Films interdits aux moins de 18 ans : ce qui change

Films interdits aux moins de 18 ans : ce qui change

Un décret vient de modifier la classification des films interdits aux moins de 18 ans. Cette modification constitue-t-elle un recul ou bien une avancée ?
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Les films projetés en public doivent obtenir un visa d’exploitation attribué par le ministre de la culture après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Cette autorisation préalable à la sortie des films vise à assurer la protection de l’enfance et de la jeunesse. Le visa peut être tous publics ou assorti d’une interdiction aux moins de 12 ans, 16 ans ou 18 ans. Le visa peut également être refusé. Les films pornographiques ou d’incitation à la violence sont pour leur part concernés par le visa X. Comme toutes les décisions administratives, l’attribution d’un visa d’exploitation par le ministre de la culture peut être contestée devant la juridiction administrative.
 
Après avoir disparu pendant plus de dix ans, l’interdiction des films aux moins de 18 ans en salles de cinéma a fait sa réapparition en 2001 à l’occasion du contentieux entourant le film Baise-moi. Le décret originel de 2001 a été complété par un décret de 2003 précisant les circonstances pouvant amener à interdire un film aux mineurs : le film doit contenir des scènes de sexe non simulées ou contenir des scènes de très grande violence. Ces textes ont finalement été codifiés en 2014 à l’article R 211-12 du Code du cinéma et de l’image animée. Entre le retour de l’interdiction aux moins de 18 ans en 2001 et aujourd’hui, 15 films ont reçu un visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans. Deux films (Antichrist et Nymphomaniac vol. 1) devraient s’ajouter rapidement à la liste suite à des annulations juridictionnelles récentes de visas « moins de 16 ans » jugés trop cléments au vu des textes en vigueur. C’est principalement en raison de ces recours contentieux et à la suite de plusieurs polémiques que ce régime d’interdiction aux mineurs vient d’être réaménagé par la ministre de la culture par un décret du 8 février 2017.
 
Le Code du cinéma et son interprétation par le Conseil d’État prévoyaient avant la réforme qu’un film contenant des scènes de sexe non simulées devait être interdit aux mineurs. Si les juges ont considéré pendant quelques années que la présence de telles scènes n’imposait pas obligatoirement une classification aussi restrictive, le Conseil d’État a rappelé en 2015 dans une décision relative au film Love que la présence de ces scènes dans un film devait entraîner son interdiction aux moins de 18 ans. À la suite de Love, les films Antichrist et Nymphomaniac vol. 1 furent également concernés (après intervention des juges) par l’automaticité de cette règle trop rigide.
 
 Une scène peut être simulée par des acteurs et être portée à l’écran de façon très réaliste 
Afin de rendre une marge de manœuvre à la commission de classification, à la ministre de la culture et aux juges administratifs en cas de recours, le nouveau décret n’emploie plus l’expression « scènes de sexe non simulées » qui a été remplacée par l’expression « scènes de sexe » complétée par une référence à leur accumulation. Ces nouvelles précisons vont dans le bon sens dans la mesure où la simulation n’est pas un bon critère de protection des mineurs : une scène peut être simulée par des acteurs et être portée à l’écran de façon très réaliste. Au surplus, des images de synthèse ou des dessins (que l’on pense aux hentai japonais) peuvent reproduire une scène de sexe de façon crue sans que la question de la simulation puisse se poser. Comme l’a rappelé l’ancien président de la commission de classification dans son rapport consacré à l’interdiction des films aux mineurs, ce critère est en réalité obsolète.

Le décret précise que dorénavant ce seront l’accumulation des scènes de sexe et leur capacité « à troubler gravement la sensibilité des mineurs » qui pourront conduire à une interdiction aux moins de 18 ans. Dans sa décision relative au film Love, le Conseil d’État avait déjà transformé ce critère de la simulation en expliquant qu’en réalité il convenait d’apprécier la « dissimulation » des scènes de sexe. Le décret de 2017 assouplit donc un critère qui l’avait déjà été en 2015 par la jurisprudence. On peut néanmoins saluer cette nouvelle formulation réglementaire qui impose indéniablement un cadre moins ferme à la décision d’attribution des visas les plus restrictifs. Dans le même sens, le nouveau décret remplace la formulation « scènes de très grande violence », contenue jusqu’ici dans le Code du cinéma, par l’expression « scènes de grande violence ». Le nouveau texte prévoit ainsi que lorsque ces scènes tendent « à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser  », le film devra être interdit aux mineurs. Notons que la jurisprudence appliquait déjà ces critères pour retenir l’interdiction d’un film violent aux mineurs.

 La commission de classification, le ministre de la culture devront apprécier de façon on ne peut plus subjective si les scènes de sexe ou de violence des films visés sont de nature « à troubler gravement la sensibilité des mineurs » 
On peut par contre douter que le passage de la « très grande violence » à la « grande violence » provoque un infléchissement des rares interdictions aux mineurs des films les plus violents. Les modifications opérées par le décret de 2017 sur le contenu des scènes pouvant entraîner une interdiction aux mineurs sont positives et entérinent en grande partie les évolutions jurisprudentielles récentes. L’appréciation de ce contenu permettra de déterminer si un film doit être interdit aux mineurs ou plus simplement aux moins de 16 ans. La commission de classification, le ministre de la culture (et les juges en cas de recours) devront apprécier de façon on ne peut plus subjective si les scènes de sexe ou de violence des films visés sont de nature « à troubler gravement la sensibilité des mineurs ». Si l’appréciation des juges se faisait déjà sur ce critère en matière de violence, les scènes de sexe étaient pour leur part appréciées sur le fondement d’un critère objectif : la simulation. La nouvelle rédaction du décret impose de s’interroger sur la question de savoir si telle ou telle scène de sexe risque ou non de troubler « gravement » la sensibilité des mineurs. La réponse peut varier en fonction de la sensibilité de chaque spectateur. Il en ira de même pour le ministre de la culture chargé d’attribuer les visas. La teneur des interdictions pourrait varier d’un ministre à un autre et, par la suite, d’une formation juridictionnelle à une autre en cas de recours. Doit-on par exemple considérer que Love, Antichrist ou Nymphomaniac auraient pu être simplement interdits aux moins de 16 ans au vu des dispositions de ce nouveau décret ? Rien n’est moins sûr !
 
Promouvoir, l’association d’extrême droite responsable de la quasi-totalité des recours dirigés contre les visas d’exploitation, s’est paradoxalement réjouie de l’adoption du nouveau décret. Ce dernier prévoit pourtant un assouplissement des conditions de classification des films les plus polémiques aux yeux de cette association. Ce paradoxe n’en est en réalité pas un dans la mesure où la subjectivité imposée par le nouveau décret ouvre de multiples possibilités d’interprétation des films dans lesquelles cette association ne manquera pas de s’engouffrer. D’autres solutions plus audacieuses étaient possibles. Elles n’ont malheureusement pas été retenues. 

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Crédit photo :
Kurious/Pixabay. Licence CC0 1.0

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