Réforme de la classification des films : comment fait-on à l’étranger ?

Réforme de la classification des films : comment fait-on à l’étranger ?

Le système français de classification des films est aujourd’hui illisible. Tour d’horizon des évolutions possibles.
Temps de lecture : 8 min

Affiche du film "Love", de Gaspard NoéLe film Love de Gaspar Noé restera vraisemblablement comme le film ayant remis en cause le bon fonctionnement du système de classification des œuvres cinématographiques. Ce système visant à réguler l’accès des mineurs aux salles de cinéma en prenant en compte la violence et le sexe à l’écran est, en effet, devenu illisible en ce qui concerne les classifications les plus restrictives. Il est ainsi particulièrement complexe, aujourd’hui, de distinguer les films susceptibles de recevoir une interdiction aux moins de 16 ans, de 18 ans ou une classification X. En témoigne la remise en cause par le Tribunal administratif de Paris du visa d’exploitation attribué au film Love par la ministre de la culture, confirmée par la suite par le Conseil d’État.

La décision du Tribunal administratif de Paris a décidé la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, à lancer une consultation en vue de proposer des évolutions en la matière. Jean-François Mary, président de la commission de classification du CNC, a été chargé de cette mission et proposera ses conclusions en janvier prochain. Les propositions de réforme devraient se limiter à la question des distinctions des restrictions les plus lourdes. Pour autant, pourquoi négliger une réflexion plus globale ? Tour d’horizon des évolutions possibles en matière de classification des films.

Abandonner la classification publique : la fausse bonne idée

Le Code du cinéma et de l’image animée prévoit que tout film diffusé en public doit recevoir, de la part du ministre de la Culture et après avis de la commission de classification du CNC, un visa d’exploitation. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’un tel système de régulation publique d’accès aux salles de cinéma. Après tout, ne serait-il pas possible de renvoyer chacun – et notamment les parents –à sa propre responsabilité ? Est-il encore nécessaire au XXIe siècle d’avoir des interdictions posées par la puissance publique ? Force est de constater que le cinéma reste le seul secteur culturel nécessitant encore une autorisation de la puissance publique avant la communication de l’œuvre au public. Les spectacles vivants, les livres, les expositions, les concerts ne sont pas concernés par un système d’autorisation ou de restrictions préalables. Ces derniers peuvent être interdits après l’intervention d’un juge sur demande d’un tiers ou, plus rarement, comme dans l’affaire du spectacle de l’humoriste Dieudonné, sur une intervention ponctuelle des pouvoirs publics.

 Le cinéma reste le seul secteur culturel nécessitant encore une autorisation de la puissance publique avant la communication de l’œuvre au public 

Ne serait-il pas préférable de supprimer le système d’attribution de visas ? Si cette solution peut apparaître séduisante et beaucoup plus libérale que le système actuel, elle est en réalité à proscrire. Les États-Unis ne pratiquent pas cette régulation publique d’accès aux salles et pourtant les films exploités en salles reçoivent bien un équivalent à nos visas d’exploitation. Comme dans beaucoup de secteurs dans ce pays, ce n’est pas la puissance publique qui s’occupe de la régulation en la matière mais des groupements privés. Le système le plus usité aux États-Unis est celui mis en place par la Motion Picture Association of America (MPAA) qui est une structure privée regroupant les studios hollywoodiens. Le système de classification mis en place par cette structure n’est a priori pas obligatoire mais est en réalité appliqué à la quasi-totalité des films exploités en salles car, sans classification de ce type, la plupart des salles refusent de diffuser un film. Les salles et les producteurs doivent prendre en compte les multiples pressions effectuées par les lobbies conservateurs qui leur imposent de passer par une classification avant la sortie en salles. Finalement, le système est en grande partie le même que le nôtre : le film est classifié avant sa sortie en salles.
Classification MPAA
Classification de la MPAA
 
Ce système est par contre beaucoup plus restrictif que le nôtre. Difficile de savoir si cette classification est plus restrictive en raison du fait qu’elle est effectuée par une personne privée. On peut noter que, d’une manière générale, les États-Unis sont plus conservateurs que notre pays sur les questions de mœurs. À titre d’exemple, Drive ou Crimson Peak, tous deux interdits aux moins de 12 ans en France, sont aux États-Unis interdits aux moins de 17 ans si l’on n’est pas accompagné d’un parent. L’exemple des jeux vidéo prolonge cette analyse. Un système de régulation privée s’est mis en place en Europe pour classifier les jeux vidéo. Or, le système « PEGI » (Pan European Game Information) est également particulièrement restrictif.
 D’une manière générale, les États-Unis sont plus conservateurs que notre pays sur les questions de mœurs 

