De l’hystérie à la créativité : les fans vus par les médias

De l’hystérie à la créativité : les fans vus par les médias

Souvent dépeints dans les médias sous les traits d’adolescentes énamourées ou de jeunes sans vraie vie sociale, les stéréotypes sur les fans ont la vie dure.

Temps de lecture : 5 min

Lucy Bennett et Paul Booth proposent à travers cet ouvrage collectif une découverte des représentations des communautés de fans dans les média, pour la plupart anglo-saxons (mis à part trois articles de la dernière section) afin de mettre en lumière l’image qu’il en ressort de ces publics.

L’ouvrage se divise en 4 parties, chacune présentant un focus spécifique sur des supports médiatiques, des études de cas (One Direction par exemple) et des entretiens avec des journalistes ou réalisateurs de documentaires. La première partie présente des analyses de représentations des fans dans des documentaires portant sur le sujet. La seconde partie traite des fans dans les séries télévisées, souvent de genre (science-fiction, super-héros). La troisième partie se focalise sur une perspective intersectionnelle en abordant la représentation des fans sous l’angle du genre et / ou ethnique. Enfin, la dernière partie se concentre sur des études de cas asiatiques, à travers par exemple la figure de l’Otaku.
 
Les auteurs mettent en avant la persistance de la figure du fan présenté comme ayant un comportement pathologique dans les représentations médiatiques, et insistent sur le stéréotype féminin de la figure hystérique voire dangereuse de la fan adolescente. Cette posture médiatique qui tend à disqualifier, voire à décrédibiliser, les fans va cependant à l’encontre des études menées entre autres par les cultural studies anglo-saxonnes qui voient dans les fans « l’exemple ultime d’un public expert et actif, producteurs de contenus ».

Les médias vecteurs de stéréotypes négatifs

Les auteurs de cet ouvrage collectif cherchent à comprendre « jusqu’où les stéréotypes perpétuent les mythes autour des communautés de fans et de la relation affective avec les textes médiatiques » (p.6) dans les médias, tous supports confondus (documentaires, presse, séries TV, films). Pour cela, ils se réfèrent à des études qui pointent et listent les stéréotypes dont sont affublés les fans dans les médias.
 
Par exemple, Joli Jensen en 1992 notait que les fans étaient souvent qualifiés de « consommateurs sans cerveau », de « désaxés asociaux », qui accordent trop d’importance au texte culturel et qui sont incapables de séparer la réalité de la fiction (p. 14). Plusieurs chapitres prennent comme exemple le sketch de William Shatner intitulé « Get a life » diffusé lors du Saturday Night Life dans lequel il fustige les fans de Star Trek et les dépeint comme des gens obsessionnels, qui n’ont pas de vie en dehors de leur passion pour la série. Ce sketch représente « la quintessence des stéréotypes » (par exemple page 2) sur les fans qui persistent encore aujourd’hui dans les représentations médiatiques.
 
Dans les séries télévisées, les producteurs ont parfois une relation ambiguë avec leurs fans, à cause de la prégnance de ces stéréotypes. L’exemple des showrunners de la série britannique Sherlock montre la relation d’amour-haine entretenue avec les fans de la série : se considérant eux-mêmes comme fans, ils tiennent à distance le fandom, pour mieux s’affirmer comme les seuls auteurs de la série. Les showrunners de Supernatural, série de science-fiction au fandom prolifique et très actif, insèrent des personnages de fans dans les épisodes, en les montrant comme des personnes hystériques et complètement obsédées par les moindres détails de la narration et de l’univers.
 La fanfiction permet donc l’exploration de sa propre sexualité 
Une section complète de l’ouvrage est consacrée à Crazy About One Direction, un documentaire sur les jeunes adolescentes fans du groupe de musique anglais One Direction. Le titre du documentaire met déjà en avant l’obsession des fans du groupe, soulignant un stéréotype négatif récurrent dans les médias lorsqu’ils abordent la question des jeunes fans féminines. William Proctor montre d’ailleurs comment le documentaire joue à la fois sur le divertissement et sur « l’aspect prédateur de la caméra » (p.68) qui dépeint les fans comme appartenant à une masse homogène dangereuse et violente. Toutefois, dans son article sur le sujet, Bethan Jones souligne la rébellion des fans face à cette représentation suite à la diffusion du documentaire sur Channel 4. Les fans ont spontanément créé le hashtag #ThisIsNotUs pour montrer l’hétérogénéité des fans de One Direction. Les réseaux sociaux constituent ainsi pour les fans des plateformes sur lesquelles ils « peuvent adopter un langage et des comportements hyper performants » (p. 64). Daisy Asquith, la réalisatrice, explique, dans son article, comment les fans se sont sentis trahis lorsqu’elles ont vu dans son documentaire des Tumblr consacrés à la relation fantasmée entre deux membres masculins du groupe, Harry Styles and Louis Tomlison. En effet, les activités autour de cette relation « représentent un espace dans lequel les fans peuvent s’amuser avec des fantasmes sexuels, sans être contraintes par les identités sexuelles limitées qu’on leur propose en tant qu’adolescentes » (p. 86). La fanfiction, une activité créatrice d’écriture, permet donc l’exploration de sa propre sexualité.

