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Que veut vraiment dire « éduquer aux médias » ?

L’éducation aux médias est en vogue dans les discours politiques français. Mais que recouvre au juste cette notion, et quelles formes prend-elle ?

Temps de lecture : 14 min

Le dimanche 4 mars 2018, Françoise Nyssen, ministre de la Culture a annoncé, lors d’une interview donnée au Buzz Média Le Figaro, vouloir doubler le budget alloué par son ministère à l’éducation aux médias, le faisant ainsi passer de 3 à 6 millions d’euros. Elle a expliqué que cette somme permettra de soutenir davantage les associations qui interviennent dans les médiathèques et les écoles afin d’enseigner aux élèves comment discerner une bonne information d’un contenu trompeur. Cette déclaration faisait suite au discours du Premier ministre, Edouard Philippe, le 23 février, dans lequel il affirmait la volonté de systématiser l’éducation aux médias et à l’information, « qui permet aux élèves de se prémunir, en particulier contre les théories complotistes ».
 

 La définition de l'Union européenne est volontairement peu précise  

Mais finalement, qu’entend-on par « éducation aux médias » ou encore par « éducation aux médias et à l’information » (EMI) ? Demandez autour de vous : il est probable que très peu de personnes sachent vous répondre avec précision, ou alors que plusieurs définitions ressortent, sans avoir rien en commun. Si on s’en tient aux déclarations de la ministre de la Culture et du chef du gouvernement, l’éducation aux médias permettrait de se doter d’outils permettant au citoyen de se défendre contre la désinformation. La Commission européenne l’envisage quant à elle comme la « capacité à accéder aux médias, à comprendre et apprécier, avec un sens critique, les différents aspects des médias et de leur contenu et à communiquer dans divers contextes. » Une définition qui semble, à tout le moins, assez vaste. Elle est même volontairement peu précise selon Divina Frau-Meigs, professeur, sociologue des médias, spécialiste d’éducation aux médias et à l’information, et d’éducation à la citoyenneté numérique. « L'Union européenne ne peut pas imposer une définition parce que pour tout ce qui concerne l'éducation, explique-t-elle, il y a le principe de subsidiarité. À savoir que chaque pays reste souverain dans ses choix, y compris de médias à étudier en classe (films pour certains, presse écrite pour d’autres). Ainsi chaque pays peut s’en réclamer, tout en continuant à exprimer sa diversité culturelle. Il s’agit de favoriser le dialogue interculturel. Il y a plusieurs cultures de l’éducation aux médias et à l’information comme il y a plusieurs cultures médiatiques en fonction des pays ».
 

Aux origines : une éducation contre les médias

Les définitions et les pratiques peuvent donc changer en fonction des pays où l’on se situe, des organismes auxquels on s’adresse et des époques… Il est nécessaire de prendre un peu de recul. Dans les années 1880, un directeur d’école du Missouri utilisait ainsi des journaux, selon lui indispensables « à une information rigoureuse pour une démocratie active », comme le relève Marlène Loicq dans sa thèse Médias et interculturalité : l'éducation aux médias dans une perspective comparative internationale (Australie, Québec, France), soutenue à Paris III en 2011. « Si on veut revenir au commencement, je dis toujours que l'éducation aux médias est apparue en même temps que les médias », explique Marlène Loicq, aujourd’hui maîtresse de conférences en Information-Communication-Numérique à l’UPEC. « Dès que l’on a été en mesure de voir le monde plus loin dans le temps, dans l'espace, ce que nous ont permis de faire les médias, on a commencé à s'intéresser et à s'inquiéter à ce qu’ils pouvaient faire. Très tôt, on a commencé à se demander ce qu’il fallait faire avec ces nouveaux outils, et des réflexions ont eu lieu dans des lieux déjà réputés pour être éducatifs, les églises notamment, pour ensuite investir la société civile. »

 Pendant les années 1960, certaines catégories médiatiques sont désignées comme ayant un intérêt culturel 

