Comment la finance a transformé le groupe Lagardère

Comment la finance a transformé le groupe Lagardère

Face à la pression de plus en plus grande de ses actionnaires et devant les mutations de ses secteurs d’activité traditionnels que sont l’édition et la presse, quelle est la stratégie du groupe Lagardère ?
Temps de lecture : 14 min

Où va le groupe Lagardère ? Que signifient les abandons de plus de 240 titres magazines et de l’activité de la distribution de presse ? Que signifient les investissements dans la production audiovisuelle, le commerce en zone de transport (Travel Retail) et la création d’une quatrième branche du groupe dans les filières du sport et du divertissement (Lagardère Sport and Entertainment) ?
Le groupe Lagardère, issu de la fusion d’Hachette et de Matra, s’est constitué dans un moment où s’opéraient de vastes opérations de rapprochement entre les groupes industriels et les pôles financiers, où, sur fond de mondialisation, on assistait à la concentration des marchés créant des oligopoles puissants des industries de la communication.
 
Les enjeux de ces mutations sont décisifs pour Lagardère. Du soutien à un projet industriel, les acteurs financiers l’ont conduit à mettre en œuvre des tactiques financières qui ont profondément structuré les activités du groupe contraint de naviguer entre court terme pour créer de la valeur pour les actionnaires et long terme pour maintenir un projet industriel de producteur de contenus.
Les tensions et contradictions en son sein donnent l’impression d’une improvisation permanente dans ses stratégies industrielles. L’analyse du groupe, à fort positionnement international, qui a pensé les rapports entre produits culturels et numériques sans être positionné directement dans les industries de la communication, permet de mettre en lumière les différentes étapes de ses mutations et de sa financiarisation. Elle illustre les transformations au sein des industries de la culture et de la communication, sous l’impulsion d’un capitalisme financier qui voit dans leurs marchés de nouvelles sources de profits.

D’Hachette à Lagardère : d’un projet industriel à des tactiques financières

La constitution de groupes comme Hachette, puis Lagardère, a toujours nécessité des rapports étroits avec les acteurs financiers. Les premiers bailleurs de fonds de Louis Hachette n’ont-ils pas été les notaires, mais aussi la Banque Rousseau, Moisant et Cie !
Les successeurs de Louis Hachette s’adaptent à l’évolution de la société. En 1919, alors que leur entreprise est florissante, ils ouvrent leur capital à la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas). C’est un virage important dans la vie d’une entreprise familiale qui adopte le statut de société anonyme.
De 1922 (date de son entrée en Bourse) à 1969, Hachette renforce ses pouvoirs de marché dans le livre, participant à la recomposition du secteur de l’édition, la presse et la distribution. Si ses activités sont restées immuables pendant 140 ans, plusieurs événements vont transformer son projet industriel.
En 1980, Valéry Giscard d’Estaing voit dans la situation d’Hachette mal gérée et en quasi faillite l’occasion de créer l’ensemble industriel qu’il préconise, calqué sur le modèle américain des groupes multimédias naissants. Hachette est proposée en décembre 1980 à Jean-Luc Lagardère, nommé président de Matra trois ans plus tôt et qui, enthousiaste, déclare : « Nous allons faire se marier la haute technologie, le son et l’image, c’est-à-dire Europe 1, et l’écrit, c’est-à-dire Hachette. »(1).

 L’endettement du groupe est multiplié par cinq, passant à 10 milliards, alors que la trésorerie disponible n’est que 3,4 milliards 
Après le ratage de la privatisation de TF1 en 1987, Hachette se lance dans des investissements importants aux États-Unis ; l’endettement du groupe est multiplié par cinq, passant de 2 à 10 milliards, alors que la trésorerie disponible n’est que 3,4 milliards. Jean-Luc Lagardère ne peut cependant imaginer son groupe sans une chaîne de télévision généraliste ; Robert Hersant lui propose la reprise de La Cinq en octobre 1990. Elle est déclarée en faillite le 31 décembre 1991 et arrêtée trois mois plus tard. L’aventure aura coûté 7 milliards de francs à Hachette. Les banques et les politiques vont alors imposer la fusion des deux groupes, Matra et Hachette, bénéficiant de « l’enchevêtrement entre pouvoir économique et pouvoir politique »(2).
 
