Comment voir plus de films européens en Europe ?

Comment voir plus de films européens en Europe ?

Les films européens ne représentent qu’une petite part du cinéma consommé en Europe : moins capitalisés et d’abord tournés vers leur marché national, ils ne bénéficient pas de la force de frappe de leurs concurrents hollywoodiens.
Temps de lecture : 7 min

Malgré une production abondante, le cinéma européen circule mal en Europe. La diversité linguistique et culturelle, couplée à la présence imposante du cinéma américain, est un obstacle à une plus grande intégration cinématographique du continent.

Les Européens vont moins au cinéma que les Américains

En 2012, l’Observatoire européen de l’audiovisuel compte 933 millions d’entrées en Europe (dont 313 millions pour le cinéma européen), contre 1,3 milliard d’entrées aux États-Unis). Les Européens, bien que plus nombreux que les Américains(1), va donc moins au cinéma. Cela s’explique notamment par un nombre d’écrans plus réduit : on trouve en Europe un parc de salles de plus de 30 000 écrans, soit bien moins que les 40 000 écrans américains. Il y a cependant de grandes disparités intra-européennes en termes de fréquentation et de dynamisme. Par exemple, encore selon l’Observatoire, entre 2011 et 2012, la Roumanie et la Finlande connaissent de belles croissances de fréquentation (entre 15 et 20 % de croissance), alors qu’ailleurs celle-ci est fluctuante (-6 % en France, +4 % en Allemagne…).
 
Sur le plan de la fréquentation, la France sort du lot, avec plus de 3 entrées par an par habitant, seulement égalé par l’Irlande, tandis que d’autres principaux marchés européens, comme l’Allemagne et l’Italie, restent entre 1 et 2 entrées pas habitant (tout comme le Benelux, les pays scandinaves et baltes, la Pologne, l’Autriche et le Portugal). Le Royaume-Uni, l’Espagne et le Danemark font mieux : entre 2 à 3 entrées par habitant. Enfin, les pays d’Europe centrale et orientale (République Tchèque, Hongrie, Roumanie, Bulgarie), la Grèce et Chypre connaissent en moyenne moins d’une entrée par an par habitant.

Le cinéma européen minoritaire en Europe

En 2012, vingt-deux des vingt-cinq films les plus vus sont américains, pour une part de marché totale de 62,8 %. Les principales entrées concernent des films américains : Skyfall, Ice Age : Continental Drift, The Dark Knight Rises, Twilight : Breakind Dawn part 2 sont les films les plus vus en 2012. Pour certains films, le public européen est même plus investi que le public américain : Skyfall, coproduction britannico-américaine (Metro Goldwyn Mayer, Columbia Pictures et EON Productions) a ainsi fait 44 millions d’entrées en Europe et contre « seulement » 33 millions aux États-Unis.
 
Le cinéma européen atteint 33,6 % de parts de marché en 2012, ce qui le place pour la première fois au-dessus de 30 % ; mais seulement 10 % de la fréquentation totale est celle de films européens étrangers ! Encore selon l’Observatoire, les trois principaux succès du cinéma européens en 2012 sont Skyfall, Intouchables (dont 46 % des entrées européennes ont eu lieu hors de France) et Taken 2 (17ème au box-office européen, 20ème aux États-Unis), suivis de The Artist (Michel Hazanavicius), The Iron Lady (Phyllida Lloyd), et The Angel’s Share (Ken Loach).
 
Le cinéma français est le premier cinéma européen à être diffusé en Europe (13,6 % du total des films vus), suivi du cinéma britannique (8 %). Tous deux dominent largement le reste du palmarès : 2,9 % pour le cinéma italien, 2,8 % pour le cinéma allemand, et 6,2 % pour le cinéma du reste de l’Union européenne... Le cinéma européen représente donc une petite part du cinéma consommé en Europe. Selon le producteur Paulo Branco, c’est en grande partie à cause des accords globaux (output deals) que les distributeurs et chaînes locales fixent avec les studios américains : « En France, le cinéma européen est plutôt bien montré sur les écrans, même si l’espace qui lui est accordé se rétrécit. On ne montre plus autant de films à la télévision par exemple. Dans le reste de l’Europe, c’est catastrophique : on ne montre que le cinéma national - quand il existe - et le cinéma américain. Au Portugal par exemple, en dehors des cinéclubs et des festivals, comme le Lisbonne and Estoril Film Festival, on ne voit quasiment pas de films indépendants. En Italie et en Espagne, c’est aussi de plus en plus comme cela. Les studios américains sont extrêmement puissants et parviennent à imposer leur catalogue aux exploitants et aux chaînes de télévision, laissant très peu de place aux autres. (…) C’est lié historiquement au soutien des États-Unis à la reconstruction de l’Europe après-guerre. Le Plan Marshall a permis aux studios hollywoodiens d’imposer leur catalogue de films aux Européens, et beaucoup de pays sont aujourd’hui encore liés à cette contrainte. »

Peut-on mieux distribuer le cinéma européen ?

