40 ans d’Apple : au-delà du mythe

40 ans d’Apple : au-delà du mythe

Apple fête aujourd’hui ses 40 ans. Du premier ordinateur Mac au succès de l’iPhone, retour sur l’itinéraire de la marque à la pomme, qui a su plusieurs fois se réinventer pour mieux se perpétuer.

Temps de lecture : 18 min

Apple Computer Inc. a été créée un 1er avril 1976, à Cupertino (Californie) par Steven Paul Jobs (dit Steve Jobs), Steve Wozniak, et Ronald Gerald Wayne, puis constituée sous forme de société le 3 janvier 1977. Le prototype du premier ordinateur, créé par Wizniak, avait été refusé par Hewlett-Packard quelque mois auparavant pour absence de viabilité. Steve Jobs et Steve Wozniak avaient 21 ans à l’époque. Steve Wozniak Steve Jobs et Steve Wozniak avaient abandonné leurs études à la sortie du collège et les fondateurs s’étaient connus en travaillant pour Atari.

Le décor était en place pour la création du mythe des sociétés fondées dans un garage par des « college dropouts », Steve Jobs et Steve Wozniak ayant effectivement lancé la société dans le garage de la famille de Steve Jobs avec quelques 1300 dollars.
 
La vision initiale était imprégnée de l’esprit de la Californie(1) d’alors selon lequel les ordinateurs étaient synonymes de liberté, le futur s’annonçant dans les ordinateurs personnels de petite taille. Pour Steve Jobs il s’agissait de faire des choses « follement grandes »(2) pour les gens ordinaires. Leur mission était des créer des ordinateurs faciles à utiliser pour tout le monde. Dans ce climat intellectuel californien, le Homebrew Computer Club qui réunissait à Stanford University une communauté innovante d’ingénieurs, de libres penseurs et d’amateurs d’informatique a été un élément clé de la fondation de la société. Steve Jobs et Steve Wozniak y avaient présenté leur premier prototype. Ses membres échangeaient alors libéralement dessins, puces, technologies et savoir-faire sans préoccupation de droits de propriété intellectuelle…ce qui serait sans doute illégal de nos jours dans la Silicon Valley.
 
Quarante ans après Apple est devenue la plus importante société cotée du monde avec une capitalisation boursière, estimée en juin 2015, à plus de 737 milliards de dollars et des actifs évalués à 231,8 milliards(3) . Son chiffre d’affaires atteignait, en 2015, près de 234  milliards(4) . Avec un bénéfice de 53,4 milliards de dollars (soit plus de 20 % de ses recettes) cette même année, la société de Cupertino est fort profitable.
 
Il n’en n’a pas toujours été ainsi, le parcours de la société ayant été tout sauf rectiligne, marqué par des hauts et des bas qui se sont traduits par une valse des P-DG. La société a connu en effet trois grandes phases dont deux de succès, entrecoupée d’une période intermédiaire de déclin. La société  a subi des pertes par deux fois et a même été proche de la faillite avant le retour de Steve Jobs à sa tête en 1996.

Les débuts d’une start-up innovante : 1976-1984

Le premier ordinateur personnel de la société, Apple I, a été commercialisé pour 666,66 dollars. Il fut suivi par deux autres déclinaisons avant la fin de la décennie : Apple II et III. Dès la mise au point de ce premier ordinateur, le souci d’innovation et la volonté de ne pas tenir compte des marchés habituels et de la « sagesse technique » en vigueur, étaient manifestes. En effet, afin de parvenir à offrir un ordinateur à moins de 700 dollars, la société avait opté pour un microprocesseur à 25 dollars de la société MosTek, plutôt que pour le trop coûteux processeur Intel 8080 (179 dollars). L’approche était caractérisée également par des choix de design, une apparence extérieure soignée et une combinaison de matériel et de logiciels conçus pour faciliter l’usage. Cette approche s’est transformée en avantage concurrentiel au cours des années et a conduit plus tard à l’iPod, l’iPhone et l’iPad.
 
