« Une histoire française du Web… »

« Une histoire française du web… »

Le web est une invention récente, et pourtant, il a déjà une histoire. Valérie Schafer, historienne, analyse la spécificité de l’internet et du web en France.

Temps de lecture : 24 min

Chargée de recherche au CNRS, à l’Institut des sciences de la communication, Docteur en histoire contemporaine et habilitée à diriger des recherches, lauréate du prix de l’Inathèque, Valérie Schafer est spécialiste d’histoire des télécommunications et de l’informatique.

Comment devient-on historienne d’Internet, du Web et des cultures numériques ?

Valérie Schafer : Pouvoir se penser historien de l'Internet, du Web ou encore des cultures numériques est, en fait, très récent. La reconnaissance de l'histoire de l'informatique date déjà de quelques décennies, celle de l'histoire du numérique émerge seulement. Mais les sensibilités académiques évoluent. À titre personnel, c’est via un DEA puis ma thèse avec le professeur Pascal Griset, commencée en 2002, que j’ai abordé l’histoire de l’informatique et des télécommunications, en m’intéressant à l’histoire des réseaux Cyclades et Transpac. Cyclades est un réseau français qui, dans les années 1970, a eu des liens avec le réseau Arpanet aux États-Unis, l’un des ancêtres d’Internet. Quant au second réseau, Transpac, il est connu pour avoir supporté le trafic du Minitel.
 
Par ces recherches, j'entre dans une histoire que je ne conçois pas, au départ, comme une histoire de l’internet mais plutôt des cultures informaticiennes et télécoms, mais évidemment par l'étude des réseaux de données, de la commutation de paquets, cela va me mener ensuite vers Internet.
 
Je m’intéresse, en effet, aussi à l’histoire états-unienne, à l’ensemble du contexte numérique international. L’histoire du web viendra, quant à elle, après. Je suis partie des couches basses, des protocoles, de la normalisation, du transport des données dans les réseaux. Le web, chronologiquement, apparaît plus tard : il est inventé à la fin des années 1980 au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, sise à la frontière franco-suisse), alors qu'Internet trouve ses racines dès la fin des années 1960.
 
Avec le web, on n'est plus dans l'étude de la circulation de "paquets" d'informations, c’est une histoire qui, cette fois, cherche davantage à penser les contenus, l’hypertexte, les usages, etc. Il ne s'agit plus exactement des mêmes acteurs, ni des mêmes enjeux techniques et socio-culturels. Cela fait à peu près cinq ans que je m’intéresse à la Toile, et l’habilitation à diriger des recherches, que j’ai obtenue en 2015 et dont le manuscrit original s'intitulait En construction. Une histoire française du web des années 1990, est le résultat de ce passage progressif de l'histoire des réseaux et de l'Internet à celle du web.
 
Ce tournant vers les contenus, qui est en gros à dater de mon entrée au CNRS en octobre 2010, est aussi – au-delà du caractère personnel de ce travail pour l’habilitation à diriger des recherches, à mettre en lien avec un travail collectif et les efforts que nous poursuivons en équipe au sein du projet ANR Web90 depuis fin 2014. Ces travaux engagent des historiens comme Benjamin Thierry mais l'équipe est interdisciplinaire et les échanges menés avec Louise Merzeau, Fanny Georges ou Camille Paloque-Bergès m'ont notamment ouvert des perspectives inspirées des sciences de l'information et de la communication, ceux avec Francesca Musiani m'ont aussi tournée vers les Internet Studies et Code Studies et la sociologie de l'innovation.
 
 
Comment fait-on cette histoire du web : quelles en sont les sources ? Y a-t-il déjà des courants, des approches, des historiographies ?
 
Valérie Schafer : Il existe aujourd’hui des tendances qui se dessinent dans l’histoire du web et des interrogations d’ordre méthodologique et épistémologique entre des approches qui seraient plutôt quantitatives, outillées par les outils des humanités numériques, et des approches plus qualitatives comme celles que j’ai adoptées au départ. Ceci étant, les historiens ne se font pas la guerre pour défendre l'une ou l'autre de ces approches et peuvent passer de l'une à l'autre et les croiser. Ian Milligan, un chercheur canadien, incarne plutôt la première voie par ses travaux tournés vers la reconstruction, par exemple, de GeoCities (et de son vaste univers de pages personnelles), ou encore des noms de domaines au Canada.
 
Sophie Gebeil, dans sa thèse sur les mémoires maghrébines de l'immigration sur la Toile, ou moi avons commencé à travailler au début sur de plus petits corpus d'archives du web. Et surtout, quand je commence à m‘intéresser à la Toile, au début je n'ai pas recours aux archives du Web, je commence par des archives plus « traditionnelles » : la presse, les archives audiovisuelles ; l’IBA (Institut national de l’audiovisuel) est à cet égard une mine d'archives : journaux télévisés, premiers documentaires et reportages, émissions télévisées qui parlent du Web et de l’Internet, publicités des FAI, etc., offrent ainsi un vaste corpus.
 
