Quelles ambitions pour l’audiovisuel public français ?

Quelles ambitions pour l’audiovisuel public français ?

Le service public de l’audiovisuel français a toujours été tributaire d’enjeux financiers et politiques. Composé de nombreuses radios et télévisions, le secteur traverse une crise de réinvention de ses missions et des moyens que lui alloue l’État, dans un univers hyper-concurrentiel.

Temps de lecture : 16 min

Alors que le rétablissement de la radio-télévision publique grecque (ERT) en juin 2015 sonne comme une note d’espoir dans un pays en crise (1), en France, le service public de l’audiovisuel ne cesse d’être remis en cause : chaînes trop nombreuses, redevance excessive pour une majorité de contribuables, bilans financiers déficitaires, manque de vision politique et de coordination, opacité de la nomination des présidents, management inefficace, etc. Dans un contexte de rigueur économique et d’hyperconcurrence médiatique, les médias audiovisuels publics français doivent impérativement trouver leur vocation de médias du XXIe siècle.

Le secteur public de l’audiovisuel : un enjeu politique

Le secteur public de l’audiovisuel est aujourd’hui constitué d’une myriade d’entreprises qui ont toutes en commun un même actionnaire, l’État français, et des obligations de service public. Les groupes France Télévisions (FTV) et Radio France rassemblent la plupart des chaînes et stations publiques. Entreprise unique depuis 2010, FTV compte désormais France 2 (chaîne généraliste), France 3 (chaîne de proximité), France 4 (chaîne jeunesse), France 5 (chaîne du savoir et de la découverte), Outre-Mer 1ère (réseau ultramarin) et France Ô (chaîne multiculturelle). Radio France n’est pas en reste avec France Inter (station généraliste), France Bleu (réseau régional), France Info (station d’information), France Culture (station culturelle), France Musique (station de musique classique), Mouv’ (station destinée à la jeunesse) et FIP (station musicale et d’info-trafic). S’y ajoutent le groupe France Médias Monde, dont les programmes sont destinés à l’international (RFI, France 24, MCD), les chaînes parlementaires (Public Sénat, LCP) et l’Institut national de l’audiovisuel (Ina, chargé notamment de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine audiovisuel). L’État français détient également des parts importantes dans la chaîne culturelle franco-allemande, Arte (Association relative à la télévision européenne), et la chaîne francophone, TV5 Monde.
 

 L‘audiovisuel public constitue un enjeu majeur de pouvoir  

S’il a maintes fois changé de nom et d’organisation depuis 1945 — RDF (Radiodiffusion française, 1945-1949), RTF (Radiodiffusion-Télévision française, 1949-1964), puis ORTF (Office de radiodiffusion télévision française, 1964-1974) —, l‘audiovisuel public, longtemps monopolistique, est marqué par une constante : il constitue un enjeu majeur de pouvoir et de représentation de la société. Pour le secteur de la radiodiffusion et la télévision, la notion de service public a toujours été complexe et composite (2). Parmi ses trois grandes missions historiques, « Informer, éduquer, distraire », plus que l’éducation et le divertissement, c’est l’information qui intéresse réellement les différents gouvernements au pouvoir. Ce qui suscita et suscite encore de nombreuses critiques de servilité à propos de ces médias vis-à-vis des pouvoirs en place…

Lorsque l’ORTF éclate en 1974, le monopole est maintenu au travers de sept nouvelles entreprises, qui fonctionnent dès lors comme des sociétés de droit privé avec des obligations de services publics : quatre de programmes (Télévision française 1, Antenne 2, France Régions 3 et Radio-France) et trois de services (Télédiffusion de France, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et la Société française de production (SFP). La loi sur l’audiovisuel du 29 juillet 1982 met fin au monopole d’État, mais crée une instance pour réguler ce nouveau « marché » de l’audiovisuel : la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA), censée s’interposer entre l’audiovisuel et le pouvoir, notamment en nommant les présidents des médias publics.

Preuve de son impuissance, la Haute Autorité ne résiste pas à l’alternance politique : elle est remplacée par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL, 1986-1989) qui, a son tour, laisse place au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, 1989-…). C’est pourquoi, à l’instar de la crise que vient de traverser Radio France, ou des soubresauts réguliers de France Télévisions depuis quelques années, les médias publics français sont régulièrement ébranlés par les nominations de leurs présidents (3). Qu’il s’agisse d’une prérogative présidentielle (avant 1982 et sous la présidence de Nicolas Sarkozy, 2007-2012) ou d’un choix dévolu à l’instance de régulation, cette nomination est toujours au cœur du débat politique.

