Les années folles (2000-2010)
Les États africains prennent conscience de la nécessité de développer leurs propres chaînes
À partir des années 2000, de nouveaux bouleversements s’opèrent. Les États africains prennent conscience de la nécessité de développer leurs propres chaînes. Timidement d’abord, les paysages s’ouvrent enfin aux éditeurs africains privés, sauf au Mali et en Côte d’Ivoire. Sous l’impulsion d’Hervé Bourges, alors président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français (CSA), plusieurs autorités de régulation africaines se créent ou se renforcent. Mais leurs moyens de contrôle restent limités.
Le début des années 2000 marque également le passage de l’analogique au numérique. C’est à la même période que l’on passe de la Bande C
à la bande Ku et que l’on voit naître de grandes vagues de piraterie. En 2001, l’exploitation du bouquet francophone de l’État français, Le Sat
, est cédé dans son intégralité à la société du groupe Canal+, Média Overseas, pour un franc symbolique. Le bouquet devient Canal Satellite Horizons. La chaîne Canal+ Horizons, de son côté, continue de perdre beaucoup d’argent sur le continent. Seul, le centre de diffusion d’Abidjan commence à devenir rentable. On parle d’un portefeuille total
de moins de 20 000 abonnés sur toute l’Afrique, en près d’une dizaine d’années d’exploitation. Sans doute afin de limiter les pertes, l’éditeur, désormais commandé par Vivendi, décide d’opérer des coupes franches dans les marges des distributeurs de décodeurs : on passe de 14 à 8 % de marge, et ceux qui refusent de signer se voient habilement remerciés. Un grand ménage est décidé au sein de la chaîne, les anciens sont poussés par la porte de sortie à l’instar du directeur commercial Roger Fajnzylberg et d’autres, plus jeunes mais moins expérimentés, sont propulsés à des postes clés. Grâce au numérique, l’offre africaine de Canal+ s’étoffe rapidement. En 2002, Le bouquet Canal Satellite Horizons double sa capacité de diffusione n louant un second transpondeur sur le satellite NSS 7 en bande Ku.
Le piratage télévisuel prend une ampleur considérable sur le continent
Ces différentes configurations sont certainement à la base du développement du piratage télévisuel, qui commence à prendre une ampleur considérable sur le continent. Au Cameroun ou au Sénégal, on voit fleurir un peu partout des dizaines, voire des centaines d’opérateurs pirates. Les systèmes sont fabriqués de bric et de broc : on transforme des amplis en émetteurs, on tire du câble coaxial dans la cour puis dans tout le quartier. Baptisés « Systèmes araignées », ces réseaux d’économie souterraine sont, de fait, exemptés du paiement de taxes et autres droits d’éditeurs. Le téléspectateur, lui, reste gagnant puisqu’on lui propose un raccordement mensuel pour moins de 2 000 francs CFA. Même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, on est dans la période du «
good enough ». En Afrique de l’Ouest, dès 2002, un autre type de piratage émerge. Sur le marché de la capitale malienne, Bamako, des cartes piratées circulent. Ces cartes s’échangent contre quelques francs CFA et proposent un accès gratuit aux chaînes payantes diffusées par les opérateurs MMDS. Le chiffre d’affaires de ces groupes en prend rapidement un coup. Ce trafic dura presque deux ans, sans que jamais aucune instruction ne fût menée pour découvrir qui se cachait derrière la prolifération de ces cartes pirates.
À partir de 2005, les conflits entre les télédiffuseurs africains et les sociétés du groupe
Canal+ prennent de l’ampleur. On reproche à ces dernières d’appliquer des tarifs et des conditions anticoncurrentiels, de conserver l’exclusivité de chaînes premium, de diminuer sauvagement les commissions des revendeurs. Les tarifs pratiqués pour les professionnels seraient plus élevés que les tarifs appliqués aux abonnés directs. De son côté, le groupe français reproche aux acteurs africains de pratiquer des sous-déclarations d’abonnés. Durant la quatrième réunion du CIRCAF tenue à Ouagadougou en 2007, un plaidoyer est présenté par l’
OPTA aux Hautes autorités de régulation. Luc Adolphe Tiao, alors président de la Haute Autorité du Burkina Faso, se fera, jusqu’à récemment, l’un des arbitres
de cette guerre désormais ouverte.