Dans les années 1950, l’éducation aux médias a ainsi connu une phase « vaccinatoire » où une opposition était faite entre une « bonne » et une « mauvaise » culture : il existait alors une méfiance envers les médias. Ceux-ci étaient accusés de causer un certain déclin de la culture ainsi qu’un appauvrissement du goût des jeunes, comme le relève Marlène Loicq dans sa thèse, en citant les travaux de Len Masterman, un professeur d’éducation anglais qui a travaillé et écrit sur l’analyse des médias. Pendant les années 1960, certaines catégories médiatiques, comme le cinéma, sont désignées comme ayant un intérêt culturel. En acquérant une certaine respectabilité, celles-ci ont pu faire leur entrée à l’école. L’idée est alors autant de « protéger » les élèves qu’éduquer leurs goûts. Enfin, les années 1970 ont apporté les approches critiques, privilégiant la sémiotique, les théories idéologiques et les questions liées aux contextes sociaux de production et de consommation des médias.

« Le postulat que les jeunes sont naïfs, influençables et qu'il faut les protéger a été plus ou moins modifié selon les contextes, plus ou moins enrichi au fur et à mesure que l’on commençait à mener des études sur les médias, les publics et les réceptions, rappelle Marlène Loicq. Finalement, il a été établi que le récepteur n'était pas si passif et influençable que ça et qu’il n’était pas possible de parler d'une manipulation directe. À partir de là, la vision de ces sujets a commencé à changer et la question de ce que les gens font des médias s’est posée. » Ce changement de paradigme a, selon la maîtresse de conférence, nourri l’éducation aux médias. « L’idée n’était alors plus de chercher des manières d’armer les jeunes contre les médias pour qu’ils se protègent, mais de trouver des façons d’utiliser les pratiques médiatiques pour en faire autre chose ».

Pour Alton Grizzle, spécialiste de l’éducation aux médias au sein de l’UNESCO, un changement majeur intervient au moment de l’expansion des médias de masse. « Si l’on se remémore ce qui s’est passé il y a 40 ou 50 ans, l’arrivée massive de la radio et de la télévision était un phénomène nouveau, mal compris. La libéralisation des médias à travers le monde a fait que la plupart des gens avaient accès à la télévision et à la radio, à plus de contenus, à des contenus d’un nouveau genre. La question s’est posée de savoir de quelles compétences les gens avaient besoin pour comprendre ce nouveau phénomène et l’effet de ces médias dans leur vie. »
 

Vers une éducation par les médias et aux médias (avec des spécificités locales)

L’éducation aux médias, après avoir été pensée « contre » ces derniers, les apprivoise peu à peu pour en faire des outils qui permettent de prodiguer le savoir d’une autre façon. Dans la lettre qu’il envoie le 28 septembre 1976 à l’inspection générale, le ministre de l’Éducation français de l’époque, René Haby, demande à ce que l’attention des professeurs soit attirée sur l’intérêt que présente l’usage pédagogique de la presse dans les différentes disciplines. Il prend alors comme exemple les résultats produits par l’inclusion de la presse étrangère dans l’enseignement des langues vivantes. « Dans les années 1980 et 1990, en Europe et surtout en France, il y a eu une prise de conscience de la part du monde éducatif qui a fait voler en éclat l’idée que l’école sanctuaire devait être coupée du monde et des réalités extérieures », analyse Laurence Corroy, professeure et chercheuse à l’université Paris III. Ainsi, les médias ont été peu à peu intégrés dans le monde éducatif. « D’abord comme supports pédagogiques, c’était une éducation par les médias, continue Laurence Corroy. On prenait des articles de journaux, on écoutait la radio, on regardait un film, car cela pouvait permettre d’éclairer de façon plus ludique et agréable des contenus classiques en histoire, en géographie, en littérature, etc. ». 

