation du Minitel mais n'a pas fondamentalement modifié la trajectoire. Ainsi, le nombre total d'heures de connexions n'aura de cesse de diminuer à partir de 1993, avec une division par 2,5 au cours des dix années suivantes. Le nombre de connexions connaîtra une évolution légèrement distincte, la phase de décroissance ne commençant qu'à partir de 1997, avec une division par 2 au cours des six années suivantes.
Graphique comparant en moyenne la durée d'un appel contre la recette générée sur le Minitel au cours des 30 dernières années
 
Par ailleurs, si le nombre et la durée d'appels évoluent en parfaite synchronisation, il est toutefois possible d'observer une décroissance continue de la durée moyenne d'une connexion dès 1986, laquelle s'accélère fortement à partir de 1990 : de plus de 6 minutes en 1986, elle passera sous les 5 minutes en 1993, les 4 minutes en 2003 avant de tendre rapidement vers les 3 minutes. Parmi les explications possibles, il y a bien évidemment la concurrence progressive avec l'internet, mais également deux déterminants propres au Minitel. D'une part, les années 1980 sont ludiques et conviviales, le temps consommé et la disposition à payer sont alors plus élevés, alors que les années 1990 marquent la professionnalisation et la rationalisation du Minitel, plus focalisées sur la facture et le temps. D'autre part, il convient de noter l'évolution croissante du prix moyen d'une connexion (via le revenu moyen par appel) qui double entre 1987 et 1997, avant de se stabiliser jusqu'au pic de 2003 (associée à un rythme plus faible de diminution de la durée moyenne d'une connexion), et ce malgré l'apparition de paliers et de baisses des prix au cours des années 1990.

Toutefois, si le Minitel est de plus en plus mobilisé pour les services bancaires et professionnels au fil du temps, il n'en demeure pas moins que les enquêtes suggèrent que le Minitel n'est pas considéré comme indispensable (contrairement à la perception du téléphone, du mobile ou encore de l'internet aujourd'hui), et ce dès 1997 : 70% des non-utilisateurs estiment qu'ils n'en ont pas besoin [9]. Enfin, il ne faut pas oublier les « fractures » du Minitel, les mêmes que celles associées à l'internet : la durée d'utilisation est très inégale (57 % des connexions durent moins de 3 mn à la fin des années 1980) et la fréquence d'utilisation n'est quotidienne que pour 12 % des usagers. Les différences socio-économiques et générationnelles sont également notables et s’expliquent par le coût élevé d'utilisation et des services développés. Enfin, les inégalités spatiales ne sont pas négligeables, les citadins utilisant le Minitel beaucoup plus fortement que les ruraux(5) .

Un succès économique

Fort de son succès, le Minitel est devenu une manne financière pour France Telecom et de nombreux fournisseurs de services. Les chiffres sur le sujet sont malheureusement imparfaits et incomplets. À notre connaissance, deux études approfondies ont été réalisées sur les comptes globaux du Minitel. La première porte sur les comptes cumulés jusqu'à la fin de l'année 1987. À ce moment-là, le Minitel est encore un gouffre financier : il a coûté près de trois fois ce qu'il a rapporté. L'explication se trouve dans l'offre gratuite du terminal, investissement considérable mais nécessaire pour favoriser l'adoption puis l'utilisation du Minitel.

 
Par la suite, la réussite du Minitel s'est convertie en un succès économique. La deuxième étude, commandée par France Telecom et réalisée en 1991, est une estimation qui porte sur les comptes cumulés allant de 1984 à 2000. Elle montre un Minitel qui devient rentable dans le temps : il rapporterait environ 1 milliard d’euros, pour des recettes de l'ordre de 10 milliards et des dépenses de l'ordre de 9 milliards (tous acteurs confondus)(6) . Il convient également de noter que les modèles suivants du Minitel n'ont pas tous été fournis gratuitement, ce qui a permis entre la vente, la location et l'entretien des Minitels de couvrir les deux tiers du coût de l'offre gratuite (et de l'entretien) des Minitels sur la période. Le tableau nous permet également de rappeler que l'annuaire électronique a généré des revenus non seulement via le trafic du Minitel mais également via la publicité, sans oublier les économies réalisées sur les versions papiers.
 
