Facebook, l'ultime voie pour l'industrie musicale ?

Facebook, l'ultime voie pour l'industrie musicale ?

Le streaming est le premier mode de consommation de musique au format numérique. Des sites comme Spotify cherchent à doper le nombre de leurs abonnés en mettant en place des partenariats avec Facebook. Le plus populaire des réseaux sociaux l'a annoncé lors du F8 : la musique est son nouveau défi.
Temps de lecture : 7 min

Le réseau social Facebook a tenu sa grande conférence annuelle le 22 septembre 2011 à San Francisco. La quatrième édition du « F8 » a réuni, comme chaque année, les principaux acteurs contribuant au développement du Web social. L'édition 2011 aura été marquée par le lancement de plusieurs partenariats avec des services en ligne proposant musique et radio en streaming ou à la demande, comme Deezer, MOG, Rhapsody et le très populaire Spotify. L'annonce de ce projet baptisé « Facebook Music » vient s'ajouter à d'autres changements concernant la mise en page, l'habillage et les fonctionnalités du plus célèbre réseau social au monde. Ces nouveautés sont rendues possibles par la mise à jour récente du système Open Graph utilisé par Facebook. La nouvelle version d'Open Graph doit permettre aux entreprises productrices de contenu de mobiliser le réseau social de manière innovante, pour mettre en valeur leurs sites Web et leurs activités(1), en utilisant la Graph API(2) et le « graphe social » (social graph) de Facebook(3), l'objectif étant que les entreprises concernées s'adaptent aux nouveaux modes de consommation des produits culturels. Les partenariats sur la musique, annoncés comme le point le plus important du F8, s'inscrivent dans cette logique d'évolution – l'intégration « en douceur » et de manière anticipée des services d'abonnement à l'interface de Facebook facilitant l'échange de musique et préparant le terrain pour un lancement réussi de la plateforme Facebook Music.
 

Mark Zuckerberg à la conférence F8, en 2011
 
Pour les utilisateurs comme pour les spécialistes du secteur, les sites de streaming(4) représentent « le futur de la musique »(5), à un moment où les débats se multiplient sur la question d'une rémunération optimale, aussi bien pour les grandes firmes de l'industrie musicale que pour les labels et les artistes. Pour de nombreux professionnels du secteur, les droits versés en fonction du nombre d'écoutes ne seront pas suffisants pour soutenir durablement l'industrie musicale en crise. Il s'agit là d'une base de rémunération peu stable, mais néanmoins prometteuse, si l'on considère que l'association des services de streaming avec le canal très populaire qu'est Facebook pourrait bien doper le nombre d'écoutes en ligne et, par conséquent, faire grimper le montant des droits reversés. Il se pourrait alors que le portail Facebook gagne son pari : révolutionner l'industrie musicale. Prenons l'exemple de Spotify, qui est au centre de toutes les attentions. Disponible à la fois en accès premium (obligatoire pour l'utilisation en application mobile) et en version gratuite, financée par la publicité(6), Spotify est considéré comme « une sorte de test préalable pour vérifier la viabilité du modèle de musique en ligne avec abonnement ». La plateforme a vu ses revenus augmenter de 458 % pour atteindre 99 millions de dollars en 2010. La même année, cependant, les pertes ont également augmenté, passant de 26 millions à 42 millions de dollars. Malgré tout, le succès de ce type d'outils reste incontestable : l'écoute en streaming représentait près des trois quarts des opérations liées à la musique (écoutes en ligne et achats) sur le territoire nord-américain, en date du 21 août 2011, selon les données communiquées par Nielsen Soundscan. Pour autant, l'heure de la fin n'a pas encore sonné pour les plateformes du type iTunes : sur la période considérée, les téléchargements de morceaux de musique n'ont représenté que 5,8 % de l'ensemble des opérations, mais leur part continue à augmenter fortement chez les consommateurs américains. On estime que ces derniers auront dépensé 2,7 milliards de dollars pour la musique en ligne sur l'ensemble de l'année 2011. Pour rappel, les maisons de disque nord-américaines ont engrengé 101 millions de dollars en 2010 grâce aux services avec abonnement(7). Mais dans l'écosystème numérique actuel, où « Facebook mange le Web » (“Facebook Eats the Web”), ce sont les plateformes d'écoute en streaming qui, grâce à leur connexion à un réseau social qui favorise le partage de contenus, devraient bénéficier d'un surplus d'intérêt et prendre l'avantage sur les autres modes de consommation de la musique. On retrouve là une tendance générale, où les entreprises productrices de contenu privilégient la solution du streaming et de l'abonnement par rapport à la logique d'achat et de vente.
 