Dans l’histoire récente, nombreux sont également les témoins et acteurs, et je suis passée par le recueil de témoignages de personnes qui se sont impliquées précocement dans le web et qui ont notamment créé des sites. Je pense, par exemple, à Ellen et Dominique, qui m'ont livré leur témoignage et étaient de fervents utilisateurs du réseau Calvacom au moment où la plupart des Français étaient sur le Minitel. Lorsqu'apparaît le web, ils y trouveront un moyen d’édition et d'expression de leur passion, la science-fiction, et fondent le site quarante-deux.org, qui fait alors référence dans le domaine.
 
Pour retracer cette histoire du web, j'ai donc suivi des itinéraires d’utilisateurs, de concepteurs, collecté des témoignages d'acteurs techniques et politiques comme Jean-Noël Tronc, un des conseillers de Lionel Jospin et inspirateur du PAGSI (Programme d'action gouvernemental pour la société de l'information) en 1997, Isabelle Falque-Pierrotin, qui rédige en 1996 le premier rapport sur les enjeux juridiques de l’Internet, ou encore Valentin Lacambre qui crée l’hébergeur de pages personnelles gratuit Altern.
 
Et dans les sources convoquées, il faut aussi mentionner les archives des « newsgroups », ces groupes de discussions qui démarrent avant même le web et dont beaucoup de thématiques ont des contenus techniques et informatiques. Google, notamment, les a préservés. On découvre aussi des guides : j’ai commencé, par exemple, avec le Guide du Routard Internet de 1999, pour retrouver des URL, des sites, parce qu’il faut se rappeler que dans les archives du web, au départ, il n’y avait pas de recherches plein texte, donc il fallait connaître l’URL pour pouvoir retrouver les sites.
 
Quand peut-on dire que le web arrive en France, selon vous ?
 
Valérie Schafer : L’Isoc France (Internet society) considérait 1996 comme l’an I du web, car on assiste à une croissance des noms de domaines. C'est aussi l'année de lancement de Wanadoo par France Télécom, celle des premiers procès aussi contre les FAI ; 1996 est vraiment une année clé, et c'est celle des premières archives du Web par la Fondation Internet Archive et Brewster Kahle. Mais il y a, bien sûr, une histoire de l'internet en amont en France, et également une histoire du web. C'est par exemple en 1994 que Stéphane Bortzmeyer, alors au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), crée un site dédié à l'Armada de la liberté, une exposition de bateaux.
 
 
Cela a-t-il été facile, pour les historiens du web, de légitimer cet objet comme objet de recherche?
 
Valérie Schafer : C’est une histoire balbutiante et les chercheurs, en ce domaine, sont répartis aux quatre coins du monde et constituent une communauté relativement étroite, mais très soudée et en échange constant. Il existe des approches très originales. Outre les travaux de Ian Milligan ou Niels Brügger évoqués précédemment, je citerai ceux d’une néerlandaise, Anne Helmond qui s’interroge notamment sur ce que représente un hyperlien à travers le temps, comment le sens et l'usage de celui-ci a évolué au cours de l'histoire courte, mais déjà dense, de la Toile. Une autre approche stimulante est celle d'Anat Ben-David qui a reconstruit, par exemple, le défunt .yu de l'ex-Yougoslavie. Ce sont des approches originales de l’histoire du web. Mais on voit aussi des approches plus classiques, qui passent par Ted Nelson et Xanadu, puis par le Cern, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, par la création de Wikipédia, etc., et sont souvent centrées, donc, sur les États-Unis.
 
 Il s'agit surtout de se décentrer d’une vision exclusivement tournée vers les géants du web états-uniens et de s’intéresser aux contextes nationaux 
Pour ma part, j'ai voulu faire une histoire française du web - ce qui qui n’est pas tout à fait la même chose qu'une histoire du web français. Une « histoire française » fait référence bien sûr au cadre d'étude, la France, mais aussi à certains courants historiographiques, aux apports, par exemple, de François Caron et du Centre de recherche en histoire de l'innovation de Paris-Sorbonne à l'histoire des techniques et de l’innovation. Il s'agit surtout de se décentrer d’une vision exclusivement tournée vers les géants du web états-uniens et de s’intéresser aux contextes nationaux, à une histoire ancrée dans un contexte social, politique, économique, technique.
 
Mais votre question portait aussi sur la légitimité de l'objet. Académiquement, est-ce reconnu ou légitime de s'intéresser à l'histoire de l'internet et du web ? C’est un sujet qui est de plus en plus reconnu, même si on doit parfois rappeler que nous sommes bien des historiens, bien qu'on travaille sur le très récent, le très contemporain : on « périodise », on travaille sur le temps, on croise les sources, on les étudie minutieusement. Certains disent que dix ans de web valent plusieurs décennies d’évolution dans d’autres domaines historiques, je ne sais pas s'il faut poser le problème ainsi, mais je peux confirmer que les choses évoluent très rapidement dans l'histoire du numérique, même si on pense autant les ruptures que les continuités… Le fait de travailler dans un institut interdisciplinaire, l'Institut des sciences de la communication, et d'avoir des interlocuteurs de différentes disciplines, ont aussi été un avantage pour moi, parce que l’histoire du web touche à des contenus qui intéressent d’autres disciplines, telles que les sciences de l’information et de la communication ou encore la sociologie de l'innovation.
 