La fragmentation nationale est un obstacle à la circulation des films en Europe. Ceux-ci doivent être achetés par des distributeurs en charge de leur territoire et adaptés linguistiquement au marché local. Les distributeurs ont également un effort marketing à faire, variable selon la nature du film. Selon Rodolphe Buet, PDG de StudioCanal Germany : « Le cinéma de culture internationale n’a que très peu d’efforts à faire en termes d’adaptation ; les outils marketings sont déjà préparés et le public est habitué aux canons américains. En revanche, les distributeurs doivent faire plus d’efforts dans la campagne de communication des films indépendants, dont les acteurs et le réalisateur ne sont pas nécessairement connus du public. Par exemple, quand StudioCanal Germany distribue Casse-Tête Chinois de Cédric Klapish, il ne peut pas faire appel aux mêmes recettes marketing que pour le marché français. Seule Audrey Tautou est connue, et les Allemands n’ont pas nécessairement connaissance de la galerie des personnages de la série ; on doit davantage accentuer le côté film français, car l’Allemagne a son petit marché de cinéphiles francophiles (…). Les Allemands n’ont pas le même rapport au cinéaste-auteur qu’en France, il arrive très souvent que le nom du réalisateur n’apparaisse même pas sur l’affiche, ce qui est impensable en France où un réalisateur peut faire venir un public sur son seul nom. En Europe, les pays scandinaves ont, comme en France, ce respect du cinéaste-auteur ».
 
Si le cinéma européen circule mal, c’est aussi parce que les studios hollywoodiens tiennent les marchés européens comme acquis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : ils signent des output deals avec les principaux exploitants et chaînes de télévisions de nombreux pays. Au Royaume-Uni, les multiplexes et les chaînes de télévision (dont les bouquets Sky et Virgin) sont ainsi inondés par le cinéma américain.
 
Il existe des initiatives de distributeurs européens pour gagner en masse critique et lutter contre la fragmentation des marchés et des sociétés. La société Indie Circle a ainsi uni pendant une dizaine d’années cinq distributeurs européens (le Français Haut et Court, le Suisse Frenetic Films, l’Italien Lucky Red, le Belge Cinéart, le Néerlandais A-Film Distributie) qui ont mis en commun leurs ressources pour acheter et promouvoir des films choisis ensemble. Selon Laure Caillol, distributrice chez Haut et Court et anciennement responsable de cette structure, « nous achetions des films et partagions un certain nombre de frais de distribution (mutualisation du tracking, des créations marketing etc.). (…) Nous avions une marge de négociation supérieure auprès des vendeurs, mais qui pouvait aussi nous desservir lorsque le film était convoité par d’autres distributeurs européens prêts à payer individuellement un prix plus fort. (…) Nous avons aussi souhaité cross-collatérialiser les droits à travers les pays, c’est-à-dire partager les risques et bénéfices de la sortie de ces films ». Les films européens n’étaient pas les seuls sélectionnés par la société, mais étaient souvent privilégiés : « Par nature, nous sommes plutôt tournés vers les films d’art et d’essai, avec une portée intellectuelle, sociale ou politique, pas nécessairement européens. Nous avons par exemple acheté des films aussi différents que Paradise Now (…), Thank you for smoking (...) ou Osama (…). Évidemment, les incitations financières à distribuer du cinéma européen confortent notre goût et nous orientent plutôt vers ces films-là. Les films européens sont généralement un peu plus petits, donc un peu moins chers, reçoivent des aides et attirent les chaînes publiques, donc correspondent bien à ce que l’on veut et peut acheter. Il faut bien voir que dans le même temps, chaque distributeur continuait à acheter des films à des rythmes différents : plutôt 8 à 10 films par an pour Haut et Court, contre 40 films pour Cinéart par exemple ». La pérennité de cette structure originale a été difficile à assurer : « Les distributeurs partenaires ont évolué et n’ont plus trouvé de films à acheter en commun. (…) De plus, malgré le succès rencontré par certains films, l’échec d’autres films a empêché la structure de véritablement décoller. » In fine, « l’enjeu de ce type de fonctionnement, c’est que l’on gagne à travailler ensemble et que le film gagne en visibilité. (…) Aujourd’hui le pool exploite encore les droits de 11 films, et les échanges se prolongent de manière informelle lors des festivals et évènements où nous nous retrouvons régulièrement. »