Ces comptes globaux ne distinguent pas France Telecom des fournisseurs de services, de même qu'ils n'incluent aucunement toute l'activité économique indirecte générée via le Minitel, comme les transactions bancaires et financières ou encore la vente par correspondance. Par exemple, pour La Redoute et les 3 Suisses, la vente via le Minitel a représenté jusqu'à 15% de leur chiffre d'affaires.
Comptes du vidéofex, de 1984 à 2000
 
Nous avons cherché à en savoir un peu plus. Le graphique ci-dessous compile le chiffre d'affaires lié au trafic du Minitel, en dehors de l'annuaire électronique : autrement dit les revenus partagés entre l'opérateur et les fournisseurs de services. Au regard du tableau précédent, une multiplication de l'ordre de 3 semble pertinente pour avoir quelque chose de comparable et prendre en compte tous les revenus directs générés par le Minitel.
 
Les recettes suivent logiquement la trajectoire d'utilisation du Minitel. Ainsi, les années 1980 marquent une forte croissance des revenus : la barre des 200 millions d'euros est dépassée dès 1987, celle des 500 millions en 1991 pour atteindre un maximum de 777 millions d'euros en 1997-1998. Les années 1990 représentent en effet la décennie où l'adoption et l'utilisation du Minitel sont les plus élevées, les prix ayant également augmenté. L’ampleur et la rapidité de la baisse sont ensuite impressionnants : les recettes passeront sous la barre des 100 millions d'euros dès 2007 pour atteindre quelques 30 millions d'euros en 2010. L'année 2011 aurait vu les recettes tomber à seulement 200 000 €.
Graphique représentant les recettes du trafic du Minitel
 
Toutes les statistiques et de nombreux observateurs suggèrent une très forte perte de vitesse de l'adoption, de l'utilisation et de la monétisation du Minitel associée à un développement considérable de l'internet. En 1997, même le Premier ministre Lionel Jospin déclarait: « le Minitel, réseau uniquement national, est limité technologiquement et risque de constituer un frein au développement des applications nouvelles et prometteuses des technologies de l'information ». En 2001, la presse internationale spécialisée s'étonne de la large campagne de communication, des nouveaux modèles et services lancés pour le Minitel par France Telecom : un montant de l'ordre de 4,5 millions d'euros pour une aventure en déclin.
 
 
 
 Le Minitel, réseau uniquement national, est limité technologiquement et risque de constituer un frein au développement d'applications nouvelles et prometteuses.
 
Parmi les raisons du refus de France Telecom et des fournisseurs de services de mettre fin au Minitel dès le début du millénaire, compta le fait que le Minitel, même en déclin, représentait un chiffre d'affaires direct et indirect relativement conséquent face à la faiblesse du commerce grand public et entreprises sur l'internet. Nous sommes encore dans ce cas de figure en 2003, ce qui fait dire à Gilles Musi : « si le commerce électronique a enfin décollé en France sur le web, ce n'est pas le cas pour les contenus et services de faible montant. D'où l'idée de l'Association pour le commerce et les services en ligne (Acsel) de transposer le modèle économique du Minitel sur la Toile ». La maîtrise et la sécurité du Minitel jouent alors un rôle non négligeable.
 
Graphique représentant le chiffre d'affaires moyen par service du Minitel
 
Ainsi, malgré le déclin du Minitel, il est demeuré intéressant financièrement jusqu'aux alentours de 2003. L'estimation des revenus moyens par service nous informe alors sur les tendances à l'œuvre. Jusqu'en 1997, le nombre de services n'a cessé de croître, amputant le revenu moyen par service d'un tiers, et ce malgré la forte hausse du revenu moyen par appel. À partir de 1997, la baisse considérable du nombre de services, associée à un niveau élevé du revenu moyen par appel, rend le service moyen relativement plus rentable. De 1997 à 2003, le service moyen va reprendre 50 %. Cette rentabilité est augmentée pour les fournisseurs de services par deux autres caractéristiques : d'une part, il y a un mouvement de concentration des entreprises et, d'autre part, l'opérateur a réduit sa commission. Mais après 2003, les tendances au niveau des services ne suffisent plus à compenser la forte régression de l'adoption et de l'utilisation du Minitel, et son abandon au profit de l'internet.
 
Par ailleurs, le Minitel a rapporté de moins en moins à France Telecom à mesure de la réduction de sa commission sur le trafic, passant de 45% au début de l'aventure à 15% en 2010, du très faible renouvellement des Minitels, ou encore de la vente de l'annuaire électronique (devenu filiale PagesJaunes entre temps) à une entreprise américaine. France Telecom a toutefois dû repousser plusieurs fois la mort du Minitel face à la pression des fournisseurs de services toujours rentables, particulièrement les services d'entreprises transitant via le réseau.

Minitel vs Internet

La fin annoncée de l'aventure du Minitel n'est finalement que la conclusion logique de son déclin continu, face au développement considérable de l'internet. Au cours des années 1990 et 2000, les nombreux débats ont comparé les forces et les faiblesses du Minitel et de l'internet. L'argument sur le contrôle et la sécurité du réseau offrant l'opportunité d'une facturation de la consommation effective des usagers a été d'une grande régularité. Cela renvoie à deux conceptions et cultures des réseaux diamétralement opposées, rendant la juxtaposition des deux incompatibles. Toutefois, cette question du Minitel vs Internet n'est aucunement nouvelle, elle est présente dès les années 1970 lors de l'abandon du projet français Cyclades, un des ancêtres de l'internet, en faveur du Minitel. Et elle ne va aucunement prendre fin en juin prochain avec la mort du Minitel : la « minitellisation » de l'internet demeure un sujet fort d'actualité. Ainsi, lorsque nous regardons la diffusion du sujet Minitel dans les ouvrages français, elle suit la même trajectoire, avec une nuance toutefois : certes, le déclin relatif est une réalité, le Minitel n'étant plus qu'un centre d'intérêt anecdotique parmi tant d'autres ; toutefois, le déclin absolu n'est guère aussi avancé, les ouvrages parlant du Minitel sont toujours présents, et vont probablement se poursuivre au cours des prochaines années.
Graphique représentant la diffusion du Minitel dans les livres
 
 
L’évocation du projet Cyclades n'est pas une simple anecdote historique. Bien au contraire, elle révèle les caractéristiques de l’Internet. Créé en 1971, ce projet français a suivi la découverte d’ARPANET lors d’une visite dans la Silicon Valley. Le projet militaire et universitaire ARPANET est considéré comme le début concret de l’Internet : dans le contexte de guerre froide, son développement initial était miliaire et reposait sur l’idée d’éviter que le réseau ne se bloque. En cas d’attaque d’un des nœuds, d’autres chemins au sein du réseau étaient possibles. Les avantages de ce réseau complexe (ouvert, hétérogène et décentralisé) reposaient sur la difficulté pour quelqu’un de le maîtriser et surtout sur les opportunités d’innovations à la périphérie, c'est-à-dire dans les terminaux (les ordinateurs à l'époque, le hardware) et les logiciels (le software)(7) .
 
Cyclades s’inscrivait dans cette logique novatrice d’un réseau hétérogène et décentralisé, non contrôlé. Le transfert de données se faisait par paquets au sein d’un réseau informatique délocalisé, entre des universités françaises. Par le choix du réseau Transpac au détriment du projet Cyclades, la France a privilégié le secteur des télécommunications. L’informatique est restée cantonnée au domaine de la recherche. À l’inverse, les États-Unis bénéficiaient alors d’une recherche et d’une industrie informatiques, ainsi que de financements militaires conséquents, qui ont permis au secteur informatique de se positionner face au secteur historique des télécommunications. Les similitudes entre Cyclades et ARPANET révèlent qu’au cours des années 1970-1980, le projet français a participé à l’évolution de l’Internet tel que nous le connaissons.
 
Schéma représentant le réseau Cyclades
 
Le choix du Minitel plutôt que de Cyclades s'est donc également réalisé sur une certaine vision du réseau. Les acteurs français ont très clairement préféré un réseau homogène et centralisé, permettant le contrôle et la sécurité des flux de données, et par voie de conséquence la facturation. À l'opposé, Cyclades, comme l'internet aujourd'hui, engendre une certaine perte du contrôle, ce que les acteurs de l'époque ont refusé, et ce qui va les inquiéter très fortement au cours des années 1990. Aussi, l'internet n'a pas de filiation directe avec le Minitel, puisque le modèle de ce dernier se rapproche davantage du fonctionnement des médias traditionnels : contrôle éditorial, économie de la rareté, public passif, réseau contrôlé et juxtaposition de l'information et de la communication. Son potentiel d’innovations se trouvait logiquement dans le cœur du réseau physique lui-même(8) .
C'est l'une des faiblesses du Minitel par rapport à l'intérêt porté à l'internet par les usagers. Le terminal est fermé et passif, c'est l'une des conditions pour pouvoir maîtriser les flux de données sur le réseau : il ne permet aucun stockage, aucun traitement (texte, jeu ou autre) et aucune autre utilisation (comme écouter un CD ou regarder un DVD dans les années 1990). Toute évolution technologique tant du terminal que du réseau Minitel est beaucoup trop coûteuse pour demeurer dans cette logique de contrôle. Et toute tendance à se rapprocher du fonctionnement de l'internet tend à réduire cette possibilité de contrôle. En outre, le nombre d'acteurs centraux du Minitel ne peut qu'être limité pour que le modèle puisse fonctionner correctement. Ce contrôle des terminaux, du réseau et des services passe alors par un comportement des usagers fortement imposé, les limites d'actions étant prédéfinies.
 
Aussi, très rapidement, le Minitel apparaît trop vieillissant et incapable de suivre le rythme des usages numériques. Il ne peut plus tenir la comparaison ni avec l'évolution considérable des terminaux numériques (de l'ordinateur fixe au portable, du smartphone à la tablette, des consoles de jeux et de la télévision), ni avec celle des accès au réseau Internet (de l'ADSL au Wifi, du câble à la 3G). De même, le Minitel ne parvient pas à suivre l’évolution effrénée, ni de la palette des logiciels et des plateformes permettant à l'usager de devenir acteur s'il le souhaite, ni de la quantité considérable de contenus et de services disponibles sur l'internet, ni enfin avec toutes les nouvelles formes médiatiques naissantes. Le Minitel se retrouve très vite dépassé par la forte concurrence entre les acteurs, et donc par les prix relativement plus faibles.
 
 
S'il n'intéresse plus les internautes, sauf très ponctuellement lorsque les médias se saisissent du sujet, le Minitel fait toujours rêver les différents acteurs économiques : un certain contrôle des usages et des usagers offre l’opportunité de faire « payer » la consommation effective. Et si la vision du réseau de l’Internet s’est finalement imposée, en détrônant le Minitel, il n'en demeure pas moins qu'une fois passée la période d'euphorie sur la démocratie Internet, les considérations économiques reviennent sur le devant de la scène(9) .
 
Dès les années 1990, Louis Pouzin, le responsable du projet Cyclades et « L'homme qui n'a pas inventé l'Internet »(10) s'en inquiète à propos de la volonté de Microsoft d'enfermer les usagers dans son écosystème : utiliser des services en ligne et hors ligne Microsoft sur des ordinateurs estampillés Windows(11) . Très rapidement, Benjamin Bayart, président de l'un des premiers fournisseurs d'accès indépendants à Internet, déplore la maîtrise du réseau par les grands opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet, ainsi que la forte concentration des services les plus utilisés, les moteurs de recherches, les courriers électroniques ou encore les plateformes vidéo. Nous retrouvons ces débats aujourd'hui que ce soit à propos de l’omniprésent Google et plus récemment de Facebook, lesquels ont des positions dominantes dans la centralisation des informations.
 
Mais l'acteur considéré actuellement comme le plus proche du Minitel n'est autre que Apple avec son écosystème fermé, comme l'évoque Éric Scherer dans son dernier ouvrage(12) . Apple ne produit pas de contenu, mais la palette des terminaux possibles (MacPro, MacBook, iPod, iPhone, iPad), la panoplie des plateformes associées aux divers usages (iTunes, AppStore, iBookStore, iCloud) et les logiciels les plus utilisés par les usagers (iWorks, iWeb, Garageband, iBookAuthor, etc.), sont tous propriétaires et fermés (au sens propre d'ailleurs, il est ainsi quasi-impossible d'ouvrir les terminaux ou de modifier les logiciels). Apple centralise alors les usagers (un seul compte et un seul système de facturation) et les fournisseurs de services (un seul compte, des contraintes fortes de prix, une hiérarchisation imposée, etc.). Autrement dit, il peut alors se permettre d'imposer certains comportements. Il demeure des différences notables puisque nous sommes à la périphérie du réseau (présence d'innovations) et non au niveau du réseau lui-même, mais Apple s'inscrit tout de même dans une logique forte d'un modèle centralisé, fermé et passif, une « minitellisation du Web ».
 
Graphique représentant le désengouement des Internautes pour le Minitel
 
Le modèle du Minitel fait donc toujours rêver. Cette « minitellisation du web » ressort comme une tendance pour de nombreux acteurs : d'un côté, les acteurs traditionnels de la culture et des médias sont plus coutumiers de ce mode de fonctionnement, et se trouvent en difficulté d'adaptation au numérique. D'un autre côté, les nouveaux acteurs devenus centraux sur certains usages sont à la recherche d'un contrôle des usagers pour perdurer dans le temps. Et il en est de même de différentes lois, projets de loi ou de traités d'encadrement et de contrôle des pratiques des internautes : Hadopi, SOPA, PIPA, ACTA, etc. Ceux-ci sont porteurs d’une certaine « conception » du Minitel dans l'internet pour retrouver une certaine maîtrise sur un réseau originellement construit pour éviter tout contrôle possible. Dès lors, l'idéologie du Minitel n'est pas prête de mourir !
 
Pendant deux décennies, le Minitel fut un emblème high-tech français. Signe de son aura, certains y font encore ironiquement référence avec l’expression « syndrome du Minitel » pour évoquer la place du nucléaire en France et militer pour combler le retard en termes d’énergie verte. Malgré cette connotation désormais un peu kitsch, le Minitel fait indéniablement œuvre de référence dans l’innovation à la française. Lors de sa venue en France en 2010, Eric Schmidt, le patron de Google, a annoncé la création d’un centre de recherche parisien : « les Français étaient en retard, ils ne pensaient qu’à leur Minitel. Maintenant, ils sont très sophistiqués dans leur utilisation des nouvelles technologies. La France est l’un des plus importants centres de culture, d’affaires et de technologie au monde ». Le 30 juin 2012, la belle aventure du Minitel touchera à sa fin et deviendra une pièce de musée. Mais il rentrera dans l’histoire avec l’image d’une invention sans précédent pour son époque. L’événement Hack The Press de janvier 2012 lui a d’ailleurs rendu hommage, en décernant comme récompense aux vainqueurs un « Minitel d’or » ; la légende dit même que ce trophée « aurait été touché par Alain Minc ».

Entreprises

Transpac : c’est d’abord un réseau public de transmission de données utilisant la technique de commutation par paquets (basé sur le protocole X 25), né des recherches menées par le CCETT. Une société éponyme a été créée par décret le 13 juillet 1977 : Transpac a été structurée comme SEM (société d’économie mixte). Celle-ci était une filiale de la DGT, puisque rattachée au Groupe France câble et radio (dont la DGT était actionnaire à 98%). Transpac était chargée de la gestion du réseau télématique au niveau national. La société a été absorbée en 2006 par Orange.
 
DGT : la Direction générale des télécommunications a été créée en 1941 au sein du ministère des PTT pour répondre au développement des télécommunications. La fondation du CNET en 1944 visera à encourager la R&D dans ce domaine. Dans les années 1970, la DGT s’est affirmée par rapport aux PTT grâce au plan de rattrapage des télécommunications. En 1988, la DGT s’est convertie en France Telecom. Puis en 1991, France Telecom est devenu un exploitant autonome de droit public.
 
PTT : Ministère historique dont l’existence remonte à la fin du XIXe siècle. Évoluant au gré des mutations du secteur, le ministère a été en charge des Postes, des Télégraphes puis des Téléphones. Il a été démantelé par l’application des directives communautaires de mise en concurrence. Cette étape est passée par la création de deux entreprises semi-publiques : France Telecom (ex-DGT) en 1988, puis La Poste en 1991.
 
PagesJaunes : la publication de l’annuaire téléphonique dépendait du ministère des PTT, qui en a délégué la régie publicitaire à l’ODA (Office d’Annonces), une filiale d’Havas en 1946. Compte tenu de la forte croissance de l’ouverture de lignes téléphoniques dans les années 1970, la mise à jour des annuaires papier était devenue problématique. Cela a servi le projet d’un service télématique d’annuaire électronique accessible sur le Minitel, chargé de remplacer l’annuaire imprimé. En 1998, France Telecom a racheté l’ODA. En 2000, cette filiale a pris le nom de PagesJaunes. La dénomination PagesJaunes Groupe a été retenue au vu de la diversification de ses activités (annuaires, renseignements par téléphone et SMS, Mappy, etc.). En 2004, le groupe a été introduit en Bourse avant d’être racheté deux ans plus tard par les fonds d’investissements américains KKR / Goldman Sachs.

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- Bernard Marti  / Wikimedia Commons
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Références

Articles et ouvrages

Multimédia

    (1)

    "Simon NORA et Alain MINC, L'informatisation de la société, Seuil, collection Points, 1978.

    (2)

    François DU CASTEL, Les télécommunications, X.A. Descours, 1993, pp. 315-321.

    (3)

    ORANGE, « Bilans Minitel », 2002, 2003, 2005, 2006, 2007 et 2008.

    (4)

    Joseph W. SLADE, Pornography in America, ABC/CLIO, 2000.

    (5)

    Jean-Yves RINCÉ, Le Minitel, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1990.

    (6)

    François DU CASTEL, Les télécommunications, X.A. Descours, 1993, pp. 315-321.

    (7)

    Dominique CARDON, La démocratie Internet, Seuil, collection La République des Idées, 2010.

    (8)

    François DU CASTEL, Les télécommunications, X.A. Descours, 1993, pp. 315-321. 

    (9)

    Dominique CARDON, La démocratie Internet, Seuil, collection La République des Idées, 2010. 

    (10)

    Le Monde, 8 août 2006. 

    (11)

    Stéphane FOUCART, « Louis Pouzin, l’homme qui n’a pas inventé Internet », Le Monde, 05/08/2006.

    (12)

    Éric SCHERER, A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un « journalisme augmenté », PUF, 2011.

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