Tencent, le géant asiatique du numérique

Tencent, le géant asiatique du numérique

Créée en 1998, Tencent Holdings Ltd est devenu l'un des principaux points névralgiques de l'Internet asiatique avec des activités couvrant l'ensemble des besoins et pratiques numériques. Présentation de cet acteur clé des TIC en Chine.
Temps de lecture : 16 min

Introduction

Créée en novembre 1998, Tencent Holdings Ltd. (ci-après Tencent) a développé, en une dizaine d’années, le troisième portail Internet le plus fréquenté au monde, et le service de messagerie instantanée le plus utilisé de Chine, QQ Messenger. En outre, la compagnie a créé plusieurs plateformes Internet mobile et 3G, créant ainsi l’une des plus importantes communautés Internet de Chine avec 79 sites disponibles dans le pays. Un certain nombre de ces plateformes et logiciels sont immensément populaires auprès des internautes chinois – il s’agit notamment de la messagerie instantanée QQ Messenger (ci après QQ IM), du portail Internet QQ.com et du service de microblog Tencent Weibo. Avec plus de 647,6 millions de comptes d’utilisateurs de messagerie instantanée en décembre 2010, Tencent représente 76,2 % des parts de marché de la messagerie instantanée en Chine en termes de fréquence d’usage.

Les technologies développées par Tencent influencent de façon très nette le développement de l’Internet, les comportements, les nouvelles façons de communiquer des internautes chinois ainsi que le paysage des réseaux sociaux de l’empire du Milieu. Dotée d’un revenu de 2 milliards d’euros et d’un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros en 2010, Tencent est côté à la bourse de Hong Kong depuis juin 2004 et s’est fixé pour mission d’« améliorer la qualité de vie des chinois par la provision de services Internet ». À cet effet, plus de 50 % du personnel du groupe se consacre presqu’uniquement à la recherche et au développement, Tencent a ainsi déposé des brevets dans plusieurs domaines : messagerie instantanée, e-commerce, services de paiement en ligne, moteur de recherche, jeux… En 2007, l’entreprise a ouvert le Tencent Research Institute, doté de trois campus (Pékin, Shanghai et Shenzhen) et qui développe des technologies Internet novatrices. Par ailleurs, la compagnie s’est dotée d’un bras philanthropique, la Tencent Charity Fund. Inaugurée en 2006, elle est la première fondation charitable établie par une compagnie chinoise.

 
Page d'accueil anglophone du site Tencent.com

Cet acteur clé des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) s’est imposé sur le marché domestique en coupant l’herbe sous le pied des géants occidentaux du secteur (MSN par exemple, qui n’a rencontré qu’un succès modéré en Chine) et en s’ouvrant progressivement au marché international (traduction de ses logiciels en anglais, français, allemand, espagnol, japonais et coréen). Les technologies développées par Tencent rencontrent un succès tel qu’elles sont à l’origine de phénomènes de société : QQ IM, fait partie intégrante de la culture populaire chinoise des années 2000 et la mascotte de Tencent, un pingouin arborant une écharpe rouge(1), est visible partout dans le pays. C’est, par ailleurs, devenu un instrument à part entière de « soft power » du pays. Derrière la réussite de Tencent se trouve une équipe jeune et dynamique basée à Shenzhen, ville nouvelle du sud de la Chine, dont la croissance exponentielle est indissociable de celle du pays.
 
Malgré ce développement qui lui a permis de conquérir le marché chinois de façon rapide, l’entreprise a fait face à quelques scandales liés à des questions de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale.
 
Comment Tencent s’est-elle développée ? Quelles ont été les stratégies adoptées et quels sont les obstacles, la concurrence et les conflits auxquels l’entreprise s’est trouvée confrontée ?