Qu’est-ce qui, précisément, différencie une histoire française du web, d’une histoire du web français ?
 
Valérie Schafer : Parler du web français, c’est d’abord devoir définir son périmètre et ce n'est pas aisé. web en .fr uniquement ? Évidemment pas, il y a des sites en .org, .com, etc. web en français ? Pas non plus. Je vais reprendre l'exemple précédent du site qu’a créé Stéphane Bortzmeyer, dédié à l’Armada de la liberté, exposition de bateaux qui a eu lieu à Rouen, en 1994. Parmi les premiers sites créés en France, il contient des photographies des bateaux, leur tonnage et leurs noms… un site qui, aujourd’hui, pourrait être réalisé facilement, mais pas à l’époque ! Il est créé par quelqu’un ayant des compétences en informatique, car publier sur le web, ce n’est pas aussi simple alors qu’aujourd’hui. Il faut déjà avoir un ordinateur, savoir ce qu’est un réseau. On ne bénéficie pas des systèmes de gestion de contenu accessibles à un néophyte sans aucune connaissance de code comme aujourd'hui. Bref, le contenu de ce site est publié en anglais et Stéphane Bortzmeyer nous a expliqué que ce choix lui paraissait alors évident, car les principaux lecteurs du web étaient anglo-saxons. Il s’est donc placé dans une perspective internationale. Alors, c’est du web français, certes, mais écrit en anglais et visant un public beaucoup plus large que celui compris dans les frontières nationales.
 Le "web français" est vraiment une notion délicate et assez discutable 
Le web « français » peut donc s’exprimer en anglais, il peut aspirer à dépasser les frontières et, aujourd’hui encore dans le cadre du dépôt légal et de l'archivage du web par la BnF et l'INA, on s’interroge sur les limites du web français. Ainsi, l'Ina a pour mission d'archiver les contenus web liés à l'audiovisuel mais peut s'intéresser à des contenus en français et portant sur des émissions françaises, mais produits par un fan qui peut être dans un autre pays par exemple. Cette notion de web français dépasse le « .fr », car c’est aussi du « .com », du « .org », mais ce sont aussi des expressions de Français sur des espaces tels que GeoCities qui ne sont pas des espaces français. Le « web français » est vraiment une notion délicate et assez discutable. Par contre, une « histoire française » renvoie à un espace et des acteurs situés certes, mais aussi à un certain nombre d’apports intellectuels.
 
Est-ce qu’on pourrait parler d’un regard français ?
 
Valérie Schafer : Oui en effet, c'est cela que je voulais exprimer, un regard français sur la Toile. Il s’agit bien de la France dans cette étude mais, au-delà de l‘étude de la France, il existe aussi un certain regard historique qui pense l'innovation en contexte, cherche à en percevoir les dimensions matérielles, culturelles, territoriales, à spatialiser également, et va puiser des sources et des racines intellectuelles chez des historiens et des penseurs français. Bruno Latour m‘a inspirée sur la question des matérialités, j’ai évoqué François Caron qui a été fondateur pour l’histoire de l’innovation en France. Je revendique aussi ces approches et apports par le choix de ce titre. Et je dirais qu’il y a aussi un côté braudelien dans le plan que j’ai adopté, entre matérialités, temporalités et espaces. On retrouve quelque chose d’assez français dans cette approche et c’est donc cela, aussi, que je voulais interroger et mettre en avant dans une recherche qui se penche sur l'histoire, mais aussi sur son écriture.
 
Et donc les acteurs français, industriels, chercheurs…
 
Valérie Schafer : Absolument. Ainsi, s'intéresser au passage du Minitel au web n'est pas une démarche spontanée pour d’autres historiens que les historiens français. J’ai, avec Benjamin Thierry, rédigé un ouvrage sur l’histoire du Minitel en 2012, au moment de son extinction - Le Minitel, l’enfance numérique de la France. Il y a cette idée prégnante que le Minitel a créé un retard français dans le passage à la Toile, et j'avais envie de réinterroger cela, mais de réinterroger aussi le volontarisme politique, notamment celui de Lionel Jospin et du discours d’Hourtin en 1997, « Préparer l'entrée de la France dans la société de l’information », qui débouchera en 1998 sur le PAGSI (programme d’action gouvernemental pour la société de l’information), parce que l'on a longtemps connu un contexte de monopole des télécommunications, de fort volontarisme étatique qui s'estompe – sans toutefois disparaître — dans la décennie 1990. Et l’on retrouve dans cette histoire des acteurs comme Gérard Théry, ancien directeur général des Télécommunications au moment du Minitel, qui écrit un rapport sur les autoroutes de l’information, en 1994.
 
 
Dans vos travaux, il y a vraiment différents ordres et différentes échelles, une histoire nationale mais aussi locale ?
 
