Capture d'écran d'un kiosque numérique de presse régionale. On voit les Unes de différents titres de presse régionale.

© Crédits photo : DR.

Comment la PQR se débrouille-t-elle sur le web ?

On entend souvent dire que la PQR n'a pas réussi à prendre le virage du numérique. Est-ce vraiment le cas ?

Temps de lecture : 8 min

Le secteur de la presse est en crise, ce n’est pas un scoop. Les données provisoires 2013 de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), rattachée au ministère de la Culture et de la Communication, confirment une sixième année consécutive de chute du chiffre d’affaires et de la diffusion. Tout le secteur est touché. Pour ralentir et limiter cette dégringolade, les journaux ont misé sur le web. La presse quotidienne régionale n’a pas laissé passer l’occasion. Pourquoi les résultats ne sont-ils pas à la hauteur des espoirs d’il y a 20 ans ? 

Les débuts de la PQR sur le web

La presse quotidienne régionale (PQR) a été pionnière dans l’adoption d’Internet. Même si c’est Libération qui ouvre le bal des quotidiens en ligne en mai 1995, Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) lancent leur site dès septembre. Le journal est suivi en mai 1996 par un quotidien qui s’est auparavant essayé au minitel : Sud Ouest. Leur site publiait gratuitement et de manière automatisée les contenus du lendemain avec les photos en noir et blanc. Aucun journaliste n’intervenait sur le web. « La PQR a mis tout son contenu gratuitement en ligne car elle ne croyait pas à Internet » analyse Michel Lepinay, directeur de Paris Normandie de 2004 à 2012. Aujourd’hui, certains diront que c’était une erreur, d’autres que l’étape était nécessaire pour attirer les internautes

 La PQR a mis tout son contenu gratuitement en ligne car elle ne croyait pas à Internet.  
En 1997-1998, pour le procès Papon à Bordeaux, Sud Ouest exploite pour la première fois le site Internet et produit du contenu exclusif. Pour Frédéric Sallet, journaliste à Sud Ouest depuis 2000, « c'était une étape symbolique car le journal produisait de l’information en temps réel et publiait des reportages vidéo grâce à un partenariat avec M6 ». Dès 2001, le journal lance la deuxième version du site et intègre les dépêches AFP.
 
L’année prochaine, la PQR sur le web aura donc vingt ans. Aujourd’hui, les journaux ne mettent plus gratuitement en ligne le contenu du journal papier. En  2005, les DNA instaurent le premier espace abonnés d’un journal de PQR. Selon Matthieu Mondoloni, journaliste au service multimédia des DNA de 2007 à 2011, « cet espace ne marchait pas. Le site a certes été lancé en 1995, mais il a été laissé en friche jusqu’en 2007 ». C’est probablement pour cette raison que Sud Ouest a désactivé en 2010 son espace abonnés qu’il avait lancé en 2008. Ce battement de deux ans a notamment permis de satisfaire des objectifs d’audience et de fidéliser les internautes. Depuis fin 2013, l’espace est à nouveau activé.
 
Bruno Jauffret, directeur du développement numérique de La Voix du Nord depuis 2007 résume la situation : « en 2006, nous avions simplement la volonté d’exister sur le web. En 2010, nous avons développé une approche plus qualitative à l’audience et depuis 2012, nous développons notre stratégie digitale avec un paywall. »
 
Doucement, les journaux ont affecté des journalistes au web. À Paris Normandie, raconte Michel Lepinay, « ils étaient d’abord au milieu de la rédaction, indépendants des autres rédacteurs. Puis nous avons décidé d'instaurer un fonctionnement plus polyvalent. Le rédacteur en chef adjoint était responsable de l’aiguillage de l’information et choisissait de publier un contenu sur le papier ou sur le site ». À Sud Ouest, dix journalistes travaillent exclusivement au desk numérique.
 
