Le Forum d’Avignon, une invitation à la réflexion

Le Forum d’Avignon, une invitation à la réflexion

Du 17 au 19 novembre 2011 a eu lieu le Forum d’Avignon. Alors que le fil rouge de cette 4ème édition était « Investir dans la culture », c’est l’ensemble du paradigme culturel qui a été interrogé dans une société toujours plus connectée mais en « rupture » avec ses « infrastructures ».
Temps de lecture : 16 min

Instauré en 2006 suite à la ratification du traité sur la diversité culturelle de l’UNESCO, le Forum d’Avignon(1) s’est fixé pour objectif depuis quatre ans d’organiser « la rencontre de la culture et de l’économie », assemblage osé de deux notions qui ont toujours suscité de vifs débats : définition de la culture, des « biens » ou « produits » culturels, des industries culturelles, interrogation sur le cadre législatif…


Cette 4ème édition du « G20 de la Culture »(2) a réuni plusieurs centaines de personnes(3) du 17 au 19 novembre 2011 au Palais des Papes d’Avignon, représentant différents acteurs et secteurs de la culture, ainsi que des décisionnaires politiques français et étrangers. Ainsi, des créateurs(4) aux “penseurs”(5), en passant par des représentants de grandes sociétés ou institutions(6), ont été conviés pendant trois jours à des conférences et débats autour du thème « Investir la Culture ».

Investir la culture - Interview de Nicolas Seydoux, président du Forum d'Avignon / Ina


L’occasion pour tous d’émettre des propositions et avis, sur fonds de présentations d’expériences innovantes, de parcours individuels et de débats autour des courants de pensées, du rôle de la culture dans la société et des modèles établis « d’encadrement du bien culturel ». L’investissement culturel a alors été décliné en quatre thématiques, chacune orientée par des enquêtes réalisées en amont de l’évènement par des cabinets d’étude sous la direction du conseil d’administration du Forum, et appuyée tout au long de l’année par le Lab du Forum d’Avignon.

Ces enquêtes
ont permis d’orienter les débats et surtout de travailler sur un instantané de « l’univers culturel actuel » certes non exhaustif mais permettant de voir quelles sont les tendances, en termes de technologies, de politiques culturelles ou de gestion de la propriété intellectuelle, et ce au niveau international.

Investir la Culture pour ne plus en voir que les coûts

Thème central et d’ouverture du Forum d’Avignon 2011, l’investissement culturel, aussi bien au niveau personnel qu’au niveau des institutions, renvoie à l’économie afin de mesurer la valeur des productions culturelles, en termes de coûts ou produits. Or, comment calculer a priori un investissement culturel ? Comment concilier instinct, ressenti et esprit rationnel ? En réponse, une enquête internationale intitulée « Entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision » a été réalisée par Kurt Salmon afin de proposer un cadre général d’aide à la décision lors de choix d’investissement culturel, basé sur la synthèse de l’interview d’une soixantaine de décideurs privés et publics.
 
Il s’agit alors de trouver comment parler de la culture aux économistes de manière compréhensible, leur faisant alors voir l’investissement culturel non plus comme une charge ou un coût mais comme un actif, un bien. L’occasion de rappeler que la notion de « biens culturels » est un concept récent dans l’économie de la culture et que les investissements dans ce secteur (musées, technologies numériques, initiatives telle que la diffusion de spectacle dans des salles de cinéma…) permettent d’évaluer ces biens.
 
  On constate que la Culture a pu continuer à se développer même en période de crise. Mais il faut la protéger car elle peut également être affectée par celle-ci [moins de sponsors, soutiens et investissements en général]. Charles Landri, urbaniste britannique.
Ce sujet fait fortement écho à la période de crise économique et sociale mondiale où la Culture représente pour certain « la première réponse à la crise » ou comme le suggère l’étude « le moment d’investir ». Il s’agissait alors de présenter des moyens concrets de valorisation et monétisation de la Culture, dont le champ disciplinaire n’a cessé de s’élargir avec l’intégration des industries culturelles et créatives, et ici plus particulièrement de présenter les effets de « son inscription » dans les territoires avec pour l’exemple quatre études de cas de projets innovants : le centre Pompidou Metz, le Festival d’Aix en Provence, la numérisation de la bibliothèque royale de Belgique, le Design Fashion Architecture (DUTCH) aux Pays-bas.