Seul fournisseur en France pendant les trente décennies d’après-guerre des chaînes de télévision et largement dominant pour les stations de radio, le service public trouvait ainsi la justification même de son existence ; dès lors que d’autres acteurs commerciaux sont venus le concurrencer, il est devenu nécessaire pour l’État d’en définir et légitimer les missions.

Aujourd’hui, sous prétexte de service public, les médias audiovisuels publics français sont en réalité toujours soumis à une pression politique et financière que nos voisins européens, notamment allemands, ont su dépasser au profit des principes d’indépendance et d’intérêt général.

Un modèle économique déficitaire

Le financement des médias publics français se distingue à la fois des modèles nord-européens — redevance élevée — et latins — large place faite à la publicité. L’audiovisuel public français bénéficie, en effet, d’un financement mixte qui mêle des ressources propres (publicité très limitée, voire interdite, et/ou parrainage) et, surtout, d’importantes dotations publiques (contribution à l’audiovisuel public (CAP) ex-redevance, et budget de l’État, seules les chaînes LCP et Public Sénat sont directement financées par le Parlement).

En 2014, bien que les entreprises audiovisuelles publiques soient déjà déficitaires et les budgets publicitaires en baisse, Bercy annonce la suppression graduelle de la dotation complémentaire de l’État au secteur audiovisuel public, qui passera de 292 millions en 2014 à 29 millions en 2017, soit une baisse de 263 millions d’euros, que le gouvernement dit vouloir compenser par la hausse chaque année de la CAP. Ce qui laisse une marge d’incertitude qui inquiète les professionnels…

Fixée par le Parlement, cette taxe fiscale atteint aujourd’hui 136 euros (soit 3 euros de plus qu’en 2014) par foyer imposable en métropole, une somme déjà jugée trop élevée par 70 % des Français, alors même que seuls 20 % d’entre eux disent savoir à quoi elle sert exactement (4). (contre environ 175 euros en Grande-Bretagne, 215 euros en Allemagne).

Crédits 2015 de laudiovisuel public (en millions deuros TTC) (5) :

  • France Télévisions : 2369 M€
  • Radio France : 614 M€
  • Arte France : 267 M€
  • France Médias Monde : 247 M€
  • INA : 89 M€
  • TV5 Monde : 77 M€

Total : 3,66 milliards d’euros

C’est le groupe France Télévisions qui dispose de la majeure partie des ressources publiques attribuées à l’audiovisuel public : 2 481 millions d’euros (hors taxes), dont 2 320,6 millions d’euros (hors taxes) de la Contribution à l’audiovisuel public et 160,4 millions d’euros de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Cette dotation est néanmoins déjà en baisse de 4,6 millions d’euros par rapport au montant inscrit au plan d’affaires de l’avenant 2013-2015 au contrat d’objectif et de moyen (COM)(6).

Malgré la mise en place d’une politique de départs volontaires, Rémy Pfimflin, son président sortant, n’a, de son côté, par réussi àrespecter le COM de 2013 fixant la barre à9 750 salariés équivalents temps pleins, les charges de personnels de l’entreprise publique représentent 35,3 % des charges d’exploitation en 2014. En avril 2015, le groupe compte donc encore 9 953 salariés.

L’important manque àgagner dûàla disparition de la publicitéaprès 20 heures par la loi de 2009 (maintenu néanmoins en journée par la loi sur l’audiovisuel public promulguée le 15 novembre 2013), couplé à la baisse des dotations publiques au budget de France Télévisions, a suscitédes discussions sur d’éventuelles compensations, sans résultat.La nouvelle présidente du groupe, Delphine Ernotte, devra prioritairement s’atteler àcette épineuse question sociale et budgétaire, le déficit prévisionnel pour l’année 2015 s’élevant à 10 millions d’euros (contre 5 millions initialement attendus).


Deuxième plus gros budget de l’audiovisuel public, Radio France emploie 4 380 salariés en CDI, et de très nombreux intervenants extérieurs : pas moins de 15 890 CDD en 2014 (7). Trois mois après la longue grève des salariés (28 jours en mars et avril 2015), le président du groupe, Mathieu Gallet, prévoyant également un déficit inédit de 21 millions d’euros, poursuit les discussions avec les syndicats et le gouvernement pour parvenir à rééquilibrer son budget en 2017 en réduisant les effectifs (8). Le nouveau président mise également sur la suppression du réseau historique des grandes et moyennes ondes, chiffrant l’économie réalisée par la fermeture de ces émetteurs à 13 millions d’euros, mais privant de ce service public de vastes zones de province qui ne reçoivent pas le réseau FM « multiville ».

