Passage à la télévision de Dilma Roussef, successeure de Lula

La presse brésilienne a contribué à affaiblir la successeure de Lula

Les médias brésiliens et leur rôle lors des années Lula et des élections 2010.
Temps de lecture : 4 min

Introduction

Le  premier tour des élections 2010 au Brésil a eu lieu le 3 octobre. Sont passés au second tour  Dilma Rousseff, du Parti des Travailleurs (PT, celui de Lula da Silva) avec près de 46 % des voix, et José Serra, du Parti Socio-démocrate Brésilien (PSDB, parti de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso) avec près de 32 % des voix.

Lula da Silva, président sortant, a une côte de popularité record au Brésil, avec plus de 80 %. Il a également une image extrêmement positive dans l’opinion publique internationale et dans la presse mondiale. Avant le premier tour, de nombreux médias lui ont en quelque sorte rendu hommage avec des bilans positifs des « années Lula »(1). Ces 80 % d’approbation et cette image internationale très positive contrastent avec l’image qui est donnée de Lula dans les grands médias brésiliens, de TV Globo au magazine Veja, en passant par TV Record. Eternels opposants de Lula et du PT, ces médias ont, pour la plupart et à différents degrés, maintenu cette position envers Dilma Rousseff, candidate du PT considérée comme la dauphine de Lula.

Les grands médias au Brésil

Quand on parle des « grands médias brésiliens», on parle le plus souvent des principaux grands groupes traditionnels qui dominent leurs marchés respectifs : TV Globo, le magazine Veja (magazine le plus vendu et le plus influent du Brésil avec plus d'1 million d’exemplaires vendus toutes les semaines), Folha de São Paulo (principal journal de l’État de São Paulo, « capitale économique » du pays). Quelques familles se partagent la quasi-totalité de la presse brésilienne : la famille Marinho pour le Groupe Globo (qui détient non seulement la célèbre chaîne de télévision mais aussi plusieurs magazines d’information comme le magazine Época, concurrent de Veja et le principal journal de Rio de Janeiro, O Globo), la famille Civita pour le Groupe Abril, la famille Frias pour le groupe Folha.


Globo et Veja influencent l'opinion publique au niveau national : ils couvrent la totalité du territoire brésilien. En revanche, certains journaux couvrent seulement certains Etats : Folha de São Paulo et O Estado de São Paulo, par exemple, sont les principaux journaux de São Paulo, O Globo et Jornal do Brasil, ceux de Rio de Janeiro. Chacun des 26 États brésiliens et le District Fédéral ont leurs journaux respectifs.
 
Ces grands médias représentent l’élite économique du pays, c'est-à-dire, comme on le dit souvent au Brésil, "le petit pourcentage de la population qui détient le grand pourcentage des richesses du pays". Ils sont basés à São Paulo et à Rio de Janeiro, dans la région la plus riche du pays, la région Sud-Est.

Les médias face à Lula et au PT

L’histoire démocratique contemporaine du Brésil commence avec les élections de 1989, les premières élections directes après la dictature militaire issue du coup d'État de 1964 qui renversa le président de l’époque, João Goulart.
 
Le premier tour de ces élections eut lieu le 15 novembre 1989, menant au second tour les candidats Fernando Collor de Mello et Luiz Inácio Lula da Silva. Collor de Mello était un néolibéral soutenu par les grands entrepreneurs et les grands médias brésiliens. Lula, candidat de gauche, et ancien leader syndical ayant passé près d’un mois en prison pendant la dictature militaire était, lui, soutenu par les artistes, les intellectuels de gauche et les syndicats.
 
Ces élections ont été marquées par un débat organisé par les chaînes de télé Globo, SBT, Manchete et Bandeirantes dont les images furent "éditées" par TV Globo pour favoriser Collor de Mello et déservir Lula, lors de son journal de 20 heures (Jornal Nacional).
 
Les grands médias voyaient en Lula et le PT une menace pour leurs intérêts. Ils le voyaient comme quelqu’un de trop radical, comme on peut le voir dans le numéro 1007 de Veja publié le 29 novembre 1989, quelques semaines avant le second tour des élections présidentielles : "La réalité est qu’il n’y a jamais eu, lors du second tour de l’élection présidentielle, un candidat comme Luis Inácio Lula da Silva. Il n’y a jamais eu la possibilité concrète qu’un parti comme le PT, avec beaucoup de courants dans lesquels s’inscrivent des syndicalistes avec divers degrés d’agressivité, des leaders grévistes, et des sectes gauchistes qui aiment faire des compliments au sandinisme de Nicaragua, au communisme cubain de Fidel Castro et à la luttes des classes passe à administrer la machine du gouvernement (…)".
 