Si Jean-Luc Lagardère réussit à imposer son choix pour le statut du nouveau groupe, la commandite par actions, il est néanmoins placé sous haute surveillance par les banques. Lagardère va alors naviguer entre stratégies industrielles et tactiques financières.
La recherche de synergies entre les activités de Matra dans les hautes technologies et celles d’Hachette dans les contenus va se traduire par la priorité donnée au développement dans les technologies numériques. Les investissements sont lourds et les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’éclatement de la bulle Internet en 2000 va amener Lagardère à abandonner son fournisseur d’accès Club-Internet puis ses activités de e-commerce.
 
Toujours en 2000, la création du groupe européen d’aéronautique, d’aérospatial et de défense, EADS, auquel Jean-Luc Lagardère participe activement, a des répercussions importantes sur l’actionnariat du groupe. Le pacte (ou action de concert), scellé entre Lagardère et Daimler-Benz (devenu Daimler-Chrysler), d’une part, et General Electric Company (GEC, devenu GEC-Marconi puis Marconi Electronic Systems), d’autre part, est devenu inutile. Les deux alliés de Jean-Luc Lagardère se retirent et les fonds d’investissement, notamment nord-américains puis qatari, vont prendre des positions de plus en plus importantes dans son capital.


Actionnaires de Lagardère SCA en pourcentageActionnaires de Lagardère SCA
Evolution de l’actionnariat
Le poids des investisseurs non résidents ne cesse d’augmenter. Ils deviennent majoritaires en 2006 ; cependant un seul dépasse le seuil de 5 % du capital, Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain de l’émirat, devenu le premier actionnaire en 2012 avec 12,83 %.


Les acteurs financiers vont suivre Lagardère dans ses stratégies industrielles (celui-ci affirme vouloir faire de son groupe un leader mondial de la fourniture de contenus) jusqu’en 2003 avec le rachat de la filière édition de Vivendi (Vivendi Universal Publishing, VUP), mais au prix de la simplification de son organigramme et de ses activités. Lagardère est contraint d’abandonner ses dernières activités issues de Matra pour se concentrer sur les médias et il est appelé à orienter son projet industriel vers de nouvelles activités à fort potentiel de développement.
Les acteurs financiers imposent à Lagardère de donner une image plus claire du groupe, donc plus forte et mieux ciblée, afin « de le doter de meilleurs moyens d’étoffer sa surface financière »(3).
 
Ce changement de modèle économique s’inscrit dans un mouvement mondial. Comme le note Bernard Miège : « Dans la dernière période on a assisté à d’importants déplacements de capitaux en direction d’un vaste secteur de la communication, et particulièrement au sein de ce dernier vers les industries de contenu. Comment expliquer des déplacements en capitaux, sinon par les perspectives ouvertes par la convergence ? ».

Les capitaux propres du groupe étant insuffisants, Lagardère a recours à l’endettement, conduisant les banques à multiplier le nombre de clauses (pour débloquer des lignes de crédit ; le groupe est alors soumis à un certain nombre de ratios de rentabilité.
Lagardère doit céder des actifs déclarés non stratégiques (imprimeries, affichage, titres de presse magazine et régionale et distribution de presse, décrétés insuffisamment rentables). Pour quels résultats ? Au total, le développement du groupe n’a représenté que 48 % de ses résultats cumulés : 2,1 milliards pour la croissance organique (18 %) et 3,7 milliards pour les acquisitions (30 %) ; son chiffre d’affaires a lourdement chuté de 12,9 milliards d’euros en 2000 à 7,2 milliards en 2013.

Chiffre d'affaires par activités
Chiffre d'affaires par activités
Le chiffre d’affaires des quatre branches de Lagardère est en constante diminution ; les nouvelles activités ne compensent pas les diminutions de chiffre d’affaires dues aux cessions dans les médias et la distribution

