Fake news : RSF veut créer un label pour « avantager la rigueur »

Fake news : RSF veut créer un label pour « avantager la rigueur »

Reporters sans frontières (RSF) propose une certification internationale pour mettre en avant les médias qui produisent des informations fiables. Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG, nous présente ce projet qui pourrait voir le jour dans un an.

Temps de lecture : 3 min


Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le projet de certification des médias de Reporters sans frontières (RSF) ?
 
Christophe Deloire :
 Nous vivons une période où les fausses nouvelles circulent plus facilement que les vraies. 
Nous vivons une période où les fausses nouvelles circulent plus facilement que les vraies, comme le prouvent des études publiées ces dernières semaines. Les algorithmes ne parviennent pas à faire la différence entre ce qui relève du journalisme rigoureux et ce qui relève de la rumeur. Ils diffusent aussi bien les contenus dignes de confiance que les informations manipulées. Nous souhaitons changer tout cela.
 
La première étape vise à établir un référentiel (autrement dit, des normes ou des standards) sur la transparence de la propriété des médias, l'indépendance éditoriale, les méthodes journalistiques (vérification, correction) et le respect des règles de déontologie. Ce référentiel permettra à des médias, sur la base du volontariat, de solliciter une certification qui ne sera pas effectuée par Reporters sans frontières, dont ce n’est pas la vocation, mais par des sociétés de certification. RSF est simplement l’initiateur et le coordinateur de la démarche.
 
Le but est d'avantager la rigueur d’un point de vue économique ou de la visibilité. En premier lieu grâce à un label public. Nous souhaitons ensuite que les algorithmes intègrent le dispositif dans leur indexation et donnent plus de visibilité à ceux qui ont été certifiés. La troisième ambition est que les annonceurs favorisent les médias qui ont été certifiés, qu’ils ciblent leurs dépenses publicitaires et qu’ils s’engagent au moins à ce qu'une partie de leurs publicités soit fléchée vers les médias certifiés. Enfin, ce label aura pour objectif de faciliter l’accès aux aides à la presse dans les pays où ce type de soutien existe. L’utilisation de ce dispositif peut aussi intéresser des organes de régulation.
 
 
Où en êtes-vous dans votre travail de réflexion ?
 
Christophe Deloire : Ce que nous avons annoncé il y a peu est le lancement de ce processus de travail, c’est-à-dire l'ouverture par le Centre européen de normalisation d'un appel à participation. Ce sont des procédures qui sont très participatives et collectives. Pendant un mois, les potentiels participants pourront se manifester puis le travail commencera de façon très ouverte.
 
 
Depuis quand travaillez-vous sur ce sujet ? 
 
Christophe Deloire : Cela fait à peu près un an que l'on a commencé à travailler en interne. Nous avons beaucoup consulté, partout en Europe. Nous avons par exemple organisé une première réunion à Bruxelles, en septembre 2017, où il y avait une vingtaine d'associations, d'organisations, de médias. Cela allait des grands médias publics allemands et néerlandais à l'association des télévisions privées d'Europe, l'Union européenne de radiodiffusion (les télévisions publiques), la Fédération européenne des journalistes, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l'association mondiale des journaux, le Global Editors Network. Avec toutes ces parties prenantes, nous avons travaillé sur ces questions et réfléchi ensemble.
 
 Des structures qui avaient parfois tendance à s'opposer se retrouvent aujourd’hui autour d’un idéal commun à défendre. 
Il est intéressant de voir que nous sommes dans une période où des structures qui avaient parfois tendance à s'opposer très frontalement, notamment sur les questions déontologiques, se retrouvent aujourd’hui autour d’un idéal commun à défendre, un idéal journalistique. J'observe même que les patrons de grandes marques font des déclarations pour demander aux plateformes de faire le ménage. Notre dispositif répond à un vrai besoin : il propose un modèle d'auto-régulation dans une période où c’est chacun pour soi, où l'on parle beaucoup d'éducation aux médias, de fact-checking. Il est original, centré sur les garanties des processus éditoriaux.
 
 
Comment vous positionnez-vous par rapport à ce que proposent les outils de fact-checking comme CrossCheck, Décodex ou Désintox ? 
 
Christophe Deloire : Notre projet est complémentaire. Le fact-checking est une très bonne chose mais ne vise à statuer que sur chaque contenu. Notre dispositif vise à travailler sur l'intégrité des processus de production de contenu et de donner un avantage à ceux qui présentent des garanties d'honnêteté et d'intégrité. Dans les faits, ce sont donc deux choses très différentes. 
 
 
Craignez-vous les particularités nationales en matière de presse, de télévision ou de radio qui pourraient compliquer les discussions et votre travail dans certains pays ? 
 
Christophe Deloire :
 Notre système vise mettre en œuvre les règles élémentaires du journalisme sans restreindre le pluralisme. 
Il y aura sans doute des difficultés. La discussion devra être subtile. Il faut surtout que notre processus ne soit pas enfermant mais plutôt qu'il contribue à défendre un idéal et une vision, qu'il évite les effets pervers. Évidemment, il y aura beaucoup de discussions, il n’y a pas de solution magique. Le plus important, c'est qu'il n'y a pas d'orientation politique ; notre système vise mettre en œuvre les règles élémentaires du journalisme sans restreindre le pluralisme. Il est tout à fait possible d’être honnête, intègre  et de défendre une vision du monde, de l’économie ou de la politique totalement différente d’un autre média.
 
 
Quand ce projet sera-t-il terminé ? 
 
Christophe Deloire : Je pense queles premières normes arriveront dans environ un an.
 
 
Comment placez-vous ce projet de Reporters sans frontières par rapport à la loi anti-fake news qui se prépare ?
 
Christophe Deloire : Ce sont deux choses d'une nature totalement différente. Notre processus tient de l'autorégulation. Le texte initial du projet de loi anti-fake news ne nous paraît pas absolument liberticide, mais il est manifestement très difficile de trouver les bons dispositifs juridiques pour régler les problèmes contemporains de l’espace public. Nous exprimons des réserves sur le contenu du texte. Pendant ce temps, nous travaillons dans une logique très différente. Il n'y a ni contradiction ni opposition.

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Crédit photo : Yann Stofer

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