 Toucher à un média de service public demeure périlleux 

Afin de baisser le coût d’un secteur public de l’audiovisuel devenu encombrant pour son actionnaire, il est régulièrement question de réduire le nombre de chaînes par la revente (les parts de FTV dans la chaîne familiale Gulli ont été rachetées par le groupe Lagardère en 2014), la fusion (débat concernant les chaînes LCP et Public Sénat), le transfert sur Internet, voire la fermeture de stations de radio ou de chaînes de télévision (les médias « jeunesse » tels que Mouv’ ou France 4). Mais si une simplification de l’offre publique semble justifiée, toucher à un média de service public — notamment en supprimant une antenne — demeure particulièrement périlleux.

Une audience fragilisée

Les chaînes publiques concentrent encore environ 30 % de l’audience de la télévision en France (9). En juin 2015, avec 14,3 % de parts d’audience (PDA), phénomène rare qui mérite d’être signalé, France 2 progresse même par rapport à l’année précédente de 0,8 points, France 3 est stable à 9 %, France 5 et France 4 gagnent 0,2 points, tandis que, dans le même temps, TF1 voit son audience s’éroder de 3,2 points (21,4 % de PDA en juin 2015 contre 24,6 % l’année précédente).

Concernant les première parties de soirée qui constituent l’enjeu d’audience principal des chaînes de télévision, sur France 2, la hausse la plus forte de la saison 2014-2015 se situe le mercredi (15,9 % de PDA en moyenne contre 13,2 % la saison précédente), portée par des fictions françaises telles que la série Fais pas ci fais pas ça et, surtout, le succès d’une nouvelle série : Disparue. De même, sur France 3, c’est la collection de téléfilms français Meurtres à… qui permet à la chaîne de générer sa meilleure audience le samedi avec 13,1 % d’audience, témoignant de la vitalité du groupe dans la production et la diffusion de fictions françaises (68,8 % de l’offre de fiction en première partie de soirée sur France 3 et 63,1 % sur France 2 en 2014 (10).

Malgré la baisse des dotations budgétaires, France Télévisions reste le premier investisseur de la création audiovisuelle française (fiction, documentaire, animation, spectacle vivant), avec un niveau d’investissement supérieur à400 millions d’euros (11).

Néanmoins, le positionnement de FTV est fragilisé, comme le souligne le rapport du groupe de travail sur l’avenir de France Télévisions coordonnépar Marc Schwartz (12), notamment en raison de la révolution numérique : diversité des usages et des écrans, univers concurrentiel accru (les 25 chaînes gratuites de la TNT), télévision de rattrapage, SVOD (vidéo à la demande par abonnement), chaînes YouTube, plates-formes numériques, etc. Face à cette évolution du marché des contenus vidéo, le public de la télévision publique linéaire vieillit et se disperse. Si Rémy Pfimlin avait pour ambition d’abaisser l’âge moyen des téléspectateurs de France 2 de 55 à 45 ans durant son mandat entamé en 2010, en 2015, l’âge moyen du public des trois principales chaînes publiques France 2, France 3 et France 5 est désormais compris entre 58 et 60 ans (13). Le public d’Arte, 2,1 % de PDA en moyenne sur la saison 2014-2015, poursuit également son vieillissement avec une audience composé à 59 % de plus de 60 ans (14).

Pour pallier la pression de l’audience et favoriser une certaine audace dans la programmation, le service public fait régulièrement appel à des enquêtes de satisfaction : les programmes France Télévisions dominent ainsi le baromètre « Quali TV 2014 », sondage réalisé en temps réel, commandé par le groupe lui-même (15). Selon l’étude, France 5 est la chaîne qui a donné le plus satisfaction en première partie de soirée (prime time). D’ailleurs, à la question « si les chaînes publiques venaient à disparaître, laquelle regretteriez-vous le plus ? », la chaîne arrive également en deuxième position derrière France 2 et, dorénavant, devant son aînée France 3. (Source : Sondage Télérama/ Harris Interactif.)
 