 L’éducation aux médias prend des formes différentes suivant les pays 

Mais très rapidement, dans tous les pays, la question d’une éducation aux médias se pose. « Car on comprend très vite, analyse Laurence Corroy, que des clés de compréhension sont nécessaires, comme le fait de savoir, par exemple, comment un journal et sa une sont constitués, que tous n'ont pas la même ligne éditoriale, que le journal télévisé est aussi un spectacle, etc. » La structuration de l’éducation aux médias prend alors des formes différentes suivant les pays, les contextes, les pratiques et, surtout, selon la façon dont les médias y sont intégrés. « La vision globale de l'environnement médiatique est importante, car celui-ci va forcément avoir un impact sur la façon dont on va mettre en place et penser l’éducation aux médias, avance Marlène Loicq. Si l’on prend le cas du Canada et du Québec, la concentration des médias y est très forte. C’est donc, forcément, un point extrêmement important dans la compréhension de l’industrie médiatique.» Laurence Corroy va dans le même sens : « Dans la mesure où les médias exposent des représentations de la société et de sa vie culturelle, intellectuelle et politique, l'éducation aux médias se pense toujours par rapport au régime politique dans lequel elle s'insère, ainsi que par rapport à la manière dont les disciplines, elles, peuvent s'en emparer. »

Ainsi s’explique la variété des approches en matière d’éducation aux médias, même si, finalement, des convergences apparaissent. En Amérique du Nord, cela s’est structuré par rapport au concept de « littératie », c’est à dire la capacité de savoir lire et écrire. Cette notion a ensuite été déclinée en « littératie » informatique, médiatique, numérique, réputationnelle. « Dans ce modèle, qui n’évacue pas l’idée d’esprit critique, la question du développement des compétences, notamment techniques, et de leur évaluation est centrale », explique Laurence Corroy. En Amérique du Sud, l’idée que les médias pouvaient être un facteur de socialisation et d’éducation s’est développée d’une autre manière. « C’est une toute autre dynamique qui est née vis-à-vis de l’impérialisme médiatique occidental. La question de savoir comment on pourrait éduquer par les médias et aux médias dans le même temps s’est posée. Des expériences de télévision éducative et d’écoute collective ont ainsi été menées ».

Autre élément différenciant entre les définitions et pratiques, notamment en Europe : l’inclusion ou non des études filmiques, culturelles et visuelles dans l’éducation aux médias. Ainsi, les pays nordiques se démarquent par leur tentative de réunir la pédagogie du cinéma, de la musique, de la danse et du théâtre pour favoriser la créativité. Dans la vision française, le cinéma n’en fait pas partie, plutôt abordé par l’esthétique et l’éducation à l’image. Quant à la télévision, elle est quasiment exclue de fait. « En France, il y a l’idée que l’école est un lieu de la culture, ce qui exclut la télévision et l’audiovisuel, explique Marlène Loicq. Les médias qui ont été abordés en premier étaient la presse, puis après les journaux télévisés. Ce n’est que par ce biais que l’on aborde la télévision. On n’utilise pas les séries, par exemple ». Une différence s’est donc opérée entre les médias sérieux, ceux qui développent une offre de divertissement, et enfin ceux qui tiennent de la culture artistique. Ainsi le CNC explique ne pas faire d’éducation aux médias mais bien de l’éducation aux images. 
 

En France, un enjeu civique

En France, l’éducation aux médias s’est donc concentrée sur les médias d’information, la presse, le journalisme et leur importance dans le fonctionnement de la démocratie, avec un intérêt de plus en plus important accordé au numérique. « Ici, l’éducation aux médias a finalement été pensée en grande partie en articulation avec le politique, explique Laurence Corroy. Il s’agit de permettre aux citoyens d’être actifs et capables de comprendre la différence entre une source sûre et une source peu sûre ».