Schémas montrant l'élargissement du champ culturel par l'intégration des industries culturelles et créatives

En complément de l’enquête produite par Kurt Salmon, l’étude sur l’impact des dépenses culturelles réalisée par Tera Consultants a permis de cartographier les stratégies de 47 villes et mesurer statistiquement les retombées des investissements culturels dans les territoires. De ces enquêtes ressort principalement un effet positif de levier, tant économique(7) que social.
 
Reste la question de la rentabilité de la culture. Des investissements mutualisés doivent ainsi être mis en place afin de créer une logique d’investisseurs avisés pouvant supporter le risque inhérent à toute monétisation d’un bien culturel. Enfin, il semble nécessaire de constituer des fonds d’aide au développement de certains secteurs porteurs, comme le numérique.
 
Ces études confirment ainsi l’impact positif de la création de clusters culturels dans les territoires. En plus de l’investissement des institutions, l’engagement, nécessaire, des entreprises dans le secteur culturel a par ailleurs été souligné, à travers les démonstrations d’une visite virtuelle de Versailles, réalisée par la société Orange, et d’un dispositif interactif ludique, créé par le groupe Dassault.
 
Versailles en direct Visite virtuelle - Interview de Laurent Gaveau et Paul-François Fournier - Ina.

 
De manière plus générale, et philosophique, la thématique de l’investissement culturel a permis de rappeler l’importance de la culture  pour les individus et ce non seulement au niveau économique mais également au niveau de la formation, de l’éducation et de la transmission de l’histoire.
 L’art est aussi important que l’eau que l’on boit et que l’air qu’on respire. Il exprime notre condition. Barbara Hendrix.

 

La culture numérisée : besoins de filtres et nouveaux prescripteurs

Au cours d’une session animée par Éric Scherer(8), le forum s’est intéressé aux problématiques de référencement des œuvres sur Internet, de mise en place de filtres de recherche et du financement de la création.
 
Le débat, partant de l’étude proposée par l’Atelier Français, a montré la place grandissante des prescripteurs en ligne, renforcée par le développement des réseaux sociaux, mais surtout le manque de filtres permettant d’orienter les internautes vers des contenus non seulement de qualité mais surtout légaux. Ces derniers se retrouvant face à une masse importante d’informations et de contenus en ligne parmi lesquels il devient de plus en plus difficile de voir ce qui est pertinent ou légal, situation résumée par Éric Scherer, reprenant Mike Elgan :
 Nous ne souffrons pas d’une surabondance de contenus mais d’un échec des filtres. 
 
Dès l’avènement d’Internet, le numérique était vu par certains comme le « sauveur » de la culture, suivant l’hypothèse d’une amélioration de la diversité culturelle par l’accroissement de l’accès aux productions culturelles rendu possible par Internet et la numérisation des contenus. Mais là encore, ce qui est remis en doute dans la théorie dite de la Longue Traîne est l’accès à une découverte hasardeuse alors même que, comme le souligne Bruno Racine, président de la BnF, « ce qui inquiète les acteurs est le mode de recherche qui se met en place, entre recommandation sociale et moteur de recherche ». Pour lui, nous sommes sur Internet face à l’association de plusieurs mécanismes (soulignant la place des réseaux sociaux et leur « agrégation d’un ensemble de fonctions en un seul bouton ») qui concourent toujours aux effets de hits. Pour contrer ce phénomène et favoriser ainsi la diversité culturelle, la solution est à terme l’exhaustivité, prenant en exemple le projet Europeana.
 