Valérie Schafer : En effet. Il existe une histoire qui se joue sur le sol national, mais qui n’est pas simplement centrée sur Paris, comme en témoigne l’histoire des FAI (fournisseurs d’accès à Internet) régionaux et leur floraison avant 1996. En en effet, avant cette date on payait à la distance, donc il était plus intéressant en Auvergne, par exemple, d’aller chercher un FAI à proximité.
 
On se trouve dans une période où ces FAI vont se développer à partir d'une clientèle régionale, et ils vont disparaître, assez vite pour certains, au moment où l'on pourra joindre son FAI au prix d’une communication locale partout en France. Cela renforcera les plus gros, comme Wanadoo qui apparaît alors, et qui vont peu à peu s’imposer. Mais il est intéressant de rappeler qu’il y a eu presque deux cents FAI sur le territoire français dans les premières années du développement du web en France et tout un jeu de fusion – acquisition complexe aussi.
 
 
Quel a été le rôle du politique ?
 
Valérie Schafer :
 Les luttes qui concernent, aujourd’hui, les libertés sur le web, relèvent à peu près des mêmes thématiques que dans les années 1990 
Les luttes qui concernent, aujourd’hui, les libertés sur le Web, et qui se poursuivent depuis vingt ans, relèvent à peu près des mêmes thématiques que dans les années 1990, bien sûr renouvelées par l’apparition de nouveaux acteurs. Mais il s’agit toujours de questions de censure, de filtrage, de responsabilité des intermédiaires. Au début du Web, l’État était accusé de ne rien y comprendre. D’être juste un acteur qui était là pour pénaliser, pour essayer d'imposer des lois d'un autre âge, pour contrôler les libertés sur un cyberespace qui cherchait, lui, à dépasser des frontières, à créer un espace de liberté.
 
Il faut rappeler qu'en 1996, il y a tout juste vingt ans, John Perry Barlow lançait sa retentissante déclaration d'indépendance du cyberespace et s'opposait aux lois de régulation voulues par le gouvernement états-unien. Ce fut un « cri » sur la Toile, qu'on pourrait dire libertaire, passé à la postérité comme un des textes de référence. Les acteurs français s'identifiaient-ils à cette déclaration, notamment côté développeurs, créateurs de contenus, à cet état d'esprit très contestataire et de contre-culture ? Globalement, j'ai été surprise de voir dans les témoignages que c'était assez peu le cas. J’avais, par exemple, interrogé à ce sujet Daniel Kaplan qui était jusqu'à récemment directeur de la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération). Comme d'autres témoins de cette époque, il me disait qu'il en avait entendu parler, mais qu'on n'était pas vraiment dans cet état d’esprit en France. Il n'existait pas à proprement parler, en France, de grand mouvement libertaire mobilisé pour le cyberespace. Par contre, il y a eu des luttes pour soutenir les libertés sur la Toile, notamment de la part d'associations.
 
 La Toile attire autant qu'elle inquiète au cours de cette période et les médias en diffusent des images et imaginaires parfois assez binaires, entre enchantement et terreur  
Et le mouvement de régulation a bien existé aussi de la part de l'État français. La seconde moitié de la décennie 1990 est une période marquée par de nombreux procès. La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), l'UEJF (Union des étudiants juifs de France), notamment, vont attaquer un certain nombre de FAI, puis d'hébergeurs en raison de propos racistes et/ou négationnistes diffusés dans les listes de discussion et sur la Toile. Le chanteur Jean-Louis Costes, dont les textes sont, pour certains, extrêmement provocateurs, est mis en procès et, avec lui, son hébergeur Altern. Éclate aussi l'affaire Yahoo! à la fin de notre période d'étude, qui héberge une vente d'objets nazis, ou encore les poursuites contre le site Front14 qui compte deux-cents et quelques sites et groupes de discussions néo-nazis. À cela s’ajoute tout ce qui touche aux pratiques criminelles, à la pédophilie. La Toile attire autant qu'elle inquiète au cours de cette période et les médias en diffusent des images et imaginaires parfois assez binaires, entre enchantement et terreur. Donc, alors que certains pensent du devoir de l'État de réguler voire de censurer, d’autres craignent pour les libertés et, lors de la fête de l’Internet de 1999, c'est près de trois cents sites qui ferment en signe de protestation, sous la bannière « La Défaite de l'Internet »…
 
Jean-Noël Tronc, qui était conseiller de Lionel Jospin, rapporte toutefois qu'il existe plusieurs attitudes face à l'Internet et au Web, au sein du gouvernement. Il y a des gens qui n'y comprennent absolument rien, mais certains travaillent dans l’ombre à créer des sites, à faire évoluer les pratiques à des niveaux très locaux, municipaux, régionaux, ou enfin nationaux. J'évoque notamment dans ma recherche les Inforoutes de l'Ardèche, ou encore les cas de Parthenay et Issy-les-Moulineaux qui sont parmi les plus célèbres laboratoires du numérique. Mais d'autres villes se lancent également. Au niveau du gouvernement de Lionel Jospin, il y a ceux qu'on a appelé le « Commando de la Matignon Valley », avec Jean-Noël Tronc et un certain nombre de conseillers ; on assiste à un vrai tournant, vers une politique visant à faire passer les services de l'État en ligne, à inciter les ministères à développer une présence sur la Toile.
 
