De nouveaux critères pour classer un film -16 ou -18 ans
La principale modification proposée par le rapport Mary porte sur une réécriture des textes réglementaires encadrant l’attribution des visas prévoyant une interdiction aux moins de 16 et 18 ans. M. Mary propose de revoir les fondements de l’interdiction aux moins de 18 ans. Un décret édicté en 2003 prévoit que cette restriction (créée en 2001) doit être attribuée aux films qui comportent « des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une inscription sur la liste [des films"X"] ».
Le Conseil État est revenu, il y a peu, sur sa jurisprudence en considérant que ce texte impliquait qu’une œuvre qui contient des scènes de sexe non simulées devait en conséquence être classée X ou interdite aux moins de 18 ans.
Au vu de cette logique binaire, simpliste et peu adaptée à l’évolution des mœurs, M. Mary propose de modifier le décret de 2003 en prenant en compte la formule suivante : l’interdiction de la représentation aux mineurs de 18 ans est décidée « lorsque l'œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ».
Le critère de la scène de sexe non simulée serait donc abandonné – ce qui a déjà été fait par le Conseil d’État (décision relative au film Love) qui retient aujourd’hui qu’une scène de sexe non « simulée » est en réalité une scène de sexe non « dissimulée ». La proposition de M. Mary met l’accent sur l’accumulation des scènes : plus les scènes de sexe seront présentes, plus le film aura de chances d’être interdit aux mineurs. Il en résulte qu’un film qui contient de telles scènes pourra être interdit aux moins de 16 ans si ces scènes ne sont pas trop nombreuses.
C’est cette position que retenaient les juges administratifs avant le récent changement de jurisprudence opéré par le Conseil d’État dans sa décision portant sur le film Love (voir par exemple les décisions relatives aux films Antichrist, Nymphomaniac, Le pornographe…)
M. Mary propose également de modifier la référence opérée par le décret de 2003 aux scènes de « très grande violence » pour y substituer la notion tout aussi subjective de « grande violence » qui viserait « à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ».
Cette dernière modification semble être une bonne solution pour limiter les interdictions aux mineurs en raison de la présence de scènes violentes à des cas marginaux. Si la solution est bonne, force est de constater que l’interdiction de films aux moins de 18 ans en raison de scènes violentes est déjà aujourd’hui plus que limitée. Seuls trois films ont été concernés depuis la création de l’interdiction aux moins de 18 ans en 2001 : Saw 3D, Saw 3 et Quand l’embryon part braconner.
La proposition la plus audacieuse du rapport rendu par M. Mary réside dans la formulation suivante : les interdictions aux moins de 18 ans seront prononcées uniquement si « l'œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique (c’est nous qui soulignons) des scènes de sexe ou grande violence ». Le « caractère esthétique » d’un film pourrait donc justifier une absence d’interdiction aux moins de 18 ans alors même que le film contiendrait une accumulation de scènes de sexe ou de violence. On peut donc imaginer qu’une justification « esthétique » (faut-il comprendre artistique ?) pourrait permettre à un film d’échapper à une interdiction aux mineurs.
Le caractère esthétique d’une image ou d’une scène implique-t-il qu’un mineur ne sera pas choqué par cette scène ou cette image ?
Cette solution n’est pas mauvaise, mais il ne semble pas évident de distinguer les films au caractère « esthétiques » des autres. La chose est bien subjective. Pour preuve :
Saw 3D a-t-il ce caractère esthétique ?
Love a-t-il ce caractère esthétique ?
Antichrist ou
Nymphomaniac ont-ils ce caractère esthétique ? À forcer le trait on peut même affirmer que
certains films pornographiques ont eu aussi un caractère esthétique. L’objectif des visas d’exploitation reste la protection des mineurs contre les images qui ne leurs sont pas adaptées : le caractère esthétique d’une image ou d’une scène implique-t-il qu’un mineur ne sera pas choqué par cette scène ou cette image ? La réponse est loin d’être évidente.
La solution la plus efficace reste à nos yeux la suppression pure et simple de l’interdiction aux moins de 18 ans, à l’image de ce qui se pratiquait en France avant 2001. C’est la
solution retenue par les Pays-Bas (le rapport Mary ne contient malheureusement aucune ligne consacrée au droit comparé). La ministre de la Culture pourrait alors interdire un film aux moins de 12 ans, 16 ans ou le classer X. Les films les plus violents ou contenant de nombreuses scènes de sexe seraient alors interdits aux moins de 16 ans. Les films X resteraient comme aujourd’hui
les films à vertu masturbatoire.
Le rapport Mary objecte que la suppression de la restriction aux mineurs de 18 ans exposerait davantage les professionnels au risque de poursuites pénales, sur le fondement de l’
article 227-24 du Code pénal. Cette affirmation est inexacte. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a, à notre connaissance, été condamné sur le fondement de cet article en raison d’un film violent ou contenant des scènes de sexe. Cette suppression d’ordre réglementaire du
décret de 2001 n’imposerait en conséquence
aucune modification législative de l’article 227-24.