Cinecittà, figée pour l'éternité ?

© Crédits photo : Cinecittasimostra

Cinecittà, figée pour l'éternité ?

Les célèbres studios romains ont fêté le 28 avril 2011 leur 74e anniversaire en ouvrant leurs portes au public. L’occasion de revenir sur l’histoire de la plus grande industrie cinématographique européenne.

Temps de lecture : 4 min

Dans un contexte politique agité, et sur fond de coupes budgétaires dans la culture, l’industrie cinématographique est elle aussi affectée par les plans de rigueur. Cinecittà, littéralement la ville du cinéma(1) , située via Tuscalana, à 9 km du centre historique de Rome, a pour mission principale de produire des films. Or, sa privatisation en 1997 ne lui a guère permis de se développer puisqu’en 13 ans, aucun réel projet d’envergure n’a été tourné dans les studios, à l’exception du film de Scorsese Gangs of New-York, de la série « Rome »(2) et de la série française « Kaamelott ».

On est loin de l’« usine à rêves » qui, dans le passé, a incarné non seulement la Dolce Vità(3) , le réalisme social  d’après-guerre qui inspirera plus tard la Nouvelle Vague en France, et des productions aux décors fabuleux des années 1970, à moindre coût par rapport à Hollywood. Bien partie pour être le concurrent principal des studios américains, Cinecittà était surnommée, dès sa création en 1937, « Hollywood-sur-Tibre. »
 
Au cours de son histoire, la position de l’industrie cinématographique a souvent été le miroir de la réalité sociale et politique de l’Italie. Inaugurée le 28 avril 1937 par Benito Mussolini, les premiers films tournés à Cinecittà sous l’ère fasciste sont appelés les « Téléphones blancs »(4) . Principalement des films d’évasion, ils dressent un tableau idyllique de l’Italie fasciste. Les œuvres des années 1950 vont au contraire se faire les témoins du monde contemporain et capter directement la réalité, à l’instar du mouvement fondateur : le néoréalisme(5) . Les deux décennies suivantes vont être marquées par des films plus personnels mais tout aussi brillants, comme les œuvres majeures de Luchino Visconti ou d’Ettore Scola. Puis, à partir des années 1980, les studios se reconvertissent dans les fictions télévisées, afin d'être encore et toujours « une véritable usine à rêves ».
Tournage du film américain When in Rome (2010) sur la Piazza Borghese à Rome. Crédit photo: zak mc / Flickr.
 Les chiffres 2010 de l’industrie cinématographique donnent de l’espoir quant à la vigueur du cinéma italien, puisqu’ils sont les meilleurs depuis vingt ans : parmi les 141 films produits, les films italiens représentent 32 % des entrées en salles. Si les investissements progressent, la fréquentation suit. Ainsi, le bilan 2010 du CNC présenté cette année à Cannes fait état d’une progression de 11 % de la fréquentation des salles italiennes, la hausse la plus forte parmi les pays européens. Pourtant, produire des films n’est pas chose facile, d’autant plus que les salles projetant du cinéma d’auteur ferment les unes après les autres : sur les 3 200 écrans que compte l’Italie (contre 5 300 en France), 40 % sont des multiplexes. Aujourd’hui, l’âme du cinéma italien s’essouffle, reflétant le contexte général du pays, où la culture souffre du désengagement de l’État. Le budget de l’Institut Luce, qui entretient les archives audiovisuelles et promeut le cinéma italien à l’étranger, est ainsi passé de 34 millions d’euros en 2005 à 12,5 millions en 2011. De même, un mouvement de cinéastes, Centautauri (cent auteurs), avait réclamé en novembre 2010 au ministère de la Culture une institution au mode de fonctionnement comparable au CNC français.
 
Des revirements importants également  pour Cinecittà, qui suscitent la désolation d’un certain nombre d’artistes et cinéastes : la priorité est donnée aux tournages de séries télévisées et reality show, et les actionnaires souhaitent transformer la mémoire collective de l’Italie en « immense parc d’attraction ».
 