Ces premiers ordinateurs ont été développés dans un climat de concurrence intense avec d’autres fabricants, comme Atari ST, Commodore, Amiga et Radio Shack, pour le marché en développement de l’équipement domestique et des PME, avec des machines 8-bits(5) utilisant les microprocesseurs d’Intel 8080. L’Apple II, le premier ordinateur important commercialement de la firme concurrençait les PC de type IBM tournant sur MS-DOS(6) . En l’espace de trois ans, le chiffre d’affaires a atteint 48 millions de dollars (pour 30 millions en 1978 et 770 000 dollars en 1977).
 
La société s’est développée au départ, à partir de ses seuls fonds propres ce que permettait le faible coup d’entrée de l’époque. Toutefois, elle a échappé à la « vallée de la mort »(7) grâce à l’intervention d’un business angel, Mike Markkula, qui avait investit 91 000 dollars et apporté une ligne de crédit bancaire de 250 000 dollars, en échange d’un tiers des parts. Le financement permit de changer d’échelle industrielle, d’organiser le marketing et la production, et de créer la chaîne d’approvisionnement. Grâce à cette intervention, la société put recruter au sein de l’industrie des semi-conducteurs les talents dont elle avait besoin pour mettre au point ses machines.
 
La conception esthétique de l’Apple II en 1984, puis celle du Macintosh préparée depuis 1981 pour son lancement en 1984, provenait d’une petite société allemande, frogdesign que Jobs avait mis du temps à repérer puis fait venir à Palo Alto en 1981.
 
La production de l’Apple II fut arrêtée en 1983, l’ordinateur devant être remplacé par le nouveau modèle, une station de travail plus complexe et plus onéreuse: Lisa(8) . Ce fut un échec et le modèle retiré de la vente dès 1985.
 
 Les quarante principaux employés et investisseurs devinrent instantanément millionnaires  
Entre temps, la société fut introduite en bourse le 12 décembre 1980, offrant 4,6 millions d’actions. De 22 dollars à l'ouverture, l'action augmenta de plus 30 % pour clôturer à 29 dollars, portant la valeur de marché de la compagnie à 1,778 milliard de dollars. Les quarante principaux employés et investisseurs devinrent instantanément millionnaires. Ce fut alors l'introduction en bourse la plus importante depuis celle de Ford en 1956.

L’amorce d’un déclin : 1984-1996

Apple  s’est développée en exploitant les principales innovations du monde de l’informatique de l’époque. Elle reçut près de 100 millions de dollars en termes de recherche et développement de la part de Xerox Parc en échange de d’une option d’achat d’actions ce qui lui permit de mettre au point relativement vite son premier ordinateur Macintosh(9) . Avec ce produit bon marché, Apple avait tiré les leçons de l’échec de Lisa.
 
Le produit phare de la période, le McIntosh1 fut lancé en 1984. Le Macintosh était le premier ordinateur personnel utilisant une souris et une interface graphique qui a rencontré un succès commercial. Cette interface, ainsi qu’une conception améliorée du lecteur de disque souple couplée avec un disque dur bon marché, accélérait l’accès aux données. De plus, son imprimante laser ouvrait la voie à la publication assistée par ordinateur . Le produit était commercialisé pour 1300 dollars.
 
Toutefois, les ventes furent assez vite en perte de vitesse, et seule l’arrivée d’une commande du secteur éducatif de 50 000 unités permit la survie de l’entreprise avec des ventes d’environ 50 millions de dollars à travers le « Apple University Consortium for public education services ».  La demande repartit par la suite mais cette commande publique avait été providentielle pour Apple.
 
En 1985, un conflit de pouvoir opposa Steve Jobs à John Sculley, alors président et P-DG d’Apple Computer qui venait de l’agro-alimentaire, et dont les vues sur l’avenir de la compagnie divergeaient de celles du fondateur. Le conflit aboutit au départ de Steve Jobs en septembre.
 