C’est laborieux, estime Matthieu Mondoloni : « la rédaction en chef des DNA regardait le web comme quelque chose de malsain et les journalistes ont mis du temps avant d’utiliser les réseaux sociaux. Pour dire, YouTube et Dailymotion étaient bloqués sur les ordinateurs jusqu’en 2007 ! »

Le modèle économique du papier copié sur le web

La PQR tire ses revenus des ventes du journal papier qui repose sur un lectorat fidèle qu’elle connaît bien. Elle vend ensuite son lectorat aux annonceurs. Quand la PQR a investi le web en publiant ses contenus gratuitement, elle n’y a rien gagné. Les annonceurs étaient trop frileux pour acheter des espaces publicitaires sur Internet. Ils ont ainsi réussi à garder un coût du clic très bas qui ne permettait pas aux journaux de financer les contenus. Pour espérer tirer un revenu du web, les espaces abonnés ont donc été créés. Actuellement, le modèle économique numérique est basé sur une offre freemium, identique à celle que la PQN a pu instaurer. L’internaute a accès aux informations nationales à faible valeur ajoutée et aux informations internationales gratuitement. À l’inverse, l’information locale qui constitue le cœur de métier de la PQR est proposée en accès payant. Michel Lepinay explique ce choix : « Un journal local doit toujours donner une information qui a un lien avec sa zone de diffusion historique. C’est sa force et c’est comme ça qu’il peut monétiser le contenu. Envoyer des journalistes en Irak est inutile pour un journal de PQR. »

Matthieu Mondoloni estime que « l’information locale est plus simple à faire payer que l’information nationale ». Pourtant, les chiffres semblent démontrer l’inverse. En 2012, quand Michel Lepinay à quitté Paris Normandie, « le numérique représentait 4,5 % du chiffre d’affaires contre un objectif de 10 %, même avec un prix pour l’abonnement numérique presque deux fois moins cher que pour l’abonnement au papier (15 euros au lieu de 27 euros) ».
 En moyenne, le chiffre d'affaires web ne dépasserait pas 2 % du chiffre d'affaires global.  
Selon Frédéric Sallet de Sud Ouest et Bruno Jauffret de La Voix du Nord, le chiffre d’affaires web représente 8 % du chiffre d’affaires global. Mais Antoine de Tarlé, spécialiste de la presse écrite et ancien directeur du numérique de Ouest France, pense que ces chiffres sont surestimés : « Dans la meilleur des hypothèses, le chiffre d’affaires web représente 4 % du chiffre d’affaires global. Au Télégramme par exemple, le web rapporte 1 million sur 130 millions euros par an, soit moins de 2 %. À La Voix du Nord, pour 150 millions de chiffre d’affaires annuel, la part du web s’élève à 3 millions d’euros, soit moins de 3 %. Je dirais qu’en moyenne, ça ne dépasse pas les 2 % ».

Deux lectorats qui ne se mélangent pas

En 2011 aux DNA, « il y avait moins de 500 personnes qui étaient abonnées à la version web, pour 30 à 40 000 visiteurs uniques par jour », rapporte Matthieu Mondoloni.Aujourd'hui, on compte 2 000 abonnés exclusivement web, 40 000 abonnés au journal qui consultent régulièrement leur espace premium et 90 000 visiteurs uniques par jour.

En 2008, seulement 5 % des abonnés à la version papier de Paris Normandie accédaient à leur espace premium en ligne. Si ce chiffre date un peu, une étude M@rsouin (Mesure et analyse des usages numérique) de 2011 sur « la presse quotidienne régionale face aux enjeux du numérique » en France et plus particulièrement en Bretagne arrive à la conclusion suivante : « Le lectorat de l’édition papier est enclin à un plus fort attachement territorial, une fidélité à ce format plus fortement marquée dans les petites villes. Il se compose majoritairement de personnes âgées de 50 ans et plus et d’individus ayant un niveau d’études inférieur à BAC +4. Si 65 % des internautes de plus de 65 ans lisent la PQR, ils ne sont plus que 12 % à la consulter en ligne. »
 
Selon Frédéric Sallet, le lectorat du site est âgé de 40-50 ans, soit 10 ans de moins que le lectorat du papier. L’étude M@rsouin affirme que « la lecture en ligne n’est plus liée à l’attachement territorial mais à l’utilisation quotidienne d’Internet. Elle est plus forte chez les jeunes générations, bien que non systématique : 18 % des internautes de 18-24 ans suivent la PQR en ligne », et ce public ne considère plus le quotidien régional comme son média comme l’expliquait Jean-Marie Charon dans un entretien accordé à InaGlobal sur la concentration dans la PQR.