David Drummond, vice-président senior et directeur juridique de Google, étant présent lors de ce débat, les intervenants n’ont pas manqué de l’interroger sur le positionnement de la marque vis-à-vis des sujets évoquées comme la numérisation des livres et journaux, la transparence de son algorithme de recherche, son rôle de filtres des contenus illégaux ou encore son investissement, soutien à la création. Cela confirme la volonté des acteurs traditionnels de la chaîne de diffusion des contenus de prendre en compte ces « nouveaux acteurs », qui, comme Facebook, Apple ou Spotify, se positionnent sur le marché des industries créatives.
 
 
Promouvoir l'offre culturelle sur Internet - Interviews de Mathieu Gallet (Ina) et Kalli Purie (India Today) - Ina.
 
 
Comme l’a alors fait remarquer Philippe Torres de l’Atelier BNP-Paribas, « La vraie question est celle de la neutralité des acteurs techniques plutôt que la transparence ou l’indépendance ». Comment se positionnent en effet des sociétés telles que Google ou Amazon dont les services techniques sont utilisables, et utilisés, par tous ?
 
 La nouvelle façon de prescrire est d’inclure des filtres afin de faciliter la recherche de contenus. David Weinberger.
Au niveau du référencement, le débat a permis de préciser les principales techniques actuelles qui sont de communiquer directement l’adresse d’un site, d’utiliser des flashcodes pour faire le lien entre contenus physiques et numériques, et enfin les moteurs de recherche qui indexent les contenus en ligne (de manière gratuite ou payante). Cependant, ces techniques ne permettent que d’indexer des références et non directement la Culture, qui est elle référencée par des contenus, transmis et prescrits ensuite par les internautes. Le professeur David Weinberger a ainsi rappelé qu’Internet n’est pas un véhicule, mais que nous sommes le véhicule, le média, le lien entre les contenus. Le partage n’est possible sur Internet que par nous et nos commentaires, nous plaçant alors au cœur des contenus que nous transmettons, faisant véhiculer non plus un message mais une idée. Enfin, pour la philosophe Cynthia Fleury, si le référencement est nécessaire, il ne fait pas tout : un apprentissage de la découverte est nécessaire pour en avoir l’envie et alors « déstructurer la notion de médiatisation », pour élargir ses champs de recherches et « dépasser la page 50 de Google en ayant un usage contre-intuitif du Web ». Il n’y a pour elle pas de Culture sans appropriation culturelle, sans mécanisme d’invention car on résiste, on se construit, en même temps que l’on accède à ces contenus culturels éparpillés en ligne.
 
Interview de la philosophe Cynthia Fleury - Internet, plateforme d'une culture uniformisée - Ina.

Vis-à-vis des contenus, cela confirme l’importance de continuer leur numérisation, et leur référencement, mais aussi de développer des offres légales abordables et adaptées à la demande, et aux moyens, des internautes. Les intervenants ont ainsi plaidé pour l'information et la formation de ces derniers, à la fois sur l’importance du respect de la propriété intellectuelle (au niveau du financement de la création et du respect moral des auteurs), les risques encourus en cas de « piratage » et la possibilité d’accéder légalement à ces mêmes contenus.
 
 
L’ère de l’abondance et de l’accès à l’information remet plus particulièrement en question le rôle des professions telles que les journalistes et les bibliothécaires puisque, comme le souligne David Weinberger « l’acte de conservation des informations n’est plus le même, cet acte s’inspirait des limites du support ou du véhicule, or là [avec le numérique] ça disparaît ». On assiste alors à l’émergence de nouveaux prescripteurs utilisant les outils d’agrégations pour réaliser leur propre sélection et la diffuser ensuite sur les réseaux sociaux. 
 
Qui sont alors les prescripteurs les plus influents et quels rôles doivent jouer les intermédiaires de l’information en ligne ? Peut-on parler de neutralité dans les résultats de recherche alors que les infrastructures techniques sont gérées par des acteurs ayant tout intérêt à promouvoir leurs propres contenus ou services ? De quelles manières les institutions politiques peuvent-elles ou doivent-elles intervenir ?