Le rôle central des exploitants

Les exploitants, directement au contact des marchés, sont en réalité les premiers concernés par la diffusion du cinéma européen en Europe. La salle continue de jouer un rôle décisif dans la chronologie des médias, elle reste le moment de fort en termes de moyens marketing déployés et d’écho médiatique et critique, qui détermine en grande partie le destin du film dans les fenêtres d’exploitation suivantes (sortie DVD, VOD, SVOD, TV…).
 
L’organisation du parc des exploitants joue bien sûr un rôle dans la capacité des exploitants à distribuer les films européens. Comme le montre le tableau ci-dessous, il existe de grandes disparités entre les pays.
 

L’exploitation, très concentrée aux Royaume-Uni (peu de cinémas, beaucoup d’écrans), conduit les exploitants à jouer principalement du cinéma commercial – donc américain –, alors qu’ailleurs (comme en France), l’abondance de cinéma avec peu d’écrans (le réseau des cinémas d’art et d’essai) incite les exploitants à jouer la carte de la différenciation et de la diversité.
 
Pour encourager toutes les salles à offrir une offre diversifiée, le programme MEDIA de la Commission européenne soutient financièrement un réseau de salles labellisées Europa Cinema, dont les exploitants s’engagent à diffuser majoritairement du cinéma européen. Le soutien au réseau représente 10 % du budget du programme MEDIA et 20 % du programme MEDIA Mundus. Lancé en 1992 dans 45 salles de 24 villes de 12 pays de l’Union européenne, le programme touche désormais 1 170 cinémas de 675 villes de 68 pays. Dans ces salles, les films européens représentent 60 % en moyenne des séances, dont 36 % de films étrangers. Parmi les dix plus gros succès de ce réseau en 2012, on compte 4 films français (Intouchables, The Artist, Amour, Et si on vivait tous ensemble ?), 5 films britanniques et un film allemand (Barbara). La diversité tant attendue est en fait réduite à une plus grande circulation des principaux producteurs européens : la France et le Royaume-Uni. Si l’on considère le top 50 : 20 films français, 12 films anglais, 3 italiens, 3 danois, 2 allemands, 2 européens, 2 norvégiens, 2 belge, 1 polonais, 1 suisse, 1 irlandais, 1 autrichien, soit seulement onze nationalités différentes dont deux qui occupent plus des 2/3 du palmarès…
 
Il est clair que sans incitation fiscale ou contrainte légale, exploitants et chaînes de télévisions devraient continuer à privilégier la diffusion d’une majorité de films américains, aux genres plus marqués, aux acteurs plus connus, et aux campagnes marketing plus massives. Les films européens, généralement moins capitalisés et souvent d’abord tournés vers leur marché national, ne bénéficient pas de la force de frappe de leurs concurrents américains et ne circulent véritablement que lorsqu’ils ont déjà fait leur preuve sur leur territoire d’origine (comme Intouchables) ou qu’un prix leur a été décerné (La Grande Bellezza). Il est aussi paradoxal de remarquer que les acteurs et actrices européens les plus connus en dehors de leur pays sont généralement ceux mis en lumière dans le cinéma américain : Daniel Brühl (Good Bye Lenin, puis Inglorious Bastards), Marion Cotillard (La Môme, puis Inception), Mads Mikkelsen (Pusher, puis Casino Royal)… S’il y a cependant fort à parier que le développement d’offres en ligne, légales ou illégales, contribue d’ores et déjà à rendre ces cinématographies plus accessibles aux curieux, le succès populaire continue de passer par une sortie en salles réussie.
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Crédits photo :
Truus, Bob & Jan too! / Flickr
Julien brmkmr / Flickr

(1)

La population de l’Union européenne est estimée à 505 millions d’habitants, contre 314 millions pour les États-Unis. 

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