Plus largement, le « Top 20 » des programmes les plus « satisfaisants » des premières parties de soirée du « Quali TV 2014 » place en tête des émissions événementielles, toutes diffusées sur les chaînes du groupe : le rendez-vous de musique classique, Musiques en fête (France 3), le cinquième épisode du documentaire historique Apocalypse, la première guerre mondiale (France 2), le magazine Aventures de médecine (France 2), le documentaire Rendez-vous en terre inconnue (avec Mélissa Theuriau, France 2) et le téléfilm Malgré elles (avec Macha Méril, France 3).

Les radios publiques, sur la période d’avril à juin 2015, comptabilisent quant à elles 20,2 % de PDA (hors FIP et Mouv’), malgré la longue grève de leurs personnels. La généraliste France Inter rivalise même avec les radios privées : avec 8,8 % de PDA, elle se positionne en deuxième position derrière RTL (11,8 %) et devant Europe 1 (7,6 %).


Ambassadrice de la France et de la francophonie à l’international, RFI est écoutée par 34,5 millions d’auditeurs à travers le monde, notamment en Afrique (80 % de l’audience), en Amérique du Sud (10 %) et en Europe (3 %) (16). Néanmoins, comme pour la télévision, les radios publiques peinent à séduire les plus jeunes : les multiples tentatives pour faire évoluer Mouv’ (ex-Le Mouv’) se soldant par des échecs.

Des missions impossibles ?

Depuis le tournant des années 1980, et l’apparition des chaînes de télévision et stations de radio privées, le secteur audiovisuel public s’est régulièrement réinventé afin de faire face à la concurrence, aux évolutions technologiques et aux nouveaux usages, tout en cherchant à respecter toujours plus de missions de service public — alors même que les contraintes budgétaires imposées par les différents gouvernements ne cessent de croître.

Pour définir le cadre juridique des médias publics, les législateurs se fondent sur trois grands principes :

« - un secteur public généraliste qui informe, éduque et divertit,

-   un secteur public qui favorise la création et la production d’œuvres originales,

-   un secteur public qui élargit son offre de programmes et développe les nouvelles techniques de production et de diffusion. » (17).

 Ce mille-feuille législatif rend la réalisation de l’ensemble des missions de service public plus ardues  

La loi du 30 septembre 1986, les cahiers des charges des chaînes fixés par décret et les contrats d’objectifs et de moyens (COM) signés entre les médias publics et l’État permettent aux présidents des médias publics de fixer des orientations visant à respecter ces principes fondamentaux. Ce mille-feuille législatif et réglementaire rend la réalisation de l’ensemble des missions, dites de service public, d’autant plus ardues.

Le dernier COM de France Télévisions (2011-2015) définit des objectifs de pluralité, de diversité et d’organisation du groupe : « Fédérer tous les publics grâce à des chaînes aux identités renforcées et à une offre numérique, placer la création au coeur de la stratégie pour faire partager au plus grand nombre des programmes ambitieux et innovants, être exemplaire dans la promotion du pluralisme et de la diversité, faire de l’entreprise unique un modèle d’organisation responsable et efficace ». Deux ans plus tard, le Cahier des charges de France Télévisions d’avril 2013 liste à son tour de nouveaux engagements sur les programmes, la programmation, la publicité et prône une télévision de service public responsable et ouverte sur la société (une télévision citoyenne, au cœur de la cité).
 

Surtout, dans l’attente du prochain COM, la nouvelle feuille de route du gouvernement présentée en mars 2015 redéfinit les missions historiques, afin de s’adapter aux mutations en cours dans notre société et aux nouveaux usages médiatiques avec un triptyque inédit : « Comprendre le monde, faire rayonner et faire participer ». Pour l’actuelle ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin : « Le principal risque, aujourd’hui, c’est de ne pas en prendre. France Télévisions doit faire preuve d’audace créative, proposer des formats innovants » (18). Comme toujours, à charge au nouveau président de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué...


 Le groupe Radio France, qui doit s’efforcer « d’allier exigence culturelle et respect du grand public », hérite d’une double mission éducative et sociale : la programmation radiophonique et la production musicale. Il multiplie ainsi les obligations spécifiques telles qu’assurer la gestion et le développement des formations orchestrales et vocales de Radio France, proposer chaque jour de l’information, diffuser chaque dimanche matin des émissions à caractère religieux consacrées aux principaux cultes, proposer des documentaires et des magazines, soutenir la création musicale et les nouveaux talents, proposer des créations originales, ou encore œuvrer pour la diversité et le droit des femmes.(19).

