Un acte d’autorité du CSA nécessaire mais dérisoire

Un acte d’autorité du CSA nécessaire mais dérisoire

Le CSA ne pouvait pas rester sans voix après la couverture médiatique des actes terroristes. Mais sa réaction illustre tout autant son rôle de régulateur que les limites de son pouvoir.

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Le traitement médiatique des actes terroristes survenus en janvier a rapidement suscité la polémique. Le CSA s’est emparé de la question et a rendu, le 12 février dernier, ses décisions. Bilan : 36 manquements relevés donnant lieu à 15 mises en garde et 21 mises en demeure adressées à plus d’une quinzaine de médias audiovisuels. Les médias incriminés ont réagi, quelques jours plus tard, dans une lettre commune au CSA. Afin d’y voir plus clair, nous publierons au cours de la semaine les regards portés sur cette question par Patrick Eveno (professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-I et président de l’Observatoire de la déontologie de l’information), François Jost (professeur en science de l’information et de la communication à Paris-III, directeur de la revue Télévision), Marc Le Roy (docteur en droit spécialisé en droit des médias, enseignant à l’université de Tours) et Agnès Granchet (maître de conférence en science de l’information et de la communication à l’Institut français de presse/Paris-II).

En émettant le même jour 36 rappels à l’ordre visant une grande partie des chaînes de télévision et des radios françaises au sujet du traitement des attentats de janvier 2015, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rappelé de façon ostentatoire son rôle de régulateur de l’information. Au-delà de l’impact de cet acte d’autorité sur la liberté de l’information, il est intéressant d’étudier ces rappels à l’ordre du point de vue du CSA. Que nous apprennent ces différentes mises en garde et mises en demeure du 12 février sur le rôle du CSA ? La réaction du CSA était-elle opportune ?
 

La lecture détaillée des différentes mises en demeure (seules ces dernières ont valeur de sanction) rendues par le CSA le 12 février permet de comprendre facilement leur intérêt. Les considérants rendus par l’autorité administrative indépendante sont sévères. Les chaînes de télévision et les radios visées ont, selon le CSA, et, selon les cas, méconnu la loi, une recommandation émise par le CSA sur le traitement des actes terroristes ainsi que les conventions conclues avec ce dernier en vue d’émettre. Le CSA vise tour à tour des manquements élémentaires à la prudence permettant d’assurer le maintien de la sécurité publique et la sauvegarde de l’ordre public ; des atteintes au respect de la dignité de la personne humaine et enfin des mises en cause de la vie et de la sécurité des otages : ces formulations dures parlent d’elles-mêmes. Au vu des divers manquements constatés par le CSA dans le traitement de l’information, était-il possible pour l’autorité administrative indépendante de ne pas agir ? La méthode employée par le CSA visant à rendre un nombre important de rappels à l’ordre (36) est certes impressionnante et ostentatoire mais a pour mérite de viser l’ensemble des manquements commis par les chaînes et autres radios. De plus, chacun aura constaté que le développement et la multiplication des chaînes d’information en continu entraine une course au scoop et au spectaculaire qui a parfois pour conséquence une remise en cause des règles déontologiques. Cette tendance à l’accélération qui impose aux différents médias de suivre le rythme imposé par les chaînes d’information en continu est régulièrement critiquée. La position prise par le CSA le 12 février constitue une réponse à ces critiques et à cette tendance. Le CSA se devait d’agir fermement afin de rappeler les nécessaires limites à ne pas franchir. Reste à savoir comment faire une juste balance entre les obligations imposées aux médias d’information et le nécessaire droit à l’information que les chaînes de télévision et les radios visées par le CSA n’ont pas manqué d’évoquer à la suite de ces rappels à l’ordre. La question de la combinaison de ce droit et de ces obligations mérite en effet d’être posée.
 
La réaction du CSA au traitement des attentats de janvier 2015 illustre également les limites de son pouvoir de régulation. Le CSA est en effet uniquement compétent pour réguler les chaînes de télévision et les radios. Il n’a par contre aucun moyen d’action sur les autres sources d’information (presse écrite, sites Internet…) Le CSA est de plus incompétent pour réguler les radios et les chaînes de télévisions qui émettent depuis l’étranger ainsi que les services toujours plus nombreux diffusant uniquement via Internet (webradio, webtv…) Dans ces conditions, la réaction du CSA au sujet du traitement des attentats de janvier paraît bien limitée et presque dérisoire. Ainsi, de nombreux Français ont pu voir la vidéo de l’affreuse scène d’exécution du policier assassiné en face des locaux de Charlie Hebdo via les réseaux sociaux ou les sites d’information en ligne. Pour autant, les chaînes ayant diffusé ces images ont été rappelées à l’ordre par le CSA. Il est difficile d’expliquer ce « deux poids, deux mesures » dans la régulation de l’information. Il n’apparait néanmoins pas pertinent d’autoriser telle pratique ou telle image à la télévision sous prétexte qu’elle figure en accès libre sur d’autres médias. Le CSA est confronté au même type de questionnements lorsqu’il régule l’accès des mineurs à certains programmes qui ne leurs sont pas adaptés. Il peut sembler dérisoire qu’une chaîne de télévison soit mise en cause pour avoir divulgué des informations ou des images qui sont au même moment disponibles sur une chaîne étrangère visible depuis sa télévision. Pour autant, la diversité des situations juridiques n’appelle pas nécessairement un nivellement vers le bas de la régulation. À ce sujet, et au vu des évolutions technologiques de ces dernières années, le CSA réclame dans son dernier rapport annuel des possibilités d’intervention élargies aux services audiovisuels en ligne. Une réflexion sur ce sujet passe forcément par une définition de cette dernière formulation ; or on aura vraisemblablement le plus grand mal à déterminer ce qui est constitutif d’un tel service. Un site internet d’information qui communique des liens vers des vidéos d’information sera-t-il par exemple concerné ?
 
Pour finir, les 36 rappels à l’ordre rendus par le CSA le 12 février dernier peuvent être vus comme un acte d’autorité du CSA. En effet, l’autorité administrative indépendante semble avoir sifflé la fin de la récréation en termes de course à l’information. On peut constater que le CSA fait preuve d’autorité dans de plus en plus de domaines depuis l’arrivée à sa présidence du conseiller d’État Olivier Schrameck, qui semble avoir de grandes ambitions pour cette institution. La réaction volontariste du CSA au traitement de l’information relative aux attentats de janvier 2015 s’inscrit comme une nouvelle étape visant à revaloriser et affirmer l’autorité du CSA. On peut néanmoins s’interroger sur la portée et l’utilité de cette dernière intervention quand, quelques jours après ces rappels à l’ordre, plusieurs chaînes de télévision se sont précipitées, sans vérification aucune, pour annoncer la mort de Martin Bouygues qui se porte en réalité comme un charme. La réaction du CSA risque de nouveau d’être sévère mais, cette fois, il n’est pas certain que le droit à l’information soit évoqué pour justifier cette nouvelle maladresse des médias…

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Crédit photo :
Capture d'écran de BFM TV

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