 Le CLEMI est l’un des acteurs les plus importants du champ 

C’est dans cette tendance que s’est développé le CLEMI, tout d’abord connu sous le nom de Centre de Liaison de l’Enseignement et des Moyens d’Information, avant que cette dernière partie ne se transforme en « Médias d’Information ». Créé en 1983 sous l’impulsion d’Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale de l’époque, il est aujourd’hui le service dédié à l’éducation aux médias et à l’information, et agit au sein de Canopé, opérateur public sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Il est l’un des acteurs les plus importants du champ. Sa mission de base : « promouvoir, tant au plan national que dans les académies, notamment par des actions de formation, l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves du monde qui les entoure, tout en développant leur sens critique ».

« Nous avons en réalité trois missions, explique Serge Barbet, directeur délégué du CLEMI. Tout d’abord, la formation des enseignants du premier et du second degré [primaire et collège, NDLR] en éducation aux médias et à l’information. La deuxième mission, c'est la production et coproduction de ressources pédagogiques pour accompagner ces enseignants dans des pratiques d'éducation aux médias et à l'information. La troisième mission consiste à animer des actions éducatives au sein de l'Éducation nationale. » Dans son bilan de formation 2016-2017, le CLEMI indique « que plus de 30 000 enseignants des 1er et 2nd degrés et plus de 57 000 personnes [ont] bénéficié des actions de formation du CLEMI ». Le CLEMI organise aussi des évènements à travers la France, notamment la semaine de la presse, au cours de laquelle des professionnels des médias proposent aux enseignants des interventions dans les classes.

 Les attentats de janvier et novembre 2015 ont consolidé l’orientation française en matière d’éducation aux médias 

L’éducation aux médias a acquis depuis quelques années une visibilité accrue au sein du ministère de l’Éducation nationale. La loi du 8 juillet 2013 (dite « de refondation et de programmation de l'école de la République ») inclut en effet l'éducation aux médias et à l'information dans « le socle des compétences, de connaissances et des cultures ». En novembre 2015, elle fait son entrée officielle dans les programmes des classes de 5e, 4e et 3e. Les programmes expliquent que « l'éducation aux médias et à l'information oblige à questionner les enjeux démocratiques liés à l'information journalistique et aux réseaux sociaux ». Les attentats de janvier et novembre 2015 ont en effet consolidé l’orientation française en matière d’éducation aux médias. « Il y a une prise de conscience, explique Serge Barbet. Aujourd'hui, quand le Premier ministre appelle à systématiser l'éducation aux médias et l'information dans le cadre du plan de prévention de la radicalisation, il place le sujet au début de son discours parmi les premières annonces car il y a cette conscience totale et absolue aujourd'hui que c'est par ce biais-là que nous arriverons à nous prémunir contre un certain nomb re de phénomènes qui utilisent effectivement les outils numériques pour se diffuser, et essayer de détourner l'attention d'un certain nombre de nos jeunes concitoyens ».

Mais le CLEMI n’est pas le seul acteur à être actif dans le domaine de l’éducation aux médias. Le CSA met en place des partenariats avec des associations dont le but est d’aller à la rencontre des plus jeunes afin de les initier au monde médiatique, et le conseil a notamment créé un observatoire pour l’éducation aux médias en 2014. Au-delà de ces structures institutionnelles, de nombreuses initiatives se sont développées au fil des ans sur tout le territoire, comme l’association Jeunes Reporters 8 à 18 ans qui est active dans l’Indre-et-Loire et qui coordonne des blogs d’écriture journalistique.
 

L’éducation aux médias : une matière à part ?

Quelle forme donner, concrètement, à l’éducation aux médias dans les classes ? « Dans certains pays, l’éducation aux médias est une discipline autonome, obligatoire, inscrite au programme, explique Marlène Loicq. Dans d'autres pays, comme la France, l’approche est transversale, elle n'a donc pas de place identifiée comme telle». Si l’éducation aux médias est effectivement entrée dans les programmes, sous le nom « d’éducation aux médias et à l’information », son évocation en cours dépend des projets des professeurs, du temps qu’ils veulent ou peuvent y consacrer et surtout de leur formation. « Du jour au lendemain, on leur dit qu’il faut faire de l’éducation aux médias, alors qu’ils n’ont parfois pas abordé ça auparavant. Forcément les projets ne naissent pas. C’est une avancée que l’éducation aux médias soit dans les programmes, mais il faut maintenant expliquer ce que l’on en attend et donner les moyens de le faire ».