Veja est, depuis, devenu le principal média opposant à Lula. Ses couvertures présentent très souvent des images dénonçant l'action du président brésilien sortant et du PT, comme l'illustrent les couvertures ci-dessous (la première réclame l'empeachement de Lula, la troisième se demande "Pourquoi Lula fait peur aux marchés ? et la seconde parle d'elle-même). 



 

Des médias polarisés, à l'image de la société brésilienne

La société brésilienne est une société très polarisée, socialement et économiquement. Un fossé sépare deux "Brésil". Ces deux mondes s'opposent et ne se comprennent pas nécessairement. Pourquoi ? Le mépris des grands médias envers Lula pourrait venir du fait qu'ils n'acceptent pas d'être dirigés par un syndicaliste originaire du Nord-Est (d'où est originaire Lula et d'où viennent également les immigrés effectuant les tâches les plus ingrates, comme celles de concierge, femmes de ménage etc).

Lors des élections 2010, les médias ont été polarisés autour de deux extrêmes : la grande majorité des « grands médias » ont été assez nettement favorables à José Serra, qu’ils considéraient comme un modéré, susceptible d'être favorable à leurs intérêts économiques, et ont attaqué Dilma Rousseff. Veja, en suivant sa tradition « anti-PT », n’a pas épargné par exemple "la candidate de Lula" et multiplié les attaques contre le PT, faisant même une couverture en associant le PT (à travers son symbole, l’étoile rouge) au « monstre du radicalisme » (O monstro do radicalismo).

 
La Folha de São Paulo a également attaqué la candidate du PT, avec des couvertures comme celle qui figure ci-dessous, que l'on peut traduire ainsi : « Les consommateurs d'électricité brésiliens ont payé 1 milliard de reais à cause d’une erreur de Dilma ».  
 


L'autre grand journal de São Paulo, O Estado de São Paulo a pris une position inédite dans l'histoire de la politique brésilienne: il a ouvertement exprimé son soutien à Serra dans un éditorial intitulé "Le mal à être évité"(2).

Toutefois, parmi les « petits médias » (on peut les considérer comme « petits » en comparaison aux autres), certains magazines se sont montrés favorables à Dilma Rousseff.
 
Le magazine Istoé (concurrent de Veja) a défendu sa position en publiant un numéro accusant la campagne de José Serra d'avoir utilisé « la tactique de la peur » (a tática do medo) et le magazine de politique et économie Carta Capital a, lui, publié une lettre ouverte pour soutenir la candidate du PT en déclarant que « le Brésil mérite la continuité du gouvernement Lula au lieu de la férocité des électeurs du PSDB ». La couverture ci-dessous illustre les attaques de l’opposition : on peut y lire la formule « l’opportunisme politique autour de l’avortement » (le débat sur l’avortement a entraîné une chute des voix de Dilma Rousseff quelques jours avant le premier tour de l’élection).

 

Conclusion

Les « grands médias » ont été traditionnellement très critiques envers Lula da Silva et ont maintenu cette position lors de la campagne des élections 2010 avec Dilma Rousseff. Pour Leonardo Boff, un des précurseurs de la théologie de la libération en Amérique latine, ces grands médias se comportent comme un parti d’opposition. Cependant, ils ont quand même joué un rôle important en dénonçant la corruption très forte au Brésil. 
 
Mais ces attaques répétées ont fini par allumer un débat sur la liberté de la presse au Brésil. Lula da Silva et Dilma Rousseff ont accusé les médias de s’acharner sur eux, laissant entendre que le contrôle de la presse devrait être renforcé. « Notre pays donne des leçons au monde sur la liberté et la liberté de presse, mais c’est dommage que certaines personnes confondent liberté et autoritarisme », declara Lula à la fin de la campagne du PT.
(1)

ttp://g1.globo.com/politica/noticia/2010/08/cntsensus-mede-popularidade-de-lula-em-805.html

(3)

ttp://members.inaglobal.fr/edition/article/le-groupe-abril-et-le-magazine-veja-leaders-du-marche-editorial-bresilien 

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