 On a pu parler de décennie perdue  
L’originalité première de la société fut alors diluée, voire perdue et la compagnie afficha des pertes dès 1985. Les actions de la compagnie chutèrent en conséquence. Pour la période 1987-1997, on a pu parler de « décennie perdue » en raison du ralentissement de l’innovation
 
Par ailleurs, la concurrence se modifiait. Les concurrents d'hier, Atari ST, Amiga et Commodore 64, perdaient aussi du terrain face à la montée d’IBM et de ses ordinateurs personnels avec la première version de Windows. En 1986, ces derniers représentaient déjà plus de la moitié des ordinateurs personnels vendus dans le monde. Face à cette concurrence croissante des PC, Apple lancera successivement les Macintosh LC, Quadra et Centris. Malheureusement, ces nouveaux modèles furent victimes d'une mauvaise commercialisation. Apple dut également faire face à la montée en puissance du couple Microsoft / Intel qui prenait de plus en plus de parts de marché. Cette tendance s'amplifia avec la sortie de nouveaux Pentium et celle de Windows 95, améliorant les capacités multimédia des PC dont l’interface se rapprochait de plus en plus de celle créée par Apple. L’arrivée de Window 95 ne laissera qu’une portion congrue du marché. En 1996, Apple ne détenait que 5.5 % de parts de marché mondial.
 
Au second semestre 1996, Apple annonça de lourdes pertes (740 millions de dollars), et effectua de nombreux remaniements, dont une vague de 2 700 licenciements. De plus, la société s’était engagée dans un long et couteux litige juridique afin d’empêcher Microsoft et Hewlett Packard d’utiliser l’interface graphique mise au point pour Lisa et Macintosh, les assignant pour non-respect de ses droits de propriété intellectuelle. Steve Jobs reconnut par la suite la difficulté qu’avait la société pour mettre au point des partenariats. Il en tira les leçons pour l’iPhone.
Néanmoins dès son retour à la tête d’Apple, il sollicita Bill Gates, , pour financer ses nouveaux projets en lui proposant pour 250 millions de dollars d’actions de la société. Le chiffre d’affaires de la société avait chuté de 11 milliards de dollars en 1995 à moins de 6 milliards en 1998. Le chiffre d’affaires s’élevait à 2 milliards de dollars au moment du départ de Steve Jobs.
 
Par ailleurs, la firme a été l'une des 100 premières à acquérir un nom de domaine en « .com », en février 1987. En juillet de la même année, Apple créa sa filiale de logiciels Claris, renommée Filemaker en 1998.

Le retour de Steve Jobs et la renaissance d’Apple : 1996-2012

Après son éviction de la compagnie, Steve Jobs avait entrepris de transformer l’industrie des matériels informatique à travers sa nouvelle société, sans succès commercial
Steve Jobs revint tout d’abord comme conseiller d’Apple, puis en prendra la tête. Entretemps, il avait aussi lancé le studio d’animation Pixar qui produira de nombres succès au box-office.
 
L'un des premiers produits entièrement conçus sous la direction de Steve Jobs à son retour a été l'iMac, lancé en 1998, un ordinateur intégré à l’esthétique avant-gardiste d’un bleu transparent. Le succès fut au rendez-vous. Commercialisé pour 1299 dollars, l'iMac a été vendu à plus de 6 millions d’unités en quatre ans. L’appareil marquait le passage du Macintosh au Mac, la première appellation disparaissant en 1999 avec le retrait du Power Macintosh au profit du Power Mac G4. Le modèle esthétique développé fut appliqué pour le Power Mac G4 et pour l’iBook. Le Power Mac connut également un vif succès. Avec ce dernier, la société disposait désormais de modèles portables et de bureau pour les clientèles grand public et professionnelles.
 
Pour améliorer la visibilité de ses produits, Apple lancera sa propre chaîne de boutiques, sous le nom d'Apple Store. Les premières ouvriront en mai 2001. En 2006, 170 magasins dans quatre pays assuraient près de 17 % des ventes au détail.
 
Cinq mois après l'ouverture de ses premiers Apple Store, Apple lança son baladeur numérique, l'iPod. Apple opérait ainsi un tournant stratégique majeur, passant des ordinateurs aux services web avec l’introduction du service de téléchargement musical iTunes, accessible uniquement à partir du terminal spécialisé conçu à cette fin, l’iPod. Apple est devenue depuis un des leaders de ces services, mais toujours en les couplant avec un terminal clé pour l’accès aux services, l’iPhone après l’iPod puis l’iPad. Le produit rencontra un grand succès, permettant à Apple de vendre plus de 260 millions d'appareils en neuf ans. Il signa également le début de la diversification d'Apple. En 2003, Apple amorça l’élaboration d’applications avec la sortie de la suite iLife : iPhoto 2, iDVD 3, iMovie 3, iTunes 3, et le Safari Web browser. En 2006 Apple détenait environ 62 % de parts de marchés des lecteurs musicaux et 29 % du marché mondial.
 