Dans leur quête d'une position stable et d'une place de choix sur le marché de la musique en ligne, les services de streaming ont réalisé une très bonne opération en s'associant au leader des réseaux sociaux, reconnu pour avoir permis à des entreprises de concevoir « des produits de meilleure qualité et mieux pensés, intégrant la nature sociale des consommateurs »(8). Avec 800 millions d'utilisateurs à travers le monde(9), le phénomène Facebook représente, de par son ampleur, un atout majeur pour ses nouveaux partenaires de l'industrie musicale. Il devrait leur permettre d'attirer un nombre conséquent de nouveaux utilisateurs et les aider à convaincre ces derniers de souscrire des abonnements premium, grâce à une mise en valeur très simple de leurs services : le Ticker, nouveau fil d'actualité en temps réel, présenté lors de la conférence F8 de 2011, effectue une mise à jour automatique des morceaux écoutés par les utilisateurs Facebook dont le compte est relié à l'un des services de streaming partenaire. Cette fonctionnalité offre une sorte de « canevas des connections », permettant aux utilisateurs de partager et de « faire d'heureuses découvertes [musicales] » sur une seule et même plateforme, sans avoir besoin de cliquer et sans être découragé à l'idée de devoir fouiller dans un catalogue de plus de 15 millions de titres, accessibles sous abonnement. Les applications « Musique » insérées sur chaque profil Facebook permettent de savoir ce qu'écoute tel ou tel utilisateur : artistes, albums, playlists... Au cours du F8, Mark Zuckerberg a déclaré qu'il était « très excité à l'idée de voir l'Open Graph utilisé par ce nouveau groupe d'entreprises du monde de la musique. Leur logique ne consiste pas à bloquer les choses... Ils ont pour objectif de vous faire écouter plus de choses et de découvrir ce que vous ne connaissez pas grâce à vos amis ».
 
Vidéo : Lancement du partenariat entre Facebook et Spotify
 
Très peu de détails ont été communiqués sur les conditions précises des différents contrats. Les critiques à l'encontre de ces nouveaux partenariats ont par ailleurs été plutôt rares, la plupart des acteurs impliqués faisant preuve du même enthousiasme que Mark Zuckerberg. Le directeur général de Rdio, Carter Adamson, a insisté sur le fait qu'il s'agit d'une collaboration très intéressante en termes de coûts, mais aussi pour la logique qu'elle met en œuvre : « Une fois que vous avez accès à tout, la meilleure façon de découvrir de nouvelles choses est par le biais d'autres personnes, notamment en lisant les commentaires qu'elles postent sur le site - en premier lieu, des personnes dont vous respectez, en règle générale, le jugement »(10).
 
Les services de musique connectés à Facebook n'adoptent pas tous le même principe de fonctionnement sur le réseau social ; chacun a adopté sa propre configuration par défaut concernant les données partagées par les utilisateurs. Par exemple, avec Spotify, la configuration par défaut implique que tout ce que vous écoutez est posté sur Facebook, alors qu'avec Songza, il faut au préalable cliquer sur le bouton « partager » (share). Pour activer la fonction Ticker et voir ses écoutes notifiées sur le fil d'actualité, il est par contre indispensable que l'internaute se connecte au site de musique en streaming, et ce quel que soit le site, avec ses identifiant et mot de passe Facebook. De fait, les données utilisées pour se connecter à Spotify, Rdio ou Deezer sont donc bien plus la propriété de Facebook que celle de Spotify, Rdio ou Deezer – un constat qui conduit certains spécialistes à s'interroger sur le rôle tenu par Facebook, lequel se présente comme un « précieux intermédiaire » pour les services de streaming(11). Les intentions de Facebook ne sont pourtant pas difficiles à cerner : en intensifiant comme jamais les processus de partage, le réseau social s'offre une connaissance encore plus pointue des profils individuels de ses très nombreux utilisateurs, des données qui pourront ensuite être vendues à des entreprises publicitaires.
 