Faudrait-il faire de l’éducation aux médias une matière à part entière qui serait obligatoire ? « Dans le contexte français, qui réfléchit beaucoup par discipline, j’estime personnellement que l’on y gagnerait, répond Laurence Corroy ». Marlène Loicq y est favorable également. Cela permettrait, selon elle, de l’ancrer dans les programmes et de la rendre moins sensible aux évènements extérieurs. « C’est un débat qui se pose depuis les débuts de l’éducation aux médias, explique-t-elle, avec des pics d’attention qui sont généralement liés à l’apparition de nouveaux médias qui engendrent des peurs puis des optimismes. Et cet intérêt connaît ensuite une baisse plus ou moins vertigineuse. » Pour Divina Frau-Meigs, l’éducation aux médias et à l’information devrait entrer dans les évaluations PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves), un ensemble d’études menées par l’OCDE visant à mesurer les performances des systèmes éducatifs. « C’est une mesure que j’ai proposée dans le cadre du rapport pour la Commission européenne sur le phénomène de Fake news. Si l’on veut que ce soit évalué, il faut en faire un élément comparatif mondial et européen. Il faut l’y mettre pour que les enseignants, au moins de temps en temps dans la scolarité des élèves, pensent à cocher la case, que ce ne soit pas quelque chose d’aléatoire. Ça ne peut pas s'improviser. Ce qui arrive en ce moment avec les médias et les datas est trop complexe pour ne pas faire partie du programme de base de tout jeune citoyen ».

Mais pour ancrer cette politique d’éducation aux médias, la question du financement est aussi à prendre en compte. D’après Marlène Loicq, c’est le talon d’Achille du CLEMI, qui gagnerait à obtenir plus de moyens. « À l’étranger, le CLEMI nous est envié et son existence est saluée. En 36 ans, il a été moteur de tas de choses. Mais il manque de moyens pour mettre en place tous les projets qu’il pourrait avoir ». Une perspective partagée par Laurence Corroy. « Je pense que le CLEMI travaille bien, explique-t-elle, mais je dirais qu’on ne peut pas demander à un centre, qui n'est qu’une émanation de Canopé, de tout faire. Le CLEMI ne s'adresse pas à l’enseignement supérieur, il s’adresse aux professeurs du premier, second degré. Il faudrait, à mon avis, prendre l'éducation aux médias de façon beaucoup plus volontariste et avec des éléments plus clairs. Mais ça demande des moyens, toujours ». Le constat est le même du côté d’Alton Grizzle. Pour le spécialiste de l’UNESCO, l’activité du CLEMI est importante et mérite d’être soutenue, élargie et reproduite dans d'autres pays du monde. « Je pense qu'une organisation comme le CLEMI est importante. Là encore, la question est de savoir si le gouvernement met l'accent sur l'importance de l'éducation aux médias et à l'information pour la vie sociale, la vie politique, les forces démocratiques, les forces économiques et le développement durable. »

Un rapport publié en 2013 explique que le CLEMI s’appuie sur un budget de 300 000 euros par an, un montant qui n’aurait pas évolué en trente ans. Une somme qui ne reflèterait pas ce qui est alloué aux ressources humaines (19 personnes au niveau national). Contacté, Canopé explique que le budget de fonctionnement du CLEMI pour l’exercice 2018, était de 450 307 euros (hors dépenses de personnel) et qu’en remontant aux différents exercices budgétaires, « il évolue peu entre 450 000 et 500 000 euros selon les projets à réaliser » et que depuis 2013, « il reste dans ces ordres de grandeur ».