En avril 2003, conjointement avec le lancement de la troisième génération d'iPod, Apple ouvrit l'iTunes Music Store, une boutique de vente de musique en ligne. En 2006, le terme « music » a disparu avec la mise en vente de vidéos sur l'iTunes Store. En 2006, la société introduit son premier iMac utilisant un processeur Intel, ayant renoncé aux processeurs Power PC.
 
À la suite de l'annonce et la présentation de l'iPhone et de l'Apple TV à la Macworld Expo en janvier 2007, Steve Jobs annonça qu'Apple Computer Inc. devenait officiellement Apple Inc., prenant acte de la réorientation des ordinateurs personnels vers l’électronique grand public.
 
Le nouvel appareil emblématique de la firme, l’iPhone fut mis en vente aux États-Unis à partir de juillet 2007 par AT&T en exclusivité, et à partir de novembre 2007 en France, en Allemagne et en Angleterre. Les négociations avec la compagnie de télécommunications américaines, AT&T, avaient commencé deux ans avant. Les responsables des négociations du côté d’AT&T pressentaient l’arrivée d’une perturbation forte du marché ce qui les rendaient nerveux, d’autant plus qu’ils percevaient la société comme la plus secrète du monde. De leur côté, les responsables de la négociation pour Apple anticipaient une explosion du trafic des données et avaient besoin de s’assurer de la volonté du pourvoyeur d’infrastructures d’investir des milliards dans le réseau à cette fin.
 
 On pouvait de fait avoir des doutes sur la capacité d'Apple à perturber un oligopole 
La nervosité d’AT&T était compréhensible dans la mesure où Apple, avant tout un acteur de niche jusque-là (2.3 %. de part de marché mondial en 2005), qui n’avait d’une part aucune expérience industrielle pour la fabrication de téléphones mobiles, d’autre part n’avait jamais été un producteur de matériel en quantités importantes. On pouvait de fait avoir des doutes sur la capacité de la société à perturber un oligopole relativement stable.
 
Apple parvint à introduire une rupture au sein des constructeurs de téléphone. En effet, l’écran tactile et la qualité graphique de l’iPhone faisaient écho à l’interface graphique élaborée pour le Macintosh des années auparavant, qui avait fait le succès de l’ordinateur face à la complexité du MS-DOS. Avec l’Iphone, la société réitérait le même coup de maître sur le marché des téléphones mobiles.
 
 Apple accédait directement au client en court-circuitant l’opérateur  
De surcroît, Apple réussit à commercialiser le nouvel appareil à un prix élevé à travers des accords d’exclusivité passés avec les opérateurs de télécommunications. Ce modèle d’affaires était un défi au pouvoir de marché des opérateurs de télécommunications car Apple accédait directement au client, court-circuitant l’opérateur. L’équipementier dominant à l’époque, Nokia, n’avait jamais réussi à obtenir une telle position aux cours de ses vingt années de croissance. Apple retourna la situation en sa faveur grâce à son habile combinaison d’un produit de qualité supérieure, d’un marketing extrêmement efficace et des fortes marges assurées à travers les accords d’exclusivité.
 
En juillet 2008, pour alimenter l'iPhone en applications tierces diverses et variées, Apple ouvrit l'App Store, qui permettait de télécharger des applications, développées par des tiers mais commercialisées par Apple  pour iPhone et iPod Touch. Un mois après le lancement, 60 millions d'applications y ont été téléchargées, avec une moyenne d'un million de dollars dépensés par jour, alors que la majorité des applications présentes sont gratuites.
 
