Des situations éditoriales à nuancer
La situation ivoirienne est représentative du marché du livre africain dans sa globalité : il est facile de réduire le marché de l’édition africaine à un rapport de domination/néocolonialime de l’édition du Nord (française, ou bien britannique, dans le cas de l’Afrique anglophone) en l’absence de données provenant d’Afrique. C’est bien là toute l’ambiguïté d’un accès unilatéral aux données : dans un contexte où les principales informations accessibles proviennent du livre étranger, il est difficile de rendre compte des subtilités et de la diversité de marchés du livre en constante mutation, que ce soit sur le plan intellectuel de la diversification des genres et des catalogues, de la dimension physique des expériences de diffusion/distribution intra et extra africaine, ou encore des enjeux technologiques des nouvelles perspectives du numérique.
Il serait en effet grand temps d’intégrer aux statistiques du livre francophone des chiffres de production tels que ceux avancés par l’éditeur ivoirien Dramane Boaré (Les Classiques Ivoiriens) dans Jeune Afrique en 2016 : 200 000 nouveaux exemplaires écoulés par an, un chiffre d’affaire de 1,2 milliard de francs CFA en 2014 (1,8 million d’euros) et une prévision de croissance de 10 % à 12 % pour le bilan d’exercice 2015.
Si on considère les 54 États africains, on pourrait en effet et sans nul doute distinguer 54 situations et marchés différents, répondant à des logiques communes aussi bien que particulières.On pourrait d’ailleurs faire la même analyse d’un marché du livre européen à un autre. Il est à ce sujet très intéressant de rappeler le propos tenu par l’éditeur camerounais Serge Dontchueng Kouam en 2014
à propos des difficultés de vente de livres en ligne depuis l’Afrique : « L’Afrique est considérée comme un continent de consommation, si bien que les systèmes de paiement qui se mettent en place à l’échelle mondiale ne voient en l’Africain qu’un acheteur, mais pas quelqu’un qui peut proposer un service payant à partir des outils numériques, c’est là le fond du problème. »
On a en effet trop tendance à résumer l’édition africaine à ses difficultés ou, au mieux, à la « débrouillardise » de ses professionnels et, au final, à ne pas assez prendre en compte les nombreux développements à l’œuvre dans les différents pays francophones. Constater les réalités éditoriales commence tout d’abord par voir les livres africains, très simplement, sous leur forme physique. Ceux-ci sont par exemples présentés chaque année lors des foires du livre jeunesse de Bologne et de Montreuil, mais aussi lors de salons et foires plus généralistes comme Genève et Paris.
Et si l’enjeu principal de la visibilité d’une édition repose avant tout sur sa diffusion et sa distribution professionnelles, on peut alors considérer que des opérateurs comme
l’African Books Collective à Oxford,
la Librairie Numérique Africaine à Dakar,
l’Oiseau Indigo-Bookwitty entre Arles et Beyrouth, l’International Specialized Book Services de Portland jouent ce rôle, autant au niveau du livre numérique pour les uns que du livre papier pour les autres. On pourrait aussi mentionner
l’organisation canadienne Meabooks, qui propose des productions de tout le continent africain, particulièrement à l’intention des bibliothèques intéressées par les collections africaines.
On constatera encore avec un égal intérêt l’essor de la Foire internationale du livre de Sharjah, (Émirats arabes unis) et l’organisation de la « Capitale mondiale du livre 2017 »,
dont l’Unesco a fixé la résidence à Conakry (Guinée), et les répercussions économiques et médiatiques que ces événements opèrent sur l’édition africaine.