Il est important de noter que le doublement des moyens attribués par le ministère de la Culture à l’éducation aux médias ne touchera pas directement le CLEMI, mais tout un ensemble d’acteurs qui pourraient ensuite travailler avec lui. « C’est une annonce intéressante, estime Laurence Corroy, car les associations sont sur le terrain et c'est important. Mais ça ne règle pas tout. À un moment donné, il y aurait besoin d’une coordination nationale et qui soit transministères, avec la Recherche, l'Éducation nationale, la Culture et même, pourquoi pas, le ministère de la Jeunesse et des Sports. »
 

L’éducation aux médias, le parent pauvre de l’éducation ?

En 1982, lors de la première conférence de l’UNESCO sur l’éducation aux médias qui se tient à Grünwald, en Allemagne, il apparut que trop peu de systèmes éducatifs s’emparaient de la question des médias. En 2007, l’agenda de Paris, qui formula douze recommandations pour l’éducation aux médias, y fit référence en relevant que le fait que le sujet soit toujours d’actualité, 25 ans après, était un signe du manque de reconnaissance de l’éducation aux médias. L’année suivante, David Assouline, sénateur de Paris, expliqua dans un rapport écrit pour la commission des Affaires culturelles du Sénat que l’éducation aux médias était une « matière déshéritée ». D’où cette interrogation : l’éducation aux médias a-t-elle été prise au sérieux par le passé et l’est-elle aujourd’hui ? « Non, en tout cas pas comme elle devrait l’être, et ce dans le monde entier, tranche Alton Grizzle. Nous avons besoin de politiques pour intégrer l’éducation aux médias et à l'information dans les programmes d'éducation formelle, et informelle, afin d’avoir un impact plus grand et durable sur et les sociétés à travers le monde ». L’enjeu d’une politique nationale dédiée à l’éducation aux médias et à l’information est aussi relevé par Divina Frau-Meigs : « Il existe beaucoup de bonnes pratiques, décrit-elle, mais nous n’arrivons pas à en faire une politique nationale. Il faudrait rapidement une réflexion surplombante qui répondrait aux questions suivantes : quel périmètre ? Quelle continuité pédagogique ? Quelle évaluation? Quelles compétences évaluées ? Quel financement ? Quelle pérennisation ? »

Pour Laurence Corroy, les discours politiques très volontaristes se sont multipliés ces dernières années mais peinent à se transformer en actions concrètes, en formations et en création de postes. « La volonté politique n’est pas absente, mais les arbitrages financiers sont, évidemment, toujours compliqués. Le développement de la recherche sur les questions d’éducation aux médias est une autre problématique. Il y a très peu de postes d’enseignants-chercheurs sur ces domaines. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a aucune recherche en France en éducation aux médias, elle se développe, mais elle ne se traduit pas dans les postes et c'est un vrai déficit pour la France. » Un constat partagé par Marlène Loicq qui note que, même si l’on parle d’éducation aux médias, « c’est un champ qui, dans tous les pays, se développe dans les études sur les médias et non pas en éducation. »

Comment envisager l’avenir de l’éducation aux médias ? « Si l’on regarde la façon dont les choses sont déroulées depuis 40 ans, le constat est le suivant : on raisonne d’abord contre, puis on met en place quelques mesures avant de se rendre compte que ce n’est pas suivi parce que ce n’est pas suffisant, parce que ce n’est pas le cœur du sujet », avance Marlène Loicq. Alors que la proposition de loi « anti fake news » n’en finit plus d’être discutée, l’éducation aux médias et à l’information a été évoquée à plusieurs reprises comme solution pour endiguer le phénomène des fausses nouvelles. Mais il n’est pas dit qu’il s’agisse d’un remède miracle, comme l’a récemment expliqué la chercheuse danah boyd.… Combien de temps durera ce nouveau cycle d’intérêt, verra-t-on émerger un débat de fond sur l’éducation aux médias et celui-ci sera-t-il suivi d’effets ?

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