Les contraintes de la création de valeur pour les actionnaires

Siège social du groupe LagardèreLes acteurs financiers ont donc pris la main à la suite de la crise ouverte par la faillite de La Cinq, puis renforcé leur pouvoir avec l’entrée des fonds d’investissement non résidents.
En 1992, les banques du groupe, Paribas, BNP, Crédit lyonnais, Crédit agricole et l’assureur GAN préconisent de vendre des actifs comme Europe 1, Télé 7 Jours, l’afficheur Giraudy et même les filiales américaines. Jean-Marie Messier, jeune gérant associé de la banque Lazard, évite le dépeçage. Néanmoins, les banques imposent d’avoir la majorité au conseil de surveillance avec 8 sièges (3 chacun pour le Crédit lyonnais et la BNP et 2 pour le GAN) contre 7 à un pacte d’actionnaires proches du dirigeant. Leur seule concession est d’accepter le statut de société en commandite par actions (SCA), défendu par Jean-Luc Lagardère.
L’économie mondiale a changé après la libéralisation des mouvements de capitaux. Le groupe Lagardère doit désormais se plier aux règles dictées par des acteurs financiers qui imposent une simplification de ses activités et une plus grande visibilité de ses stratégies.
 
L’événement majeur qui va bouleverser Lagardère est la création de la European Aircraft Defence and Space Company (EADS) le 10 juillet 2000. Après une période au cours de laquelle la marge de manœuvre des dirigeants opérationnels a été préservée, les États ont repris le main et, pour maintenir  la parité franco-allemande, Lagardère est appelé à se désengager du capital ; il réduit ses parts de 15,1 % à 7 % en 2005 pour sortir totalement du capital en avril 2013, contre une somme de 2,28 milliards d’euros.
 
La sortie du capital d’EADS, conjuguée à la vente des participations dans Canal + et le groupe Amaury, permet au groupe de distribuer un dividende exceptionnel de 9 euros par action en 2013, mais elle prive Lagardère des dividendes distribués chaque année par ces trois sociétés ; surtout, elle entraîne le bouleversement de l’actionnariat avec l’entrée des investisseurs étrangers non résidents qui voient leur poids passer de 43,8 % en 2000 à 65,73 % en 2013. Parmi eux, on trouve les principaux fonds d’investissements américains, notamment Black Rock, le plus grand gestionnaire mondial d’actifs avec plus de 4 000 milliards d’euros.
Puis, en 2006, c’est au tour du fonds souverain du Qatar de faire son entrée dans le capital de Lagardère. Il ne cessera de racheter des actions pour devenir le premier actionnaire du groupe (13,03 %).

Le cours de l'action

Cours de l'action
 Le cours de l’action est le reflet des appréciations portées par les investisseurs sur le développement du groupe et notamment sur la pertinence des investissements dans de nouvelles activités.

L’entrée de fonds d’investissement dans le capital a des effets sur son management, plus instable, parce que plus exposé aux résultats, et sur la composition d’un conseil de surveillance qui doit être reflet des mutations du groupe. Arnaud Lagardère y fait entrer des dirigeants de groupes industriels (LVMH, Veolia, EDF, etc.) et des financiers américains, très politiques, comme les ex-ambassadeurs Evan Galbraith et Felix Rohatyn.
En faisant entrer édition de livres, presse et distribution de plain-pied dans un capitalisme financier dominé par les fonds d’investissement, Lagardère les soumet à des règles auxquelles elles étaient peu habituées. Ces trois branches bénéficiaires apportent le cash-flow nécessaire à une politique de concentration ambitieuse. Désormais, elles sont invitées à dégager encore plus de marges malgré la crise économique de 2008, le recul de la publicité et, surtout, le recul de la vente de livres et de la presse magazine.
 
Les capitaux propres du groupe sont en fort recul et les investissements ne sont rendus possibles que grâce à l’endettement, alors que les acteurs financiers ne sont plus près à suivre aveuglément Lagardère. Ils lui imposent des règles drastiques : « Lagardère SCA a contracté certains emprunts obligataires et crédits bancaires assortis de clauses  imposant le respect de certains ratios. En particulier le groupe est tenu de respecter un montant minimum de capitaux propres consolidés, d’une part, un montant maximum d’endettement calculé en proportion des capitaux propres consolidés ou rapporté à un indicateur de performance calculé à partir du résultat opérationnel courant. Le non respect de ces ratios donne aux prêteurs la faculté d’exiger le remboursement anticipé de leur concours. »(4).
 
