Pourquoi est-il important d'enquêter sur les algorithmes ?
C’est pourquoi, petit à petit, les enquêtes journalistiques s'attaquent aux nouvelles problématiques liées à la révolution numérique – et non plus seulement aux champs politique et financier. Les journalistes d'investigation s'intéressent en effet aux coulisses des différents pouvoirs, enquêtant pendant des mois voire des années pour dévoiler des scandales et demander des comptes aux puissants.
Le code de nombreux algorithmes est protégé par le secret des affaires
Enquêter sur les algorithmes, c'est aussi s’intéresser à un ingrédient clé de la réussite des nouveaux géants de l'économique mondiale, les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple. Là aussi, leur pouvoir est très largement opaque. Le code de nombreux algorithmes est protégé par le secret des affaires. De plus, leur fonctionnement très complexe est souvent difficile à appréhender ou à remettre en question pour le grand public.
« Aucun outil, aucune procédure, aucun garde-fou, aucune régulation n’existent pour l’instant pour contrôler les algorithmes »,
note Eric Scherer, qui appelle les journalistes à s'emparer de ce terrain d'investigation. Face aux avancées technologiques, les médias ont beaucoup de retard et très peu de journalistes disposent des compétences nécessaires pour enquêter dans ce domaine.
Mais, pour de nombreux individus, les décisions algorithmiques sont déjà une réalité qui a un impact fort sur leur vie. C'est pour cette raison qu'est née, au début de l’année 2015 en Allemagne, l'ONG
Algorithm Watch. « La prise de décision algorithmique comporte d'énormes risques et autant de promesses. Le fait que la plupart des procédures comportant des décisions algorithmiques sont des boîtes noires pour les gens qu'elles affectent n'est pas une loi naturelle, cela doit cesser ! »,
affirme son manifeste.
« Nous avons senti le besoin de créer une forme d'observatoire pour impulser le débat dans l'opinion publique », affirme Lorenz Matzat, data journaliste basé à Berlin. Algorithm Watch milite pour plus de transparence et participe aussi à plusieurs projets d'enquêtes journalistiques en collaboration avec des rédactions. La première portera sur le rôle des algorithmes dans le domaine de la gestion des ressources humaines et la seconde sur l'entreprise Schufa, dont l'algorithme définit un score de solvabilité qui conditionne l'attribution des prêts bancaires.
« Les décisions algorithmiques ne sont plus quelque chose d'amusant qui nous aide à décider quoi manger ou quoi regarder »,
avertit l'informaticien Suresh Venkatasubramanian, de l'Université de l'Utah, qui a élaboré des outils pour tester les algorithmes. « Demandons des explications, continue-t-il. Ouvrons les codes, exposons leur fonctionnement interne, demandons plus de responsabilité, de transparence, que les algorithmes ne perpétuent pas ou n'amplifient pas certains biais déjà présents dans la société ».
De nombreux chercheurs en informatique travaillent déjà sur les biais possibles des algorithmes. Leurs compétences peuvent être utiles aux journalistes car enquêter dans ce domaine demande, en plus des savoir-faire traditionnels, des connaissances pointues en informatique et en analyse des données. « Il faut avoir un grand degré d'expertise technique ou travailler avec quelqu'un qui a cette connaissance », estime Nicholas Diakopoukos, directeur du laboratoire de journalisme informatique de l'Université du Maryland. Les enquêtes effectuées dans ce domaine sont souvent le fruit d'un travail d'équipe où des profils plus journalistiques et plus scientifiques coopèrent.