Des pratiques culturelles toujours plus connectées

 Dès 2013, plus de personnes accéderont à Internet via smartphone ou support mobile que via support fixe. Gilles Babinet, président du CNNum.
Le Forum d’Avignon a permis de mesurer l’avènement des nouvelles pratiques culturelles induites par la numérisation des biens et une connectivité renforcée(9). Cette e-révolution des pratiques implique alors une remise à plat nécessaire et complète du rôle et de la place de la culture au sein de la société. De la création à la diffusion et consommation, c’est toute la chaîne de valorisation de la Culture qui doit être repensée, adaptée, pour replacer la culture au cœur des l’économie mondiale.
 
L’étude réalisée par Brain & Cie sur l’utilisation des équipements connectés, et plus particulièrement les téléviseurs, démontre leur potentiel quant à ramener auprès du grand public des contenus de la Longue Traîne se servant de la demande et de l’offre croissantes pour permettre aux consommateurs d’accéder à l’ensemble des contenus depuis n’importe quelle plateforme (télévision, smartphone, console de jeux…). D’autant plus avec l’apparition des services dits intelligents, tels que ceux analysant le comportement des utilisateurs afin de proposer des programmes, et la mise en place d’interfaces pouvant faire espérer des usages plus interactifs, permettant d’envisager de nouveaux formats de programme.
 
Mais jusqu’où doit-on aller dans l’adaptation, et, pour parler en termes économiques, jusqu’où l’offre doit-elle s’adapter à la demande ? Comme le suggère Rémy Pflimlin, président directeur général de France Télévisions, dans sa réponse à une question du public sur la possibilité de créer une plateforme interconnectée entre les différents médias(10), la difficulté d’adaptation des contenus, et surtout des acteurs de la chaîne de diffusion réside dans le fait que ce n’est pas le support qui compte mais le récit qu’il véhicule, quelque soit le format d’expression choisi. Il convient alors de réagir aux bouleversements provoqués par le numérique en fonction du genre, du type de contenu proposé.
 
 Rémy Pflimlin : Les conséquences des terminaux et services connectés sont la fragmentation des audiences et la perte d'imaginaire collectif. Rémy Pflimlin, PDG de France Télévisions.
En termes d’usages, et de consommation des contenus, l’étude constate une dispersion de l’attention. Le temps des ménages n’étant pas extensible à l’infini, cela provoque un conflit entre les secteurs et une concurrence avec les loisirs culturels. En plus de la délinéarisation des contenus et de la fragmentation des audiences, les équipements connectés représentent un risque pour les entreprises privées et les diffuseurs traditionnels, avec une chute de la valeur de la publicité mais aussi des contenus, et l’arrivée de nouveaux acteurs, jusque là « simples tuyaux », tels que le FAI ou les opérateurs téléphoniques(11).
 
S’il semble difficile pour les différents acteurs concernés de proposer des réponses concrètes à des changements parfois radicaux de consommation des biens, une volonté d’expérimentation et d’adaptation s’est dégagée du débat, ainsi que la nécessité de s’inscrire dans la durée pour mettre en place de nouveaux modèles économiques pérennes et non fonction d’une technologie en vogue(12).

Repenser la gestion de la propriété intellectuelle

La problématique de la gestion de propriété intellectuelle a occupé une grande place, non seulement au cours du débat qui lui était dédié mais aussi dans l’ensemble des autres conférences.

D’autant plus après l’intervention du président français Nicolas Sarkozy au Forum, le vendredi 18 novembre 2011, durant laquelle le chef de l’État s’est exprimé, entre autres, sur le sujet, revenant sur le bilan de la Hadopi, un an après sa mise en place en France. Le discours de Nicolas Sarkozy a permis d’introduire les sujets (régulation du streaming et du cloud computing, encadrement des opérateurs et intermédiaires, etc) de la session « La propriété intellectuelle : une valeur universelle ? » prévue le lendemain.
 
 Extrait de l'intervention du président français Nicolas Sarkozy au Forum d'Avignon 2011 - France TV info.