Finalement, on constate que l’absence de régulation publique est souvent comblée par l’intervention d’une régulation privée qui nous semble beaucoup plus sujette aux pressions des lobbies ce qui aboutit à un système très restrictif. Au surplus, ce type de régulation privée n’offre souvent pas les mêmes garanties de recours juridictionnel que la régulation publique. En d’autres termes, il est plus difficile de contester une restriction d’âge apposée par un acteur privé. L’abandon d’une régulation publique n’est donc pas une bonne idée car elle n’est pas en son principe source de problèmes et pourrait être remplacée rapidement par une régulation privée plus restrictive.

Retravailler les types d’interdictions

Le ministre de la culture attribue un visa aux films exploités en salles de cinéma après avis de la commission de classification du CNC. Le visa peut être « tous publics » ou accompagné d’une restriction d’âge voire d’un avertissement. L’interdiction peut concerner les moins de 12 ans, de 16 ans ou de 18 ans.

Pour ce qui est de l’interdiction aux mineurs, le ministre peut attribuer soit une interdiction aux moins de 18 ans (films de grande violence ou comportant des scènes de sexe non simulées sans pour autant être des films pornographiques c’est-à-dire des films à vertu masturbatoire) soit une classification X réservée aux films pornographiques ou d’incitation à la violence. Le visa d’exploitation peut également être refusé. On peut d’ores et déjà noter que le refus de visa et le visa X ne sont plus réellement utilisés depuis de longues années car ce type de films n’est plus exploité en salles de cinéma. Il reste donc au ministre à choisir entre le visa tous publics ou les restrictions 12, 16 et 18 ans.

Il serait envisageable de retravailler ces classifications pour donner un éventail de choix plus large au ministre de la Culture, comme c’est le cas dans certains pays. Aux Pays-Bas, le NICAM (Netherlands Institute for the Classification of Audio-visual Media) a le choix entre les classifications 6, 9, 12 et 16 ans et utilise même des pictogrammes qui représentent le contenu justifiant l’interdiction (violence, drogue, sexe, langage problématique…).


Signalétique en vigueur aux Pays-Bas
 
Aux États-Unis l’accent est davantage mis sur la responsabilité des parents pour les interdictions allant jusqu’aux moins de 17 ans. Certains films sont uniquement « déconseillés » aux moins de 10 ou 13 ans et l’accord parental est, dans ce cas, simplement « souhaitable ». Pour les films interdits aux moins de 17 ans, le mineur peut accéder à la salle seulement s’il est avec un parent. L’interdiction aux moins de 18 ans est par contre pour sa part absolue et donc sans exception. Ce recours à l’intervention des parents, que l’on retrouve également en Grande-Bretagne, est intéressant et pourrait être utilisé à l’avenir en France pour créer des classifications intermédiaires qui éviteraient l’interdiction pure et simple. Une autre solution serait, comme nous l’avons proposé, de supprimer l’interdiction aux moins de 18 ans qui crée aujourd’hui plus de problèmes qu’elle n’en règle. On peut noter que les Pays-Bas arrêtent par exemple leurs restrictions d’âge à 16 ans et n’interdisent donc plus à partir de cet âge.

Accroître la communication

Le système britannique de classification a pour particularité de mettre en place une communication accrue autour des interdictions attribuées à certains films. Le BBFC (British Boardof Film Classification) communique énormément sur les réseaux sociaux afin d’informer et d’échanger sur son travail et sur les justifications des différentes interdictions attribuées aux films. Le fil Twitter du BBFC est une source d’informations d’une grande richesse et il y est même organisé régulièrement des séances de question-réponse autour des interrogations des membres de ce réseau social. Le site Internet du BBFC recèle également une multitude d’informations qui permettent de rendre le travail de cet organisme très lisible. La France est en retard sur ce travail de communication et de lisibilité, ce qui est dommage car un tel système de communication pourrait aboutir à une meilleure compréhension et acceptation du système par les spectateurs.