Les investisseurs ont l’œil rivé sur un indicateur comptable de rentabilité, appelé ROE (Return On Equity ou rentabilité des capitaux propres, mesuré par le rapport entre le résultat net et les capitaux propres) : « Les entreprises sont censées se plier à la norme uniforme d’un taux de ROE de 15 %. Ce chiffre (…) constitue le plus souvent un exercice imposé aux entreprises cotées désireuses de bénéficier de leur investissement, quels que soient les secteurs d’activité considérés. »(5).

Le ROE de Lagardère se dégrade, tombant de 12,1 % au cours de la période de 1999 à 2001 à 6,5 % en 2013. Les dirigeants de Lagardère vont être amenés à prendre des mesures pour rassurer les investisseurs. En premier lieu, une distribution de dividendes supérieure au résultat net du groupe. Lagardère va également distribuer des dividendes exceptionnels à la suite de cessions d’actifs. En 2005, le dividende exceptionnel est le double du dividende sur résultat (2 euros et 1 euro) grâce à la vente des actions T-Online reçues en échange de la cession de Club-Internet à Deutsche Telekom en 2000.
 
 Les dividendes exceptionnels ne sont pas le reflet de la bonne santé du groupe Lagardère ; ils résultent de la nécessité de répondre à la norme du système financier mondial 
Après la vente des actions détenues par Lagardère dans EADS et le groupe Amaury, les actionnaires reçoivent ainsi 57 % du montant des cessions. Enfin, en 2014, le groupe distribue un nouveau dividende exceptionnel consécutif à la vente des actions détenues dans Canal Plus.
Les dividendes exceptionnels ne sont pas le reflet de la bonne santé du groupe Lagardère ; ils résultent de la nécessité de répondre à la norme du système financier mondial. Par ailleurs, les résultats ont entrainé une chute du cours de l’action et les cessions d’actifs ont amputé sa capitalisation boursière au point de devenir l’une des plus faibles du CAC 40. Le résultat a été immédiat : Lagardère est exclu du CAC 40 le 20 septembre 2010 pour être rétrogradé, depuis, dans un indice de seconde zone, Euronext.

Les dividendes
Evolution du dividende par action
Le dividende distribué par Lagardère stagne. Les dividendes exceptionnels de 2012 et 2013 satisferont-ils les actionnaires sur le long terme ?

Les conséquences industrielles de la financiarisation

 Le livre devient déterminant dans le résultat opérationnel  
Le groupe subit la crise du lectorat dans ses deux filières historiques, le livre et la presse magazine. Il subit également la crise du marché publicitaire.
Les activités de Lagardère Publishing restent cependant à un niveau élevé et deviennent les principales pourvoyeuses de bénéfices du groupe : après le rachat de Vivendi Universal Publishing, son résultat pèse de plus en plus lourd dans le chiffre d’affaires, passant de 10,7 % en 2004 à 29 % en 2013 ; mais, surtout, le livre devient déterminant dans le résultat opérationnel, passant de 29 % en 2004 à 68 % en 2013.
 
Le rapport d’activité de l’année 2007 définit la nouvelle stratégie du groupe : « Lagardère se présente aujourd’hui sous un nouveau visage : celui d’un grand groupe de communication toujours actif dans les domaines de l’information, de l’éducation, de la culture et du divertissement, mais soucieux d’adapter sa stratégie aux nombreux bouleversements que connaissent les technologies de l’audiovisuel (…) Résolument tourné vers l’avenir, attentif aux exigences d’un marché mondialisé, le groupe prouve ainsi sa capacité à se réinventer pour s‘adapter à l’évolution des nouveaux comportements nés de l’ère numérique et de la mobilité. »
 
Le premier éditeur de magazines dans le monde aura vendu ou fermé 240 titres en moins de dix ans, ne conservant que ses marques fortes, qu’il estime susceptibles d’être déclinées sur tous les supports numériques, Elle, Paris Match et la radio Europe 1.
Ces abandons relèvent de décisions financières à effet immédiat permettant de réduire le ratio de la dette du groupe (1,7 milliard en 2011) de 44,1 % à 42 %, rassurant banques et actionnaires sur son risque financier ; en 2011, par exemple, les banques n’avaient accordé l’autorisation d’un crédit syndiqué de 1,6 milliard qu’à la condition de la réduction de la dette.
 