Naissance d’un géant de l’Internet en Chine

Fondée en 1998 par quatre jeunes diplômées en informatique de l’université de Shenzhen (promotion de 1993), Tencent compte désormais 18 personnes à sa tête. Quatre d’entre eux sont diplômés d’universités nord-américaines (Stanford, Harvard Business School, Université du Michigan et Rutgers), plusieurs ont travaillé pour des multinationales (McKinsey ou Goldman Sachs), avant de rejoindre Tencent, d’autres ont participé au développement et à la promotion des logiciels Microsoft  (Internet Explorer, MSN, Windows) et IBM en Chine. Parmi cette équipe dirigeante, un seul étranger, l’américain David Wallerstein, qui a rejoint la société en 2001 au titre de vice-président exécutif. En charge du développement de Tencent à l’international, David Wallerstein a plus d’une quinzaine d’années d’expérience en Chine dans le domaine des télécommunications et des industries de l’information.

Fondateur et directeur exécutif de Tencent, Pony Ma (MA Huateng ??? en mandarin), 9ème fortune de Chine et 249ème mondiale en 2010, avec 3 milliards d’euros, est la tête pensante de Tencent. Rarement visible dans les médias, ce diplômé en informatique de l’université de Shenzhen travaillait auparavant pour une compagnie d’informatique chinoise.

Au fil des années, Tencent a développé une gamme impressionnante de logiciels, mais c’est en copiant des logiciels étrangers que l’entreprise chinoise a commencé à faire connaître ses produits. Inspirés par le succès du logiciel de messagerie instantanée d’AOL, ICQ, Pony Ma et son équipe lancent, en février 1999, le logiciel OICQ (Open ICQ) sur le marché chinois, disponible gratuitement en téléchargement. Fin 1999, en 9 mois seulement, plus d’un million d’utilisateurs se sont créés des comptes OICQ. Un conflit émerge avec AOL suite à des problèmes de droit de propriété intellectuelle et Tencent se voit donc obligé de renommer son logiciel « QQ », en décembre 2000.

Malgré le succès grandissant rencontré par QQ IM, surtout auprès de la jeune génération – 500 millions d’inscrits en 2001, près d’un million d’inscriptions quotidiennes en 2002 – le peu de profits engendrés par Tencent est alors systématiquement utilisé pour couvrir les frais d’utilisation des serveurs Internet. La principale source de revenus (80 %) de la société provient du service permettant aux utilisateurs de QQ IM d’envoyer, depuis leur compte de messagerie instantanée, des messages sur des téléphones portables, Tencent partageant les recettes liées à l’envoi des messages avec les opérateurs de téléphonie mobile. Petit à petit, la publicité intempestive en ligne ainsi que la mise en place d’une monnaie propre à QQ, la Q Coin, deviennent rapidement des sources de revenus importantes.

Face au succès de QQ IM, et malgré les revenus générés par la publicité, en 2002, Tencent décide de faire payer l’inscription au service de messagerie instantanée, provoquant la colère des internautes chinois, qui, pour beaucoup, décident de s’abonner à des services de messagerie instantanée concurrents, tels que MSN, Yahoo! Messenger ou ICQ. Tencent fut alors obligé de rendre, de nouveau, l’inscription gratuite. En revanche, les services de cadeaux virtuels, d’avatars, d’images virtuelles…, restèrent payants.

En 2000, IDC, un fonds américain et Pacific Century Cyber Works (PCCW), une compagnie de télécom hong kongaise, investissent 1,5 million d’euros pour une part d’intérêt de 40 % au sein de Tencent. Le 16 juin 2004, Tencent entre à la bourse de Hong Kong (HKSE : 00700) et en février 2010, la valorisation totale de la société s’élève à 200 millions d’euros, avec pour principaux actionnaires MIH Group (34,32 %), une multinationale sud-africaine appartenant au groupe de médias Naspers, spécialisée dans les services de télévision payante et de messagerie instantanée, Pony Ma (11,16 %) et Zhang Zhidong (3,66 %), respectivement le PDG et le directeur exécutif de Tencent. Entre 2005 et 2010, les profits de Tencent (après taxes) connaissent une ascension fulgurante : 52 millions d’euros en 2005, 168 millions d’euros en 2007, 560 millions d’euros en 2009 et 870 millions en 2010. De même, entre 2004 et 2009, les revenus publicitaires de Tencent sont multipliés par 17.


