Le journalisme de solutions, révolution culturelle de l'info

De nombreux médias, incités par leurs lecteurs, ont intégré le journalisme de solutions dans leur ligne éditoriale. Et les premiers retours sont très positifs.

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Montrer que changer le monde appartient au domaine du possible. Telle est la mission du « journalisme de solutions », appelé aussi « journalisme constructif » ou « journalisme d’impact », et auquel s’est converti début juin le Guardian en lançant sa rubrique « Half Full ». « Ce ne sont pas des "bonnes nouvelles", mais un journalisme constructif, centré sur les solutions et les réponses, sans pour autant les approuver », explique le quotidien britannique. « Si nous publions plus d’exemples de personnes qui essaient de faire des choses inspirantes, peut-être qu’ils pourront aussi nous inspirer à faire un monde meilleur ».

 Les lecteurs lisent, partagent et commentent plus les contenus de solutions que les articles " traditionnels " 
De nombreux autres médias ont investi cette forme de journalisme pour enrichir leur offre éditoriale. Et tous notent l’attrait qu’exercent sur leurs lecteurs les contenus de solutions. Ils les lisent, partagent et commentent plus que les articles « traditionnels ».

Du journalisme « positif » ?

« On a trop longtemps considéré le journalisme de solutions comme un journalisme "positif" ou de "bonnes nouvelles" », regrette Gilles Vanderpooten, directeur de la rédaction de Reporters d’Espoirs, l’association française qui promeut une information qui donne envie d’agir, « Mais c’était souvent pour nous décrédibiliser et nous dire que ce n’était pas du vrai journalisme ».

Or il s’agit bien de journalisme, affirme Ulrik Haagerup, directeur de l’information de la radio-télévision publique danoise, auteur de Constructive News. « Le journalisme constructif essaye de renouer avec les racines du journalisme et de donner aux gens la vision la plus exacte possible du monde dans lequel on vit », explique-t-il. Car selon lui, le traitement médiatique actuel fait croire aux gens que le monde est un endroit bien pire qu’il ne l’est en réalité. Le journalisme de solutions n’ignore cependant pas les problèmes. « Nous voulons être crédibles en regardant le monde des deux yeux. Montrer ce qui ne marche pas mais aussi ce qui peut marcher », poursuit-il. « On nous apprend en école de journalisme à répondre à 5 questions : quoi, quand, où, comment et pourquoi ? Nous essayons de répondre aussi à : et maintenant ? C’est un journalisme qui parle de demain ».
 
La radio-télévision publique danoise s’est posée la question lors des attentats en Belgique. Après avoir couvert le terrain et fait du pur factuel, que dire ? « Comment éviter que nos citoyens se radicalisent ? Comment peut-on lier sécurité avec liberté ? Toutes ces questions sont importantes et sont faites pour faciliter le débat public », explique Ulrik Haagerup. Le journalisme de solutions s’ajoute à la couverture factuelle d’événements. Comparable à une infographie ou un long format, il s’agit simplement d’une autre forme de mise en récit. Pas question de ne faire que ça. La radio et la télévision publique danoise ne diffusent ainsi qu’un à deux reportages de solutions par jour.
 
Sparknews, une plateforme de contenus innovants et de solutions pour les médias, partage aussi cette philosophie. « Notre mission est qu’il y ait au moins 5 à 10 % de sujets de solutions dans les médias », explique Christian de Boisredon, son fondateur. « Nous voulons que les journalistes se posent à chaque fois la question quand ils traitent un sujet : est-ce qu’il y a une autre voie, une solution par rapport à ce problème ? ».

Des premiers retours encourageants

Convaincu du concept, Damien Allemand, le responsable du service digital de Nice-Matin, ne peut qu’acquiescer. Après avoir frôlé la faillite en 2014, le journal a décidé de développer une offre abonnés sur le numérique centrée sur le journalisme de solutions. « Aujourd’hui, on a 6 000 abonnés uniquement sur le numérique », se félicite-t-il, « L’an dernier, on en avait 2 000 ». Le journal publie une trentaine d’articles de solution par mois et de nombreuses vidéos sur leur page Facebook. L’une d’elles, qui présentait une cantine ayant diminué ses déchets alimentaires de 80 %, a été vue 1,7 millions de fois et partagée plus de 30 000 fois sur le réseau social.

« La viralité de ces vidéos est flagrante », explique Damien Allemand, « elles marchent beaucoup mieux que les autres et sont beaucoup plus partagées et commentées ». Même constat pour les articles de solutions : 6 000 vues contre 4 000 en moyenne. « Il y a une véritable attente de nos lecteurs pour ce type de contenu. On reçoit beaucoup de retours positifs », conclut-il, « Et ils sont prêts à payer pour ça ! ». Récemment, le journal a lancé une revue de presse hebdomadaire via une newsletter sur les contenus de solutions et compte créer une rubrique dédiée sur son site.


