La révolution Twitter et Facebook n'aura pas lieu

La révolution Twitter et Facebook n'aura pas lieu

« Small Change ». Dans son article paru dans The New Yorker le 4 octobre dernier, Malcom Gladwell critique le statut des réseaux sociaux et le néo-activisme qu’ils prétendent réinventer.
Temps de lecture : 3 min

Les réseaux sociaux : un médium militant ?

Le journaliste pose la question de l’engagement et du militantisme impulsés via ces nouveaux moyens de communication. Il part pour son analyse d’une comparaison avec les mouvements non-violents, notamment celui initié par quatre étudiants de Greensboro le 1er février 1960. Cet évènement « est devenu une guerre pour les droits civiques et mobilisa tout le Sud du pays pour le reste de la décennie et ce sans e-mail, sans sms, Facebook ou Twitter ».

« Le monde, nous dit-on, est au milieu d’une révolution. » Les nouveaux outils de communication réinventent les relations entre les individus mais touchent également la politique ou les médias de masse. Les réseaux sociaux ont fait évoluer la relation traditionnelle et il semble aujourd’hui plus simple de collaborer, coordonner et s’engager. Malcom Gladwell prend pour exemple la manifestation en Moldavie, au printemps 2009, des protestants contre le gouvernement communiste. L’action, qui a été relayée sur internet, a été doublée grâce à la « révolution Twitter  ». Dans la même lignée, des étudiants protestant contre Téhéran, voulurent quelques mois plus tard, twitter leurs revendications. L’auteur souligne dans son article l’intervention du Département d’Etat qui demanda au site de suspendre sa mise à jour et maintenance habituelle. Gladwell cite Mark Pleifle, ancien conseiller pour la Sécurité nationale, qui soutient que « sans Twitter le peuple d’Iran se serait pas senti confiant et conforté dans leur lutte pour la liberté et la démocratie ». L’ancien fonctionnaire propose même la nomination de Twitter pour le prix Nobel de la Paix…

Pour autant, l’auteur souligne que la plupart des activités sur les réseaux sociaux provenaient de l’ouest et personne ne s’est étonné de ne voir de commentaires en Farsi, langue utilisée en Iran. Les « tweets » provenaient d’Iraniens… exilés aux Etats-Unis ! Golnaz Esfandiari, journaliste et auteur de Foreign Policy, renforce l’opinion de l’auteur et affirme qu’il « est temps que Twitter joue son rôle dans les droits de l’Iran ». Par ailleurs James K. Glassman, un haut officier du Département d’Etat soutient que les «  sites tels que Facebook donnent aux Etats-Unis un avantage compétitif considérable sur les terroristes. Il y a quelques temps, j’ai dit qu’Al Qaedi “mangeait notre diner sur internet”. Ce n’est plus le cas. Al Qaeda stagne au Web 1.0. Internet est désormais interactivité et conversation ».


L’activisme en ligne

Qu’est ce l’activisme ? « Aimer » une cause sur Facebook équivaut-il pour autant à un réel engagement ? Malcom Gladwell appuie son analyse sur les travaux du sociologue Doug McAdam qui conclut que le nombre de connexions et demandeurs importerait plus que la lutte pour les droits civiques eux-mêmes. L’image d’un engagement l’emporterait sur la cause. Les plates-formes des médias sociaux sont construites autour de liens faibles qui dévalorisent l’engagement. Toutefois, l’auteur nous rappelle qu’Internet nous permet d’exploiter le pouvoir de ces connexions, pourtant distantes. Il reprend l’exemple de Sameer Bhatia, atteinte d’une leucémie, qui a fait appel aux réseaux sociaux pour trouver un donneur de moelle osseuse. Si les « évangélistes » des média sociaux considèrent qu’un ami sur Facebook représente un réel ami, Malcom Galdwell opère une distinction fondamentale entre l’activisme et le «  following ». « L’activisme sur Facebook ne traduit pas la motivation des internautes à faire un réel sacrifice mais plutôt l’envie de faire des choses que les personnes font quand elle ne sont pas assez motivées pour faire un réel sacrifice. » Autre point de distinction fondamentale pour l’auteur : les médias sociaux n’ont pas d’organisation hiérarchisée, ce sont des réseaux qui ne sont pas contrôlés par une autorité centrale. «  Wikipedia est le parfait exemple, il n’y a pas d’éditeur siégeant à New-York, qui dirige ou corrige chaque entrée ». Au contraire Malcom Gladwell parle plutôt de « self-organized ».

L’auteur de l’article fait un rapprochement avec le boycott du bus de Montgomery en 1955, qui a exigé la participation de dizaines des milliers de gens qui dépendaient pourtant des transports publics pour se rendre chaque jour sur leur lieu de travail. Cela a duré un an. Malcom Gladwell imagine que « si Martin Luther King Junior, avait essayé de faire un wiki-boycott dans Montgomery, il aurait subi la pression des pouvoir publics dirigés par les « blancs ». « Quelle aurait été l’utilité d’un outil de communication dans une ville où 98 % de la communauté noire pourrait recevoir le même discours chaque dimanche matin à l’église ? » La discipline et stratégie, dont eut besoin Martin Luther King, ne pouvaient pas être apportées par un réseau social en ligne. L’auteur fait enfin référence à Clay Shirky et son ouvrage Here comes Everybody qui met en lumière ce nouveau modèle d’activisme lié aux réseaux sociaux. Selon Malcom Gladwell, les réseaux sociaux ne sont que des micros connections entre les individus (weak-tie connexions), contrairement à l’engagement militant de terrain qui a besoin de lien forts (strong-tie connexions). En ce sens, Gladwell conclue que ces nouveaux médias sociaux conviennent pour communiquer, mais insuffisants pour devenir concrets. L’auteur pronostique que les révolutions de Facebook ou Twitter déboucheront sur le status-quo. Small Change.

Malcom Gladwell, journaliste à The New Yorker depuis 1996, est auteur de bestsellers tels que The Tipping Point (2000) et Blink (2005).

Références

Andy Smith, Jennifer Aaker, The Dragonfly Effect : Quick, Effective, and Powerful Ways to Use Social Media to Drive Social Change, Jossey Bass Wiley, Otobre 2010

Clay Shirky, Here Comes Everybody, Penguin Book, 2009

Malcom Gladwell, “Small Change”, The New Yorker, 4 Octobre 2010

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