 
1995-1996, vous dites que c'est une période charnière ?
 
Valérie Schafer : On parle des autoroutes de l'Information, une expression forgée par Al Gore, dès 1994-1995. Mais le discours d'Hourtin que fait Lionel Jospin pour appuyer le passage à Internet à l'université d'été de la communication, c'est 1997, le PAGSI déjà évoqué qui définit des axes prioritaires pour passer à la « société de l'information », c'est 1998. Ça peut paraître assez tardif. Par contre, François Fillon (alors ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace), dès 1996, s'est penché sur les questions de régulation. L'affaire Gubler va entraîner alors une prise de conscience du Web par les politiques : le médecin de François Mitterrand, Claude Gubler, a publié un livre, Le Grand Secret, en janvier 1996, quelques jours après la mort de François Mitterrand, révélant que le Président savait qu'il était malade depuis 1981, que les communiqués médicaux étaient mensongers, etc. Ce livre, interdit en librairie en 1996, est mis en ligne par le propriétaire d'un cybercafé de Besançon. Et les politiques prennent ça de plein fouet. Ils réalisent que quelque chose de nouveau est en train de se produire, d'autant que le livre est copié et circule internationalement malgré son interdiction.
 
 
C'est la première fois ?
 
Valérie Schafer :
 On prend également conscience que le Minitel est peut-être en passe d'être dépassé et qu'il va falloir adopter Internet 
En France, oui, et cela constitue un tournant. Après, il y a eu d'autres affaires politiques très suivies en ligne, par exemple celle entourant Monica Lewinsky en 1998 qui, comme d’autres, a fait prendre conscience aux politiques que la Toile pouvait être redoutable.
En 1997-1998, on prend également conscience que le Minitel est peut-être en passe d'être dépassé et qu'il va falloir adopter Internet. Lionel Jospin le dit très clairement. Il invite les opérateurs télécoms à montrer l'exemple. Ce retard, par rapport à d'autres pays, est aussi lié à un retard en équipements. Il faut rappeler que s'équiper à l'époque en ordinateurs, en connexions, acheter un modem, souscrire un abonnement à un FAI, etc., cela coûte cher.
 
Tout cela a un vrai coût, qu'on oublie... on a l'impression qu'Internet et le Web, aujourd'hui, c'est quasiment gratuit. À l'époque, il n’y pas avait cette impression-là... Il y a eu un apprentissage progressif, au bureau, dans les cybercafés. Il y eut aussi toutes ces bornes, comme les cyberpostes dans les lieux publics. Le rôle de l’école et de l'université a été également très important.
 
Quel rôle a joué l’Université ?
 
Valérie Schafer : Je vais prendre un exemple très personnel. J'ai découvert le Web assez tardivement, par rapport à d’autres, lorsque j’étais en formation à l’IUFM, en 1999, au moment où je devenais enseignante. Je n’étais pas une pionnière, loin s'en faut ! Le formateur s'était contenté de montrer qu’on pouvait surfer sur le Web, comment on y accédait, etc. Je me souviens qu'à l’époque, je n’étais pas la seule à découvrir un univers qui nous était resté jusque-là étranger. Les universités ont joué un rôle de médiation.
 
Le système éducatif a vraiment un rôle à jouer et encore aujourd'hui, évidemment : on parle d’apprentissage du code et de l’informatique à l’école. Au-delà l'école a un vrai rôle d’éducation aux médias, notamment au numérique, à poursuivre et même à renforcer, même si des formations existent déjà depuis plusieurs années. La dextérité des jeunes sur les smartphones et tablettes ne veut évidemment pas dire qu’ils aient la capacité de comprendre et d'analyser l’information, et si les parents dans certains cas assument également pleinement ce rôle d'apprentissage, ce n'est pas toujours le cas. 
 
Comme vecteur d’apprentissage dans les années 1990, j'y pense, il me faut aussi citer le rôle des kits de connexion : j’évoque notamment dans mon travail la collection d'Alain Letenneur, qui a rassemblé ces kits de connexion. C'est une source extraordinaire. Il s'agit de ces petits cartons qui contenaient un CD pour accéder à une connexion Internet et tester un FAI, avec des slogans, distribués dans les grandes surfaces, dans la presse spécialisée, ou par d'autres canaux. Cela va contribuer aussi au paysage visuel de l’Internet et du Web. Avec ces supports, ces documents, même si on ne surfe pas, on se forge déjà une image, un imaginaire pour reprendre l’expression de Patrice Flichy dans son ouvrage fondateur de 2001 L'imaginaire d'Internet.
 
 
Vous évoquiez cette idée d’un retard français en matière d’informatisation et d'adoption du Web ? Peut-on dire que c’est à cause du Minitel ?
 