Pourtant, les 25 % des audiences de ouest-france.fr qui proviennent d’Île-de-France prouvent que les provinciaux, même hors de leur région, y sont très attachés. Aussi, le site Internet de Sud Ouest est principalement visité pour suivre la saison des équipes de rugby ou des Girondins de Bordeaux. Ces deux exemples mettent en valeur une autre notion d’attachement territorial. Si les chiffres de Ouest France sont une exception, le cas Sud Ouest montre qu’Internet a permis a un plus large public de s’informer sur des sujets locaux à teneur nationale.
 
Bruno Jauffret est le seul interviewé qui insiste sur la présence du journal sur les réseaux sociaux : « Nous avons fait un effort sur Facebook avec deux community managers et cela a payé. 30 % de l’audience du site Internet de La Voix du Nord en provient.
 30 % de l’audience du site Internet de La Voix du Nord provient des réseaux sociaux. 
Mais c’est un public plus jeune et plus volatile, qui s’intéresse surtout aux histoires qui font du buzz. »
 
Bref, les lecteurs du papier ne vont pas forcément s’informer sur le site, et inversement. Ainsi, difficile de croire à la réussite du modèle éditorial « bi-média » tel qu’il avait été imaginé. Certes, la PQR a touché un public plus jeune et plus urbain sur le web, mais elle a difficilement exploité les spécificités des deux supports pour les rendre complémentaires.
 
« Un jour, lors d’un comité de réflexion, j’ai proposé de manière provocatrice que le quotidien devienne un hebdomadaire et que l’information chaude et quotidienne soit traitée sur le site Internet. On m’a pris pour un fou et je crois que ma remarque n’a même pas été notée dans le compte-rendu ! » s’amuse aujourd’hui Matthieu Mondoloni qui est arrivé en 2007 aux DNA pour relancer le site web. J’ai quitté le journal quand il a été racheté par EBRA en 2011. Depuis, la rédaction web n’est composée que d’une personne. Pour moi, les DNA ont laissé tomber le numérique. » Ce que conteste Christian Bach, le chef de ce service. Il est certes le seul à travailler exclusivement pour le web mais 60 journalistes ont acquis les compétences pour publier sur Internet et pour alimenter les réseaux sociaux. « Il ne faut pas une équipe dédiée, mais une rédaction intégrée », estime Christian Bach. « Dans la PQR, nous ne sommes pas des inventeurs. Sur le web, le lectorat n'attend pas des webdocumentaires mais une information en temps réel. Un des grands enjeux est la formation des journalistes et l'évolution du management. Le documentaire Les gens du Monde aurait pu être filmé aux DNA ! »

De fortes disparités régionales

 « La PQR en ligne est une véritable mosaïque », observe Antoine de Tarlé. « La Voix du Nord est bien soutenue par Rossel tandis que les journaux du groupe EBRA sont très en retrait. Peu de journaux de presse locale ont mené une véritable réflexion sur le numérique et sur le mobile. Je dirais qu’il y en a quatre ou cinq ».

 Peu de journaux de presse locale ont mené une véritable réflexion sur le numérique et sur le mobile. 
Parmi eux, on peut citer Le Télégramme qui défie Ouest France en Bretagne, la région la plus fertile pour les journaux.