Fangirl / fanboy: stéréotypes et contre-stéréotypes

Dans les médias, la jeune fan adolescente est décrite comme une personne hors de contrôle, hystérique, fanatique (pour revenir à l’étymologie du terme). Et ce n’est pas nouveau : les fans des Beatles étaient souvent montrées hurlant à l’apparition de leurs idoles et s’évanouissant lors de leurs concerts. Ces comportements « hors-normes » sont toujours mis en avant dans des reportages ou des documentaires sur Justin Bieber ou bien One Direction, comme décrit dans cet ouvrage. « En d’autres termes, la communauté des fans de One Direction est dangereuse, et le documentaire montre combien ces pauvres filles sont des bêtes de foire perdues et malpolies (ce qui est construit par le discours et le montage) » (p.71). Les jeunes filles fans constituent le stéréotype par excellence : elles font peur par leur comportement et une méfiance dans les médias s’installent vis-à-vis de ces publics « hors-normes », marginaux (en dehors de la marge).
Au contraire de l’hystérie attribuée aux jeunes filles fans, celles plus âgées sont présentées dans les médias, et ici particulièrement dans les journaux papiers, comme des fans « préparées, organisées, dévouées et sympathiques » (p.200). L’âge garantit donc une légitimité, une expérience, de la pratique fan, en comparaison des jeunes fans dangereuses et violentes.
 
Enfin, Mell Stanfill aborde la question de la masculinité blanche dans les communautés de fans et affirme que « les représentations contemporaines montrent une narration rédemptrice pour les hommes blancs (et seulement pour ces fans là) » (p. 188). La figure du fanboy, un terme apparu dans les fandom de comic books américains, est également évoquée. Mais loin de déployer un nouveau stéréotype de fans obsédés et obsessifs, Elle Kirkpatrick souligne la diversité dans la représentation de ces fans dans les comic books eux-mêmes.

Une représentation positive à travers des activités créatrices

Les études menées entre autres par les cultural studies anglo-saxonnes voient dans les fans « l’exemple ultime d’un public expert et actif, producteurs de contenus », légitimant ainsi la posture de réception des publics fans. À travers ces analyses, les fans sont perçus comme des producteurs de contenus et de sens actifs, ce qui ne se reflète pas toujours dans les représentations médiatiques.
 
 Les activités de création confèrent aux fans une légitimité  
Les activités de création (écriture de fanfiction, création de webséries) confèrent aux fans une légitimité et les repositionnent dans une réception active. Louisa Stein analyse les webséries littéraires, comme The Lizzie Benneth Diary, créées et scénarisées par les fans. Elle observe que « les acteurs et créateurs de ces webséries mettent en scène leur propre engagement, leur propre statut de fan, et leurs propres procédés de production et entretiennent ainsi une intimité avec et dans la communauté des fans de la websérie » (p. 171). La fanfiction Mary Sue, genre dans lequel le fan crée un personnage de toutes pièces et l’insère dans l’histoire, met en lumière les « expériences partagées en ligne entre fans » (p. 164) et souligne « l’intimité intense qui existe sur les plateformes de réseaux sociaux » (p. 166), sur lesquelles les fans partagent leurs écrits.
Enfin, l’acte de collection peut être perçu comme une activité positive. C’est le cas dans la série documentaire américaine The Hunter, dans laquelle un fan parcourt les États-Unis à la recherche d’objets rares pour des musées. Lincoln Gerharty nous indique alors que les fans jouent le rôle « d’historiens, archivistes, curateurs, qui s’engagent activement dans un économie culturelle qui n’est pas représentée en prime-time comme un simple divertissement mais comme un part essentielle de l’histoire populaire aux États-Unis » (p. 104).

Les communautés de fans : entre représentations négatives et hétérogénéité

Les chapitres de cet ouvrage collectif montrent à travers des études de cas variées que les stéréotypes de fans persistent dans les représentations médiatiques contemporaines, à quelques exceptions près. Les jeunes filles fans sont hystériques et dangereuses dans leur passion et leurs pratiques médiatiques en ligne et hors ligne, les fan masculins sont obsédés et fragilisés dans leur hétéro-normativité.
 
Cependant, les activités de fans permettent de comprendre que les communautés sont hétérogènes et que tous les fans ne sont pas les mêmes, n’ont pas le même engagement dans la communauté ou avec le texte médiatique ou culturel. De plus, ces activités leur confèrent une légitimité, loin des stéréotypes véhiculés dans les médias : ils sont écrivains, créateurs, vidéastes, archivistes et historiens. Les études de fans (fan studies), depuis l’étude pionnière de Henry Jenkins sur les Trekkies, s’attachent d’ailleurs très souvent à analyser la pratique culturelle et médiatique des fans pour évacuer les stéréotypes négatifs médiatiques.

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