Un positionnement éditorial équivoque

La multiplication anarchique des antennes et des missions de service public réduisent la lisibilité de l’offre de programmes dans un contexte d’hyper-abondance médiatique. Le positionnement de chaque média, pourtant régulièrement argumenté et réinventé, manque de clarté tant au sein de l’offre publique que face à la concurrence.Selon l’étude Harris Interactive pour Télérama publiée en janvier 2015, « près de sept Français sur dix indiquent percevoir des différences entre les chaînes de télévision publiques et leurs concurrentes privées (68 %), soit une proportion en augmentation de 8 points en près d’une décennie ». Mais, « aujourd’hui, ces différences s’illustrent moins par les programmes que par le passé (-16 points entre 2005 et 2014), et plus par le volume de publicité et le mode de financement des chaînes +4 et +9 points) ».

 Le positionnement de chaque média manque de clarté 

Sous la présidence de Rémy Pfimlin, et dans le but de rajeunir l’audience, le groupe s’est ainsi essayé à la télé-réalité : le public traditionnel de FTV a évidemment fui et les plus jeunes n’ont pas adhéré à ces expériences en demi-teinte. De même, en 2012, la programmation de fictions de scripted reality (fictions à bas coût reproduisant des faits divers) — Le Jour où tout a basculé sur France 2 et Si près de chez vous sur France 3 — a déclenché l’ire de la ministre de la Culture et de la Communication, déclarant : « La scripted reality n’est pas un type d’émissions de qualité qui correspond aux objectifs du service public» (20). France Télévisions, qui avait lancé le genre en France n’a alors pas renouvelé leur diffusion, tandis que les chaînes privés s’en emparaient, réalisant ainsi de belles audiences pour un investissement modique. C’est dire la difficulté du positionnement de FTV qui doit en permanence réduire ses coûts et développer ses publics, tout en satisfaisant des exigences de service public, qui, pour certaines, sont elles aussi controversées.

Il en est ainsi des émissions religieuses qui, dans un État laïc, bénéficient d’un droit à l’antenne fondé aujourd’hui sur l’idée de neutralité-pluralisme des missions de service public. Régulièrement, il est question de transférer ces émissions programmées le dimanche matin sur France 2 vers une autre chaîne du groupe FTV, où les enjeux d’audience seraient moindres.

Autre grand sujet de débat, la place des programmes régionaux sur France 3 fait l’objet de multiples rapports. Le dernier en date, le rapport Brucy, sur l’avenir régional de France 3, soutient que la programmation actuelle de la chaîne (une antenne nationale et des décrochages régionaux) est à privilégier, contrairement au projet de Rémy Pfimlin qui souhaitait mettre en place de véritables chaînes régionales de plein exercice, à l’image de la chaîne régionale corse, Via Stella.

Les chaînes thématiques telles que Arte, LCP ou Public Sénat rencontrent plus de facilité à être reconnues comme relevant du service public : leur histoire, ainsi que leur positionnement singulier dans le PAF (paysage audiovisuel français), circonscrivent leur programmation et ne les soumettent pas à la pression de l’audience.

La relance éditoriale d’Arte mise en place à travers le COM 2012-2016, visait à conforter dans sa grille des programmes son ADN culturel et européen — le traité fondateur du 30 avril 1991 indique les missions suivantes : « Concevoir, réaliser et diffuser ou faire diffuser (…) des émissions de télévision ayant un caractère international au sens large et propre à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples », tout en y insufflant humour et vision prospective. En début de soirée, la chaîne réussit à installer des émissions d’information qui progressent légèrement en termes d’audience : Arte Journal, le magazine 28 minutes ou encore Arte Reportage. La chaîne franco-allemande s’appuie toujours sur son offre documentaire et cinématographique originale, mais propose également des séries étrangères, essentiellement européennes, qui renouvellent un genre saturé par les productions américaines et l’ouvrent à de nouveaux publics.

Le groupe Radio France bénéficie également d’une meilleure image de service public. Si certaines émissions emblématiques, animateurs et directeurs d’antenne disparaissent à l’arrivée d’un nouveau président (limogeage d’Olivier Poivre d’Arvor de son poste de directeur de France culture en 2015, alors même que six des sept directeurs de stations avaient été déjà remplacés à l’arrivée de Mathieu Gallet en 2014, licenciement de Stéphane Guillon et Didier Porte en 2010 sous la présidence de Jean-Luc Hees, etc.), la programmation est marquée par une continuité certaine tant dans sa tonalité que par l’absence de publicité. Pour preuve, la grève du printemps 2015 n’a eu que peu d’impact sur les audiences des stations du groupe par rapport à l’année précédente, les auditeurs ayant même été nombreux à apprécier les playlists musicales proposées en remplacement des programmes.

