Instant Articles, Apple News : jusqu’où publier sur les réseaux sociaux ?

Instant Articles, Apple News : jusqu’où publier sur les réseaux sociaux ?

Avec Facebook Instant Article ou Apple News, la presse peut toucher beaucoup de lecteurs, en publiant directement sur les réseaux sociaux des articles entiers. Revers de la médaille, le public ne va plus sur les sites de presse, les privant de revenus et d’audience.
Temps de lecture : 3 min

Dans le domaine de l’actualité, les circuits de distribution de l’information en ligne ne cessent de se complexifier. On est loin du temps où il suffisait de disposer d’un site internet pour qu’un éditeur touche efficacement le public. Aujourd’hui, la consommation mobile des contenus d’actualité et la multiplication des plateformes d’infomédiation obligent les éditeurs à définir une stratégie cohérente face à ces puissants intermédiaires que sont Google, Facebook ou Snapchat. En effet, comme on peut le constater dans les tableaux ci-dessous extraits de l’étude The State of the News Media 2016, désormais, le mobile représente à la fois la principale source de trafic et de revenus publicitaires pour les éditeurs.
 
Trafic mobile médias
Le mobile est la principale source de trafic pour les médias
Source : Pew Research Center
 
dépenses publicitaires annuelles numérique
Dépenses publicitaires digitales par an, en dollars
Source : Pew Research Center

Le choix d’une telle stratégie n’est donc pas facile. Il résulte de tâtonnements, d’expérimentations, de succès et d’échecs dans un environnement contraint par l’emprise des infomédiaires sur les canaux de distribution auprès du grand public. Il doit notamment prendre en compte le modèle économique, la ligne éditoriale et le type de contenu privilégié par chaque média.
 
Si on pousse cette logique à l’extrême, il est possible de formuler le dilemme cornélien auquel doivent faire face les éditeurs de la manière suivante : est-ce qu’il vaut mieux entretenir sa propre et coûteuse infrastructure de publication en tentant d’y attirer un public suffisamment large et motivé pour la financer, que ce soit par la publicité ou l’abonnement, en prenant le risque de perdre une partie significative de son audience potentielle ? Ou est-ce qu’il faut céder aux infomédiaires l’intégralité du contenu et des données associées à l’audience, concédant ainsi un partage inégal de revenus, afin d’avoir accès aux réservoirs inépuisables de lecteurs dont disposent Facebook et Snapchat ?
 
 L’éditeur ne maitrise ni les conditions de diffusion, ni celle de la monétisation publicitaire, ni les données qui en découlent  
En effet, la prépondérance croissante du mobile dans la consultation de l’actualité, et des revenus afférents, place les éditeurs face à un choix stratégique de première importance qui est celui du degré d’adoption de formats de publication natifs aux applications tierces (native publishing) comme Instant Articles de Facebook, Instagram Stories, Apple News ou Snapchat Discover. Contrairement à la simple diffusion d’extraits accompagnés de liens renvoyant sur le site de l’éditeur, le native publishing consiste en l’intégration complète du contenu au sein d’applications appartenant aux infomédiaires où il est directement consommé et monétisé. L’éditeur ne maitrise ni les conditions de diffusion, ni celle de la monétisation (publicitaire), ni les données qui en découlent. En revanche il peut bénéficier d’une mise en avant et gagner ainsi en visibilité et en « engagement » de la part de lecteurs tout en recevant une partie de revenus générés
 
Dans les deux extrémités du spectre des stratégies possibles face à cette nouvelle donne on trouve The Guardian qui a récemment décidé de se retirer à la fois d’Instant Articles et d’Apple News (et qui n’a jamais été présent sur Snapchat Discover) et de Buzzfeed qui, lui, publie ses contenus sur 20 plateformes différentes incluant tous les dispositifs de publication native. Pour ce faire Buzzfeed adapte sa production de manière très fine aux exigences particulières de chaque canal de distribution. Entre ces deux stratégies il existe des positions intermédiaires en fonction des particularités des éditeurs, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, extrait d’un rapport du Tow Center for Digital Journalism

utilisation des technos des réseaux sociaux par les médias
Comment 14 éditeurs de presse utilisent 21 plateformes technologiques différentes
Source : Tow Center for Digital Journalism


Selon l’étude de Tow Center le rapport entre l’adoption par les éditeurs de publications natives et de publications classiques (c’est à dire d’extraits accompagnés de liens renvoyant vers le site de l’éditeur) au sein des plateformes d’infomédiation est plutôt équilibré. Ainsi, l’échantillon de sites d’information étatsuniens étudié a publié sur une semaine 11 481 contenus en natif et 12 346 en partage classique (c’est ce que les auteurs appellent networked publishing). En revanche, à regarder de plus près deux positionnements bien distincts apparaissent. D’un côté des éditeurs comme le Washington Post, le Huffington Post, Buzzfeed, Vox et Fox News dont plus de 80 % de contenus diffusés via Facebook le sont par le biais d’Instant Articles. De l’autre le New York Times, le Chicago Tribune, le Los Angeles Times et Vice News qui n’utilisent aucunement Instant Articles et le Wall Street Journal qui le fait très peu.
Lien postés sur facebook comparés à Instant article
Proportion de publications classiques postées sur Facebook par des sites de presse comparées à des publications sous forme d'Instant Articles
Source :
Tow Center for Digital Journalism

Ce qui ressort de cette observation c’est que le modèle économique et le support d’origine jouent grandement sur le choix d’utiliser ou pas le native publishing. Globalement, les utilisateurs intensifs sont à l’exception du Wahington Post, des acteurs natifs du web ou des médias audiovisuels financés par la publicité. Ceux qui refusent de le faire sont à l’exception de Vice, des éditeurs de presse historiques avec une marque forte qui ont mis en place un modèle payant solide (Wall Street Journal, New York Times) ou qui tentent de le faire comme le Guardian. Une recherche récente a mis en avant une dichotomie équivalente quant à l’utilisation de la vidéo native sur Facebook.
 
 Le tournant du modèle payant sur la base d’abonnements qui caractérise la grande presse explique donc le retrait de nombreux éditeurs d’Instant Articles  
En effet, les acteurs de la presse quotidienne sont caractérisés par une structure de coûts lourde, qui leur permet, surtout lorsqu’ils peuvent compter sur une rédaction de grande taille, d’assurer une production importante d’information originale et de reportages approfondis. Ce qui n’est pas forcement le cas des pure players qui privilégient souvent les contenus à bas coûts (production participative, information recyclée, buzz etc.). Le tournant du modèle payant sur la base d’abonnements qui caractérise la grande presse explique donc en grande partie le retrait de nombreux éditeurs d’Instant Articles.
 
En revanche, pour les médias de plus petite taille et/ou qui dépendent entièrement de la publicité, il semble que le choix n’en est pas véritablement un. S’ils veulent survivre dans l’environnement hyperconcurrentiel du web mobile, ils doivent se conformer aux injonctions des infomédiaires tout puissants.

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Crédit photo :
Facebook Instant Article. Service de presse de Facebook

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