Cette ascension est attribuable à la diversification des différents services en ligne et logiciels proposés par Tencent.

Un Empire présent sur tous les marchés

D’une compagnie qui n’offrait qu’une gamme limitée de logiciels, Tencent est devenu, en treize ans le principal pourvoyeur de logiciels Internet de Chine. La spécificité des produits offerts par Tencent tient à leur interconnectivité et à leur capacité à se synchroniser et se promouvoir entre eux. En termes occidentaux :

 Le hub social crée par Tencent reviendrait à n’avoir qu’une seule compagnie qui serait propriétaire de Facebook, Twitter, AIM et MySpace. 


Tencent propose ainsi une gamme de produits élargie. En dehors des logiciels et services (messagerie, sécurité et données, lecteur multimédia, e-commerce), l’entreprise offre aussi des jeux en ligne, des services « communautaires et sociaux », jeux en ligne et plateformes, portails et moteurs de recherche.



Les messageries et services dédiés aux entreprises


Le produit phare de Tencent est QQ Messenger, son service de messagerie instantanée. Tout comme MSN, ce service permet de parler en ligne, d’échanger des vidéos et des messages enregistrés, d’envoyer des fichiers. Ce logiciel, disponible en chinois, anglais et français, espagnol, allemand, japonais et coréen, est compatible avec la plupart des systèmes d’exploitation (tels que Windows XP, Vista, Linux, etc.). Fin 2010, QQ revendiquait 674,3 millions de comptes d’utilisateurs actifs(4) et le plus grand nombre d’utilisateurs connectés de façon simultanée sur le service de messagerie instantanée est de 137,2 millions. Cependant, ces chiffres, et de manière plus générale l’ensemble de ceux communiqués par la société, sont à manier avec précautions puisque, selon les spécialistes du marché, le nombre d’utilisateurs uniques serait plus proche du tiers du chiffre annoncé par Tencent. En effet, l’activité des utilisateurs sur les réseaux sociaux proposés par le groupe est toujours synchronisée à travers les différentes plateformes et services, ce qui fait que l’utilisateur est compté comme ayant été actif sur un ou plusieurs services, alors que ce n’est pas forcément le cas.

Nombre total de comptes QQ IM enregistrés d’après le site de la société
Tableau 1 : Nombre total de comptes QQ IM enregistrés d’après le site de la société


La croissance de Tencent d’après le site de la société
Tableau 2 : La croissance de Tencent d’après le site de la société

C’est grâce à ce service de messagerie instantanée que Tencent s’est créé une large base d’utilisateurs. À travers l’inclusion de publicités, au sein de ce service, qui vantent les différents réseaux sociaux, logiciels et plateformes développés par Tencent, la compagnie réussi à attirer des utilisateurs pour ses autres produits. QQ IM fonctionne alors à la façon d’un « pôle » de recrutement pour les autres produits de Tencent.

Outre QQ IM, Tencent a aussi développé d’autres logiciels de messagerie instantanée, spécialement conçus pour faciliter le travail en entreprise : échanges et protection des données en temps réel. Il s’agit notamment de QQ Entreprise, le Tencent Messenger, ou de RTX (Real Time Exchange).

Par ailleurs, Tencent a aussi mis en place toute une gamme de produits : un navigateur Web (Tencent Traveler), un logiciel de sécurisation des systèmes d’exploitation (QQ Doctor), et deux services de messagerie électronique (QQ Mail et Foxmail).


