Cinéma malgache : la renaissance passe par l’animation

Cinéma malgache : la renaissance passe par l’animation

Alors qu'à Madagascar, il n'y a plus aucune salle de cinéma en activité, le cinéma d'animation est en plein essor, soutenu par le Festival du film court. Quelles sont les raisons de ce curieux paradoxe ?
Temps de lecture : 10 min

Et pourtant ils tournent…

Cette formule de Joëlle Farchy(1) pourrait résumer à elle seule toute la complexité du contexte dans lequel essaie de se développer l’audiovisuel à Madagascar et en particulier l’animation, cas très spécifique en Afrique.

Sur l’île rouge, il n’existe plus de salles de cinéma et aucune structure étatique n’est véritablement en mesure d’œuvrer pour le développement du secteur, faute de volonté politique, faute de financements. La première génération n’a pas vu de relève lui succéder lorsqu’elle s’est éteinte dans les années 1980. Pendant quasiment vingt ans, le cinéma malgache est tombé dans une profonde léthargie. Le contexte local est bien difficile pour les cinéastes, l’industrie du cinéma n’existe pour ainsi dire pas à Madagascar. Et pourtant ils tournent…

Car le secteur audiovisuel n’en est pas pour autant inexistant. Depuis l’avènement du numérique, deux éléments ont marqué le paysage audiovisuel malgache. À la fin des années 1990, la vidéo a fait son apparition, donnant naissance à un secteur(2) très populaire de films, réalisés sur le modèle des premiers films nigérians de Nollywood, même si la qualité ne correspond pas aux standards internationaux.
 
Et, depuis le milieu des années 2000, une nouvelle génération de cinéastes est apparue, des cinéastes de courts-métrages pour la plupart. Cette date marque le début du renouveau du cinéma malgache, avec comme point de départ la création d’un festival, en 2006 à Antananarivo : Les Rencontres du Film Court (RFC). Dans ce contexte, l’animation demeure un cas exceptionnel à bien des égards.

Le renouveau du cinéma malgache

En 2010, Claude Alain Randriamihaingo affirmait dans une de ses publications(3), que le documentaire constituerait une base pour la relance du cinéma malgache. Même si le documentaire n’est plus le genre le plus représenté actuellement, il est vrai que l’impulsion est certainement venue de là. Les réalisateurs malgaches les plus connus sont des documentaristes (Laza(4), Nantenaina Lova(5) pour ne citer qu’eux). Et effectivement si Laza a pu créer les Rencontres du Film Court  en 2006 avec le Centre Culturel Albert Camus(6) c’est parce qu’il était déjà reconnu et notamment par son travail documentaire.
La relance est donc passée par le documentaire. Pour Laza, le cinéma à Madagascar est un cinéma d’urgence bien qu’il ne se fasse pas dans la précipitation, « c’est pour exister dans la marmite mondiale du cinéma ». Or pour exister dans cette marmite mondiale, il faut passer par les canaux obligés et donc se conformer aux standards, qu’ils soient thématiques ou esthétiques. Et cela a marché jusqu’il y a quelques années, le documentaire étant un genre apprécié des bailleurs.
 
Si la relance après vingt ans de léthargie est issue du documentaire, le véritable renouveau est venu du format court. Un court-métrage coûte moins cher, et le réalisateur n’a pas à besoin de chercher un apport financier auprès des financeurs du Nord. Ainsi donc, libéré de toute contrainte scénaristique et esthétique, le court-métrage s’émancipe du formatage subi par le long métrage. La liberté permise par ce format court, fait souffler un vent nouveau sur le cinéma à Madagascar depuis la création des RFC.
 
Ce festival de courts-métrages, qui a lieu chaque année à Antananarivo devient vite le moteur indispensable de la vie cinématographique de l’île, et constitue un élément incontournable aujourd’hui lorsque l’on désire aborder le cinéma malgache. Les Rencontres du Film Court sont à la fois le point de départ de ce renouveau, le moteur et le guide d’une grande partie du secteur local. Tous les genres sont en compétition au sein du festival, de sorte que chaque année des films de fiction, d’animation et des documentaires sont réalisés spécialement pour les Rencontres du Film Court. Quelques noms sont désormais bien connus, que ce soit à Madagascar ou à l’international. Ludovic Randriamanantsoa(7), Luck Razanajaona(8), Ando Raminoson(9), Tovoniaina Rasoanaivo(10).