En janvier 2010, Apple lança sa tablette, l'iPad. .Le pari de l’iPad était de se positionner entre smartphone et ordinateur portable, tout en continuant à décliner une lignée de produits antérieurs. Les développements de l’iPod, puis de l’iPhone, avaient permis à Apple de développer des connaissances nouvelles sur la technologie (écran tactile, processeur, mémoire, etc.), sur le design des produits, sur les modules de développement d’applicatifs (le kit de développement), sur la gestion de l’écosystème de développeurs, sur le processus logistique et sur les usages des consommateurs, etc. Utilisant ainsi l'iPhone OS, l'iPad disposait ainsi du même vaste catalogue d'applications. 300 000 appareils ont été vendus en l’espace de 80 jours aux États-Unis. Comme dans le cas de l’iPod et l’iPhone mais avec une intensité décuplée, le succès de l’iPad fut immédiat et planétaire.

Quel avenir après Steve Jobs ?

Malade, Steve Jobs dut abandonner officiellement son poste de P-DG en août 2011, tout en gardant son poste de président du conseil d'administration. Il est décédé en octobre 2011, des suites d’un cancer du pancréas. C’est Tim Cook, jusque-là Chief Operating Officer, l’un des acteurs majeur de l’introduction de l’iPhone, qui l’a remplacé en tant que P-DG.
 
En juin 2013, Apple a lancé sa radio Internet (iTunes Radio) pour concurrencer Spotify ou Pandora. Jugeant le paysage de la musique numérique désorganisé et trop fragmenté à travers des sources trop nombreuses de musiques, de vidéo et d’information sur les artistes, Apple a introduit ensuite son service intégré « Apple Music » comme « une conception complète autour de la musique ». Le service propose trois composantes : un service de musique en streaming offrant des « playlists » sélectionnées, une station de radio mondiale intitulée « Beats 1 » ; et un service de réseau social, « Connect » permettant aux artistes et aux utilisateurs de se connecter directement. Le service est accessible à travers une application unique pour 9.99 dollars mensuels. Il a été lancé en juin 2015 dans 100 pays sur la base de l’iOS 8.4 pour iPhone, iPad, et iPod Touch. Il est accessible aux utilisateurs de Mac grâce à une application iTunes.
 
Auparavant, en 2014, Apple avait noué un partenariat avec IBM afin de renforcer sa position sur le marché des entreprises. Elle avait également introduit son nouveau service de paiement à partir de mobiles, Apple Pay, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le service permet les règlements sans contact, ainsi que le paiement au sein des « apps ». Pour le marché chinois où Apple Pay a été introduit en février 2016, Apple s’appuie, pour contrer la vive concurrence des géants chinois des paiements sur Internet WeChat et Alipay, sur UnionPay, le seul réseau de cartes bancaires du pays.
 
Annoncée en septembre 2014, l’Apple Watch a été commercialisée en 2015. Le terminal bénéficie d’une interface spécifique et de technologies mises au point pour autoriser la navigation sur un terminal réduit. Malgré les difficultés que connait le marché des objets connectés, il semblerait que la firme à la pomme tire son épingle du jeu en captant près de 50 % des ventes, selon une étude de Juniper Research. Apple ne révèle pas, dans ses comptes, la répartition entre ses « autres produits » dans laquelle figure la montre, mais la comparaison des résultats des derniers trimestres 2014 et 2015 montre une augmentation de 62 % dont une partie provient sans doute de ce nouveau produit.
 
La même année, une nouvelle AppleTV est introduite sur le marché, construite autour d’un logiciel spécifique tvOS et d’un magasin dédié Apple TV App Store. Pour la montre et la TV une télécommande vocale pour l’accès et la recherche, Siri, a été mise au point. A l’instar de Netflix, Apple considère que les apps sont la télévision du futur.
 
En 2015 également, Apple a sorti ses iPhone 6s et 6s Plus, les premiers de la marque à supporter la captation de vidéo en 4K. Autre nouveauté le 3D Touch qui apporte le support de la pression sur l’écran tactile. Le lancement a été un succès, les ventes du dernier trimestre de 2015 ayant atteint des sommets, notamment en Chine malgré la vive concurrence de produits locaux « low costs ». Néanmoins, Morgan Stanley et d’autres analystes estiment que les ventes pourraient plafonner en 2015, pour décliner légèrement en 2016.

