Le marché de la télévision par satellite en Russie

Le marché de la télévision par satellite en Russie

La Russie représente un immense marché pour la télévision par satellite. Dans un pays où 150 millions d'habitants possèdent 100 millions de téléviseurs, la concurrence fait rage entre les opérateurs pour conquérir le public.

Temps de lecture : 8 min

Avec près de 150 millions d’habitants, la Russie représente l’un des plus gros marchés au monde pour la télévision à péage. Signe de ce dynamisme, le bouquet satellite russe « Trikolor » est d’ailleurs devenu fin 2013 le plus gros opérateur européen avec plus de 10 millions d’abonnés, dépassant ainsi ses concurrents BskyB et Sky Italia.

La réception par satellite est ainsi appelée à jouer un rôle majeur dans un pays marqué par l’immensité de son territoire, de fortes disparités de développement et un contexte de plus en plus concurrentiel. Pour les opérateurs de télévision par satellite, la Russie s’avère donc un marché extrêmement prometteur mais atypique.

Le poids de la télévision par satellite en Russie

On estime à l’heure actuelle que 53 millions de foyers russes sont équipés d’un ou plusieurs téléviseurs pour un parc total de 100 millions d’unités. La télévision reste ainsi le média le plus populaire en Russie avec plus de 350 chaînes recensées, dont 22 chaînes fédérales, qui couvrent l’intégralité du territoire.
 
En 2013, près d’un quart des foyers russes possédant un téléviseur était équipé d’une antenne satellite. Ce chiffre a d’ailleurs fortement progressé en l’espace de deux ans, passant ainsi de 8 à 12,6 millions. Ainsi, la télévision par satellite gagne constamment des parts de marché en Russie (39 %) et s’est déjà imposée comme le premier mode de réception de la télévision numérique, qui concerne 10,7 millions de foyers au total.
 
Désormais, plus d’un foyer russe sur deux est abonné à une offre de télévision payante (55 %). Celle-ci se rapproche ainsi du câble, qui reste pourtant leader sur le segment de la télévision payante avec 16,8 millions de foyers, mais affiche une croissance annuelle bien moindre (5 %). Il faut noter que la télévision par Internet (ou IPTV) est encore minoritaire en Russie, avec seulement 3 millions de foyers abonnés.
 
Environ 10 millions de foyers reçoivent toujours le signal analogique terrestre, ce qui représente une marge de progression considérable pour les acteurs de la télévision payante, et en particulier les opérateurs satellite. Ces derniers devraient en outre bénéficier de la conversion d’une partie des abonnés dits « sociaux », qui bénéficient actuellement d’un petit bouquet de chaînes pour un montant négligeable.

Les principaux bouquets satellites en Russie

On recense actuellement trois principaux bouquets satellites en Russie.

Le bouquet NTV+ est l’opérateur historique du secteur. Lancé en 1996, à une époque où le numérique n’était pas encore présent dans les foyers russes, NTV+, filiale du géant Gazprom, est resté très longtemps en situation de monopole. Depuis ses débuts, le bouquet a résolument opté pour une stratégie de contenu premium en accordant une large place au sport et au cinéma et en développant de nombreux partenariats avec des chaînes thématiques russes et étrangères. Il compte désormais environ 750 000 abonnés et exploite 22 transpondeurs(1) . NTV+ est aussi le seul opérateur russe à commercialiser son offre à l’étranger, en l’occurrence en Ukraine.
 

L’arrivée de Trikolor en 2005 a bouleversé la donne. Afin de contrer NTV+, ce nouveau concurrent décide d’adopter une politique tarifaire très agressive et lance un bouquet de chaînes à petit prix, presque exclusivement composé de chaînes russes. Autre innovation majeure : Trikolor est également le premier à lancer un bouquet de chaînes entièrement gratuites, accessibles sans abonnement une fois acquitté le matériel de réception. Le succès est immédiatement au rendez-vous et Trikolor connaît une croissance fulgurante en l’espace de quelques années : le bouquet compte désormais plus de 15 millions d’abonnés et une part de marché écrasante (87 %). Trikolor est ainsi parvenu à capter une part importante de foyers qui étaient rebutés par les tarifs élevés de NTV+, alors très proches du ceux pratiqués en Europe de l’Ouest.
 