L’animation malgache, un cas à part en Afrique

SelamananaL’ensemble de la cinématographie malgache mérite toute notre attention. Mais c’est bien l’animation qui revêt un intérêt particulier pour son caractère hors du commun, étant donné le contexte difficile. Faire de l’animation est plus long, plus technique, plus ardu qu’une prise de vue réelle. Comment l’animation fait-elle pour prospérer ? Certes tout est à la mesure du secteur audiovisuel à Madagascar, qui n’a qu’un poids économique minime et où les réalisateurs ne vivent pas de leur art mais une petite dizaine de cinéastes maintient depuis quelques années l’animation malgache sur le haut du pavé. C’est le cas notamment de Herizo « Bashy » Ramilijaonina, auteur de Selamanana, de Cid, réalisateur deThe Bee, de Sitraka Randriamahaly pour La chasse au lambo, ou encore Ridha Andriantomanga, qui a réalisé ILM et Le savoir. Bien sûr cette brève énumération est loin d’être exhaustive.

L’existence de l’animation malgache est en soi un phénomène intéressant à plus d’un titre, ne serait-ce que lorsqu'on observe combien ce genre est le parent pauvre du cinéma en Afrique. Il y a très peu de films d’animation sur le continent malgré une nette amélioration ces dernières années. Un long métrage d’animation Pokou, Princesse Ashanti d’Abel Kouamé Nguessan, a même vu le jour en 2013(11). Le court-métrage reste évidemment le format le plus courant. Dans quelques trop rares pays, des réalisateurs ont développé le secteur de l’animation. C’est le cas du Burkina Faso, du Cameroun, de la R. D. Congo (avec notamment Jean Michel Kibushi, l’un des pionniers de l’animation en Afrique), du Burundi ou des pays d’Afrique du Nord (Maghreb et Egypte), ces derniers étant mieux dotés que leurs voisins au sud du Sahara. Mais la qualité de cette production est très irrégulière. Face à ce constat, il apparait clairement que Madagascar fait figure d’exception dans l’animation.

Et l’animation fut…

Iny Hono Izy RavoronaL’apparition de l’animation à Madagascar est récente. Officiellement le premier film reconnu comme court-métrage d’animation date de 2006. Evidemment, plusieurs facteurs sont à l’origine de ce phénomène. D’abord, l’apparition du numérique au tournant des années 2000 constitue une base évidente, sur le plan des outils proposés comme sur le plan de l’accès à la culture web(12). L’une des caractéristiques communes selon Laza, qui est d’ailleurs valable pour l’ensemble du secteur audiovisuel à Madagascar, c’est « qu’il n’y a pas vraiment de référence cinématographique nationale à laquelle s’identifier, les références africaines comme [Ousmane] Sembène, [Souleymane] Cissé, etc. sont trop loin pour être en lien avec cette jeune génération. Nous avons une originalité, certainement due à notre insularité, mais la référence, sans aucun doute, c’est Internet ! ».

Ensuite, très paradoxalement comme le rappelle le réalisateur Laza, la fermeture des salles a eu un effet un peu inattendu. Lorsque la totalité des salles de cinéma a fermé ses portes, les malgaches ne voyaient plus leur propres images, ni leur propres histoires. Alors la bande dessinée s’est substituée au cinéma dans cette recherche d’image de soi. La BD s’est alors développée et professionnalisée et avec elle est né un vivier de dessinateurs, amateurs de dessins, mangas, etc. C’est sur ce terreau fertile pour le dessin et l’illustration qu’au bout de quelques années, une poignée de jeunes s’est lancée dans l’animation. Quelques publicités animées voient alors le jour et quand la première édition des RFC ouvre ses portes en 2006, les animateurs en puissance en profitent pour éclore à côté du festival. En 2011, la catégorie animation finit par être créée, tant les films gagnent en qualité et en professionnalisme. C’est alors que les animateurs se sont révélés, parce qu’ils pouvaient profiter d’un débouché et de propositions de formations.
 
Depuis, une quinzaine de films courts d’animation sont produits chaque année. Une partie d’entre eux connaissent une vraie carrière internationale, très souvent propulsés par les Rencontres du Film Court, véritable lieu de formation et révélateur de talent.
En une décennie, l’animation est devenue un secteur porteur à Madagascar, mais surtout les animateurs malgaches sont désormais reconnus à l’international, au festival d’animation d’Annecy, au festival international de courts-métrages de Clermont-Ferrand, l’école des Gobelins à Paris, ainsi qu’aux festivals de Berlin, Fribourg, et ailleurs dans le monde.