Afin d’accompagner les réflexions et débats de cette session, le cabinet Ernst & Young a fourni une étude sur la propriété intellectuelle à l’ère du numérique qui présente un panorama des différents systèmes d’encadrement de la propriété intellectuelle et de la marchandisation des bien culturels dans le monde. Bien que cette étude puisse être critiquée, elle a l’avantage de faire ressortir plusieurs aspects primordiaux, en particulier la valeur universelle de la propriété intellectuelle, en dépit des difficultés d’application des cadres législatifs jusque là définis. L’étude fait également ressortir l’insécurité juridique dans laquelle les acteurs se trouvent en raison de la responsabilité des intermédiaires techniques gérée de différentes manières dans les pays.
 
L’intervention de Robert Darnton, historien de la propriété intellectuelle à Harvard, a fait ressortir que les traités pour réguler les droits de la propriété intellectuelle, au niveau national ou international, ne datent pas d’hier et sont à adapter au fur et à mesure de l’évolution des techniques et pratiques.
 
Alors qu’il est difficile de mettre en place des solutions globales et valables pour l’ensemble des secteurs de la culture, il devient urgent de penser à des structures plus générales de gestion des droits d’auteurs(13) afin d’en faciliter le contrôle et d’arriver à une convergence internationale fonctionnelle.

 In times of change, we need creativity, out-of-the-box thinking: creative art to overcome this difficult period and creative business models to monetise the art. Neelie Kroes.
Or, pour cela, il faut sortir des sentiers battus et des conceptions traditionnelles d’encadrement de la propriété intellectuelle, et dépasser l’opposition « copyright / droit d’auteur ». L’intervention de Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne, est allée dans ce sens en appuyant le besoin urgent de trouver l’équilibre entre accès généralisé aux œuvres et rémunération, soutien, des artistes. Faisant écho à l’actualité concernant la régulation du streaming et du cloud computing, qui peut être « une solution contre le piratage », en Europe et aux États-Unis, Neelie Kroes a réaffirmé le besoin d’harmonisation tout d’abord au niveau des États membres de l’Union européenne pour ensuite envisager des infrastructures et solutions internationales.
 
Du côté des États-Unis, Victoria Espinel, coordinatrice en charge de l’application de la propriété intellectuelle au sein du Bureau exécutif du président des États-Unis, a présenté les travaux législatifs en cours dans le pays(14) afin d’adapter la législation (du copyright mais aussi des brevets) aux dernières évolutions. Ces travaux s’intéressent plus particulièrement au cloud computing afin de créer un climat permettant de rassurer les consommateurs, avec par exemple la mise en place de programmes de sensibilisation. Par ailleurs, le cloud computing offre des possibilités non seulement en termes de stockage mais aussi de création d’un système juridique correspondant aux besoins précis des utilisateurs. Au niveau du copyright, on retiendra la volonté du gouvernement américain de ne pas revoir à la hausse les sanctions prévues mais de cibler les infractions à caractère « criminel » et de préciser la législation sur le streaming afin de pouvoir s’attaquer non plus aux internautes mais aux fournisseurs de contenus illégaux qui se rémunèrent avec le trafic généré(15), et ce sans contrepartie pour la création.
 
Enfin, la notion même de piratage semble être remise en cause puisqu’il apparaît que la majorité des téléchargements illégaux n’ont pas pour objectif de nuire à l’économie mais correspondant simplement à une facilité d’accès.
 


S’il est encore trop tôt pour dire quels seront les futurs modèles et outils de gestion de la propriété intellectuelle, le Forum d’Avignon a su saisir la problématique de fond de l’économie de la culture à l’ère du numérique qui est de ne plus pouvoir se baser sur un encadrement législatif, et par conséquent économique, adapté. Et tandis que l’Europe ou les États-Unis sont actuellement en train de tenter d’avancer sur cet aspect, qui englobe également la question de la neutralité des réseaux, il faut reconnaître que l’édition 2011 du Forum aura permis d’enfoncer plusieurs portes ouvertes quant au cadre législatif inadapté et la non-efficacité des systèmes actuels de lutte contre le piratage. Et si des effets positifs de cette lutte peuvent être constatés, ils ne représentent pas une solution à long terme, se retrouvant rapidement dépassés par les avancés technologiques et les moyens de contournements techniques mis en place, et s’attire les foudres soit des consommateurs finaux soit des lobbies portant le poids des sanctions mises en place.