Les plateformes et portails Internet : la création d’une communauté


Large portail de divertissement en ligne, QQ.com permet aux internautes chinois d’avoir accès à un nombre considérable de nouvelles, de communautés interactives, publicités et liens vers d’autres produits phares de la gamme Tencent… Intégré à ce portail, le moteur de recherche de la société, officiellement lancé en mars 2006, Soso.com est l’un des deux plus importants moteurs de recherche en Chine, avec Baidu. Tout comme les Google Doodles, le moteur de recherche Soso.com change régulièrement l’apparence de son logo au gré des évènements du calendrier. Ainsi, pour la Fête des bateaux-dragons(5), le logo de Soso s’est transformé en bateau-dragon. Enfin, la gestion des téléchargements et l’installation des logiciels sont facilitées par QQ Download et QQ Software Manager. Le lecteur multimédia de Tencent, QQ Player, permet aux utilisateurs de regarder des films et d’écouter de la musique sous n’importe quel format.


Les jeux en ligne ou comment monétiser les différentes communautés créées autour des services du groupe

Si les services de messagerie instantanée permettent à Tencent de développer sa base d’utilisateurs, c’est par le biais des jeux, notamment, que l’entreprise tire un revenu de ses utilisateurs.

Tencent Games propose à ce jour une vingtaine de jeux en ligne. La société fait souvent appel à des compagnies extérieures pour la création de nouveaux jeux interactifs. Plus grosse communauté de jeux en ligne de Chine, Tencent Games compte 504,8 millions d’utilisateurs actifs. Les types de jeux disponibles sont diversifiés et répondent aux goûts des jeunes internautes chinois : jeux de combat en solitaire (Cross Fire et Alliance of Valiant Arms), jeux faisant participer un très grand nombre de joueurs simultanément par le biais d'un réseau informatique ayant accès à Internet(6) (Dungeon and Fighter, Hero Island) ou enfin des jeux au design plus simple (QQ Free Fantasy, QQ Dancer, QQ Speed, QQ Tang, QQ R2Beat, Punch Monster, QQ Pet).

La plupart des jeux développés par Tencent, et ses partenaires, sont intrinsèquement chinois. En effet, beaucoup sont basés sur des romans, légendes ou personnages historiques connus de tous en Chine (Journey to the Fairyland - premier jeu 3D conçu par Tencent – QQ Huaxia, Dragon Power, World Of Fantasy, QQ Xianxiazhuan et QQ Feng Shen Ji). La pérégrination vers l’ouest (???) est un jeu basé sur le roman éponyme de Wu Cheng’en, classique de la littérature chinoise qui met en scène l’expédition en Inde, au VIIème siècle, du bonze Xuanzang. De la même façon, les Trois Royaumes est un jeu basé sur l’Histoire des Trois Royaumes (????), roman historique extrêmement populaire dans le pays, qui décrit les évènements de la dynastie Han et de la période des Trois royaumes (220-265). Notons que le jeu Silkroad Hero prend comme toile de fond le règne de l’Empereur Wu, de la dynastie des Han (206-220). Enfin, la plateforme de jeux QQGames, mis en service en août 2003, rassemble la plus grosse communauté de jeux « casuals » (solitaires, jeux de cartes…) avec 4,8 millions de joueurs concurrents

Il sera intéressant de suivre l’évolution du partenariat entre l’éditeur américain de jeux en ligne, Zynga, qui s’est associé au portail Internet Tencent en juillet 2011, pour lancer une version chinoise de City Ville, produit phare de Zynga. Cette décision confirme la volonté de la société d’attirer toujours plus d’utilisateurs dans sa « toile ».


Les réseaux sociaux : du phénomène de masse à la spécialisation


Tencent a développé au fil des années plusieurs plateformes Internet, faciles d’accès aux internautes. QZone, lancé en 2005, est un espace personnalisé, similaire à MySpace, au sein duquel l’internaute dispose d’un service de blog. QZone compte 7,7 millions d’inscrits simultanés. Les plateformes QQ Music et QQ Live permettent aux internautes d’écouter de la musique et de regarder des films et des séries en streaming. Tencent a par ailleurs développé plusieurs réseaux sociaux : Pengyou (ouvert à tous) et City Life ainsi qu’Alumni (ouverts aux étudiants). Il est intéressant de souligner que tous sont des réseaux demandant le vrai nom des utilisateurs.