Un savoir-faire à la pointe, poussé par l’entraide et le système D

Quatre animateurs malgachesCôté savoir-faire, les animateurs n’ont rien à envier à nombre de leurs homologues des autres pays africains, voire même au niveau mondial. Certaines technologies comme la motion capture ou performance capture sont utilisées par certains animateurs malgaches à un tel niveau de maitrise qu’ils sont désormais contactés par d’autres animateurs du monde entier pour leur apporter leur aide. L’expertise malgache dans l’animation est reconnue. Un projet actuellement développé, intitulé Trad v.s Mod est l’illustration parfaite de ces propos. À l’aide une technologie de pointe, utilisant notamment la motion capture (13)(14) grâce au Kinect de la Xbox, ce projet se pose en précurseur au niveau local, et devrait mettre en avant le savoir-faire malgache sur la scène internationale de l’animation. Cela découle notamment du fait que les animateurs à Madagascar ne sont pas seulement des « cinéastes ». Certains travaillent sur des technologies issues du jeu vidéo, d’autres viennent du milieu de la publicité, certains de la BD, d’autres enfin sont arrivés par hasard à l’animation.
 
Il y a une vraie mutualisation des compétences durant le processus de création. Il s’agit d’un des rares secteurs artistiques à Madagascar où les acteurs collaborent afin d’optimiser les résultats. Cette mutualisation est d’autant plus accentuée par les méthodes de travail où le système D est souvent la règle. Les animateurs, ayant commencé pour la plupart en autodidactes, produisent régulièrement de véritables petits bijoux d’animation, malgré le contexte extrêmement difficile, qu’il s’agisse du manque d’infrastructures ou bien des problèmes économiques et techniques. Bien entendu, il n’est pas question d’idéaliser un mode de fonctionnement qui n’est pas toujours efficace, mais qui a tout de même fait ses preuves ». Depuis quelques années, certains cinéastes se sont regroupés en sociétés de productions dont l’aspect le plus marquant n’est pas le volet financier, mais bel et bien celui de la mutualisation des compétences.
Actuellement un projet de long métrage réunissant une bonne partie du secteur de l’animation à Madagascar est en cours, preuve une nouvelle fois du succès de ce travail collectif.

Le paradoxe du succès

Depuis une décennie, l’animation a été soutenue et poussée grâce à des formations(15). Mais actuellement, la situation en est arrivée à un paradoxe, que l’on pourrait appeler la rançon du succès. En effet, la première génération d’animateurs, reconnue pour son talent et son savoir-faire, a fini par être recrutée par des entreprises, en particulier dans le milieu de la publicité et de la communication. De ce fait, ces réalisateurs ne produisent plus ou très peu de films, vie professionnelle oblige. Car on ne vit toujours pas du cinéma à Madagascar, et encore moins de l’animation, et ce ne sont pas, à de très rares exceptions près, les activités principales des réalisateurs. Aussi, il semble qu’un tournant se présente actuellement. Une nouvelle génération arrive, promesse d’un recommencement, au moins en partie.
 
La diffusion des films d’animation, malheureusement, ne se fait qu’exceptionnellement à Madagascar, au grand dam des réalisateurs. La raison en est simple : l’absence de salles. Jamais les films malgaches, qu’ils soient d’animation ou de tout autre genre, n’ont été exploités commercialement sur la Grande île, qui devrait pourtant être leur territoire de prédilection. Alors, ces films s’exportent. Ils font d’abord le tour des festivals de cinéma dans le monde, puis sont parfois achetés par des structures comme l’Institut français ou Canal France International, et dans le meilleur des cas, des télévisions acquièrent les droits de diffusion. La plupart du temps il s’agit d’Arte ou TV5.

Vers une nouvelle génération

La légende de ZazaranoUne nouvelle génération pousse actuellement les portes, en particulier celles issue des Rencontres du Film Court, et le processus de développement de l’animation connait un recommencement. Ce n’est pas la fin de l’animation malgache, mais simplement une étape qui montre à quel point la situation est difficile et le cinéma fragile. Cette étape révèle également la vivacité du secteur de l’animation dans ce pays, avec un vivier en perpétuelle ébullition, et montre la nécessité de pouvoir vivre du cinéma à Madagascar pour les auteurs.
 