Conclusion et perspectives

Bien qu’une session fut spécialement dédiée à la problématique de la propriété intellectuelle à l’ère du numérique, les questions de gestion du copyright et du droit d’auteur sont apparues en creux dans la majorité des autres débats, et ce aussi bien d’un point de vue historique qu’économique ou social.
 
Si plusieurs hypothèses ont pu être émises sur les avancées nécessaires de l’encadrement législatif des œuvres de l’esprit pour s’adapter à la société 2.0, et à ses nouvelles formes de création, il apparaît nécessaire de renouer la confiance entre les différents acteurs de la Culture, et ce malgré des oppositions d’intérêts évidentes, et de mettre en place une coopération internationale adaptée au monde sans frontière qu’est Internet.
 
À travers le thème principal de l’investissement culturel, on constate que c’est l’ensemble du paradigme culturel qui a été remis en question par la révolution numérique. C’est tout un écosystème qui se retrouve ébranlé, chaque acteur cherchant alors à tirer des bénéfices de cette culture numérisée, à l’instar de Google qui a démontré qu’il est toujours possible de monétiser ce qui est accessible en ligne. Mais en dehors des aspects économique ou juridique, la question du rôle social de la culture et du numérique est apparue avec la peur de certains acteurs.

 Nous vivons une période exaltante de l’histoire de l’humanité, il ne faut donc pas avoir peur d’Internet. David Weinberger.
Plusieurs intervenants ont en effet témoigné d’une crainte de la technologie - rappelant qu’elle doit avant tout rester un outil - des digitals natives et leur « changement d’esprit »(16), et de tous ces « bruits » rendus possibles par les nouvelles formes d’expression et de communication. L’aspect positif de ces peurs est qu’elles révèlent la valeur de la culture aux yeux des individus et l’attachement à la transmission intergénérationnelle de la culture héritée.
 
On peut enfin reprocher au Forum de ne pas avoir donné une place suffisante aux nouvelles générations, même dans la session intitulée « Culture et médias 2030 » et malgré la présence dans l’assemblée d’étudiants et de jeunes entrepreneurs, qui auraient pu venir témoigner de leurs propres expériences.
 
Tandis que se dégage l’envie des différentes parties concernées de favoriser la création, et de s’adapter à « l’ère numérique », simultanément, c’est la fracture entre « une nouvelle version de logiciel » des individus et des modèles, basés sur une société dépassée par la révolution numérique, qui apparait. Ce n’est plus seulement le Web qui est 2.0 (et bientôt X.0 ?) mais la société et ses individus.
 
Et si le forum a pu décevoir par l’absence de solutions claires et des débats parfois trop proches de présentations, la contrainte du temps ne permettant pas des temps d’échanges entre intervenants et participants suffisants, il confirme cependant la prise en compte croissante par les institutions politiques du basculement numérique au sein de la société et la nécessité de mettre en place un « G20 de la culture » afin de réfléchir à des modèles économiques internationaux adaptés à cette culture numérisée.
 La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur terre. André Malraux.

(1)

Le Forum d’Avignon est une organisation indépendante, soutenue par le ministère français de la Culture et de la Communication ainsi que par plusieurs partenaires issus du secteur culturel. 

(2)

Le Forum s’est placé dans la continuité du « Sommet culturel sur la création à l’ère numérique », organisé les 17 et 18 novembre 2011 par le ministre de la Culture et de la Communication Français, dans le cadre de présidence française du G20 et du G8. 

(3)

Selon les chiffres communiqués par le Forum : 450 participants dont 100 étudiants, 40 nationalités et 50 professions différentes représentées. 