Valérie Schafer : Indéniablement nous n’avons pas été en avance... Lorsqu’on compare le nombre de sites développés en France en 1997, on en compte un peu plus 20 000, aux 800 000 qui existent aux États-Unis... Ce n’est pas la même population, certes, mais nous sommes très clairement distancés. Nous sommes effectivement mal équipés en micro-ordinateurs par rapport à d’autres pays européens. Nous avons aussi un système national de communication en réseau qui existe déjà, particulièrement soutenu par les télécoms et qui rapporte de l'argent, le système lié au Minitel. On serait tenté de dire que le Minitel était plus facile, mais que le Web était plus riche en contenus. En fait, ce n’est pas toujours le sentiment des premiers utilisateurs qui se sentent souvent perdus dans la Toile, parce qu'il y a beaucoup de contenus en anglais. Et certains ont aussi ce sentiment qu'il n’y a personne qu'ils connaissent sur le Web ; et il n’y a pas encore de moteurs de recherche : comment trouver le bon annuaire, le bon contenu ? Tout ça était en train de se mettre en place.
 
Donc le Web, ce n’est pas tellement plus facile au départ, ce n’est pas plus rapide, du coup, lors des premières navigations et ça coûte cher en investissement initial. Il faut ajouter à cela que les acteurs historiques de services sur Minitel sont plutôt heureux du système kiosque, très rémunérateur, et que pour le Web, le modèle économique est encore à inventer. Au milieu des années 1990, le Minitel permet encore d'engranger des bénéfices ; les opérateurs télécoms commencent en parallèle à s'intéresser à la Toile, parce qu’ils sentent bien qu’il va falloir y aller, mais sa rentabilité n'est, alors, pas évidente.
 
Enfin, notons que les Français ont mis du temps à s’équiper mais quand ils se sont faits à ces nouveaux usages, ils ont rapidement comblé le retard. Par exemple dans le domaine du commerce électronique, ils achètent facilement, et plus rapidement que d'autres, sur le Web.
 
Plus que nos voisins européens ?
 
Valérie Schafer : Avec Benjamin Thierry, nous avons mené une étude à ce sujet et constaté en effet que les Français passent assez rapidement au commerce électronique par rapport à certains de leurs voisins européens, car ils ont déjà une certaine habitude avec le Minitel. Leur culture numérique, finalement, était déjà là. Le passage au numérique des services de l’État, aussi, était préparé par le Minitel. Un certain nombre de bases de données sont ainsi ré-exploitées sur le Web.
 
On ne va pas nier le fait que la France n’a pas été rapide, que le Minitel a été un facteur expliquant que les Français ne se soient pas rués sur le Web, l’attitude des télécoms a été aussi réticente, le Minitel rapportait tellement... Mais Wanadoo va rapporter aussi, il fallait le temps de cette transition. En quelques années, on rattrape ce qui a été un retard.
 
Est-ce qu’il y a eu des mythes, des espoirs, des illusions, spécifiquement français ?
 
Valérie Schafer : Je dirais qu’il y a eu un grand espoir porté par les autoroutes et la société de l’information, commun à l’Europe, je citerai ainsi le rapport européen Bangemann de 1994. L'idée des autoroutes de l'information vient, certes, des États-Unis mais a inspiré en France les acteurs de la décentralisation, les communautés rurales. Quand on parle des Inforoutes de l’Ardèche, mobilisation de plusieurs acteurs en faveur des réseaux dans une association économique des vallées du Doubs et du Rhône moyen, on est en présence d’un nouvel espoir, celui de « revivifier les territoires... ». En France, c’est moins de démocratie électronique dont il est question (si l’on compare avec les États-Unis), mais bien de l’idée qu’on va sortir un grand nombre de territoires de leur enclavement, leur redonner une vitalité. On parle aussi du télétravail, ce qui suscite des inquiétudes, questions déjà soulevées par des syndicats lors du développement du Minitel.
 
Des espoirs de transformation grâce au Web, on en trouve aussi dans les rapports étatiques. Le Web allait pouvoir développer le commerce. Il y avait ce slogan qu’on répétait à l’envie : on pouvait être petit mais avoir l’air gros sur le Web, ça remettait les acteurs presque à égalité. Les rapports étatiques ont balayé, autour de 1997, de très nombreux champs qui allaient de la culture à l’éducation, en passant par le commerce. On cherchait à comprendre les bouleversements, et, selon les auteurs, on oscille entre un « tout est possible » et une certaine peur des bouleversements à venir.
 
 
Comment, à cette époque, la télévision parle-t-elle du Web ?
 
Valérie Schafer : Inès Marotte, une étudiante de Pascal Griset, qui a été le garant scientifique de mon habilitation à diriger des recherches, a fini en 2015 un mémoire de master qui propose une analyse minutieuse, à partir des archives de l’Ina, de tous les journaux télévisés de ces années 1990 et, plus largement, de la représentation du Web et de l’Internet à la télévision. Son étude confirme un certain équilibre entre « vision positive » et « vision négative » données par la télévision, que j’avais appréhendées de façon plus généraliste dans mon HDR, en prenant quelques exemples choisis. Je suis, par exemple, revenue sur les tâtonnements terminologiques des journalistes, ils parlent à l’époque d’un domaine qu’ils ne maîtrisent pas encore bien, mélangent parfois Internet et le Web, parlent de « super Minitel » pour rendre l'image familière aux Français.
 