Une société redevenue prospère

En moins de 10 ans, depuis l’introduction de l’iPhone, la société a vu son chiffre d’affaires pratiquement multiplier par 10. En effet, il n’atteignait que 24, 578 milliards de dollars en 2007(10) générés par les boutiques ne représentaient que 8.5 % du total. La société employait en 2014 plus de 92 000 personnes dont approximativement la moitié pour ses réseaux de vente.
 
 Les recettes générées par les contenus sont insignifiantes 
La société demeure une société de matériel passée d’une ligne d’ordinateurs, les Macs, à la nouvelle forme d’ordinateurs personnels que constitue l’iPhone et ses dérivés. Mais l’originalité de la société passe par la combinaison innovante du matériel et du logiciel. Son modèle d’affaires a évolué, s’éloignant de son métier initial (ventes coupléesde Macintosh, de ses accessoires et de ses logiciels), pour positionner l’entreprise dans la ligne de la stratégie du hub numérique. De fait, les recettes générées par les contenus sont insignifiantes, moins de 1 % de la marge brute depuis la création de l’AppStore. L’objectif n’étant tant pas de contribuer à la marge que de rendre captifs les consommateurs.
 
Les bénéfices proviennent des marges importantes sur les matériels. Apple pratique une politique de tarifs élevés, jouant sur l’attractivité de la marque. Pour un iPad valant 499 dollars, le coût de fabrication s’élevait en 2010 à 230 dollars, le coût des ventes à 70 dollars, laissant une marge substantielle de 40 %. La marge brute réalisée à partir de l’iPod était déjà supérieure à 20 %, celle de l’iPhone oscillant autour de 30 %. Cette stratégie est à l’opposé de celle d’Amazon ou de Microsoft qui vendent leurs terminaux à perte mais récupèrent les pertes sur les ventes des contenus et autres produits.
 
La géographie a aussi changé : alors que l’Asie dans son ensemble assurait 7.4 % des recettes en 2009(11) en fournissait plus de 25 % en 2015, ayant dépassé l’Europe l’année précédente grâce à un taux de croissance exceptionnel de 84 % de 2014 à 2015. Les États-Unis  demeuraient le premier poste de vente avec plus de 40 % en 2015.
 
Le lancement de l’iPhone a été la quatrième entrée d’Apple dans l’industrie, après les ordinateurs personnels, les assistants personnels et les baladeurs musicaux. La société est désormais l’un des premiers constructeurs mondiaux de téléphone étant passé de 1.4 millions de terminaux en 2007, à 125 millions dès 2012, cinq après le lancement. Les ventes ont atteint plus de 230 millions d’unités en 2015.
 
On notera également qu’en l’espace de cinq ans (de juillet 2008 à octobre 2013), le nombre d’ « apps » disponibles pour être téléchargées sur la plateforme d’Apple, est passé de 500 à 1 million, et comptait 100 milliards de téléchargements en 2014. En 2015, 3,1 millions d’apps étaient disponibles.

Un portefeuille d’activités étendu

Apple conçoit, fabrique, et commercialise des terminaux de communication mobile et de divertissement, des ordinateurs personnels et des portables. Elle vend une série de produits liés à ces produits : logiciels, accessoires, solutions de réseaux, applications de contenus numériques fournis par des tiers, et des applications. Elle commercialise également les produits complémentaires de tiers compatibles avec ses propres produits. Elle vise les marchés grand-public, les PME, les marchés éducatifs, gouvernementaux et les entreprises.
 
En résumant, Apple est ainsi présent sur les marchés :
- de l’informatique personnelle avec des ordinateurs de bureau  et des ordinateurs portables
- de l’électronique grand public (iPod, iPad, Apple TV) et de la téléphonie (iPhone).
- Apple est aussi présent sur les marchés du software avec son système d’exploitation
iOSutilisé dans les terminaux mobiles de la compagnie, et Mac OS utilisé dans ses ordinateurs Mac. Avec iTunes, logiciel de lecture et de gestion de bibliothèque multimédia numérique,et aussi iCloud, son service de stockage en ligne de photos, musique, applications et tout type de documents
- Apple est enfin présent sur le marché des services. L’iTunes Store permet au consommateur d’acheter, de louer ou de télécharger contenus numériques (musique, vidéo, livre) et applications.