Les défis du numérique

À ce jour, les différents groupes de l’audiovisuel public se sont déjà positionnés sur le Web via des plates-formes numériques innovantes et de qualité, mais le manque de coordination de ces initiatives entraîne des coûts et un éparpillement du public qui pourraient être évités.

Arte a su très tôt, sous la direction de Véronique Cayla et avec le soutien de l’État, mettre en œuvre un développement numérique ambitieux, en parallèle de sa relance éditoriale, afin de devenir 100 % bimédia : être présent partout, tout le temps et sur tous les supports. Son investissement dans les nouvelles formes d’écritures audiovisuelles et numériques offre à un public encore très confidentiel des expériences (fictions, documentaires…) interactives et inédites (la fiction Intime conviction, 2014 - le documentaire Opération Climat, 2015. Avec le groupe France Télévisions (la fiction-documentaire Anarchy, Arte est l’une des rares chaînes à pouvoir se permettre de fonctionner comme un « laboratoire » transmédia.

Actuellement éparse, l’offre numérique de France Télévisions se décline, quant à elle, autour d’applications (Zoom, à la fois chaîne sur mesure et playlist éditorialisée), de sites associés aux différentes chaînes linéaires, de plates-formes thématiques (francetvsport, francetvinfo, culturebox, francetvéducation) ou encore de services de rattrapage et vidéo à la demande (francetvpluzz). Delphine Ernotte, après une longue carrière au sein du groupe Orange, a convaincu le CSA en proposant une véritable transformation numérique du groupe.

C’est aussi pour son projet numérique et sa capacité à comprendre les problématiques liées au rajeunissement de l’audience lors de son audition que Mathieu Gallet a été choisi par le CSA afin de présider la « maison ronde ». Au début de l’année 2015, un directeur des nouveaux médias venu de France Télévisions, a été chargé de mettre en œuvre la stratégie digitale du groupe, fondée principalement sur l’enrichissement des contenus.

Dans ce contexte, l’idée d’une plate-forme numérique commune à l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public fait son chemin. Dans le même temps, des plates-formes ou services de mutualisation des contenus publics et privés cherchent à voir le jour, conscients de la valeur des contenus de l’audiovisuel public sur le marché français. La tentative d’Orange de créer un Netflix « à la française » en proposant une plate-forme de SVOD qui fusionnerait les services de VOD de médias privés et publics (Orange, TF1, M6 et France Télévisions) ne semble pas aboutir, les différents partenaires n’ayant pas réussi à trouver ensemble un modèle rentable à moyen terme. En revanche, les anciens dirigeants de Canal + et d’Allo Ciné, Pierre Lescure et Jean David Blanc, seraient sur le point de lancer Molotov, un service innovant de distribution et de valorisation de contenus télévisuels français privés et publics qui tiendra compte des nouveaux usages (21).

Le 18 juin 2015, la secrétaire d’État au numérique, Axelle Lemaire, dévoilait sa stratégie numérique et déclarait : « Il faut aller vers une stratégie de plate-forme coordonnée pour les services publics, avec un portail d’entrée unique vers tous les services pour les usagers » (22).

Afin de s’affirmer demain comme un véritable service public, c’est bien au coeur d’un tel dispositif que l’audiovisuel public devrait se trouver pour apporter son expertise médiatique et numérique, défendre l’intérêt général et national, le pluralisme et la diversité, la liberté d’expression ou encore la francophonie dans un univers numérique mondialisé. Ce qui, pour le moment, n’est pas encore à l’ordre du jour.

--
Crédits photos :
- Les écrans de contrôle. Patrick Janicek/Flickr

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris

Autres épisodes de la série

NHK : au service du public ou du gouvernement japonais ?

NHK : au service du public ou du gouvernement japonais ?

L’idée d’un service public de l’audiovisuel est ancienne au Japon. Créée en 1925 sur le modèle de la BBC, la NHK oscille entre proximité avec le pouvoir et démocratisation. Réputée pour la qualité de ses programmes et l’innovation technologique, elle semble renouer avec ses démons.