(4)

Avec les interventions de la cantatrice suédoise Barbara Hendricks, l’artiste allemand Jochen Gerz, le dessinateur français Jul – qui a réalisé tout au long du forum des dessins humoristiques des intervenants, la poétesse indienne Tishani Doshi, la chorégraphe tunisienne Syhem Belkhodja, ou encore le réalisateur français Radu Mihaileanu. 

(5)

Dont l’anthropologue de la mondialisation Arjun Appadurai, les économistes David Throsby et Olivier Bomsel, les philosophes Richard David Precht et Cynthia Fleury, les professeur James Boyle et David Weinberger. 

(6)

On notera la présence de David Drummond, co-président de Google, de Rémy Pflimlin PDG de France Télévisions, Kalli Purie, directrice du groupe India Today, de Fedele Confalonieri président de Mediaset et de Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne. On a également pu compter, dans la salle, des représentants du ministère Français de la Culture et de la Communication, de Spotify France, de l’Ina, de plusieurs bibliothèques nationales ou de grandes universités européennes. 

(7)

D’après l’étude Tera Consultants : « la dépense culturelle publique représente en moyenne 0,7 % du PIB par habitant des villes étudiées, mais cette dépense a un effet sur 10 % du PIB par habitant ». 

(8)

Directeur de la prospective et de la stratégie numérique à France Télévisions. 

(9)

Selon l’étude « Terminaux et services connectés, l’expérience culturelle réinventée » réalisée par Bain & Cie, on comptera 60 % des foyers dans le monde équipé de boitiers multimédias connectés : box, télévision, smartphone.

(10)

« Sur le livre numérique, la migration en cours se fait par genre (roman, manga). Mais les bouleversements sont différents selon le genre [le type d’œuvre]. Au niveau de la télévision, par exemple, la différence va principalement se faire entre contenus de flux et de stocks. »

(11)

Le secteur des télécoms français, représenté par Jean-Bernard Lévy (Vivendi), Xavier Niel (Iliad), Stéphane Richard, (France Télécom) et Olivier Roussat (Bouygues Télécom), s'était exprimé sur le principe de taxation appliqué par l'État Français, en publiant une tribune dans le journal Le Monde, le 16 novembre 2011.

(12)

Comme par exemple la 3D, qui n’a finalement pas rencontré un grand succès auprès des consommateurs et des exploitants mais qui ouvre la voie à de nouvelles formes de pratiques culturelles encore sous-estimée (diffusion du spectacle vivant, retransmissions sportives, films interactifs…).

(13)

À l’image de la société belge éditrice du site Kollector qui propose aux artistes de « tracer leurs œuvres audio sur les radios mondiales » en s’inscrivant à leur service, pouvant alors directement gérer leurs droits. 

(14)

Voir à ce sujet le rapport produit en février 2011 « 2010 U.S. Intellectual property Enforcement coordinator Annual report on Intellectual property Enforcement » ainsi que le Livre Blanc présentant les prochaines « cibles » de la lutte contre le piratage « Administration’s white paper On intellectual property Enforcement legislative Recommendations ».  

(15)

D’après le site ElectronLibre, le Forum d’Avignon a également permis la mise en place d’accords entre plusieurs pays, dont les États-Unis et la France, afin de « frapper le streaming illégal au portefeuille ». Peu de temps après, le 30 novembre 2011, l’Association des producteurs de cinéma, la Fédération nationale des distributeurs de film et le Syndicat de l’édition vidéo ont assignés des FAI et moteurs de recherche devant le TGI de Paris en se basant sur les textes de la Hadopi. (Sources : PCInpact & ElectronLibre). 

(16)

Lors du débat-prospectif sur la culture et les médias en 2030, des phrases telles que « Les jeunes sont des lèches écrans », « Les jeunes sont en état de déconnexion alors que les anciennes générations ont su garder un lien avec la culture traditionnelle » (évoquant Socrate ou Platon) ont été prononcées, ce qui a finalement amenée une personne présente dans l’assemblée à demander « les jeunes vous feraient-ils peur ? ». 

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