Dans le même temps, les télédiffuseurs locaux cherchent à entrer en contact direct avec les éditeurs internationaux pour commercialiser leurs chaînes. Oui mais voilà, leur réputation est bien entachée. Dans l’Hexagone, très peu de chaînes TV daignent répondre à leurs demandes de rencontres. Un seul groupe indépendant leur ouvre la porte dès 2007 : ABSAT. Sans faire de bruit, plusieurs chaînes du groupe commencent d’abord par être commercialisées au Sénégal (Excaf), à Djibouti (Télésat) puis, rapidement, au Mali (Malivision) et ailleurs. Pour capter les chaînes d’ABSAT, on utilise alors le système D africain : à l’aide de paraboles motorisées allant jusqu’à onze mètres de diamètre, d’ingénieux autodidactes parviennent à capter le signal en bande Ku du satellite Hot Bird, jusqu’au Gabon voire jusqu’au Congo. En quelques années, la plupart des chaînes d’ABSAT sont ainsi reprises sur la grande majorité des réseaux historiques d’Afrique subsaharienne francophone. Ce nouveau fournisseur apporte une bouffée d’air frais aux télédiffuseurs locaux dans l’accès au contenu. Le Groupe France Télévision emboîte rapidement le pas du Groupe ABSAT et commence, peu après, à commercialiser en Afrique les chaînes TV du service public français. Canal+ Horizons, de son côté, commence timidement à produire une puis deux émissions en Afrique. Cette nouvelle politique annonce l’africanisation progressive du bouquet. C’est également à peu près à la même période que l’éditeur FOX commence également à s’intéresser au marché africain des télédiffuseurs.
En 2006, avant l’arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT) en France, le télédiffuseur togolais Media+Inter inaugure le premier système de transmission numérique du continent, en bande MMDS. Le phénomène s’étend au Cameroun, au Mali, au Niger puis au reste des pays francophones dans les deux années qui vont suivre. Factuellement, la télévision payante en Afrique francophone est donc en numérique
bien avant la date de juin 2015 décidée par l’UIT. Mais aucune autorité ne le mentionne dans ses communications, sans doute car les systèmes restent exploités par des privés.
En 2008-2009, quelques mois après le lancement de ces nouvelles chaînes francophones sur les réseaux terrestres africains, le chinois Startimes fait son entrée sur l’échiquier. Dans son offre, on retrouve les chaînes d’ABSAT telles que RTL9, Mangas ou encore Action ou XXL. On retrouve aussi les chaînes de France Télévisions. L’offre,
accessible uniquement en bande C, est destinée à être reprise sur des réseaux TNT dans les villes africaines. L’abonnement est modique, mais le système connaît des « couacs » : il va par exemple mettre de nombreux mois à démarrer vraiment au Burundi, au Rwanda ou en Guinée.
Fin 2008, on rencontre dans les couloirs de la direction de chaînes de télévision africaines le directeur de Thema, François Thiellet. Il est régulièrement accompagné de Jean-Christophe Ramos, alors directeur général de Canal+ Horizons. On murmure que le bouquet africain, à destination des africains de la diaspora en France, se prépare…
Une autre étape est franchie, fin 2009, dans les relations entre le groupe Canal+ et les opérateurs locaux : ces derniers déposent officiellement plainte
pour abus de position dominante auprès de l’UEMOA, l’Union économique et monétaire ouest-africaine.. De leurs côtés, les câblo-opérateurs qui piratent les signaux des chaînes internationales commencent à s’organiser en syndicats comme au Sénégal et au Cameroun.