Si la branche Lagardère Active donne la priorité au développement de ses marques fortes, elle fait aussi l’acquisition de sites spécialisés dans les services : comparateur de prix (LeGuide.com), billetterie de spectacles (billetreduc.com), santé (Doctissimo, Mondocteur) et information (Newsweb). À la recherche de nouvelles sources de valorisation, Lagardère a investi près de 300 millions d’euros, sans que les résultats soient à la hauteur des espérances puisque le groupe a dû les déprécier de 234 millions d’euros en 2012.
 
Le passage d’un modèle de groupe à la forte présence dans l’écrit à un groupe fournisseur de contenus et de services pour les supports numériques, dans un contexte économique difficile et sous la pression des industriels de la communication (Apple, Google, Amazon, Facebook) est délicat. Lagardère n’a pas d’autre choix que de poursuivre la mutation de son modèle économique pour améliorer ses résultats et distribuer des dividendes répondant aux normes du marché. En effet, « à l’heure où les contenus s’insèrent de plus en plus dans les industries de la communication, les redistributions des cartes entre acteurs industriels sont profondes »(6).
 
Dans l’audiovisuel, constatant que les 16 sociétés de production audiovisuelle acquises depuis une vingtaine d’années ne fournissaient leurs programmes qu’aux chaines françaises, Lagardère est à la recherche d’acquisitions lui permettant de s’émanciper du marché hexagonal pour devenir un fournisseur international d’émissions de flux et de fictions (ce qu’il met en œuvre en rachetant Grupo Boomerang TV en Espagne).
 
Parallèlement, la branche la plus rentable du groupe, Lagardère Publishing, qui regarde de plus en plus en direction du seul marché encore en expansion, les États-Unis, découvre de façon spectaculaire en mai 2014 la fragilisation des acteurs de contenus dans leurs relations avec les industriels de la communication. Les livres de sa filiale américaine, Hachette Book Group, ont été distribués avec des retards inhabituels par Amazon à la suite d’un conflit ; Hachette militant pour un prix du livre unique et Amazon souhaitant multiplier ses ventes du livre électronique (et ses tablettes) par un prix attractif, moins élevé que celui du livre papier.
 
Dans le livre, Lagardère va accentuer la recherche des best-sellers (surtout en direction des pays anglo-saxons qui ont multiplié les succès avec Harry Potter ou Twilight). Il aborde le monde la bande dessinée en rachetant les Editions Albert René (éditrices des albums Astérix) et en confiant la création de nouveaux albums à de nouveaux auteurs, successeurs d’Uderzo et Goscinny. Enfin, il va multiplier les publications dites à rotation rapide : fascicules (ouvrages à mi-chemin entre l’édition et le produit de grande consommation, constitué d’un livret et d’un objet à collectionner), livres de bien-être, etc.
 
Dans ce contexte de restrictions financières et de stagnation de ses activités historiques, Lagardère oriente également ses stratégies vers de nouvelles activités commerciales, peu (ou pas) en rapport avec le secteur des médias ou de la culture, mais qui ouvrent l’accès à de nouveaux capitaux et, surtout, à de nouveaux marchés, dont les acteurs financiers estiment qu’ils ont de réelles potentialités de développement. C’est ce que Werner A. Meier, un chercheur allemand, appelle les concentrations diagonales.
Lagardère investit dans le commerce de détail en zones de transport, qu’il appelle Travel Retail, en Europe et en Amérique du Nord. En rachetant les 76 boutiques d’aéroports du groupe américain Paradies, il devient l’un des leaders de cette activité.
Par ailleurs, il crée de toutes pièces une nouvelle branche, Lagardère Unlimited, gérant les droits des sportifs de haut niveau ou d’artistes, organisant des événements sportifs, conseillant les collectivités en matière de construction et de gestion d’enceintes sportives et/ou de spectacles, gérant les droits des clubs et l’hospitalité dans les enceintes, rachetant des salles de spectacle comme les Folies Bergère, le Casino de Paris et le Bataclan, organisant des spectacles vivants, etc.
Si les résultats de Lagardère Travel Retail (nouveau nom de Lagardère services) sont en progression grâce au commerce de détail en zone de transport, les résultats de Lagardère Sports and Entertainment (ex Lagardère Unlimited) sont décevants ; le groupe doit une fois encore effectuer des dépréciations d’actifs à hauteur de 550 millions d’euros en 2012 pour cette seule branche qui ne vaut plus que la moitié des sommes investies.
 