La création progressive d’un écosystème

Steve Jobs avait pris conscience des carences de la société en matière de constitution de partenariats. Pour le lancement du baladeur numérique, il a su naviguer habilement au sein du champ de mines que constituait les industries des médias au début des années 2000 face à la déferlante numérique. Il réussit à convaincre les 6 principales sociétés d’édition musicales de l’époque et les indépendants de lui confier leurs catalogues tout en leur imposant un prix unique de 0,99 dollars aux États-Unis et 0,99 euros en Europe.
 
La société a su prendre trois décisions stratégiques :
- Innovation de système : dans le fil de l’élaboration de ses ordinateurs, Apple conçoit la totalité de l’ensemble et ne se concentre pas, comme les autres industriels du secteur, sur l’un des composants, sur la boutique ou le baladeur. Ce choix permet une meilleure coordination de tous les éléments.
- Agnostique en termes de plate-forme : le système fonctionne sous Window ou sur Mac.
- Une conception fermée à travers une clé de cryptage pour la musique. Les chansons achetées dans la boutique Apple ne pouvaient être écoutées que sur le terminal Apple. Ceci offrait un argument vis-à-vis des compagnies de disque pour la protection de leurs contenus, d’une part. D’autre part en créant des coûts de conversion pour les utilisateurs Apple protégeait sa part de marché.
 
La plateforme iTunes rémunère les apporteurs de contenus ou de services (les applications) en leur rétrocédant 70  % des recettes, à charge pour eux de rémunérer les éventuels ayant-droits.Les contenus sont disponibles en téléchargement (à l’achat ou en location). La société maintient par ailleurs une communauté de développeurs, de produits et de contenus numériques qui viennent compléter son offre. Par ailleurs, Apple a toujours entretenu une réputation de sécurité supérieure à celle des systèmes concurrents. Ce souci est clairement affiché dans le conflit actuel avec le FBI.
 
La démarche de constitution d’un écosystème autour de partenariats a été amplifiée dans le cas de l’iPhone. La conception et la fabrication relèvent de la même démarche avec une insertion dans un réseau mondial d’innovation. La société est probablement l’une des premières à avoir assis son développement sur de tels réseaux mondiaux à l’ère de l’Internet.
 
Les partenaires industriels en ont aussi un rôle prépondérant. De fait, bien que certains ordinateurs soient fabriqués aux États-Unis ou en Irlande, une part fort substantielle des matériels sont produits en Asie, par des partenaires relativement concentrés. Il faut noter que l’Irlande offre aussi un havre fiscal à Apple. La société est experte des stratégies d'optimisation fiscale, ce qui lui permet de garder l'essentiel des profits colossaux qu’elle réalise, mais cela lui vaudra sans doute des redressements fiscaux à l’avenir (USA, Europe...).
 
Loin de ses débuts “libertaires” et des échanges libres entre pairs au sein du Homebrew Computer Club, la société a mené à la faillite la société Franklin Computer qui avait cloné la conception et le logiciel du Macintosh. La firme à la pomme est, en effet, devenue un défenseur féroce de sa propriété intellectuelle, n’hésitant à se lancer dans de nombreux procès y compris à l’encontre de sous-traitants comme Samsung.
 
Avec ses logiciels et son système d’exploitation propriétaires (non compatibles avec d’autres marques), son système de distribution limité (revendeurs agréés, Apple Store et site Internet), la marque Apple a créé un écosystème fermé qu’elle contrôle de la fabrication à l’utilisation. Les produits, leur qualité et surtout leur facilité d’utilisation, dus à l’intégration totale avec les services et à l’élimination de ce qu’Apple juge superflu, attirent (et capturent) le consommateur.
 
L’ensemble fonctionne de manière extrêmement performante, les qualités de chacune des composantes renforçant l’attractivité de l’ensemble. Les appareils sont par ailleurs positionnés haut de gamme et bénéficient d’une forte fidélité de la clientèle, qui est renforcée par le caractère propriétaire des technologies utilisées. Enfin, la firme a développé un sens aigu des relations publiques et des campagnes de publicité. Steve Jobs savait en effet orchestrer les lancements et créer du suspense par des fuites arrangées et des gestes spectaculaires.
 