Logo de Tencent Weibo Le dernier en date est Tencent Weibo (????), crée en avril 2010. Ce service de microblogging permet aux internautes de publier de courts messages de 140 caractères maximum. En avril 2011, il comptait déjà 160 millions d’utilisateurs(7) et 10 milliards de messages courts. L’interconnectivité des services proposés par Tencent atteint son sommet dans le cas de ce service de microblogging puisque 40 % des utilisateurs créent des comptes Weibo à partir de la messagerie instantanée QQ Messenger. Il est d’ailleurs possible de poster des micro-posts sur Weibo à partir de QQ Messenger, QZone, Alumni et Pengyou.  Ce service, similaire à Twitter, a pour principal concurrent Sina Weibo.

Ces services sont par ailleurs une plateforme exceptionnelle pour les médias, les publicitaires et les multinationales qui ont, par leur biais, un accès privilégié au marché chinois.


Les services communautaires


Tencent est aussi présent dans le domaine de l’e-commerce grâce à la plateforme Paipai, lancée en septembre 2005 et à Tenpay, qui fonctionne de façon similaire à PayPal (plateforme de payement en ligne sécurisé). Le premier est une plateforme de ventes en lignes (avec des « chaînes dédiées ») alors que le second est un fournisseur de service de paiement en ligne pour d’autres entreprises ou structures. Plus de 200 000 sites de commerce en ligne ainsi que la plupart des services de banque en ligne (E-banking) des principales banques de Chine acceptent les paiements par Tenpay. Tous les marchands ayant une boutique en ligne sur Paipai ont pour obligation d’utiliser Tenpay, qui aurait ainsi plus de 78 millions d’utilisateurs. Tenpay dispose de 20,5 % des parts du marché chinois des paiements en ligne, juste derrière Alipay, le système de paiement en ligne développé par Alibaba, qui dispose de 51,2 % des parts. 

Avec la croissance rapide des services Internet mobile et de l’utilisation grandissante des smartphones, la plupart des services Internet décrit ci-dessus sont également disponibles en version mobile :
  • 3G.QQ.COM : version mobile du portail QQ.com ;
  • Mobile QQ  : version mobile de QQ IM ;
  • Mobile Games et Mobile QQ Music permettent aux internautes d’accéder à de la musique et aux jeux développés par Tencent depuis leurs téléphones portables.


Présent sur tous les fronts, Tencent dessine les contours des services en ligne (jeux, e-commerce et messagerie) et des réseaux sociaux en Chine. Cependant, plusieurs services proposés par Tencent doivent faire face à une concurrence accrue, notamment dans les domaines des microblogs et du commerce en ligne. Tencent n’est, par ailleurs, pas à l’abri de problèmes liés à la propriété intellectuelle.

Un acteur au cœur d’un marché concurrentiel et conflictuel

S’il est vrai que Tencent redessine le paysage des médias sociaux(8) en Chine, de la même façon que Facebook les façonne dans le reste du monde, l’entreprise n’est pas à l’abri de la concurrence et a été liée à des contentieux relevant du droit de propriété intellectuelle.

Le paysage numérique chinois et ses différents acteurs
Le paysage numérique chinois et ses différents acteurs / Resonance China

Étant donné la multiplicité des services proposés par Tencent, la concurrence à laquelle l’entreprise fait face est multiforme. Tencent ne dispose donc pas de l’essentiel des parts de marché dans tous les domaines dans lesquels l’entreprise propose des services. Ses principaux concurrents sont les suivants :



Graphique extrait du site Resonance China qui propose des infographies sur les médias sociaux en Chine

Un potentiel de développement freiné par une mauvaise gestion de la propriété intellectuelle