 
 Les fonds d’investissement, habitués à gérer le court terme, pourront-ils longtemps se satisfaire de la vision à plus long terme d’Arnaud Lagardère ?  
Le groupe Lagardère, constitué « à partir de formes artisanales »(7), a dû s’adapter à la financiarisation de l’économie et l’entrée de fonds d’investissement non résidents dans son capital, à l’émergence des géants industriels de la communication contrôlant les technologies numériques et, enfin, les changements profonds des modes de consommation des produits culturels.
Si les acteurs financiers ont largement structuré le groupe, les industriels de la communication font peser des menaces sur l’avenir de la « brand factory » qu’il ambitionne de devenir en fournissant des contenus sur tous les médias. Google, Apple, Facebook et Amazon, entre autres, ont la capacité d’imposer les normes de répartition des quotes-parts de chacun dans les négociations avec les industriels des contenus. Lagardère est fragilisé.
Par ailleurs, les fonds d’investissement, habitués à gérer le court terme, pourront-ils longtemps se satisfaire de la vision à plus long terme d’Arnaud Lagardère dans le développement des activités diversifiées, commerce de détail en zone de transport, production audiovisuelle internationale, marketing sportif et divertissement ?
Le groupe Lagardère reste néanmoins un cas exemplaire des mutations des industries culturelles par les problèmes qu’il rencontre et les réponses inédites qu’il apporte pour éviter de se « transformer en simple prestataire de services qui confectionne des contenus pour des acteurs des industries de la communication qui en assureraient la valorisation »(8).

Références

Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel âge du capitalisme, Gallimard, 1999.

Philippe BOUQUILLION, Les industries de la communication, les stratégies du capitalisme, PUG, 2008.

Philippe BOUQUILLION, Bernard MIEGE, Pierre MOEGLIN, L’industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, PUG, 2013.

Bernard MIEGE, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, PUG, 2000.

Pierre MOEGLIN, "Des modèles socio-économiques en mutation", in Philippe BOUQUILLION, Yolande Combès, Yolande (2007), Les Industries de la culture et de la communication en mutation, Paris, L'Harmattan, pp.151-162.

Vincent NOUZILLE et Alexandra SCHWARTZBROD, L’acrobate, Jean-Luc Lagardère ou les armes du pouvoir, Le Seuil, 1998.

Philippe BOUQUILLION, « La constitution des pôles des industries de la culture et de la communication, Entre coups financiers et intégration des filières industrielles », Réseaux n° 131, pages 113 à 145.

Philippe BOUQUILLION, « Concentration, financiarisation et relations entre les industries de la culture et industries de la communication, Revue française des sciences de l'information et de la communication », 1 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2012.

Christopher LANTENOIS et Benjamin CORIAT, « Impact de la financiarisation », Revue d’économie industrielle n° 104, 2009.

Werner A MEIER, « Media concentration governance : une nouvelle plate-forme pour débattre des risques ? » Réseaux 2005/3 - n° 131.

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Crédits photos :
Finance. Geralt / Pixabay. Licence Creative Commons CC0
Louis Hachette. Wikimedia Commons. Domaine public
Siège social du groupe Lagardère. Tangopaso/Wikimedia Commons. Domaine public
Europe 1. Stéphane Peres / Flickr. Licence Creative Commons CC-BY-NC


(1)

Vincent NOUZILLE et Alexandra SCHWARTZBROD, L’acrobate, Jean-Luc Lagardère ou les armes du pouvoir, Le Seuil, 1998. 

(2)

Philippe BOUQUILLION, Les industries de la communication, les stratégies du capitalisme, PUG, 2008. 

(3)

Document de référence 2000.

(4)

Document de référence annuel du groupe en 2009.

(5)

Christopher LANTENOIS et Benjamin CORIAT, « Impact de la financiarisation », Revue d’économie industrielle n° 104, 2009. 

(6)

Philippe BOUQUILLION, Les industries de la communication, les stratégies du capitalisme, PUG, 2008 

(7)

Bernard MIEGE, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, PUG, 2000.

(8)

Philippe BOUQUILLION, Les industries de la communication, les stratégies du capitalisme, PUG, 2008. 

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