La performance de Trikolor a donné des idées à d’autres sociétés qui ont rencontré un succès plus ou moins limité. Parmi celles-ci figure Orion Express, lancée en 2007 et qui compte plus de 2,5 millions d’abonnés, ce qui en fait le deuxième acteur du marché. S’appuyant sur une stratégie similaire à celle de Trikolor, l’offre d‘Orion Express se décline en deux bouquets distincts : Telekarta et Kontinent TV. L’opérateur vient en outre de racheter les activités d’un petit concurrent, Rikor Smart TV. Deux autres « petits » bouquets satellites viennent compléter ce tableau : Raduga TV et HD Platforma. Pour l’heure, les deux opérateurs disposent d’une base d’abonnés restreinte en comparaison des géants du secteur et leur avenir semble plus qu’incertain. La presse évoque d’ailleurs l’éventualité d’un rachat de Raduga TV par l’opérateur de téléphonie MTS.

Les spécificités de l’offre russe

L’offre des bouquets satellites russes présente plusieurs originalités qu’il est intéressant de noter. La première renvoie directement à l’immensité du territoire russe, qui couvre pas moins de onze fuseaux horaires. L’offre de chaînes varie donc en fonction du lieu de résidence : les régions situées dans la partie européenne de la Russie se verront proposer d’autres chaînes que celles situées plus à l’Est. Ceci est notamment dû à l’abondance de stations régionales, très présentes en Russie. Le décalage horaire rentre également en jeu, surtout lors de la retransmission d’évènements sportifs nationaux. Fait remarquable, le hockey sur glace est le sport numéro un en Russie, devant le football. Enfin certains bouquets proposent également des chaînes à destination des minorités ethniques implantées dans certaines régions de Russie.
 

Une autre problématique importante concerne la zone de couverture des bouquets satellites. À ce jour un seul opérateur – Orion Express – se vante d’assurer une couverture intégrale du territoire russe. NTV+ propose quant à lui deux couvertures géographiques distinctes (« Ouest » et « Est ») mais des zones blanches subsistent malgré tout. Quant à Trikolor, il est paradoxalement le plus mal loti des trois avec une zone de couverture qui reste encore assez inégale. Ces inégalités s’expliquent essentiellement par la flotte de satellites utilisés par les opérateurs pour diffuser leurs chaînes, leur choix revêtant ici un caractère réellement stratégique.
 
La politique tarifaire des opérateurs constitue la troisième originalité notable du marché russe. Le succès fulgurant de Trikolor a fait beaucoup d’émules, et tous les opérateurs russes adoptent désormais la même segmentation marketing :
  1. Une offre dite « basique » qui propose entre dix et vingt chaînes accessibles gratuitement et à vie dès lors qu’on fait l’acquisition du matériel de réception (parabole + terminal numérique + carte de décodage)
  2.  Une offre « intermédiaire » qui propose entre soixante et quatre-vingt chaînes généralistes et thématiques, pour l’essentiel diffusées au format SD, le tout à un prix très agressif : environ 600 roubles par an, soit moins d’un euro par mois !
  3. Une offre « premium » composée de plus de 100 chaînes et faisant la part belle au format Haute Définition (HD)
  4. Des bouquets complémentaires de chaînes construits autour de différentes thématiques : cinéma, sport, documentaire, jeunesse ou encore contenu érotique, voire porno, suivant les chaînes.
 
À noter que les offres de Pay per View (PPV) et de contenu en 3D sont encore relativement peu développées en Russie et seul NTV+ est présent sur ce segment avec son offre « Kinodrom ».
En revanche, l’option « Multiroom », qui permet d’accéder aux chaînes d’un même bouquet sur plusieurs téléviseurs, rencontre un franc succès car il est relativement courant d’avoir un poste dans chaque pièce de la maison.
Le standard de diffusion est également un critère de différenciation essentiel en Russie puisqu’outre la HD, la plupart des opérateurs donne également à leurs abonnés le choix entre le format MPEG2 (pour la SD traditionnelle)(2) et le MPEG4, qui est une norme de diffusion plus récente.
 
A l’inverse, l’international n’est clairement pas considéré comme un argument de vente et il est remarquable de noter la sous-représentation des chaînes en langues étrangères dans l’offre des opérateurs russes. Ce n’est d’ailleurs que très récemment que Trikolor a commencé à proposer des chaînes étrangères, sans que cela nuise pour autant à sa croissance.
 
Enfin seul Orion Express commercialise une offre de réception Internet par satellite avec plusieurs formules de prix et différents quotas de données. NTV+ innove également en proposant une formule « mobilité » qui inclue des antennes de réception spécialement étudiées pour les utilisateurs nomades.

Les perspectives d’évolution du secteur

Le secteur de la télévision à péage connaît actuellement une forte croissance en Russie et cette tendance devrait même s’accélérer dans les années à venir.
 

Selon une récente étude du cabinet J’son & Partners Consulting, le nombre de foyers russe abonnés à une offre de télévision payante pourrait dépasser les 45 millions d’ici 2018, soit un taux de pénétration de 75 %.
 