Pourtant, Giuseppe Basso, directeur général adjoint des studios Cinecittà, insiste sur la distinction que l’on doit opérer entre les studios Cinecittà et le secteur dans lequel ils opèrent : « Trop souvent les studios de Cinecittà sont associés à la crise du cinéma italien, comme si les studios étaient la vitrine de cette crise. Nous offrons des services au cinéma, si le cinéma est en crise, elle nous touche. Mais l'exposition explique également que les services sont très liés à la technologie numérique, où Cinecittà Studios et Cinecittà Digital Factory fournissent un exemple de travail dans le secteur privé du cinéma. Ainsi, avec cette exposition, nous ne voulions pas faire une opération de communication qui va au-delà de l’exposition elle-même.»
 
Ce parcours de découverte des studios appelé « Cinecittà si mostra » (Cinecittà se montre), a été organisé à l’occasion des 150 ans de l’unité italienne avec notamment pour vocation de rapprocher les citadins du cinéma. Gianni Alemanno, le maire de Rome, a ainsi salué, lors de la visite de la Mostra « une initiative éducative, qui promeut la mémoire du patrimoine du cinéma italien ». Chaque phase de réalisation d’un film est reconstituée, du scénario à la postproduction, permettant aux visiteurs de découvrir les secrets du cinéma.  Lancée le 29 avril dernier avec un budget d’1,3 millions d’euros, l’exposition a déjà accueilli plus de 10 000 visiteurs, et 75 000 sont attendus en six mois. L’objectif, à terme, est de réaliser un Musée du cinéma dans la capitale. Petites et grandes pièces mémoires du 7ème art y sont donc déjà exposées : plateaux du vieux New-York et sud de Broadway recréés pour le film de Scorsese, costumes d’époque portés par Liz Taylor et Richard Burton dans Cléopâtre, et même la robe pontificale portée par Michel Piccoli dans le dernier film de Nanni Moretti Habemus Papam. L’exposition, qui restera ouverte jusqu’au 30 novembre 2011, a été inaugurée en présence de Roberto Benigni et Carlo Verdone, ces mêmes réalisateurs qui tourneront leur prochain film dans les studios de la via Tuscolana, suivis par Woody Allen.
 
Cinecittà semble donc s’engager clairement dans une volonté de muséification, marquant la volonté récurrente de la politique culturelle italienne d’accorder la priorité au patrimoine(6) . Le patrimoine, qui représente un mythe privilégié de l’identification nationale italienne, est ici préservé pour Cinecittà, sans doute condamné à ne vivre que par le passé. 

L’ouverture pour la première fois des coulisses du cinéma italien aux visiteurs témoigne de la volonté de valoriser les œuvres et les hommes qui ont permis à Cinecittà de devenir « la fabrique des rêves ». Une nostalgie du passé, au détriment de l’innovation ?


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Propos recueillis par l'auteur auprès de Giuseppe Basso, Dicteur général adjoint des studios Cinecittà, et Sahra Lahouasnia, responsable de l'exposition Cinecittà si mostra.
Crédit photo: Cinecittasimostra.
    (1)

    La città del cinema.

    (2)

    Un incendie avait dévasté les décors de la série en août 2007. 

    (3)

    Le film de Federico Fellini avait engendré 26 millions de recettes en Europe et 184 millions de dollars aux États-Unis à sa sortie en 1960.

    (4)

    Par leur déconnexion du réel, niant les conflits sociaux, économiques et politiques. 

    (5)

    Le début en Europe d'un cinéma qui montre la réalité.

    (6)

    La mise en place d’un ministère de la culture dans les années 1990 et d’une politique culturelle de l’État italien, en 1998, lors de la réforme principale faisant de la défense du patrimoine la priorité pour l’État, souhaitait répondre aux insuffisances de l’offre culturelle italienne. Ce retard italien a mis en avant un certain déclin de l’identité culturelle italienne, du fait de la baisse de sa production culturelle et de l’absence de soutien à la création.

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