Il y a eu également des émissions dédiées, sur Canal+, sur Arte, mais effectivement, on peut dire que la télévision a traité de manière un peu schématique la question du Web, à ses débuts. La presse généraliste a peut-être mieux rempli alors son rôle de médiateur. Dans le cadre d'un post-doctorat mené au sein du projet Web90, Stéphanie Le Gallic a aussi mené une étude passionnante des publicités des FAI à partir des fonds de l'Ina. Là encore, je n'avais pas mené un travail aussi systématique et les travaux qu'elle a poursuivis et qui sont en cours de publication nous apprennent beaucoup sur les stratégies de communication des acteurs de l'Internet et du Web.
 
 
Il y a une notion que vous interrogez, celle de « révolution numérique » …
 
Valérie Schafer : C’est un terme qui fait débat, de même qu’on ne parle pratiquement plus de « révolution industrielle », mais d’industrialisation. On est confronté à un problème identique avec la révolution numérique. Le terme de révolution est connoté comme un moment de basculement brutal, alors qu’en fait, ces événements s’étendent dans le temps et ne se font pas au même rythme pour tous.
 
Alors, on peut dire qu'il n’y a pas une « révolution numérique » brusque, même s'il y a bien évidemment des ruptures, dans nos façons de travailler, dans nos temporalités, dans nos identités, dans tous les domaines de la société, c’est indéniable. Apparaissent des changements que l'on peut ancrer dans un temps plus long. Et on voit aussi des continuités, des échos, des évolutions, dans les pratiques de communication, dans les écritures, je pense ici au livre de Clarisse Herrenschmidt, par exemple, Les Trois Écritures : langue, nombre, code.
 
Donc, « révolution numérique » n’est pas un terme que j’emploie. Par contre, c’est un terme qui m’intéresse en tant qu’historienne pour situer comment cette notion est véhiculée, quels acteurs l'utilisent, à quel moment elle apparaît, est contestée, etc.
 
Vous dites qu’il y a des instrumentalisations ou des usages politiques de l’histoire de l’Internet…
 
Valérie Schafer :
 On ne s’attend pas en abordant l’histoire de l’Internet ou du Web à se trouver en présence de conflits, de guerres de mémoires 
L’histoire s’écrit rarement sans tensions, il y a évidemment des sujets plus polémiques et des périodes de l’histoire qui sont beaucoup plus sensibles. Mais on ne s’attend pas en abordant l’histoire de l’Internet ou du Web à se trouver en présence de conflits, de guerres de mémoires. Nous avons cependant affaire à des témoins vivants, à de grands acteurs et à des gens qui revendiquent fermement des paternités, des innovations. Comment, pour l’historien, situer tous ces acteurs, collectifs, car il n’y a pas « un » père de l’Internet et donc toute appréciation peut faire polémique ? Ces revendications de paternité font justement débat. Par exemple, Shiva Ayyadurai dit qu’il a inventé l’e-mail, alors qu’on reconnaît, bien sûr, le rôle fondateur dans le champ du courrier électronique de Ray Tomlinson et d’autres.
 
Il existe aussi des prises de positions politiques, idéologiques. Ainsi, un spécialiste de la haute technologie, Gordon Crovitz, a écrit un article au moment de la seconde campagne d'Obama minimisant le rôle de l'Arpa et du gouvernement américain dans la naissance d'Internet. Son argument était que ce n’est pas le secteur public qui a développé Internet à partir de financements universitaires, militaires, publics, mais c’est le privé, c’est Xerox. Xerox a joué un rôle dans les réseaux, mais l'auteur cherchait à survaloriser ce rôle dans le but de mettre en avant le secteur privé américain.
 
Je pense aussi à la couverture du Times, en 2006, qui mettait en valeur comme personnalité de l’année « You », les « Vous », le public, en gros les utilisateurs ; mais après ce sera à Mark Zuckerberg, par exemple, d’être en couverture en 2010… Qui tire la couverture dans cette histoire ? De fait, une multitude d’acteurs la compose et c’était aussi l’intérêt de cette histoire française à laquelle j’ai travaillé que de les suivre, qu'ils soient fournisseurs d'accès, hébergeurs, créateurs de contenus, politiques ou encore simples internautes.
 
 
Comment la vision du Web s’est-elle transformée dans le monde universitaire ?
 
Valérie Schafer : Aujourd’hui, on voit le Web nourrir la télévision... Il y a quelques années cet objet n’était pas considéré comme faisant pleinement partie de l’histoire des médias. À titre personnel, je ressens le tournant avec le numéro du Temps des médias que l’on a fait avec Jérôme Bourdon en 2011(1). Le fait que son comité de rédaction décide de dire : on peut consacrer un numéro dans Le Temps des médias à l’histoire d’Internet — c’était l’un des premiers dossiers, voire le premier dossier de revue historique en France sur ce sujet —, c’était la reconnaître et l’inscrire pleinement dans l’histoire des médias.  Je découvre alors les archives du Web grâce à un historien danois, Niels Brügger. Et là, s’ouvre tout un nouveau monde de sources... Aujourd’hui, les historiens des médias doivent évidemment prendre en compte aussi le numérique pour les périodes les plus contemporaines.
 