Selon Jean-Louis Gassée, un ancien « historique » d’Apple, Apple n’aurait jamais rien inventé si l’on s’en tient aux différents ingrédients qui composent son écosystème. Mais ajoute-t-il, à l’égal de grands cuisiniers, tel un Alain Ducasse, ou un Alain Senderens, son chef aura eu un talent inégalé pour la sélection et la combinaison de ces ingrédients. Cette métaphore souligne au passage le rôle-clé de son fondateur charismatique et pose la question de la suite de Steve Jobs, la « décennie perdue » soulignant cette fragilité. L’histoire industrielle atteste de nombreux exemples de géants disparus ou diminués, comme. AT&T ou IBM.
 
La firme à la pomme a néanmoins accumulé des ressources financières considérables, ce qui lui donne une marge de manœuvre importante pour faire face à une concurrence qui s’intensifie et à un tassement probable des ventes de son produit-phare l’iPhone. Elle a construit une marque très forte vis-à-vis de la laquelle ses clients font preuve d’une adhésion enviable, acceptant de payer des surprix alors même que des produits de qualité comparable sont disponibles pour moins cher sur le marché. Elle détient des avantages concurrentiels durables en raison des économies d’échelle, de ses actifs immatériels et de la rétention de ses clients. Enfin, elle dispose de marges de croissance en Asie, forte de sa position en Chine, pour partir à la conquête des marchés du Sud Est asiatique en plein développement.
 
La société peut ainsi franchir le cap de la quarantaine sans angoisse existentielle excessive. Elle devra néanmoins préparer le prochain cap en tirant les leçons de son passé heurté pour tirer le meilleur parti de ses réserves financières accumulées.
 

Références

L’auteur remercie Simon Forge et Colin Blackman pour lui avoir communiqué leur rapport intérimaire EC JRC IPTS qui comportait une monographie étendue d’Apple. Il remercie également Alain Busson, professeur à HEC, pour lui avoir transmis ses dossiers sur la compagnie à la pomme.

Simon FORGE, Colin BLACKMAN, Itzhak GOLDBERG, Federico BIAGI, Comparing Innovation Performance in the EU and the USA: Lessons from Three ICT Sub-Sectors, 2013., pp. 16-18 et pp. 57-59.
 
Carmine GALLO, The Innovation Secrets of Steve Jobs: Insanely Different Principles for Breakthrough Success, McGraw Hill, 2010.
 
Frank ROSE, West of Eden: the end of innocence at Apple Computer, Penguin, 1989

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Crédits photos :
Steve Jobs holding a MacBook Air. Matthew Yohe / Wikimedia Commons. Licence CC BY 3.0
 
    (1)

    Le premier logo d’Apple –qui introduisait de la high tech dans un univers bucolique n’était pas sans rappeler les pochettes des disques des groupes de rock californiens de l’époque. 

    (2)

    « Make insanely great things. » 

    (3)

    Elvis Picardo note qu’une société avec une capitalisation boursière de 500 milliards de dollars, aurait un poids économique équivalent à celui de la Norvège, dont le PNB était situé au 23e rang mondial en 2012, et dépasserait des économies comme la Pologne, l’Argentine, ou l’Afrique du Sud.

    (4)

    Annual report 2015.

    (5)

    Terme donné à une génération de calculateurs. 

    (6)

    Un système d’exploitation destiné au départ aux processeurs 8086, repris par Microsoft.

    (7)

    Période du début de vie d’une start-up ou elle a le plus de chance de disparaître. 

    (8)

    Du nom de la fille de Steve Jobs.

    (9)

    Nom repris de la variété de pomme favorite de l’un des concepteurs.

    (10)

    Annual Report 2011, 24. ">(10). En 2009, les produits de la vente des Mac étaient encore très légèrement supérieurs aux ventes des iPhone, mais celles-ci représentaient le double dès l’année suivante. En 2015, les seules ventes de l’iPhone généraient 155 milliards de dollars auxquels s’ajoutaient 23 milliards pour l’iPad, contre seulement près de 25.5 milliards pour les produits Mac. Les contenusRegroupés sous la catégorie « services », Annual Report 2015: 24. 

    (11)

    Annual Report 2011./fn>, la seule ChineChine continentale et Hong Kong. 

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