Dès ses débuts, Tencent doit faire face à des problèmes liés à la propriété intellectuelle. Ainsi, son produit phare, QQ IM n’était à la base qu’une pâle copie du logiciel de messagerie instantanée du géant AOL, ICQ. En 1998, Tencent lance OICQ, logiciel de messagerie instantanée inspiré d’ICQ. Très vite, ICQ informe OICQ que l’utilisation de ce nom (OICQ) s’apparente à une violation des droits de propriété intellectuelle. En 2000, alors qu’ICQ vient d’être racheté par AOL, ce dernier en revendique le nom de domaine et traîne Tencent en justice. AOL obtient gain de cause : OICQ est retiré du net. Ironie du sort, dix ans plus tard, alors qu’AOL cherche à revendre ICQ, Tencent est parmi les trois derniers enchérisseurs en lice contre deux compagnies russes, dont Digital Sky Technologies Global (DST) qui finira par acquérir le service en avril 2011 pour 187,5 millions de dollars.

En 2006, la popularité grandissante des « Q Coins »(9), monnaie virtuelle lancée par Tencent et permettant à l’internaute d’acheter des applications supplémentaires (ou add-ons) pour ses avatars, blogs ou autres, a alerté les autorités bancaires centrales de Chine. En effet, de nombreux sites Internet non affiliés à Tencent commençaient à accepter les  « Q Coins » comme monnaie d’achat en ligne, ceux-ci pouvant même s’échanger  contre de l’argent réel : des magasins en ligne d’achat de « Q Coins » ont commencé à voir le jour sur le net – dérégulant ainsi le cours du RMB. Suite à une allégation qu’un nombre grandissant d’internautes utilisaient cette monnaie virtuelle comme argent réel, la Banque populaire de Chine et 14 ministres chinois, inquiets de l’ampleur prise par le phénomène des « Q Coins », ont appelé, en février 2007, les compagnies chinoises à arrêter le commerce de cette monnaie virtuelle. Tencent s’est donc retrouvé contraint de réduire le plafond du montant maximum qu’un utilisateur peut transférer avec les  « Q Coins ».

Un autre conflit d’intérêt notable entre Tencent et une autre compagnie de logiciels – chinoise cette fois-ci – a eu lieu en 2010 lorsque Tencent a annoncé que son logiciel de messagerie instantanée QQ IM cesserait de fonctionner sur des ordinateurs dotés du logiciel de sécurité du fournisseur de solutions et de sécurité sur Internet 360. Derrière cette initiative se trouvait le désir, pour Tencent, de « forcer » ses 500 millions d’utilisateurs à utiliser son propre logiciel de sécurité (QQ Doctor), – doté de fonctions similaires à celles de 360. En conséquence, la société éditrice de 360 lança une mise à jour de son logiciel de sécurité afin que les principales fonctions de QQ cessent d’être opérationnelles sur les ordinateurs mis à jour (et disposant du logiciel 360). Les internautes n’avaient alors que deux options : utiliser QQ ou 360. L’affaire est alors remontée jusque dans les plus hautes sphères du gouvernement puisque Li Yizhong, le ministre de l’Industrie et de la Technologie de l’information a critiqué les deux compagnies pour l’effet négatif qu’avait leur conflit sur les internautes chinois. Ce conflit a laissé un goût amer dans la bouche de millions d’entres eux – une nette baisse a été constatée dans l’utilisation de QQ IM lors du deuxième semestre 2010, et les deux compagnies ont été obligées de présenter des excuses publiques. Page de couverture de Computer World Enfin, parmi les critiques régulières qui sont faites à l’encontre de Tencent, il en est une qui concerne son manque d’originalité, de créativité (reprise de logiciels étrangers connus, faible design…) et surtout son omniprésence sur toutes les facettes du marché informatique chinois. Le magazine chinois Computer World (?????) a même consacré  un numéro spécial contre Tencent, intitulé « P**ain de Tencent », dans lequel les différentes failles de l’entreprise sont mises en avant.