Classifcation BBFC
Signalétique en vigueur au Royaume-Uni

Assouplir ou durcir le système

Le système de classification français est un des plus souples du monde, il apparaît difficile d’abaisser encore le degré d’exigence si ce n’est en supprimant l’interdiction aux moins de 18 ans. Est-ce à dire qu’il faudrait durcir notre système pour le rendre plus restrictif ? Les États-Unis et le Royaume-Uni ont un système de restriction d’âge beaucoup plus dur que le nôtre. Le BBFC attribue une interdiction aux moins de 18 ans à des dizaines de films par an alors que seuls 1 ou 2 films par an reçoivent cette classification en France.

Le système français est certes plus souple que dans bien d’autres pays mais il ne semble pas pour autant nécessaire de le durcir. Les évolutions sociétales et des mœurs impliquent une certaine souplesse envers la présence de sexe et de violence à l’écran. Les raisons pour lesquelles certains films ont fait scandale à leur époque (Les liaisons dangereuses (1960) de Roger Vadim, Jules et Jim (1961) de François Truffaut) font aujourd’hui sourire. Il en sera peut-être un jour de même pour Love, Saw 3D ou Nymphomaniac. La classification des œuvres cinématographiques semble avoir atteint un point d’équilibre et être globalement en phase avec la société du moment. Seule une clarification entre les interdictions moins de 16 ans et moins de 18 ans semble nécessaire sans qu’un durcissement s’impose(1).

 La souplesse est une bonne chose, mais gare à ne pas tomber dans le laxisme 

Il n’en reste pas moins que certaines classifications peuvent surprendre par leur souplesse. La première partie du film Nymphomaniac était ainsi interdite à l’origine aux moins de 12 ans avant d’être relevée à 16 ans après intervention de la justice administrative. Dans la même logique, le film Mad Max : fury road a été classifié « tous publics » en France alors qu’il a été interdit quasiment partout dans le monde au minimum aux moins de 14 ans. La souplesse est une bonne chose, mais gare à ne pas tomber dans le laxisme.

Intervenir sur tous les supports

Les développements de la numérisation et des supports de visionnage audiovisuels impliquent généralement plusieurs régulations de la part de différents organismes (CSA, CNC…). Certains organismes européens interviennent sur plusieurs médias ce qui n’est pas le cas en France. Le BBFC attribue par exemple des visas aux films exploités en salles mais également aux films exploités directement sur support vidéo. En France, un film qui ne sort pas en salles mais sur support physique n’aura pas de restriction d’âge à respecter. S’il sort en VOD ou SVOD tout dépend du service sur lequel il sera diffusé. Les solutions sont donc nombreuses et complexes. On pourrait imaginer que le système français se modernise et qu’un même organisme s’occupe de classifier plusieurs types d’œuvres sur plusieurs supports. C’est le cas aux Pays-Bas où le NICAM attribue des classifications aux films sortis en salles ou directement en vidéo, aux œuvres diffusées à la télévision ou en VOD, aux vidéo-clips… Le fait d’avoir un système unique pour tous les types d’œuvres et de support permet une plus grande lisibilité et une meilleure cohérence des restrictions aux mineurs. Un tel système pourrait être envisageable en France.

Élargir les motifs d’interdiction

Les interdictions françaises des œuvres cinématographiques reposent uniquement sur deux éléments : la violence et le sexe visibles à l’écran. Certains pays justifient leurs interdictions par la prise en compte d’autres éléments. Les systèmes britanniques et hollandais prennent ainsi en compte non seulement le sexe et la violence mais également le langage utilisé dans le film (vulgarité), la présence de drogue, de nudité ou d’armes à l’écran, la peur que peut susciter le film et même les discriminations et les comportements dangereux. Ces références qui dépassent largement la logique binaire française (violence-sexe) en la précisant permettent d’apporter des justifications plus détaillées aux interdictions tout en guidant les parents dans leurs choix de films. Cette piste pourrait être exploitée en France afin de permettre une meilleure protection des mineurs et une information efficace des parents.

Pour aller plus loin

Marc LE ROY, JurisClasseur administratif, fascicule n°267, janvier 2010

(1)

On peut noter que le Conseil État vient récemment de préciser dans le contentieux concernant le film Love qu’un film contenant des scènes de sexe non simulées devait obligatoirement être interdit aux mineurs (moins de 18 ans ou X) durcissant sa jurisprudence passée qui permettait qu’un film contenant de telles scènes puisse être simplement interdit aux moins de 16 ans (voir par exemple les films Le pornographe , Antichrist ou Nymphomaniac vol. 1. ). 

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