Industries culturelles et agenda politique au début du XXIe siècle
À l’aube du XXIe siècle des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées à l’encontre de cette politique de libéralisation, posant de manière insistante la question des relations entre État et culture.
La crise économique et politique que traverse l’Argentine en 2001, mais aussi l’émergence du concept de « diversité culturelle » dans l’agenda international, ont été des facteurs déterminants dans la mobilisation tant des acteurs des industries culturelles que des pouvoirs publics argentins pour que ce secteur soit l’objet d’une attention réelle.
Cela s’est d’abord traduit par la naissance, en 2002, du Forum pour la défense des industries culturelles, formée par des syndicats mais aussi par des entrepreneurs indépendants. Cette initiative est appuyée par le sous-secrétariat chargé des Industries culturelles du gouvernement de la ville de Buenos Aires, qui organise par la suite plusieurs rencontres internationales sur ce thème. Ainsi, en septembre 2005, les Troisièmes Rencontres internationales sur la diversité culturelle a lieu à Buenos Aires. Dans les deux cas, les débats sont marqués par le principe selon lequel les biens et services culturels ne sauraient être considérés uniquement à l’aune de leur valeur marchande et par l’affirmation de la nécessité de préserver la pluralité des expressions culturelles, tant à l’échelle des États-nations qu’au niveau mondial. Les Rencontres de Buenos Aires aboutissent ainsi à une déclaration appuyant le projet de
Convention internationale pour la Protection et la ¨Promotion des expressions culturelles qui a été adopté en octobre 2005 par la 33
e Conférence générale de l’Unesco. Dans cette optique, le droit des États à mener des politiques destinées à favoriser et renforcer la création et la production culturelles nationales est réaffirmé.
Auparavant, plusieurs lois allant dans ce sens avaient été adoptées en Argentine. La première est votée en juin 2001 – la loi 25.446 sur la promotion du livre et de la lecture – et définit une politique ambitieuse qui reconnaît l’importance du livre et de la lecture pour la société, notamment en renforçant le secteur de l’édition et en multipliant les dispositions visant à rendre le livre accessible à l’ensemble de la population. À cette fin, un Fonds national de promotion du livre et de la lecture est créé pour financer les projets, programmes et actions dans ce sens (art. 9). Cette loi a été complétée par un deuxième texte – la loi 25.542 – qui garantit l’uniformisation du prix des livres à l’échelle du pays et qui doit permettre à des organismes publics, comme le ministère de l’Éducation ou la Conabip (Commission nationale des bibliothèques populaires), de bénéficier de réductions pour les achats de livres.
La deuxième loi importante pour le secteur constitue une réponse à la situation économique du pays, marquée par un fort endettement extérieur. Votée en juin 2003, la loi 25.750 sur la préservation des biens et des patrimoines culturels vise à protéger le secteur des industries culturelles dans cette conjoncture particulière. Elle concerne notamment les entreprises de moyens de communication qui s’étaient endettées en dollars et avaient vu leur dette multipliée par trois. Il s’agit de limiter la participation dans les médias argentins d’entreprises ou de capital étranger, ce qui constitue une rupture par rapport à la politique menée dans les années 1990 de large ouverture au capital étranger. Cependant, la portée de cette loi a été limitée par le fait qu’aucun organisme n’a été mis en place pour en contrôler l’application. Comme l’écrit Gustavo López :
« En définitive, la loi de préservation des biens et patrimoines Culturels a été votée et appliquée dans l’urgence, pour éviter la transnationalisation du capital dans les entreprises de presse notamment, mais le législateur a perdu une opportunité qui lui aurait permis d’établir un cadre réglementaire, démocratique, qui puisse s’ajuster aux principes constitutionnels en vigueur. »
Nous avons mentionné plus haut l’existence d’un certain nombre d’organismes officiels dédiés à ce secteur. Leur but est non seulement de procéder à la collecte d’informations et de données sur les industries culturelles, mais aussi de mettre à la disposition des petites et moyennes entreprises du secteur un certain nombre d’outils qu’ils peuvent mobiliser. Il s’agit d’une part de rendre facilement accessibles des informations de type statistique, législatif et institutionnel, et d’autre part de l’organisation de formations et de séminaires destinés aux professionnels de ce secteur. Le site du Laboratoire des industries culturelles du secrétariat à la Culture de la Nation propose ainsi une section appelée « caisse à outils » destinée à ces entreprises.
Consolider et soutenir l’entrepreneuriat argentin dans le domaine culturel apparaît nécessaire afin que la population de ce pays ne se transforme pas en consommatrice passive de biens conçus et produits ailleurs.
L’attention portée à ces dernières est à mettre en relation avec la volonté de protéger le tissu économique argentin, d’éviter que le secteur soit entièrement dominé par de grandes entreprises étrangères. Autant qu’une préoccupation économique, cette position traduit une préoccupation, qui n’est pas spécifique à l’Argentine : en tant que productrices de biens symboliques, les industries culturelles sont de plus en plus perçues comme des actrices essentielles dans l’existence et l’affirmation de l’identité d’une nation. Consolider et soutenir l’entrepreneuriat argentin dans le domaine culturel apparaît nécessaire afin que la population de ce pays ne se transforme pas en consommatrice passive de biens conçus et produits ailleurs. On retrouve là l’idée que « […] la culture, qui constitue souvent l’un des fondements des identités nationales, porte aussi en elle-même des éléments de désagrégation de ces identités, tant elle est travaillée désormais par des ferments transnationaux. ». Le texte présentant la « caisse à outils » du
Laboratoire des Industries Culturelles est à cet égard révélateur, débutant de la sorte :
« Il existe un grand nombre d’entrepreneurs culturels, petits et moyens, dispersés à travers tout le pays, faiblement connectés les uns aux autres et ne disposant que d’un faible appui officiel. Pourtant, ces entrepreneurs représentent les manifestations les plus authentiques de la diversité culturelle argentine. »
À l’inverse des grandes entreprises transnationales ou des groupes multimédias, les petites et moyennes entreprises sont présentées comme le moyen de garantir les trois principes qui doivent guider, selon les pouvoirs publics, toute politique en matière culturelle : « développement, diversité et fédéralisme ».