Le plan anti-gaspillage de l'école François-Jacob à Mouans-Sartoux par le Groupe Nice-Matin


Le Huffington Post en possède déjà une nommée « What’s working » et, selon sa directrice Arianna Huffington, les contenus de cette rubrique sont partagés trois fois plus que les autres. Au pays du soleil levant, Takeshi Fujitani, le social media editor de l’Asahi Shimbun, confie que son journal a lui aussi sauté dans le grand bain : « Nous avons tant de problèmes au Japon (le vieillissement de la population, les droits des minorités…). Donc, non seulement nous rappelons ces problèmes, mais nous pointons désormais du doigt les solutions pour les régler ». Le mois dernier, le deuxième journal japonais a édité cinq pages spéciales sur les problèmes mondiaux et comment les résoudre grâce à la technologie et l’innovation. Il serait même question de créer un média numérique axé sur ces thématiques.

La plupart du temps, le journalisme d’impact est cependant intégré dans les rédactions de manière ponctuelle. Chaque année, Libération et Ouest France proposent des numéros spéciaux consacrés aux solutions. Et selon les chiffres de Reporters d’Espoirs, ils marchent mieux que la normale. Les ventes du Libé des Solutions sont ainsi 22 % plus importantes que pour une édition standard. Le Ouest-France des solutions enregistre lui une hausse de 7 %.
 
Le 25 juin, lors de l’Impact Journalism Day, 55 journaux du monde entier publieront aussi un supplément centré sur les « innovations positives ». En 2013, ils étaient 22. Pour le Tages Anzeiger, un journal suisse qui participe à cette journée depuis deux ans, l’opération est à chaque fois un succès. Dominique Eigenmann, rédacteur en chef en 2014, raconte avoir eu « très, très rarement autant de réactions enthousiastes, de la part des lecteurs et des professionnels ». Depuis, le journal suisse publie chaque lundi un article de solutions. « Nous demandons à nos journalistes de prendre en compte cette dimension du journalisme chaque fois qu'ils développent un sujet », ajoute-t-il.

Une transition encore assez lente

 Malgré l’intérêt certain que les rédactions portent au journalisme de solutions, celui-ci reste souvent cantonné à « la bonne idée du jour » ou à des portraits de « héros des temps modernes ». « La solution n’est pas encore intégrée dans l’actualité chaude », explique Gilles Vanderpooten des Reporters d’Espoirs, « Quand on nous appelle, c’est toujours pour donner des idées de sujets magazines ». Les solutions porteuses et les alternatives sont souvent des « signaux faibles », durs à repérer pour le journaliste. « Pendant la crue de la Seine, on aurait pourtant pu parler de la façon dont certaines villes ont fait face à la montée des eaux et les solutions qu’elles ont mises en place ».


 Le journalisme constructif ne compte pas supplanter la vision traditionnelle du journaliste "watchdog"  
Cette approche journalistique se heurte aussi à la vision traditionnelle du journaliste « watchdog », qui doit alerter son public sur les travers de la société. Le journalisme constructif ne compte pourtant pas supplanter cette idée, nécessaire et indispensable. Il souhaite offrir à son public une ressource supplémentaire pour agir.
 
La révolution numérique n’a pas seulement bouleversé la circulation de l’information, elle a aussi transformé son rôle culturel et social. L’information n’a jamais été aussi importante et débattue. À l’heure où les médias souhaitent réengager leur audience en insistant sur la qualité de celle-ci, la décision de ne plus rendre compte du monde uniquement par le prisme des crises et leurs conséquences pourrait ainsi être une piste à explorer. 
 
Selon une étude de l’université du Texas, le journalisme de solutions augmenterait le sentiment d’être pleinement informé et améliorerait la relation entre le lectorat et les organes de presse. « Les syndicats, les partis politiques, la famille, les institutions religieuses ne sont plus audibles ou accessibles dans notre société », analyse le sociologue des médias Jean-Marie Charon, « L’espace public est de plus en plus occupé par les médias. D’où le fait que nous attendons d’eux d’enrichir et animer le débat public avec plus d’analyse, de décryptage, d’interprétation et effectivement de solutions ».
 
Que faire, en effet, lorsque nous sommes assaillis de problèmes sans que des solutions nous soient apportées ? Comment résoudre telle crise écologique, démocratique, sociale ou géopolitique sans poser les prémices d’une alternative ? Le traitement médiatique actuel se contente d’un flot ininterrompu de nouvelles anxiogènes qui noie le citoyen dans un mélange d’indignation et de résignation. Et ce, sans vraiment lui donner les armes nécessaires pour y faire face.
 
 « L’accélération du traitement de l’information a fait ressortir davantage les aspects purement factuels, brutaux et violents, sans mise en perspective », explique Jean-Marie Charon. « Le journalisme de solutions rejoint par certains aspects l’écriture lente comme celle du site Les Jours. Ce sont des mouvements complémentaires en matière de journalisme qui rejoignent les attentes du public ». Tendance de fond, le journalisme de solutions devrait ainsi poursuivre son chemin dans les rédactions.
 
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Crédit photo :
INA. Didier Allard.

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