En tout état de cause, écouter un morceau et cliquer sur le bouton « J'aime » (Like) restent deux choses très différentes l'une de l'autre et la stratégie qui consiste à surexposer la musique en ligne en déversant un flot incontrôlé de morceaux sur la Toile favorise la quantité de musique partagée, au détriment de la qualité – pour le moment du moins, dans la mesure où le nombre d'utilisateurs et les objectifs en termes de revenus publicitaires ont d'ores et déjà atteint un point fixe. Les chiffres concernant Spotify, pour la première semaine du mois d'octobre 2011 – deux semaines après le lancement des nouveautés présentées lors de la conférence F8 – sont quelque peu ambigus : alors que la compagnie suédoise n'a pas communiqué de chiffres précis concernant les utilisateurs qui ont connecté leur compte avec Facebook ou qui ont souscrit à un compte premium(12), le nombre d'utilisateurs actifs mensuels du site a atteint 5,7 millions, une forte augmentation due au simple fait que la plateforme bénéficie d'une plus grande exposition. Au contraire, le nombre d'utilisateurs actifs journaliers a baissé de manière conséquente au cours de la semaine ayant suivi le lancement du partenariat, selon le sacro-saint indice de « viscosité » – la capacité d'un site à retenir ses visiteurs le plus longtemps possible, stickiness dans le jargon anglo-saxon – qui rapporte le nombre d'utilisateurs actifs journaliers au nombre d'utilisateurs actifs mensuels. Faut-il voir là uniquement une phase de ralentissement naturel après un premier pic d'enthousiasme dû à l'effet de nouveauté lors du lancement du se rvice ? S'agit-il plutôt d'une réaction de rejet de la part des utilisateurs, face à un service qu'ils considéreraient comme intrusif ? Avant son intégration à l'outil Facebook, Spotify a bâti son succès sur une « stratégie axée sur les playlists », une fonction disponible même en accès gratuit, à même de faire émerger une nouvelle population de précurseurs de tendances musicales(13). Aujourd'hui, le pouvoir d'attraction de Spotify sur les DJ en herbe pourrait, en quelque sorte, être att&eaeacute;nué par le projet Facebook Music, tel qu'il existe actuellement. Ce projet, malgré toutes les analyses positives à son encontre, est loin d'être le remède à tous les maux que connaît aujourd'hui l'industrie musicale. Mais que cela plaise ou non, la capacité de Facebook à se renouveler en permanence, tout en consolidant son monopole sur le Web social, est un atout indiscutable pour réorienter le marché vers une logique du streaming à grande échelle, une direction qui pourrait bien nous conduire à une ère post-iTunes.
 
Traduit de l'anglais par Kévin Picciau
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Crédits photos :
- Illustrations: Spotify sur YouTubedtweney / Flickr.
(1)

Les nouveaux partenaires de contenu sont variés : des services en streaming aux entreprises spécialisées dans la vente de billets, comme Ticketmaster, en passant par des médias comme The Guardian.

(2)

Application Programming Interface. 

(3)

Le graphe social représente « les individus et leurs connexions à tous les sujets qui les intéressent », selon les propres termes de la société Facebook.

(4)

Ceux ayant signé avec Facebook sont AudioVroom, Deezer, Earbits, iHeartRadio, Mixcloud, MOG, Rdio, Rhapsody, Songza, SoundCloud, Spotify et Turntable.fm. 

(5)

Glenn Peoples, “Swelling Stream”, édition papier de Billboard, 24 septembre 2011, p. 10.

(6)

La plupart des services reliés à Facebook adoptent ce modèle mixte, entre gratuit et payant (le modèle « freemium »), à l'exception de Rhapsody, qui ne propose son service gratuitement que pour un essai limité dans le temps.

(7)

Source : Glenn Peoples, “As You Like It”, édition papier Billboard, 8 octobre 2011, p. 9.

(8)

Glenn Peoples, “Facebook Music: The New Social Connectivity”, édition papier de Billboard, 1er octobre 2011, p. 14.

(9)

140,3 millions de visiteurs uniques localisés aux États-Unis ont passé 53,5 milliards de minutes sur le site, sur le seul mois de mai 2011, selon le dernier rapport de Nielsen sur « La situation des médias : rapport sur les réseaux sociaux » (State of the Media: The Social Media Report”), cité par Glenn Peoples, “As You Like It”, op. cit.

(10)

Glenn Peoples, “Facebook Music: The New Social Connectivity”, op. cit. p. 17.

(11)

Glenn Peoples, “Facebook Music: The New Social Connectivity”, op. cit. p. 17.

(12)

140 000 abonnements aux États-Unis selon les dernières estimations, depuis son lancement en juillet 2011.

(13)

Antony Bruno, “Growth By Curation”, édition papier de Billboard, 17 septembre 2011, p. 10. 

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