 
L’histoire du net est, de fait, très récente...
 
Valérie Schafer : Elle a d’abord été racontée par ses acteurs. Il faut citer ensuite le caractère fondateur en France de la thèse sur l’histoire d’Arpanet en 2000 d’Alexandre Serres, qui aujourd’hui travaille à l’URFIST de Rennes. Et les travaux, bien sûr, de Patrice Flichy, fin 1990, début 2000, comme L’Imaginaire d’internet. Les historiens quant à eux attendaient...
 
Aujourd’hui, on voit que les chercheurs travaillent sur de nouveaux objets, certains s’intéressent plus spécifiquement aux réseaux sociaux numériques ou aux usages. On a parlé précédemment d’historiographie. Ce que je trouve fascinant aujourd’hui,c’est de voir des chercheurs qui travaillent sur les cookies, les spams, les gifs. La recherche ne porte pas seulement sur un objet unique et global, à savoir Internet ou le Web, mais sur des aspects diversifiés et transversaux des cultures numériques, et je pense que c’est une tendance qui va s’accélérer...
 
Il y aura aussi de plus en plus, je crois, d'études faisant dialoguer des systèmes techniques et médiatiques, pensant les expériences antérieures au Web, les BBS (Bulletin board system), d'autres réseaux et partages de contenus, d'autres écosystèmes comme le Minitel. Benjamin Bayart, un acteur historique qui a créé French Data Network, un des premiers FAI militants, soulignait ce paradoxe : nous sommes peut-être dans une phase de « minitélisation » d’Internet et du Web. Il note que sont créés, de plus en plus, des systèmes fermés propriétaires, c’est l’ambition des grands acteurs et nous sommes, selon lui, est en train de retomber, paradoxe de l’histoire, dans ce qu’il nomme le « Minitel 2.0 ».
 
Il y a des retours d'idées, des tendances qui traversent aussi les décennies. Il serait, par exemple, intéressant de revenir sur une vision longue de l'informatique et du numérique par les dirigeants politiques français. Là, on pourrait revenir sur des périodes qui sont, depuis De Gaulle et le Plan Calcul, particulièrement intéressantes. Et puis, il y a des acteurs à interroger, je pense à Jacques Attali, Simon Nora, Alain Minc.
 
 
Existe-t-il une histoire du Web européen et avez-vous des alter ego dans d’autres pays ?
 
Valérie Schafer : Cette question me fait plaisir ! Elle me permet d'évoquer le dynamisme des recherches européennes. Je reviens d’un workshop de deux jours à l’université d’Aarhus au Danemark, où travaille Niels Brügger que j’évoquais, et qui est l’un des pionniers, parmi les historiens qui se sont intéressés aux archives du Web. On a travaillé deux jours sur le thème : comment reconstruire les « Webs nationaux »? Chacun venait avec ses reconstructions : distribution de noms de domaine, reconstruction de la Toile via les archives, etc. Avec des méthodes très différentes. Étaient également présents les Britanniques Jane Winters et Peter Webster, qui travaillent sur l’histoire et les archives du Web en Grande-Bretagne ou Federico Nanni, qui est d’origine italienne et qui s’emploie à reconstruire l’histoire du site de l’université de Bologne à partir d’archives Web éparses. Et des chercheurs internationaux comme Ian Milligan et Anat Ben-David, qui, cette fois, présentait une nouvelle étude sur le Kosovo. Autant de chercheurs passionnés d'archives du Web et plus généralement d'histoire du Web, dont les travaux sont passionnants. Les Belges nous ont aussi annoncé qu’ils allaient commencer à archiver leur Web ! Et en France, je ne suis pas seule non plus. En particulier, j'ai la chance de travailler depuis fin 2014 au sein du projet ANR Web90 avec sept autres enseignants-chercheurs passionnés. 
 
J'ai donc des homologues européens, bien sûr. Et il existe fort heureusement des collaborations entre chercheurs européens, des rencontres, des sujets transnationaux et des points de convergence entre les différents pays et leurs recherches. Ce qu’on essaie aujourd’hui de faire dans le cadre du groupe européen RESAW porté par Niels Brügger, c’est de travailler avec l’Ina, la BnF, la British Library, la Bibliothèque royale danoise, l'équipe d'Arquivo.pt au Portugal et bien d’autres, pour créer des passerelles entre archives du Web européennes qui faciliteraient les recherches à thématique transversale. Car les collaborations nationales et européennes se font entre chercheurs, mais aussi avec le monde des archives du Web et ceux qui œuvrent à nous fournir, depuis les premiers archivages par Internet Archive en 1996, cette matière nouvelle, riche, passionnante et qui enfle chaque jour ... 

 
Propos recueillis par Isabelle Didier, François Quinton, Philippe Raynaud

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Crédit photo :
Didier Allard - Ina
(1)

Jérôme BOURDON, Valérie SCHAFER, sous la direction de, « Histoire de l’internet, internet dans l’histoire », Le Temps des médias n°18, Printemps 2012

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