Les opérateurs satellites devraient tout particulièrement tirer leur épingle du jeu, car à ce jour, près d’un tiers des foyers russes reçoit encore la télévision via le signal analogique. Or la fin de la diffusion analogique est prévue pour 2015. Le potentiel de croissance est donc considérable, d’autant que l’essentiel de cette population devrait être capté par les bouquets satellites dans les mois à venir.
 
L’immensité du territoire russe et ses nombreuses contraintes topographiques et climatiques limitent en effet considérablement la marge de manœuvre des câblo-opérateurs et leur capacité à déployer des réseaux qui soient financièrement rentables. D’ailleurs, dans certaines régions du sud de la Russie, le satellite représente déjà plus de 70 % des abonnés à une offre de télévision.
 
En fait, seule l’IPTV pourrait quelque peu venir contrarier ces plans, en particulier dans les grandes villes, où les connexions Internet sont les plus fiables et les plus rapides. Certains opérateurs, à l’instar de NTV+, envisagent d’ailleurs de se développer sur ce segment prometteur. Malgré tout, la réception par satellite devrait encore largement renforcer son poids et finir par voler la vedette au câble. Mais plus encore que le mode de réception, c’est sur le contenu et les usages que la bataille des opérateurs devrait faire rage.
 
Si la Haute Définition tend à se généraliser dans les foyers russes, les analystes se montrent également confiants quant aux chances du format « 4K »(3)
L’autre défi important concerne la tendance au « multiscreen », désormais largement perceptible en Russie. On estime ainsi que 7 millions de personnes regardent déjà la télévision sur leur tablette et près de 20 millions sur leur téléphone mobile, un nombre qui devrait encore grimper dans les années à venir. Le bouquet Trikolor vient d’ailleurs de lancer pour Noël une offre spécifique associant une tablette et un décodeur numérique, donnant ainsi aux utilisateurs la possibilité d’accéder aux chaînes sur différents supports.
 
Reste enfin le problème du piratage informatique, qui est pratiqué à un niveau très élevé en Russie, en particulier pour les contenus téléchargés sur Internet. Les pirates redoublent souvent d’ingéniosité pour tenter de décoder illégalement les chaînes, ce qui contraint les bouquets satellites à toujours perfectionner leur contrôle d’accès. Le phénomène du « cardsharing »(4) , très répandu en Europe de l’Est, constitue à ce titre un véritable fléau pour les opérateurs et un business lucratif pour les pirates. Néanmoins, ce problème est loin d’être spécifique à la Russie.

Conclusion

De l’avis unanime des experts, la Russie est actuellement l’un des marchés les plus dynamiques pour les acteurs de la télévision par satellite et les cinq prochaines années devraient encore confirmer cette tendance. La fin programmée du signal analogique conjuguée aux spécificités du territoire russe ouvrent en effet de très belles perspectives aux bouquets satellites, qui devraient capter une part importante des nouveaux entrants.
 
Le principal défi des opérateurs russes sera alors de continuer à innover afin de renforcer l’attractivité de leur bouquet tout en maintenant des prix très attractifs, parmi les plus bas au monde.
 
Le développement de l’ultraHD, du multiscreen ou encore du Pay-per-view devrait largement être mis à l’honneur dans les mois à venir et s’imposer comme un sérieux argument commercial au sein d’une population témoignant d’un intérêt croissant pour les nouvelles technologies.

--
Crédits photos :
Pixabay
Capture d'écran du site NTV+
Capture d'écran du site Orion express
 
    (1)

    Un transpondeur est un relais électronique à bord d'un satellite qui permet de redistribuer des signaux reçus depuis la terre vers une autre fréquence pour les faire redescendre vers l'utilisateur.

    (2)

    SD (pour standard-definition television) désigne une série de normes vidéos de résolution image conformes aux normes NTSC, PAL ou SECAM. Ce standard inclut notamment les formats 480i et 576 par opposition au 720i qui relève de la HD. 

    (3)

    Le terme 4K fait référence à une définition d'image formée de 4 096 pixels, soit quatre fois supérieure en qualité au format Full HD ">(3) de s’imposer en Russie, par opposition à la 3D qui n’a jamais réellement décollé dans ce pays. « L’ultraHD » pourrait notamment bénéficier de l’organisation de la prochaine Coupe du monde de football, qui sert toujours de vitrine technologique pour le pays hôte. D’ailleurs la 4K a déjà été testée avec succès par NTV+ et Trikolor lors des derniers Jeux olympiques d’hiver à Sotchi.
     

    (4)

    Le cardsharing est une technique permettant de partager illégalement à l’aide d’une carte d’abonnement et d’un décodeur numérique connecté à l’Internet les clés d’accès aux chaînes.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris