Prisa à la conquète du monde

Prisa à la conquète du monde

Le groupe Prisa a fondé son empire sur le charisme d'un homme, Jesús de Polanco. Aujourd'hui disparu, Prisa doit faire face à des difficultés économiques certaines tout en tentant de preserver son indépendance.

Temps de lecture : 16 min

Né en Espagne sur les cendres du franquisme, le groupe Prisa, éditeur du célèbre quotidien El País, s'est fixé comme objectif de conquérir le monde hispanique. Présent dans 22 pays, il est déjà le premier groupe de médias et le leader en programmes éducatifs, informatifs et de divertissement sur les marchés de langues espagnole et portugaise. Grâce à des marques globales comme le quotidien El País , la radio Los 40 Principales ou les maisons d'édition Santillana ou Alfaguara, il touche plus de 43 millions d'utilisateurs dans le monde. Plus récemment, sa présence au Brésil et au Portugal et sur  le dynamique marché hispanique des Etats-Unis lui ont donné une dimension ibéro-américaine et ouvert un marché global de 700 millions de personnes.

Mais ce géant de la communication, frappé de plein fouet par une crise économique qui réduit en peau de chagrin les recettes publicitaires, marche sur des œufs. Pour éponger une dette qui frôle les cinq milliards d'euros, il se voit aujourd'hui contraint de se débarrasser une à une de ses filiales. Difficile pour un groupe qui semble pris dans une spirale d'expansion... A quelques jours d'intervalles, il apparaît ainsi cherchant les 450 millions d'euros de crédit relais que les banques lui réclament, tout en se montrant intéressé par la reprise du groupe Le Monde, et par la prise de contrôle d'une chaîne de télévision américaine...

L'empire bâti par Jesús de Polanco (1929-2007) repris par son fils Ignacio Polanco, mais dirigé par Juan Luis Cebrián, est-il aujourd'hui menacé ? Ou au contraire le groupe se recentre-t-il, comme il l’assure, sur des activités stratégiques avec des partenaires de choix ?

L'acte fondateur : la naissance d'El País

A l'automne 2007, le célèbre quotidien espagnol El País troque son slogan. Le « Diario independiente de la mañana » (« journal indépendant du matin ») devient « Diario global en español » (« journal global en espagnol »). Simple changement rhétorique ? Pour Prisa, éditeur du quotidien, il s'agit au contraire d'un vrai pari stratégique : renforcement de l'intéractivité entre le journal et son site Internet et ouverture à la modernité et à la globalité. Le groupe veut s'adresser à tous, sans distinction d’âge ou de lieu d’habitation. El País ne doit plus être un journal espagnol mais un journal en espagnol.

Ce tournant, le premier opéré par le groupe espagnol depuis la mort, quelques mois plus tôt, de son fondateur et mentor Jesús  de Polanco est peut-être aussi le coup d'envoi d'une nouvelle politique destinée à se démarquer des « années Polanco ». Car il est difficile de parler de Prisa sans évoquer celui qui, durant 35 ans, a tenu d'une main de fer les rênes du groupe, cet homme dont le pouvoir a souvent été l'objet de controverses et dont la fortune était l'une des plus importantes d'Espagne (estimée à trois milliards de dollars, selon le classement Forbes 2007).

Fondateur de Santillana, maison d'édition spécialisée dans les textes juridiques et les manuels scolaires qu'il a créée en 1958, Jesús de Polanco s'incorpore en 1972 au groupe créateur du quotidien El País. « Grâce au succès de Santillana, il put apporter le poumon financier qui permit aux journalistes de respirer avec liberté, rappela à sa mort, en 2007, le directeur général de Prisa, Juan Luis Cebrián. Il crut au projet quand personne n'y croyait et que l'on ne couvrait pas les ampliations de capital, il protégea en tant qu'éditeur la ligne progressiste du journal, dirigea l'entreprise, paria sur son futur... ». Et quel futur.
Véritable fer de lance du groupe, emblème des valeurs démocratiques qui inspirèrent ses fondateurs, le quotidien de centre gauche sort dans les kiosques pour la première fois le 4 mai 1976, cinq mois après la mort de Franco. Alors que commence le processus de transition espagnole, il se place d'emblée comme un journal engagé en faveur de la démocratie, distinct du reste des titres de presse héritiers du franquisme.

Ses fondateurs se partagent les postes de direction. Le journaliste Juan Luis Cebrián devient directeur du journal. José Ortega Spottorno, président du groupe Promotora de Informaciones, SA ( PRISA) jusqu'en 1984. Tandis que Jesus de Polanco occupe le poste de directeur général de Prisa, avant d'en devenir président de 1984 à sa mort, en 2007.

En quatre ans, le journal se forge la place de second quotidien généraliste d'Espagne derrière La Vanguardia avec un tirage moyen proche des 180 000 exemplaires. Mais c'est l'année 1981 qui marque un tournant majeur dans l'histoire du groupe. La tentative de coup d'Etat militaire du  23 février 1981 lui donne l'occasion de se positionner en véritable organe de défense de la démocratie. Le soir même, alors que continue la prise d'otage des députés de Las Cortes par le général Terejo et avant que le roi ne prononce son discours condamnant l'action des putschistes, El País sort une édition spéciale titrée « El País con la constitución &raraquo; (El País avec la constitution). Le journal entre dans l'histoire et gagne rapidement la place de premier journal espagnol. En 1982, alors que le journal de centre gauche soutient ouvertement la candidature du socialiste Felipe Gonzalez à la présidence du gouvernement, la diffusion moyenne quotidienne passe à 296 000 exemplaires. L'année suivante, elle atteint les 340 000. En 1991, l'édition dominicale d'El País franchit même la barre du million d'exemplaires. Au fil des ans, la diffusion continue de croître pour s'installer à 440 000 exemplaires quotidiens, avec un pic de 469 000 exemplaires en 2004, année marquée par l'attentat du 11 mars 2005.
Mais depuis, le journal, qui affichait encore une diffusion de 431 000 exemplaires quotidiens en 2008 selon l'OJD (Observatoire de contrôle de diffusion) souffre sévèrement d'une crise à la fois structurelle et conjoncturelle. A quoi s'ajoute l'apparition d'un nouveau quotidien de gauche, Público, créé par le groupe concurrent Mediapro. Résultat : en 2009, sa diffusion tombe à 392 000 exemplaires. Et même s'il reste encore loin devant son premier concurrent, El Mundo et ses 300 000 exemplaires, et qu'il continue de faire des bénéfices (12 millions d'euros en 2009), le premier quotidien espagnol s'inquiète pour son futur. En témoignent les déclarations de Juan Luis Cebrián lors d'un Congrès du Journalisme à Cadix : « Les journaux ne rempliront plus jamais un rôle central dans l'information de l'opinion publique » a t-il déclaré lors d'un débat sur le futur de la presse. Affirmation qu'il avait déjà exprimée peu de temps auparavant à l'occasion des Prix du journalisme Ortega y Gasset : « Le monde des journaux tel que nous l'avons connu touche à sa fin. Ils ne constitueront plus ces espèces d'empires industriels intégrés verticalement autour desquels socialisaient toutes les relations de pouvoir. ».

Politique et médias : les relations de pouvoir

Surnommé Don Jesus del Gran Poder (Monsieur Jésus du Grand Pouvoir), Jesus de Polanco fut considéré en son temps comme l'une des personnalités espagnoles les plus influentes. On lui reprocha à de multiples occasions ses amitiés avec le Parti socialiste espagnol (PSOE). A tel point qu'El País était qualifié par ses adversaires de « bras médiatique du PSOE ».
Mais bien avant Prisa, Polanco était déjà soupçonné d'avoir bâti sa fortune grâce à ses contacts politiques. Cette fois au sein de l'administration franquiste notamment parce que le sous-secrétaire à l'Education, Ricardo Díez Hochleitner, en poste au moment de la réforme de l'éducation de 1970 qui permit à Polanco d'introduire ses manuels scolaires dans toutes les écoles espagnoles, rentra par la suite dans le groupe Prisa comme vice-président des éditions Santillana.

Tout au long de son histoire, un certain nombre d'hommes politiques ont intégré le groupe Prisa une fois terminé leur mandat. C'est le cas de Miguel Gil, ancien secrétaire général du bureau du porte-parole du gouvernement de Felipe González. Ou de Enrique Balmaseda, ancien directeur de l'Institut de la Cinématographie. Ou encore de trois anciens ministres...
Cette porosité entre les politiques et le principal groupe médiatique espagnol témoigne de l'influence qu'a pu avoir Jesús de Polanco dès la création de Prisa. On peut légitimement penser qu'aujourd'hui, le groupe ayant atteint une taille considérable avec près de 15 000 employés répartis dans le monde et un chiffre d'affaires de plus de 3,2 milliards d'euros en 2009,  le rayonnement de Prisa perdure et s’étend au continent américain.

Unión Radio : concentration et conquête de l'Amérique latine

En 1984, à l'arrivée de Jesús de Polanco à la présidence de Prisa, le groupe prend un virage. L'éditeur décide de mener à bien une ambitieuse politique d'expansion qui passe à la fois par l'ouverture du groupe à de nouvelles activités : radio, télévision et cinéma, et par la conquête du marché latino-américain.

Prisa devient ainsi, en 1985, l'actionnaire majoritaire de la première chaîne espagnole, la Cadena SER (Sociedad española de radiodifusión) avant d'en prendre le contrôle total en 1991 grâce à la vente des dernières actions détenues par l'Etat espagnol. Puis il cherche à mettre la main sur Antena 3 Radio, détenue majoritairement par le Grupo Godó, et qui menace le leadership de la SER. Par une savante politique d'alliance avec les actionnaires, il parvient à en prendre le contrôle en 1993, provoquant une polémique qui aboutit au départ de nombreux journalistes de la chaîne. La radio Antena 3 disparaît et avec elle le seul concurrent menaçant. Mais des journalistes portent plainte pour abus de position dominante et infraction à la loi sur le monopole, de sorte que le Tribunal suprême finit par annuler la concentration en 2000 « parce que d'elle s'ensuivit une position dominante sur le marché de la radiodiffusion ».

Mais cette condamnation ne sera jamais suivie d'effets. En revanche Prisa a pu constituer son empire. En 1993, de la fusion des deux entités de la compagnie radiophonique naît Unión Radio dont Prisa détient 80 % et Grupo Godó 20 %. C'est le début d'une aventure qui en fera le premier groupe mondial de radios émises en langue espagnole reposant aujourd’hui sur 1240 stations, une présence dans 17 pays et plus de 29 millions d’auditeurs quotidiens.

En Espagne, Unión Radio contrôle les principales radios. La Cadena SER, leader en Espagne avec plus de 4,6 millions d'auditeurs quotidiens (selon la EGM, Etude Générale des Médias), mais aussi la chaîne musicale Los 40 Principales, également leader sur son segment avec 3,3 millions d'auditeurs, Cadena Dial, et d'autres stations.
Restait à se faire un trou à l'international. En 1999, Prisa signe un accord avec la radio colombienne Radio Caracol, leader indiscutable en Colombie et l'une des radios les plus prestigieuses d'Amérique latine. C'est la naissance du Grupo Latino de Radio (GLR) par le biais duquel Unión Radio opère en-dehors du territoire espagnol.
En 2001, GLR acquiert 50 % de la compagnie radiophonique mexicaine Radiópolis (W Radio, Bésame, 40 Principales...), l'autre moitié des actions étant détenues par le géant de la communication mexicain Televisa. L'année suivante, la croissance de GLR s'accélère après la signature d'une alliance avec le groupe colombien Valores Bavaria pour la création d'un réseau panaméricain de radio. GLR devient une holding présente au Mexique, en Colombie, en Bolivie, au Costa Rica, au Panama, en Argentine, au Chili et aux Etats-Unis.

Le groupe espagnol ne s'arrête pas là. En 2004, Prisa complète sa participation dans GLR jusqu'à 100 % et acquiert les émissions de radio argentines Radio Continental et Radio Estéreo.
Un an plus tard, il parvient à pénétrer le marché des Etats-Unis avec l'exploitation de la station W Radio 690 AM qui émet en espagnol dans la zone de Los Angeles et du sud de la Californie tandis que Caracol Radio émet à Miami. Prisa réalise ainsi l'un de ses objectifs récurrents : atteindre  la communauté hispanique des Etats-Unis.

En 2008, Unión Radio consolide sa présence au Chili avec l'intégration complète de IberoAmericana Radio Chile, la principale chaîne radiophonique du pays avec 140 stations propres, et Consorcio Radial de Chile (CRC). Après avoir mené une politique ambitieuse d'acquisition et de concentration de radios en Amérique Latine, le groupe a besoin d'investisseurs extérieurs. Officiellement pour « impulser le développement de la radio en Amérique Latine et particulièrement le plan d'expansion sur le marché hispanique des Etats-Unis ».

Mais, aussi, pour affronter les remboursements de sa dette, Union Radio approuve en avril 2008 l’entrée dans son actionnariat du fond britannique de capital risque 3i par le biais d’une opération mixte d’achat d’actions et d’ampliation de capital pour un montant de 100 millions d’euros.
Sa participation atteint 8,14 % du capital d'Unión Radio avec comme engagement d'augmenter sa part à 16,63 % par le biais d'un nouvel investissement de 125 millions d'euros... que le groupe attend toujours.

A l'attaque des marchés lusophones et nord-américains

Plus qu'hispanique, Prisa affirme de plus en plus sa volonté de représenter le monde ibéro-américain dans son ensemble. Dans ce but, il a développé ces dernières années ses activités par le biais du groupe Media Capital, leader sur le marché portugais. Prisa acquiert d'abord en 2005 le groupe Vertix détenteur de 33 % des actions de Media Capital. Puis en 2007, il lance une OPA sur 73 % des actions restantes.

Le groupe est présent dans toutes les branches médiatiques. Media Capital Radio opère 4 des 10 radios les plus écoutées au Portugal avec une part de marché qui oscille autour de 21 %. Le groupe compte également la première maison de disque portugaise, Farol, l'entreprise de distribution cinématographique CLMC et la principale entreprise de production audiovisuelle sur le marché portugais Plural/NBP. Il possède aussi TVI, chaîne de télévision numéro un avec une part de marché de 35 % en 2009, et TVI 24, ainsi que le groupe de contenus sur Internet IOL, qui génère 80 millions de pages vues par deux millions d'utilisateurs uniques chaque mois. De plus, sa filiale Progresa publie avec Media Capital Edições (MCE) sept revues spécialisées dont Lux, Maxmen, Revista de Vinhos et Casas de Portugal.

Mais une nouvelle fois, Prisa décide de vendre. En octobre 2009, l'entreprise familiale portugaise Ongoing Strategy Investments, groupe qui possède « 250 millions de clients potentiels dans les pays de langue portugaise », acquiert 35 % de Media Capital lors d'une opération que le groupe juge « stratégique pour dégager le futur de Prisa et intensifier son immense potentiel de croissance », avec des associés qui apportent du  capital, de la technologie, de la connaissance et des nouveaux marchés aux unités du groupe (1) .
Cette opération ne suffit cependant pas à calmer les banques. Conformément à l’accord de refinancement signé avec Prisa en mai 2010, elles exigent que le groupe procède avant le 30 juillet, puis finalement le 30 novembre, à l'augmentation de son capital d'au moins 450 millions d'euros et signe un accord pour la vente de sa participation dans Media Capital ou bien nomme une banque d'investissement pour effectuer la vente publique de cette participation.
Il semble bien que la conquête du marché lusophone, si cher à Prisa, soit compromise. En tous les cas sur le marché portugais. Car au Brésil, Prisa, par le biais du groupe éditorial Santillana a acquis, en 2001, 100 % de l'éditeur brésilien Moderna, spécialisé dans les livres scolaires. Et en juin 2005, 75 % de Editora Objetiva. De fait, en 2008, 23 % des ventes du groupe Santillana sont réalisées au Brésil.

De même, la percée de Prisa aux Etats-Unis se confirme. En octobre 2009, le groupe espagnol déjà détenteur de deux radios à Miami et Los Angeles, décide de se lancer sur le marché audiovisuel nord-américain en achetant 17 % de V-me Media Inc., compagnie de production et distribution audiovisuelle. Propriétaire du réseau par cable V-me, 4e chaîne de télévision des Etats-Unis en langue espagnole, son réseau parvient à 70 % des foyers hispaniques des Etats-Unis. Dès lors, Prisa annonce son intention d'augmenter sa participation. Ce qu'il devra faire entre 2010 et 2011 selon le communiqué adressé en juin 2010 à la Commission nationale du Marché de Valeurs (CNMV) dans lequel Prisa affirme sa volonté de réaliser un investissement de 31,5 millions afin  de s'approprier 51 % de la chaîne.

Télévision : de Canal + aux adieux de Localia

En revanche, dans le domaine de l'audiovisuel, hors des Etats-Unis, Prisa cède de plus en plus d’activités. Le groupe est entré dans le secteur par le biais de la télévision payante. Associé au groupe français Canal +, Prisa crée en 1989 la société Sogecable dans le but de répondre à un appel d'offre gouvernemental pour la création d'une chaîne de télévision. C'est la naissance de Canal + España. Depuis, Sogecable est devenu le premier groupe de télévision payante en Espagne et le troisième en Europe.

Son histoire est marquée par la création, en 1999, de la chaîne d'information en continu CNN+ (Canal Plus Noticias) avec la compagnie américaine Turner Broadcasting-Grup Time Warner, propriétaire de CNN. En 2003, son bouquet satellite Canal Satélite Digital absorbe son unique concurrent, le bouquet de Telefónica, Vía Digital, sous l'œil réprobateur mais résigné de la Commission de Marché des Télécommunications qui estime à la fois que la présence de deux bouquets satellites n'est pas viable en Espagne mais que la libre concurrence est en danger du fait de cette fusion. Impuissante, elle assiste à la naissance de Digital+, bouquet qui compte aujourd'hui 150 chaînes et services, 1,8 million de foyers d'abonnés (chiffres de la fin 2009) et une audience potentielle proche des 6,5 millions de spectateurs.

Sogecable ne s'arrête pas là. En novembre 2005, il répond à un nouvel appel d'offre pour le lancement d'une chaîne de télévision ouverte. Sogecable crée Cuatro, chaîne jeune et ambitieuse dont la part de marché atteint 8,6 % trois ans plus tard, en décembre 2007, date à laquelle Prisa lance une OPA sur 100 % du groupe audiovisuel pour un montant de deux milliards d'euros. Même si Sogecable affiche en 2009 des bénéfices records de 90 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de plus d'1,5 milliard d'euros, le coût de l'OPA plombe la dette du groupe. D'autant plus que ce qui devait être la poule aux oeufs d'or (les droits de retransmission du championnat de football espagnol) s'est transformé en 2007 en « la guerra del fútbol », un imbroglio judiciaire interminable opposant Prisa à son concurrent Mediapro. Finalement condamné à payer 96 millions d'euros plus intérêts à Prisa, Mediapro a déclaré la suspension de paiement de sa filiale de production en juin 2010.
Pour faire face à son besoin de liquidités, Sogecable vend, en novembre 2009, 21 % de ses participations dans Digital + au groupe de télécommunication espagnol Telefonica. En décembre 2009 un autre accord est signé entre Sogecable et Telecinco, la chaîne de télévision espagnole du groupe italien Mediaset. La surprise est de taille devant cette alliance presque contre-nature, tant les deux groupes s'appuient sur des valeurs diamétralement opposées, qu’il s’agisse de leurs positionnements politiques, de leurs conceptions de l’audiovisuel, ou de la qualité de leur programmation.

Ces différences ne semblent pas gêner les deux parties et témoignent plutôt du besoin urgent de rentrées financières de Prisa. L'accord signé prévoit que Telecinco acquière la totalité de La Cuatro. En échange, elle s'engage à prendre 22 % de participation dans Digital+ pour un montant d'environ 500 millions d'euros tandis que Sogecable obtient 18,3 % du produit de la fusion. Pour le groupe italien, cet investissement « stratégique » a pour objectif de renforcer son positionnement en Espagne pour y devenir « un des principaux groupes de communication ». Cet accord est insuffisant pour Prisa. C’est pourquoi, en mars 2010, Digital + met en vente une partie des droits de retransmission de la CM de football 2010, qui lui ont couté la bagatelle de 90 millions d’euros.
Seul Telecinco se porte acquéreur d'un paquet de huit matches. 
Prisa s'est aussi essayé à la télévision locale. En 2000, le groupe crée Localia, réseau  de  80 chaînes de télévision dans les principales villes espagnoles. Mais en 2009, le groupe ferme définitivement du fait de la crise économique et d'une crise publicitaire « sans perspective de récupération à court et moyen terme ».

Edition et éducation

Le groupe Santillana qui englobe les activités de Prisa en édition, éducation et formation n'échappe pas à la nécessité de restructuration financière. Présent dans 22 pays, le groupe avait étendu au fil des années son activité d'édition de textes scolaires (Santillana Educación), aux ouvrages universitaires (Instituto Universitario de Posgrado-IUP) et à l'édition générale avec des maisons d'édition comme Alfaguara, Taurus, Aguilar, Objetiva ou Salamandra pour devenir le premier groupe éditorial et éducatif en langues espagnole et portugaise au monde, avec plus de 125 millions de livres vendus chaque année.

Cependant, à la fin du mois d’avril 2010, Prisa cède 25 % du  Groupe Santillana, dont elle est propriétaire à 100 %, au fond de capital investissement DLJ South American Partners pour 279 millions d’euros, ce qui valorise le groupe éditorial à 1,11 milliard d’euros. La plus-value réalisée par Prisa s'éleva à 213 millions d'euros. L'opération s'inscrit dans le plan annoncé par Prisa d'incorporer des associés stratégiques, du capital, de la technologie et des marchés et suppose pour Santillana l'entrée d'un nouvel associé pour le développement de ses activités en Amérique Latine.

L'essentiel des fonds tirés de la vente doivent servir à amortir la dette, selon un plan signé avec les banques du groupe, mais ils permettent également de nouveaux investissements, à hauteur de 100 millions d’euros, en particulier au Brésil et au Mexique.

Presse : à la conquête du Monde

Malgré ses dettes, Prisa ne renonce pas à conquérir certains marchés clés ni à saisir les opportunités qui se présentent. Comme celle de reprendre Le Monde et Partenaires Associés (MPA) qui aurait besoin d'un minimum de 100 millions d'euros pour sa recapitalisation.

Le groupe espagnol, qui détient déjà 15 % du groupe français s'est associé en juin à l'offre conjointe du Nouvel Observateur et France Telecom pour reprendre le célèbre quotidien français, rappelant que pour la création d'El País, Prisa avait pris Le Monde comme modèle et référence d'un journal « en défense de la liberté et la démocratie ». Mais pour échapper à l'intromission du Président français, Nicolas Sarkozy, qui a montré son soutien à l'offre du trio dont fait partie Prisa, et pour garantir son indépendance, le quotidien du soir a choisi l'offre du trio d'investisseurs Bergé-Niel-Pigasse. Un coup dur pour le groupe qui entend bien faire valoir ses droits en tant qu'actionnaire.

Prisa maintient aussi, depuis 1998, des accords avec le New York Times, pour un supplément en espagnol composé de contenus exclusifs du journal nord-américain. D'autre part, le groupe est aussi associé à The International Herald Tribune qui inclut dans son édition quotidienne en Espagne une version anglaise des contenus les plus importants de El País. Le groupe Prisa est aussi présent sur le marché de la presse bolivienne et mexicaine avec des journaux de référence.

Car le cœur de métier de Prisa reste la presse. Le groupe édite d'ailleurs en Espagne le deuxième quotidien sportif espagnol, As, édité à 215 000 exemplaires (OJD) et le deuxième quotidien économique, Cinco Días (33 000 exemplaires). Il publie également une série de revues par le biais de sa filiale Progresa (Promotora General de Revistas) créée en 1987 et aujourd'hui détentrice de plus de trente titres sur le marché espagnol tels que Cinemanía, Rolling Stone, Gentleman, La Revista 40, Claves...

Le challenge Internet

Malgré ses déclarations de bonne volonté, Prisa a du mal à trouver une rentabilité avec Internet, qui ne représente toujours que 2 % des revenus publicitaires du groupe. Impossible, pourtant, d'énumérer la quantité de sites Internet que gère Prisa. Cela fait longtemps que le groupe espagnol est conscient de la révolution qu'Internet suppose. El País, par exemple, a débarqué sur la toile dès 1996. En 2000, face à l'évidence du bouleversement que suppose ce nouveau support, Prisa crée Prisacom, la principale entreprise espagnole dans la création et l'exploitation de contenus numériques informatifs, éducatifs et de loisir. Mais comment gagner de l'argent avec le net ? Entre 2002 et 2005, elpais.com essaie de rendre payante la consultation des articles de la version papier... avant de revenir à la gratuité. En 2007, avec la naissance du nouvel El País, le groupe ouvre sur elpaís.com ses archives et met à la disposition de tous plus d'un million de « pièces historiques » du premier journal global en espagnol. Son objectif : être consulté partout dans le monde pour rester la référence des médias en langue espagnol. C’est pourquoi le groupe a annoncé, en mars 2009, la fusion de la rédaction du journal El Pais et de celle de son édition Internet.

L'indépendance de Prisa hypothéquée

Depuis deux ans, Prisa semble plus occupée à rechercher des capitaux qu'à continuer la folle expansion qui a marqué les « années Polanco ». Et pour cause. Fin 2009, sa dette s'élevait à 4,85 milliards d'euros. Les difficultés financières du groupe sont réelles, même si Prisa refuse de les étaler au grande jour. Le groupe a ainsi censuré une publicité du Monde Diplomatique après la parution dans ses colonnes d'un article alarmiste. Quoi qu'il en soit, une importante restructuration financière s'avère indispensable. Quitte à ce que la famille Polanco, actionnaire majoritaire depuis la création de Prisa par le biais de leur société Rucandio, perde le contrôle de la majorité. Cette possibilité est de plus en plus crédible depuis qu'en mars 2010, Prisa a annoncé un accord déterminant avec le fond d'investissement américain Liberty Acquisition Holdings qui injecterait 900 millions de dollars dans le groupe espagnol et en deviendrait ainsi l'actionnaire majoritaire. Si cet accord est approuvé par les actionnaires des deux entreprises et les autorités compétentes, la participation de la famille Polanco s'en trouverait réduite aux alentours de 30 %, voire moins. Ce qui signifierait un nouveau tournant pour le groupe.

Pendant 35 ans, Prisa s'est incarné en la figure de Jesús de Polanco. Malgré les critiques dont il a pu être l'objet, cet homme d'affaires espagnol était aussi une personnalité respectée et admirée. Son parcours atypique, sa capacité à créer un empire à partir du néant, sa ligne éditoriale ferme, ses valeurs démocratiques et son pari constant pour des médias de qualité ont marqué l'histoire de Prisa, l'histoire d'un groupe indépendant. Pour ne pas perdre le contrôle sur son groupe, Jesús de Polanco avait  prévu dans son testament une clause interdisant à ses héritiers de vendre leurs actions de Prisa pendant les 10 ans qui suivraient sa mort. Le but était de protéger le groupe d'une prise de contrôle par des actionnaires extérieurs. Finalement, le groupe, pris à la gorge par une dette faramineuse est contraint d'hypothéquer son indépendance. L'avenir dira s'il parviendra à maintenir son identité...

Données clés

Président : Ignacio Polanco
Directeur général : Juan Luis Cebrián
Chiffre d'affaires (2009) : 3,2 milliards d'euros (-20 %)
Le chiffre d'affaires de Prisa se répartit principalement entre les ventes d'espaces publicitaires (28 %), de livres (19 %) et l'audiovisuel (31 %). Quant à la distribution géographique du chiffre d'affaires elle reste largement locale :  Europe (76,9 %) et Amérique (23,1 %).
EBITDA : 624 millions (-34,2 %)
Bénéfices nets : 54,4 millions d'euros (-39,2 %)
Capital social : 21,9 millions d'euros
Endettement : 4,8 milliards d'euros
Salariés : 14 987 employés dans le monde
Actionnariat : Rucandio (70 %)
Le groupe est coté à la bourse espagnole depuis 2000.

Bibliographie

Enrique, BUSTAMANTE,  "La concentración en la comunicación y la cultura", en BUSTAMANTE, Enrique (coord), Concentració i internacionalització dels Mitjans de Comunicació. Repercusions socials i culturals, Centre d'Investigació de la Comunicació, Barcelona, 1994

Jesús. CACHO CORTES, El negocio de la libertad. Madrid: Foca, ediciones y distribuciones, SL. 1999.
 
María Cruz SEOANE, Susana SUEIRO, Una historia de El País y del Grupo Prisa. De una aventura incierta a una gran industria cultural. Barcelona: Plaza y Janés, 2004.
 
Francisco, BASTIDA FREIJEDO, Medios de comunicación social y democracia en 25 años de constitución. Revista Española de Derecho Constitucional. Année 24. Num. 71. Mai-Août 2004.
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