Avec le recul, même si l’animation ne propose pas toujours les films les plus porteurs(16) de la production annuelle à Madagascar, il apparait clairement que ce genre contribue grandement au renouveau du cinéma malgache. Tout d’abord en renouvelant le regard des artistes et en proposant un genre complexe et rare dans cette zone, mais aussi en mettant sous les projecteurs l’ensemble de la cinématographie de la grande île. On parle aisément, désormais, de l’animation comme une spécialité malgache en Afrique et dans l’Océan Indien. C’est en soi un élément très important pour la promotion de la culture malgache en général, et de sa cinématographie en particulier.
Si les outils numériques demeurent les leviers fondamentaux du phénomène de l’animation malgache, l’action d’infrastructures de soutien sera la clé de la pérennisation du secteur. Actuellement, l’État reste malheureusement complètement impuissant dans le domaine de l’audiovisuel à Madagascar, malgré l’existence de l’Office Malgache du Cinéma, théoriquement l’équivalent malgache du CNC, resté pour l’instant une simple coquille vide.
Attendons désormais de voir la sortie du projet de long métrage d’animation La légende de Zazarano, réunissant une grande partie des professionnels du secteur, qui sera une grande étape pour l’animation malgache et une preuve supplémentaire du dynamisme hors du commun de l’animation sur la grande île.

Références

Joëlle FARCHY, Et pourtant ils tournent... : Économie du cinéma à l'ère numérique, INA éditions, 2011

Claude Alain RANDRIAMIHAINGO, « Le film documentaire, une base pour la relance du cinéma malgache : de quelques véhémentes pérégrinations (1980-2000) », Études Océan indien, 44 | 2010, 215-226

Karine BLANCHON, Les cinémas de Madagascar 1937-2007, Images Plurielles, L’Harmattan, 2009

Rencontres du film court Madagascar

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Crédits photos : Festival des Rencontres du Film Court
Belle-vie, de Andry Rarivonandrasana
Ray, de Herizo Ramilijaonina
Selamanana, de Herizo Ramilijaonina
Iny Hono Izy Ravorona, de Sitraka Randriamahaly
Quatre animateurs malgaches en 2014 - Tojosoa Andrianarison, Cid, Sitraka Randriamahaly, Liva Razaka, Nathaniela Randrianomearisoa
MIFA workshop, atelier d'animation avec Corinne Destombes de Folimage
La légende de Zazarano, projet de film d'animation collectif



(1)

Joëlle FARCHY, Et pourtant ils tournent... : Économie du cinéma à l'ère numérique, INA éditions, 2011. 

(2)

À Madagascar, plus qu’un genre, la vidéo est véritablement un secteur à part qui n’a rien à voir avec le secteur cinéma 

(3)

Claude Alain Randriamihaingo, « Le film documentaire, une base pour la relance du cinéma malgache : de quelques véhémentes pérégrinations (1980-2000) », Études Océan indien, 44 | 2010, 215-226.

(4)

réalisateur/producteur malgache fondateur des RFC

(5)

Documentariste, réalisateur récemment de Ady Gasy, présenté dans de nombreux festivals dans le monde, notamment au Fespaco 2015 

(6)

Aujourd’hui Institut français de Madagascar 

(7)

Le petit bonhomme de riz, fiction

(8)

Madama Esther, fiction 

(9)

Ody Vy, fiction

(10)

Orobores, Fiction 

(11)

Présenté au Fespaco 2015 à Ouagadougou

(12)

La plupart des animateurs malgaches se sont formés via des forums en ligne au début.

(13)

a motion capture est une technique permettant d'enregistrer les positions et rotations d'objets ou de membres d'êtres vivants, pour en contrôler une contrepartie virtuelle sur ordinateur (caméra, modèle 3d, ou avatar). Cela permet une restitution visuelle de ces mouvements en temps réel. La performance capture quant à elle, depuis le début des années 2000, saisit de manière synchronisée les mouvements du corps, les expressions du visage et les mouvements des doigts. Auparavant, ces saisies étaient réalisées séparément. 

(14)

La motion capture est une technique permettant d'enregistrer les positions et rotations d'objets ou de membres d'êtres vivants, pour en contrôler une contrepartie virtuelle sur ordinateur (caméra, modèle 3d, ou avatar). Cela permet une restitution visuelle de ces mouvements en temps réel. La performance capture quant à elle, depuis le début des années 2000, saisit de manière synchronisée les mouvements du corps, les expressions du visage et les mouvements des doigts. Auparavant, ces saisies étaient réalisées séparément. 

(15)

MIFA Workshop d’Annecy, Institut de L'image de l'Océan Indien, à la Réunion, Ecole des Gobelins à Paris

(16)

En termes d’entrées mais aussi en termes de carrière internationale du film dans les festivals. 

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