Samuel Petit, rédacteur en chef du journal qui s’est lui aussi lancé sur le web en 1996, explique la stratégie numérique. « En janvier 2014, nous avons lancé en même temps une nouvelle formule pour le journal et un nouveau site Internet avec un metered paywall(1). Nous voulions qualifier notre audience et créer une communauté de lecteurs fidèles. Après six mois, le bilan est globalement positif. Mais nous devons produire beaucoup plus de contenu à forte valeur ajoutée. Nous avons par exemple embauché trois monteurs et produisons 250 à 300 vidéos originales par mois. »
 
Samuel Petit l’admet : avant l’instauration du paywall, l’internaute qui était abonné n’avait pas beaucoup plus d’informations que celui qui consultait le site gratuitement. Serait-ce la raison de l’échec de la PQR sur le web ?
 
Antoine de Tarlé reconnaît qu’une de ses erreurs à la tête du numérique de Ouest France a été de penser que « les lecteurs allaient continuer de consommer la presse locale en bundle et que nous pourrions bâtir un site global.
 Le rêve de concurrencer Google n’a pas duré longtemps. 
Nous avons par la suite remarqué que l’utilisation d’Internet était très différente de ce que nous avions prédit, que les internautes préféraient consulter plusieurs sites gratuits pour trouver des informations et des services plutôt que de payer pour voir ces mêmes contenus regroupés sous un même toit. » Le rêve de concurrencer Google n’a pas duré longtemps.

Une innovation en berne

La PQR n’a malheureusement pas encore profité du web pour expérimenter de nouveaux formats. Pour Matthieu Mondoloni, c’est une aberration de pouvoir acheter le journal en ligne en version PDF. « Ce que fait LeMonde.fr est beaucoup plus intéressant ».

Michel Lepinay s’étonne de ne pas voir d’initiatives mobiles. « La PQR a l’avantage de connaître ses lecteurs et ses annonceurs. Elle pourrait proposer des services à la personne, ou même, avec la géolocalisation, alerter un lecteur qu’un magasin fait des soldes trois rues plus loin ! » Ce que la PQN ne peut pas faire. La PQR aurait-elle laissé passer la chance de pouvoir accompagner son lecteur tout au long de la journée ?
 
La PQR qui était aux premières loges en 1995 a sûrement trop longtemps considéré le web comme une innovation mort-née et a ainsi investi le champ numérique en reproduisant les schémas du papier. Est-ce si différent de la PQN ? Certainement pas. La question de l’innovation, de la complémentarité print-web et de la monétisation des contenus concerne tous les titres.
Crédits : George Kelly / Flickr.
En revanche, la PQR n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu en misant sur ses spécificités. Patrick Le Floch expliquait dans un entretien accordé à InaGlobal sur la diversification dans la PQR qu’il n’y a pas de fatalité et que le groupe Suisse Ringer avait investi un milliard d’euros dans les nouvelles activités.

À l’inverse, Antoine de Tarlé, qui s’est souvent rendu aux États-Unis pour anticiper les évènements en France, conteste une vision trop parisianiste de la situation. « Il ne faut pas être trop critique envers la PQR sur le web. Le problème n’est pas la PQR mais la presse locale en général. C’est la même chose aux États-Unis qui sont en avance de trois ans. Personne n’y a encore trouvé la solution pour faire payer l’information locale ». Si l’on en croit Bruno Jauffret, la prochaine étape est la fin du culte de l’information en ligne gratuite. Sur ce point, il est optimiste : « La PQR avance plus vite que la PQN sur la monétisation des contenus. psychologique du public qui considère que l’information doit être gratuite s’effrite. »

 

Chiffres






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Crédits photo :
Photographie principale : capture d'écran de l'application iPad "Presse régionale" éditée par le SPQR
Capture d'écran de lavoixdunord.fr
Étude M@rsouin « la presse quotidienne régionale face aux enjeux du numérique » – Figure 1 : lecture de la PQR et sentiment d’attachement régional

 

(1)

Un metered paywall limite la consultation gratuite d’un média en ligne à un nombre préalablement défini d’articles sur une période donnée. 

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