Cependant, ces critiques n’empêchent pas Tencent de rester maître du marché et d’être devenu un acteur incontournable de la nouvellement conquérante politique de « soft power » chinoise.

Soft Power, Pop Culture, Globalisation : le positionnement de Tencent sur les marchés chinois et mondial

À partir de 2008, QQ IM lance une version internationale de son portail, IMQQ. Son service de messagerie instantanée est disponible en six langues : anglais, français, allemand, coréen, japonais et espagnol. Par ailleurs, 2008 marque aussi le début du lancement d’une série de partenariats avec des compagnies asiatiques, telles qu’ibibo.com, en Inde, dont Tencent a racheté 50 % des parts, ou VinaGames, compagnie vietnamienne de jeux en ligne.

La mascotte de QQ, le pingouin et son écharpe rouge est devenu un élément omniprésent dans la vie quotidienne des Chinois. On le retrouve sous toutes ses formes : autocollants, cahiers, peluches et même sur les voitures ! Il est aussi commun d’indiquer son numéro de messagerie instantanée sur sa carte de visite en Chine et QQ IM est l’élément de base de la communication en entreprise. Tout employé qui se respecte a un compte de messagerie instantanée QQ avec lequel il communique, échange des fichiers et des informations avec ses collègues, clients… Lors du nouvel an lunaire 2011, Tencent a lancé sur le site de partage vidéo Youku un clip qui a rencontré un franc succès auprès des communautés chinoises de Chine et d’outre-mer. La messagerie instantanée QQ y est représentée comme le lien permettant d’unir les familles chinoises dont les enfants étudient à l’étranger. Cette opération marketing visait surtout à redorer le blason de Tencent après la dispute qui l’avait opposée à la société 360 à l’automne 2010, opération plutôt réussie puisque la vidéo a été vue plus de 450 000 fois en deux jours.

Conclusion

Entreprise incontournable du paysage informatique chinois, Tencent est parvenue, en quelques années, à conquérir le marché national et international en se positionnant sur de multiples fronts : messagerie instantanée, logiciel de protection, jeux, blogs, moteur de recherche… Tencent a réussi à mettre en place un modèle original et inimité jusqu’à présent en Asie. L’interconnexion des différents logiciels et services proposés par l’entreprise lui permet d’avoir accès à une base d’utilisateurs qui ont la possibilité de s’inscrire aux nombreux autres services proposés par l’entreprise. Le blogueur populaire Bo Hong (alias Keso) estime que :

 Si Facebook représente un graphique social du monde, QQ est le graphique social de la Chine (« If Facebook is the world’s social graph, the QQ is China’s social graph »).  







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Crédits photo :
- Illustration de l'article : image extraite d'un calendrier édité par Tencent, ??? / Flickr ;
- Page d'accueil anglophone du site Tencent.com ;
- Logo de Tencent Weibo ;   
- Page de couverture de Computer World (?????) ;
- Logo du moteur de recherche Soso affiché lors de la Fête des bateaux-dragons.

Références

(1)

Faisant beaucoup penser à Tux le pingouin mascotte de Linux. 

(2)

Abréviation de « renminbi » signifiant monnaie du peuple en chinois et désignant le yuan.

(3)

(4)

Est considéré comme actif un utilisateur qui s’est connecté au moins une fois au cours des trente derniers jours. 

(5)

Fête qui marque l’entrée dans les chaleurs de l’été - ??? - le 6 juin 2011. 

(6)

Ou MMOG en anglais (Massively Mulitplayer Online Game). 

(7)

Chiffre à remettre en perspective, voir supra. 

(8)

Les médias sociaux sont : « un groupe d’applications en ligne qui se fondent sur la philosophie et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et l’échange du contenu généré par les utilisateurs », Andreas Kaplan et Michael Haenlein. 

(9)

Le Q Coin s’achète pour un RMB en ligne ou dans des kiosques à journaux. 

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